The Rose Queen. Tome 1 : L'usurpatrice. de Clafoutis

– Dites, ne trouvez-vous que la Rose Queen a changé ces derniers temps ?
– A qui le dites-vous ! Cela fait une semaine qu'elle n'a tué personne ! Peut-être est-elle malade ?
– On raconte aussi qu'elle ne rend plus visite à ses Nemelios, alors qu'elle les adorait auparavant !
– Moi je trouve cela étrange qu'elle ne sort quasiment plus de ses appartements, insistant à être seule...
– Et sa voix, l'avez-vous entendu ? N'était-elle pas un peu plus grave ?

Bien que cela ne fût pas dans ses habitudes, Isaac Forneus laissa indiscrètement ses oreilles capter les gazouillements de demoiselles de la cour, qui se pressaient comme à l'accoutumée de débiter à une vitesse effrayante les derniers ragots du moment, tranquillement installées près de la fontaine de marbre du jardin royal.

Il lui en coûtait de l'admettre, mais ces commères haute-gamme avaient raison, la Rose Queen n'était plus elle-même ces derniers jours et il était le premier à l'avoir remarqué, étant le conseiller personnel de la reine. Comme l'avait relevé l'une des courtisanes, le simple fait que la Rose Queen n'eût tué ou torturé personne en une semaine était surprenant, stupéfiant, ahurissant.
Cela pouvait sembler étrange dit comme cela, mais pour la Rose Queen, tuer était aussi vital que de respirer, c'était un peu la nourriture de son esprit. Certains abreuvaient leur âme de lectures, de philosophies, de voyages... la Rose Queen, elle, l'abreuvait de meurtres, chacun ses goûts.

Aujourd'hui, Isaac allait en avoir le cœur net. Il avait enfin réussi – après moult insistances – à s'accorder une audience auprès de la Rose Queen, ce qui renforçait d'autant plus sa suspicion. Que l'impitoyable reine acceptât une demande d'audience, alors qu'elle ne le voulait visiblement pas, était tout bonnement impensable. La Rose Queen ne faisait que ce qu'elle voulait, personne n'avait à lui dicter ce qu'elle avait à faire. Le dernier à lui avoir ordonné quelque chose avait fini pendu par un crochet rouillé solidement hameçonné à la langue.

Quelque chose ne sentait pas bon dans cette histoire, et Isaac Forneus était bien décidé à découvrir quoi.

Le conseiller arriva devant la salle du trône. Il réajusta le jabot de son élégant costume, se redressa, et frappa distinctement deux fois avant d'ouvrir la grande porte de bois d'ébène richement sculptée.
De l'entrée, la salle royale était toujours aussi impressionnante. Grande, rectangulaire, soutenue par deux rangées d'énormes piliers de marbre ténèbres et d'or, le sol s'élevait aussi au fur et à mesure que l'on s'approchait du trône, donnant à celui y étant installé une vue d'ensemble sur la totalité de la large pièce.

Isaac foula finement le tapis de velours de ténèbres écarlate qui menait irrésistiblement vers la Rose Queen.

De loin, on aurait dit la même qu'auparavant. Toujours vêtue de cette somptueuse robe noire ébène aux motifs floraux, toujours affublée de cet épais voile ténébreux empêchant aux simples mortels de percevoir son visage.

Mais Isaac Forneus n'était pas dupe, si l'apparence aurait pu tromper n'importe qui, il en était tout autre pour quelqu'un côtoyant quotidiennement la reine.
Premier indice que le conseiller remarqua immédiatement : la Rose Queen tremblotait. Impossible, tout simplement impossible. Jamais au grand jamais l'impitoyable, la cruelle, la fascinante Rose Queen n'avait éprouvé un sentiment ne serait-ce que similaire à la peur.

Et pourtant, le regard vif d'Isaac ne le trompait pas, assise sur son trône de pouvoir, la Rose Queen tremblotait. Même munie de son voile, le conseiller parvenait à deviner le teint livide de la reine, suant d'appréhension.
Une fois arrivé devant la Rose Queen, Isaac s'agenouilla poliment.

– Rose Queen, déclara t-il d'une voix mielleuse. Encore une fois, votre beauté me submerge.

Bam. Direct. Sae Ishtar avait déjà la gorge nouée. Il fallait dire qu'elle n'avait pas l'habitude de ce genre de tournure de phrase, et encore moins de ce ton de gentilhomme ! Tiens au passage, c'était quand la dernière fois qu'un homme avait fait un commentaire sur sa beauté ? Sans compter l'ivrogne libidineux qui traînait dans les caniveaux bien sûr.

Sae s'insulta mentalement. Ce n'était pas le moment de se perdre dans d'absurdes divagations, juste parce qu'un beau gosse venait de dire qu'elle était belle ! En plus, ce Isaac ne la visait pas spécialement dans sa phrase, mais plutôt l'ancienne Rose Queen, sans compter qu'il s'agissait plus d'une formule d'aristocrate qu'autre chose. Pas de quoi être émoustillée donc.

Non, plutôt que de sentir ses secrétions tâcher ses sous-vêtements, Sae devait répondre. Se terrer dans le silence n'allait rien arranger, au contraire. Mais comment est-ce que la Rose Queen s'exprimait en privé ? De cela, Sae n'en savait rien. Elle n'était qu'une simple servante, elle ne connaissait de la Rose Queen que de ce que cette dernière voulait bien montrer au grand public.

Cependant Sae pouvait deviner à peu près une réponse, en fonction de la personnalité de la fameuse reine. Égoïste, sadique, mégalomane. Il suffisait juste d'aménager une réponse correspondant à ces trois caractéristiques...

– Yo ! ...euh non... j'veux dire... Ohohohoh ! Te...non... Vous voilà enfin pitoyable serviteur ! Parlez, j't'écoute ! ...'fin, j'veux dire : je vous écoushte !... Ohohohoh !

Écoushte. Sérieusement. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?! Fichue langue, c'était vraiment le moment de fourcher ?! Et c'était quoi ce rire aussi ?! Si Sae avait encore son couteau de cuisine, elle ne trancherait instantanément les veines, de honte.

Voilà pourquoi Sae évitait tout contact social depuis une semaine. Si sur le coup, prendre la place de la Rose Queen lui avait semblé être l'idée du siècle, l'ancienne servante avait rapidement déchanté. Dès qu'un courtisan l'approchait, elle perdait tous ses moyens, le naturel revenant sans cesse au galop.

Et ce Isaac Forneus, Sae aurait bien voulu l'envoyer chier, mais le conseiller avait tellement insisté pour avoir cette audience qu'elle se sentait forcée d'accepter, sous la pression. De plus, si elle se souvenait bien, l'ancienne Rose Queen et son conseiller personnel se réunissait relativement souvent, alors refuser de le voir indéfiniment paraîtrait extrêmement suspect.
En parlant d'Isaac justement, ce dernier haussa un sourcil perplexe quant à la réponse de Sae. Cette dernière sentit son cœur s'arrêter.

– … je vous remercie, déclara simplement l'élégant jeune homme.

Sae soupira de soulagement. Il n'y avait plus aucun danger, hein ?

– Je viens vous remettre mon rapport hebdomadaire sur l'état du royaume, comme à l'accoutumée.
– Cool ! … euh j'veux dire... faites, misérable ! Ohohoho !
– Je suis à vos ordres, s'inclina le conseiller.

Isaac toussota légèrement, s'efforçant de ne rien laisser paraître.

– Tout d'abord, j'ai la joie de vous annoncer que la récolte de l'impôt royal s'est particulièrement bien déroulée cette semaine. Le peuple vous aime, fabuleuse Rose Queen.
– Ohohohoh ! Je n'en doute pas une seconde !

Franchement, Sae devait vraiment arrêter avec ce rire. Elle-même en avait terriblement honte, mais elle était tellement sous pression qu'il sortait nerveusement.

– En revanche, je suis au regret de vous annoncé qu'une famille a refusé de payer, alors qu'elle en avait largement les moyens. J'ai déjà mobilisé les soldats, ils n'attendent qu'un mot de votre part, et ces renégats seront punis comme il se doit. A moins que vous ne désirez vous-même leur faire comprendre ce qu'il en coûte de vous défier ?
– … ah.

Félicitation, la pression de Sae Ishtar venait de monter d'un niveau ! Plus dix en nervosité et moins cent en sang-froid !
Il était vrai que Sae était une assassin, après tout, elle avait tué la reine. Et ce n'était pas un incident, c'était bien un meurtre prémédité. Sauf que ce meurtre ne comptait pas vraiment, c'était plus de l'instinct de survie qu'autre chose. Et puis, tout le monde voulait la peau de la tyran.

En revanche, tuer une famille innocente c'était une tout autre histoire. Sae avait parfaitement connaissance de la dureté de la vie, sous le joug de l'ancienne Rose Queen. Les impôts étaient démentiels et la terreur constante. Si l'ancienne Rose Queen n'avait aucune conscience, ce n'était pas le cas de Sae Ishtar.

– A-Attend...dez ! geignit t-elle. J-Je ne pense que ce soit une bonne idée !
– … veillez m'excuser, ma reine ?
– C-Ce n'est pas un peu extrême ? Au pire, il suffit de leur donner une bonne fessée, mais c'est inutile de le tuer !
– Rose Queen, la défia Isaac. En refusant de payer la taxe, cette famille commet un affront innommable à votre égard ! Ils vous crachent allégrement dessus, sans aucune gêne ! Il en va de votre honneur, ma reine !
– Gnn...

L'idée traversa un instant l'esprit de Sae. En y réfléchissant, la véritable Rose Queen n'hésiterait pas, elle. Si elle persistait à vouloir épargner de simples paysans, sa supercherie finirait par rapidement être dévoilée. Au pire, elle n'avait pas à le faire elle-même. Ce conseiller n'avait t-il pas dit qu'ils avait déjà mobilisé les soldats ? Elle pourrait simplement rester là, tranquillement assise sur son trône et ordonner à ses sous-fifres de tuer cette pauvre famille. Ce ne serait pas elle qui les assassinerait, mais les soldats, ses mains resteront propres.
L'ancienne servante secoua vivement la tête, au grand étonnement d'Isaac. Comment pouvait-elle penser cela ? Bien sûr que si que ses mains seront tâchées de sang !

– J'm'en fous ! lâcha t-elle. J'peux pas les tuer, il pige pas ça, l'beau gosse ?!

Sae se couvrit instantanément la bouche, tétanisée. Et voilà, elle s'était laissée aller ! Il ne restait plus qu'à prier le ciel pour que ce satané conseiller n'insiste pas...

– Je m'en doutais, sourit légèrement Isaac. Vous n'êtes pas la Rose Queen, n'est-ce pas ?

… fichu ciel ! On ne pouvait décidément jamais compter sur lui !

– Q-Q-Qu'est-ce qu'y t'fait dire ça m-m-misérable ? proclama Sae avec le maximum d'autorité qu'elle pouvait encore émettre.

Fini les courbures de dos et autres politesses hypocrites, Isaac se redressa complètement ; dehors, il commença à pleuvoir.

– Primo, votre attitude diffère trop, jamais la Rose Queen n'a été aussi peu sûre d'elle. Secondo, la Rose Queen ne rechigne jamais à tuer, même pour une raison futile, au contraire, c'est sa passion préférée. Tertio, je ne fais jamais de rapport hebdomadaire. Quarto, si vous étiez la Rose Queen, je serais déjà mort pour avoir haussé le ton sur vous.

Étrangement, Sae ne le sentait pas trop, là.

– Et quinto, soupira Isaac, je sais à peu près à quoi ressemble la véritable Rose Queen et je peux vous assurez qu'elle n'était pas aussi creuse, au niveau de la poitrine, si vous voyez ce que je veux dire.
– Hé ! explosa Sae. Tu dis quoi là ? Que j'suis plate ?! Excuse-moi de pas avoir les attributs de l'autre pouffiasse, nan mais oh ! J'y crois pas !
– … dois-je prendre ceci comme une confession ?

Clairement, Sae se dit qu'elle n'était vraiment pas faite pour la comédie. Dommage, au moins elle aura essayé.

– Je prends ce silence pour un oui, conclut le conseiller. Cessons ce petit jeu désormais, et répondez moi honnêtement. Qui êtes-vous, et où est la véritable Rose Queen ?

Si ce type croyait qu'elle allait vendre la mèche, il allait être surpris !

– J'veux pas l'dire !
– Voulez vous vraiment que l'appelle les gardes ? Il me sera très aisé de dévoiler votre supercherie, vous savez.
– Je me nomme Sae Ishtar j'étais une simple servante j'avais peur de mourir alors j'ai décidé de tuer la Rose Queen contre toute attente j'ai réussi et j'ai décidé de prendre sa place fin de l'histoire.

Jamais Sae n'avait débité un flot de parole aussi intense, même Isaac en resta éberlué, tant par sa forme que pas son contenu.

– Sae Ishtar ? fronça t-il les sourcils. N'est-ce pas la servante retrouvée morte la semaine dernière ?
– Ohohoh...
– Vous pouvez cesser de rire comme cela vous savez, soupira Isaac.
– Hihihi...
– … bref. J'ai bien peur de ne pas avoir compris la fin de votre baragouinage, vous dîtes avoir tuer la Rose Queen ? Est-ce une plaisanterie ?
– Hihi..., bizarre hein ? j't'assure, même moi j'y croyais pas ! Elle était là, j'avais mon couteau et slash ! Elle était toujours là, mais sans la tête !
– Permettez moi de douter de vos paroles, qu'une rustre dans votre genre parvienne à tuer la Rose Queen...
– Hé oh ! le coupa Sae. C'pas parce que tu as une belle gueule qu'tu peux m'insulter, pigé ? Et oui, j'ai vraiment zigouillé la Rose Queen ! T'veux une preuve ? Bah j'en ai pas ! Mais réfléchis mec, si la Rose Queen était encore en vie, tu penses vraiment qu'elle m'aurait laissé le trône toute une semaine, en plus de ses fringues ?
– Mmh...

Isaac ferma les yeux, réfléchissant. Elle n'avait pas tort sur ce point. La Rose Queen possédait un égoïste et une mégalomanie surpassant le divin, si elle était encore en vie, jamais elle n'accepterait que son symbole de royauté ne fût sali par une quelconque paysanne.
Alors, cela signifiait-il que cette dénommée Sae Ishtar disait la vérité ? La Rose Queen était-elle vraiment décédée ? Assassinée ? Elle, l'immortelle ? La toute-puissante ? L'idée en elle-même était absurde.
Et pourtant, malgré tout, il n'y avait pas d'autres explications.

– Combien sont au courant ?
– … de quoi ? s'étonna Sae.
– De la mort de la Rose Queen, en avez-vous parlé à quelqu'un d'autre ?
– Bien sûr que non ! J'suis pas suicidaire non plus !
– Je suis donc le seul à connaître ce petit secret.
– T'es un sacré détective toi..., lâcha sarcastiquement Sae.
– Ne faites pas la maligne avec moi, menaça Isaac. N'oubliez pas que votre vie est entre mes mains.
– … haha..., se ricana nerveusement l'usurpatrice. J-J't'ai déjà dit que t'es un sacré beau gosse ?!

Isaac Forneus plongea une nouvelle fois dans ses réflexions. La Rose Queen n'était plus. C'était un fait, difficile à admettre, mais réel. Des millions de questions fourmillaient dans son esprit, mais le conseiller se devait de les garder pour plus tard, l'heure était au temps présent.

– Sae Ishtar, c'est cela ?
– Yep ?
– Félicitation, vous êtes la nouvelle Rose Queen.
– … plaît-il ?

Le conseiller lui tourna le dos, le regard levé vers le plafond, les mains croisées dans le dos.

– Je peux le dire à présent, l'ancienne Rose Queen était une idiote. J'ai beau être un aristocrate, je ne suis pas comme ces autres qui ferment leur yeux et vivent dans l'opulence ; je le vois bien, le royaume de Rosae est au bord du précipice. Pour une seule et unique raison : la Rose Queen. Son régime de terreur affame et assassine le peuple, un jour ou l'autre, elle et sa folie destructrice auraient fini par anéantir notre patrie. En cela, je ne peux que me réjouir de sa mort.

Soudain, une petite étincelle d'espoir naquit en Sae, qui regarda le dos de son sauveur de ses grands yeux humides.

– Vous avez bien fait de prendre sa place. Je connais nombre d'aristocrates qui auraient sautés sur l'occasion pour se proclamer eux-même roi ou reine, ce qui aurait d'autant plus déchiré le royaume, accélérant sa chute. Cependant, ne croyez pas être exemptée de toutes responsabilités, vous avez tué et pris la place de la Rose Queen, très bien. Il est désormais votre devoir de redresser le pays, de réparer les torts de votre prédécesseur.
– Heiiin ? protesta vivement Sae. Mais j'veux pas, c'est chiant !
– Dois-je faire sonner la garde ?
– Redresser le pays ? s'illumina Sae. Compte sur moi mec, j'te suis !!
– Je préfère.

Satisfait, Isaac Forneus se retourna vers Sae, un sourire énigmatique au lèvre.

– Évidemment, j'ai conscience qu'en tant que simple servante, vous ne devez pas être très au fait de la politique du royaume. Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas si compliqué et sans vouloir me vanter, je suis un très bon conseiller, si toutefois vous daignez m'écouter, contrairement à la précédente reine.
– J'te crois sur parole !
– Parfait, je sens que vous allons très bien nous entendre tous les deux.

Brusquement, le sourire affable d'Isaac s'effaça et ses yeux se mirent à briller d'un intense éclat déterminé.

– Mais tout d'abord, cracha t-il. Il faudra travailler votre posture, elle est immonde, indigne. Sans parler de votre langage, par le ciel, vous avez été élevée par des Groret ou quoi ? Et cessez de trembler dès que l'on vous parle, je croirais m'entretenir avec un petit chiot ! Et... et je rêve où vous venez de vous curer le nez ?!
– …. à l'aiiiiiide !

Et Sae Ishtar débuta sa longue, douloureuse et pénible transformation en Rose Queen, sous le terrible joug du tyrannique Isaac Forneus. Ancienne servante, la voilà désormais avec le poids d'un royaume sur les épaules.
Cependant, la mort étrangement facile de la précédente Rose Queen la perturbait toujours. Qu'importe comment l'on tournait le problème, cette dernière n'aurait pas dû mourir aussi aisément, Sae ne pouvait s'enlever de l'esprit qu'il y avait anguille sous roche, et que tout cela n'allait pas tarder à lui éclater à la figure.