[size=3]XQ MRXU GH UHWDUG HW RQ YHXW HQ ILQLU.
XQ MRXU G'DYDQFH HW LO YHXW VXUYLYUH.[/size]La première chose que je vais vous dire est que vous ne comprendrez pas. Vous
ne pouvez pas comprendre.
Je vois que cela vous laisse déjà sceptique ; à ce rythme, je n'ose imaginer votre tête lorsque j'aurai terminé. Mais je pense que je peux comprendre. Après tout, je suppose que vous connaissez mon visage. J'ai fait beaucoup de bruit depuis quelque temps. C'était même censé s'arrêter il y a plusieurs jours. Combien, déjà ? Veuillez m'excuser, j'ai un peu perdu la notion du temps avec tout ce qui est arrivé récemment. J'ai l'impression que cela fait une éternité.
Mais je vois à votre tête que vous êtes déjà exaspéré de me revoir. Cela va encore être de ma faute, n'est-ce pas ? Après tout, je me suis
enfui, c'est bien normal de vouloir m'en punir. C'est tout aussi normal de vouloir me suspecter. On ne peut plus faire confiance à personne de nos jours.
Mais c'est normal. C'est exactement comme la dernière fois. Il fallait rétablir l'ordre le plus rapidement possible. La dernière chose dont Londres avait besoin était l'émergence d'un scandale politique et d'une controverse d'importance majeure. La priorité était de remettre les choses à leur place et de panser les plaies. On ne chercherait à en savoir plus que bien plus tard, alors qu'on ne pourrait plus rien faire pour changer les choses et qu'on ne se sentirait plus concerné. Personne n'aime se sentir concerné dans ce genre de situation. Ou alors on veut se sentir
trop concerné.
Alors il fallait trouver un coupable. La foule réclamait du sang, alors il allait bien falloir leur en donner. Peu importaient les détails. Il fallait enterrer cette affaire au plus vite, avec son bouc-émissaire. N'ai-je pas raison ?
Enfin, je l'avoue, je l'avais un peu cherché. Certes. J'admets mes erreurs et je regrette ce qui est arrivé, même si vous n'allez pas vouloir me croire et que de toute manière cela ne changera rien. Peu importe ce que je pourrais bien vous dire, jamais je ne pourrai vous convaincre.
Il y a plusieurs années, souvent on venait me prendre en pitié et me dire "Oh, c'est terrible ce qui est arrivé. Je comprends votre peine."
Mais c'est faux. Personne ne pouvait comprendre. Même s'ils avaient voulu ne serait-ce qu'essayer de comprendre, ils n'en auraient pas été capables. Ces gens se sentent mal soi-disant à ma place pendant quelques minutes, mais après c'est fini. Ils sont passés à autre chose. C'est facile pour eux d'oublier un événement qui ne les a jamais atteints personnellement. Comment peuvent-ils alors dire d'un côté "Je vous comprends" et d'un autre "Oubliez ça, il faut aller de l'avant" ? Le monde est parfois si hypocrite ; le pire étant qu'à la fin, on se retrouve tellement enfoncé dans nos mensonges qu'on se croit sincère.
Ô hasard, maintenant que cela concerne tout le monde, plus personne ne veut
oublier et aller de l'avant, n'est-ce pas ? Seule la vengeance — non, la
justice, pardonnez-moi. Seule la
justice compte désormais, jusqu'à-ce qu'elle soit faite. Quelle ironie.
Mais je m'égare. Vous savez déjà tout cela, et ce n'est pas ce que vous me demandez de raconter. Vous ne m'avez jamais demandé mon avis. Et je vois que même si je vous répète que
vous ne comprendrez pas, vous ne changerez pas le vôtre.
Après tout, vous êtes là pour demander des réponses. C'est vrai que je devrais éviter de nous faire perdre du temps à tous.

Il faisait beau ce jour-là. Les nuages blancs s'amoncelaient dans le ciel sans pour autant présager la moindre petite averse avant un moment.
Un clocher sonna dans un village au loin. À peine surpris par l'effondrement régulier du silence, il ne se retourna pas pour le voir. La petite bourgade était de l'autre côté du bâtiment, donc il ne pouvait pas le voir de toute manière, même s'il l'avait voulu. Et depuis le temps, il le savait. Cette façade-ci était avec vue sur la falaise, la façade opposée était avec vue sur la vie terrestre. Ça avait toujours été comme ça.
Le clocher se tut, laissant de nouveau place au bruit des vagues se fracassant en contrebas contre le roc solide. Dix heures.
Vingt-quatre heures. Encore vingt-quatre heures et tout serait fini.
À dire vrai, il ne savait trop qu'en penser. Avait-il envie d'en finir ? Il l'ignorait. Avait-il envie que tout revînt comme avant ? Peut-être. Avait-il peur ? Bien sûr que non. Cela faisait bien une semaine que sa désillusion l'avait étouffée, cette peur.
Bien entendu qu'au départ il s'était révolté. Au moins en partie. Cette déclaration lancée d'un ton monocorde par le juge n'avait été qu'une confirmation de ce pour quoi il avait voulu se battre depuis le début, après tout. Il avait voulu se battre contre l'injustice, et il allait être puni par la justice pour cela. Il l'avait pris comme une provocation de la part du système véreux et corrompu qu'il dénonçait. Dès les premiers jours, il s'était parfois surpris à rêver d'évasion. À revenir les voir. Au moins pour revenir le voir. Parfois il était même déjà en train de tenter d'échafauder ce plan, et n'avait eu que peu de difficultés à trouver une faille dans la sécurité. La Prison Parkhurst de l'Île de Wight avait beau être réputée comme étant une des meilleures de tout le Royaume-Uni, il ne s'était fallu pour lui que de quelques jours avant de comprendre le réseau des rondes des agents, le moyen de sortir de cette salle sombre et monotone, peut-être même de réussir à partir bien loin de cet endroit dans l'espoir de n'être jamais retrouvé...
Et pourtant il s'était toujours trouvé incapable de passer à l'acte.
La première question qui lui venait à l'esprit était alors toujours la même :
et après, que feras-tu ?Et voilà qu'il voyait déjà la foule le dévisageant comme le meurtrier qu'il était.
Car oui. S'il était dans cette cellule, c'était pour une bonne raison. Ces vies qu'il avait volées, consciemment ou inconsciemment, étaient bien réelles.
Il n'avait vu que la ville sur le moment. Il était trop haut. Il avait vu les bâtiments s'effondrer, mais pas la moindre goutte de sang n'avait atteint son regard. Sa colère l'avait aveuglé à un point tel qu'il ne s'était rendu compte de rien. C'était si facile. Il n'y avait aucune résistance quelle qu'elle fût à ses actes. Comme s'il donnait des coups dans le vide. Tout s'effondrait comme des châteaux de cartes, comme un enfant s'amusant à piétiner un château de sable en riant innocemment. Ce n'était qu'une fois redescendu sur terre qu'il avait compris.
Les hommes sont si petits.
On ne reproche pas à un gamin de détruire par jeu une fourmilière. Il ne se rend pas compte et on se dit que ce n'est pas grave. Il est inconscient et tout le monde l'est.
Sauf si la fourmilière en question est la capitale d'Angleterre.
Il enfonça sa tête dans sa main, poussant un long soupir indéchiffrable qui osa à peine rompre le silence. Il ne savait plus que penser. Il comprenait et il ne comprenait pas. Il cherchait à justifier ses actes et à les condamner dans le même temps. Il revoyait avec une horreur justifiée et avec une sorte de satisfaction malsaine les maisons s'écrouler. Avait-il perdu la raison ? Si tel était le cas, il ne connaissait plus qu'une seule personne capable de l'en sortir... Mais elle était bien évidemment hors d'atteinte. Et de toute façon, encore vingt-quatre heures et tout serait terminé. Mais il voulait le revoir. Mais il savait que même s'il y parvenait, les moyens qu'il emploierait pour le faire seraient tels que cela n'en vaudrait même plus la peine. Même lui le regarderait alors comme le simple criminel qu'il était, il en était certain.
Mais il ne voulait pas mourir. Et pourtant il ne lui restait plus que cette solution. À moins qu'il ne mît en œuvre ce fameux plan d'évasion qu'il était parvenu à élaborer — non, surtout pas. Quel imbécile.
Ce dilemme l'avait hanté pendant de longues journées. Ne serait-ce que deux jours auparavant, pris d'une folie étrange qu'il ne parvenait encore qu'avec peine à s'expliquer, il n'avait plus supporté de garder ce secret et avait révélé ce dysfonctionnement de la sécurité aux gardiens, pour être certain de ne pas en profiter lui-même par lâcheté. À moins que ce ne fût par lâcheté qu'il le leur avait révélé, au lieu d'enterrer ce petit secret dans sa tombe ? Avait-il peur au point de ne même plus pouvoir se faire confiance à lui-même ? Il ne savait plus.
Ou plutôt, il refusait de savoir. Il sentait sa raison défaillir mais il refusait de l'admettre. Il pouvait encore rester maître de lui-même s'il le voulait.
La folie n'est bonne que pour les faibles, se répétait-il. Puisqu'il devait mourir, autant mourir la tête haute et bien sur ses épaules.
Plus qu'une journée à tenir. Encore vingt-quatre heures de torture psychologique et ce serait fini. Tout serait enfin fini.
Il releva soudainement la tête. Ce mouvement était las et dénué de réelle volonté, mais il avait pourtant bien été surpris par ce bruit qu'il venait d'entendre, du dehors. On eut dit une sorte de cri. Mais rien à voir cependant avec les quelques goélands qui perçaient parfois le silence de la mer de leur voix rauque et criarde.
Qu'est-ce que c'était ?
Il n'eut pas le temps de s'interroger plus de quelques secondes, car aussitôt un autre bruit, beaucoup plus proche, lui transperça les tympans... ainsi que le mur côté falaise de sa cellule, dans une détonation qui pulvérisa littéralement la pierre et dont l'onde de choc couplée à la surprise le projeta contre le mur opposé, complètement sonné. Il n'avait même pas entendu son propre cri de douleur suite aux collisions avec la pierre devant comme derrière lui. Se redressant contre le mur aussi silencieusement que douloureusement, il mobilisa ses dernières forces disponibles sur le moment pour risquer un regard vers le trou béant dans la paroi de sa prison, encore fumant d'une poussière livide allumée par le jeu de lumière pénétrant avec peine dans la salle, puis vers l'intérieur et l'endroit où aurait dû logiquement se trouver ce qui avait provoqué un tel désordre ; envieux malgré tout d'obtenir une réponse à ses questions, la curiosité avait, par un miracle étrange, réussi à prendre le dessus sur sa peur. Lorsque ses yeux se posèrent sur la cause du problème cependant, son sang se glaça et il se retrouva tétanisé, recroquevillé et impuissant dans le coin le plus sombre de sa cellule.
Peut-être aurait-il préféré ne pas le savoir, finalement.
C'était... il ignorait comment décrire la scène. Il doutait même qu'il y eût des mots pour l'exprimer. Cela semblait si irréel.
Il avait tout d'abord entraperçu à travers la brume de silice et de granit la silhouette d'une sorte de grand oiseau — à moins que ce ne fût un dragon, ou quelque chose qui y ressemblait. Complètement immobile pendant un instant qui parut s'éterniser indéfiniment, il eut cru voir en d'autres circonstances la statue surréaliste d'un artiste à l'imagination autant débordante qu'étrange. Il n'avait osé songer à autre chose sur le moment, encore complètement sonné et tentant de se persuader que les ténèbres et cet épais voile fantomatique et morbide le faisaient halluciner, ou du moins déformaient complètement son champ de vision et que, pris par la surprise et la peur, son imagination ressortait tous ces démons de l'enfance.
Il s'était accordé à cette explication, jusqu'à-ce qu'il vît
l'illusion se relever, ses larges plumes — à moins que ce ne fussent des écailles ? — miroitant dans ses mouvements des éclats argentés... puis lui jeter un regard brillant. Brillant de quoi ? Tant de choses semblaient se refléter dans cette pupille rouge sang allumée par les faibles rayons du jour parvenant encore jusqu'à la pièce. De la colère ? Une haine sans limite ? Ce qu'il y distingua surtout avec effroi fut un sentiment beaucoup plus simple et approprié en de telles circonstances.
L'instinct du prédateur.
La créature poussa un cri rauque, presque mécanique. Le même que celui qu'il avait entendu avant que tout ne commençât.
Une seule pensée eut le temps de lui traverser l'esprit :
fuir.
Mais c'était bien sûr plus facile à dire qu'à faire. Il ne se souvint que trop tard de l'endroit dans lequel il se trouvait, et qu'il était par conséquent piégé. Le monstre semblait l'avoir compris également, comme éclatant dans un rire sardonique.
L'oiseau de métal fondit sur lui, ses larges serres mordant la poussière et ses ailes à l'envergure impressionnante rasant les murs dans des crissements presque similaires à ses propres hurlements. Il évita tant bien que mal les coups de bec — ou les coups de
mâchoire ? Ce piaf de malheur avait des
dents ?! —, animé bien plus par le désespoir que par de réelles capacités physiques, ne prêtant plus aucune attention à l'endroit où il chercherait pour quelques secondes une sécurité facilement ébranlée. Il savait qu'il n'avait nulle part où se cacher. Et pourtant ce rire démoniaque l'encourageait à continuer de lutter, comme pris d'une frénésie irrationnelle poussée par le simple instinct de survie. L'adrénaline l'empêchait de réfléchir, l'incompréhension l'empêchait de trouver une solution, la peur l'empêchait de penser à autre chose que cette idée idiote désormais devenue fixe dans son esprit : survivre.
Quelques dizaines de secondes lui suffirent cependant pour revenir à la réalité.
Quelques dizaines de secondes au bout desquelles il sentit le sol se dérober sous ses pieds.
La première chose dont il prit conscience presque immédiatement fut qu'il tombait. Cela lui prit quelques instants supplémentaires pour enfin comprendre que dans ses tentatives vaines d'échapper à cette chose, il avait fini par se placer sans s'en rendre compte véritablement au bord du trou d'où la menace était venue, et qu'il y avait alors aussitôt perdu l'équilibre, soit par simple mauvais positionnement de sa part, soit parce que les pierres sous ses pieds étaient en trop mauvais état pour le soutenir. Mais cela ne changeait rien à ce qu'il distinguait : un mur de pierres sombre avec un grand trou et des fenêtres qui s'élevaient toujours plus vite, suivi d'une falaise toujours plus menaçante, le vent qui hurlait dans ses oreilles et sa tête qui lui tournait... Il avait cependant gardé suffisamment de lucidité pour calculer que depuis cette hauteur, même s'il ne rencontrait aucun obstacle rocheux, sa chute serait mortelle. Même l'eau aurait la dureté du béton une fois qu'il l'atteindrait.
Ce moment parut durer une éternité, et pourtant il n'avait cessé de fixer du regard ce grand trou béant dans la bâtisse pendant tout ce temps, comme espérant y voir quelque chose.
Il ne vit rien.
Rien à part une grande lumière blanche qui l'enveloppa en une fraction de seconde.
[size=3]Un jour de retard et on veut en finir.
Un jour d'avance et il veut survivre.[/size]











