Et le soleil devint ténèbres. de Clafoutis

Elyséum, capitale de Ténèbraes. Une énorme mégalopole à la pointe de la technologie, croulant sous de multiple buildings en tout genre. Des centaines salariés pressés fourmillaient en continu à travers ses rues, nuit et jour, tel un flot infini. Pour les étrangers, Elyséum symbolisait le rêve de gloire et de richesse, alors que pour ses habitants, cette ville n'était qu'un doux enfer, entre dépravation et luxe.

Les adeptes de la religion répugnaient cette ville, la « Capitale de tous les maux » selon eux. De ce fait, aucun d'entre eux ne prit la peine de construire le moindre édifice saint dans le coin, ce qui faisait d'Elyséum la seule grande ville de la région à ne comporter aucune trace de religion.

A la place du pouvoir saint, une seconde force dominait ici. Les forces de l'ordre. Au milieu de la capitale, là où se trouvait le building le plus imposant, doublant sans peine tous les autres, là où flottait fièrement le grand drapeaux ivoire ornée d'un somptueux bouclier doré, résidait l'une des entités les plus puissante de toute la région.

Vanille Valérian, la Présidente de Ténèbraes. Un seul mot de sa part, et c'était toute l'armée qui se mouvait comme un seul homme. Elle était le symbole de la puissance, de la noblesse, du commandement. La contrarier était comme signer son arrêt de mort, du moins, en théorie.

– Maiiis euh ! Christopher ! T'en as encore fait qu'à ta tête !
– ...

Le commandant Christopher Stone soupira, blasé. Il regarda la femme à la longue chevelure pêche devant lui, serrant les poings et gonflant les joues comme une gamine. Son yeux analysèrent ensuite plus précautionnent ses habits, un somptueux uniforme militaire blanc pure aux boutons dorés, arborant fièrement les armoiries de Ténèbraes. Oui, pas de doute, cette idiote était bien la Présidente.

– Je vous ai déjà dit de ne pas m'appeler par mon prénom et de ne pas me tutoyer, grommela le commandant.
– Ah ? pencha Vanille de la tête. Pourquoi ? On n'est pas ami ?
– Voyez, grogna Stone en se tournant vers Darius Helder, les ravages que provoque l'abstention au présidentiel.
– J-Je préfère ne pas commenter cela, recula prudemment l'inspecteur.

Idiote ou pas, Vanille était quand même la Présidente. Et un petit inspecteur comme Darius se devait de la respecter, du moins de face. En privé, libre à lui de lui cracher dessus de tout son saoul : d'ailleurs il ne s'en privait pas.
Par contre, Jenna Naïven s'en fichait profondément du respect et le sourire moqueur collé sur son visage en témoignait.

– Donc, reprit Vanille Valérian, est-ce que tu peux me répéter tout ça  ? Je n'ai pas tout compris...
– Je ne vous demande pas de comprendre mes propos ; je ne crois plus aux miracles à mon âge, soupira Stone. Cependant, essayez tout de même d'en saisir une infime partie...
– ... ?
– Je vois, trop de mots compliqués pour vous. Darius, vous avez compris vous, au moins. Expliquez à notre chère Présidente je vous prie. Pour ma part, je n'ai plus de salive à gaspiller.

Darius plissa les yeux, mais acquiesça tout de même.

– Ahem, toussota t-il. Pour reprendre depuis le début, nous sommes actuellement sur la sellette. Les forces de l'ordre sont complètement dépassées par les Corrompues, qui multiplient sans cesse les attentats. Or, de l'autre côté, il y a les religieux. Ils possèdent une force de frappe bien supérieur à la notre, en plus de disposer de la « Grâce », un étrange pouvoir provenant soit-disant d'Arceus lui-même. Les disciples d'Arceus, ou les Saints– c'est la même idiotie – prennent de plus en plus d'influence à Parádeiso, à un point tel que les forces de l'ordre perdent drastiquement l'aval du peuple.

L'inspecteur fit la moue.

– Et pour cause, nous n'avons réussi à arrêter aucun Corrompu, alors que les Saints ont un taux de réussite de 95%. La plupart de leur intervention se conclut sur l'arrestation et l'emprisonnement d'un individu. Personne ne sait vraiment si l'individu en question est véritablement un Corrompu ou juste une pauvre type qui passait par là, mais dans l'imaginaire collectif c'est la première proposition qui l'importe. Après tout, il suffit juste qu'un Cardinal désigne quelqu'un comme Corrompu pour que le petit peuple courbe l'échine ; en ce bas monde, les réflexions personnelles ne sont que chimères...

Jenna Naïven se leva brusquement, ne pouvait laisser passer ça.

– Hé ! Ce ne sont que de fausses accusations ! Les Saints se démènent pour débarrasser le monde des Corrompus, contrairement à vous qui vous enlisez dans des enquêtes chronophages et infructueuses !
– Diantre ! s'étonna Darius. Une religieuse qui se plaint de fausses accusations ? Voilà qui est étonnant !
– Mmmh, se posa Vanille. C'est vrai que nos enquêtes prennent du temps mais... c'est mieux que d'agir sans réfléchir ! Les Saints ont tendances à arrêter le premier venu, et ça, ce n'est pas très très sympa...
– Bon sang mademoiselle la Présidente, grogna Stone. Vous êtes l'éminence d'Elyséem, alors essayé de parler comme telle, et non pas comme une gamine de 8 ans !
– Maiiis !
– ... puis-je reprendre ? tenta Darius.

Stone, toujours aussi blasé, lui accorda ce privilège. Jenna n'était clairement pas satisfaite mais préféra se taire, elle aussi voulait réentendre la suite, afin d'être certaine qu'elle n'avait pas rêvé précédemment...

– Donc, reprit l'inspecteur. Nous perdons de plus en plus d'influence, et de plus en plus de ville se tournent vers la religion. Auparavant, les Saints dominaient le continent de Sienna, et la police celui de Ténèbraes. Or, petit à petit, même les possessions de Ténèbraes se convertissent. Heureusement, Elyséum ne semble pas encore touché, quoique, nous baissons dans les sondages...

Darius lança un regard Christopher Stone, qui acquiesça.

– C'est pourquoi le Commandant cherche à rétablir notre image. Et pour cela, il faut un symbole. Un symbole fort.
– Un symbole ? s'interrogea Vanille.
– L'attaque de Sol-Styx a été stoppé par un seul homme, un certain « Sevan », qui aurait fait fuir les tristement célèbres Jeoffrey Dean et Aimy Eyes à lui tout seul. Un exploit que peu peuvent y prétendre.
– Il a aussi faillit détruire la ville, rappela sèchement Jenna.
– Certes, mais à part nous, il n'y avait aucun témoin. Tout Sol-Styx s'était réfugié en dehors de la bourgade. De plus, le Commandant Stone a pris soin de filmer le combat dans son intégralité. Un film, des images, tout cela est aisément manipulable, il suffit simplement de retirer les scènes compromettantes, de modifier les autres, et le tour est joué.
– Mais pour quoi faire ? s'étonna Vanille.
– Pour faire de ce « Sevan » un héros. Ce sera lui le symbole dont nous parlions plus tôt, il va rejoindre la police et nous aider à combattre les Corrompus.
– Je ne voudrais pas casser l'ambiance, grinça Jenna, mais Sevan est lui-même un Corrompu !
– Exactement, s'avança Stone. C'est pour cela que j'ai pris mes dispositions.
– ... c'est-à-dire ? plissa la rousse des yeux.
– Savez vous où se trouve notre bon ami actuellement ?
– ... non, avoua t-elle.

Un petit sourire narquois décora les lèvres d'habitude rigide du commandant.

– Au département scientifique. Nous profitons de son inconscience afin de lui greffer une bombe miniature.
– ... pardon ?!
– Vous l'aviez dit vous même, reprit Stone. C'est un Corrompu. Par ce simple fait, il est instable. Cette bombe est une précaution, si un jour il se retourne contre nous, il suffira simplement de presser un bouton afin d'éliminer le problème. Et évidemment, nous faisons de même avec la petite... Alice, c'est cela ?
– M-Mais !! bondit Vanille. J-J'ai bien entendu ?! Une b-bombe ?!
– Exact. votre ouïe m'étonnera toujours, Présidente.
– C-C'est de la folie ! paniqua cette dernière. V-Vous auriez dû m'en parler avant !
– Je n'ai pas cru bon de le faire, après tout, mon influence ici est suffisante pour me passer de votre approbation.
– Maiiiis ! C'est pas juste !!
– ... les joies de l'abstention, grommela encore une fois Stone avant de continuer. Quoi qu'il en soit, c'est déjà décidé. Demain, je diffuserai une version disons.... revisitée du combat de Sol-Styx, où l'on voit très clairement notre vaillant héros guerroyer courageusement contre les forces du mal. Ah, bien entendu, notre héros n'est pas solitaire, c'est pourquoi je vous ai fait venir ici vous deux.

Darius et Jenna haussèrent un sourcil circonspect.

– Vous aussi vous avez combattu, déclara Stone. C'est pourquoi vous serez les « compagnons » de notre héros.
– PARD...
– Ah, les coupa froidement Stone. Ce n'est pas discutable. Mademoiselle Jenna Naïven, je peux encore diffuser publiquement la merveilleuse scène où vous tirez sur la petite blonde. Quant à vous Darius Helder, vous êtes inspecteur, je suis commandant. Je crois que je n'ai pas besoin d'en dire plus.
– Gnn...
– Et si ce « Sevan » refuse ? demanda Vanille.
– Ah, sourit légèrement Stone. Là c'est encore plus simple, nous tenons sa vie entre nos mains. Je pense que le faire chanter sera fort aisé.
– C'est du n'importe quoi ! s'emporta Jenna. Si j'ai bien compris, vous voulez que ce crétin de Sevan, cet abruti d'inspecteur et moi-même, débusquions et combattions ensemble, main dans la main, les Corrompus dans la joie et la bonne humeur ? Alors qu'on ne peut même pas se sentir ?!
– Que voulez-vous que je vous dise ? déclara sereinement le commandant en haussant les épaules. Si vous ne pouvez pas vous sentir, bouchez-vous le nez. Que vous le vouliez ou non, vous êtes les nouveaux symboles de la police. Vous devez faire bonne figure au public, vous êtes le sympathique trio de héros œuvrant pour le bien. N'oubliez pas que j'ai les moyens de détruire instantanément vos vies, et je n'hésiterai pas une seconde.

Jenna en resta coite.

– U-Un malade, vous êtes malade !
– C'est gentil de vous inquiétez pour ma santé, mais je vais très bien.

Pendant que son auditoire restait pétrifié, Stone se dirigea nonchalamment vers la sortie.

– Vous pouvez vous reposez pour l'instant, nous reprendrons cette discussion demain.

Sans se retourner, il prit congé. Le claquement sec de la porte réveilla le trio stupéfait.

– J'y crois pas ! grogna Jenna. Ce type me tient par la croupe !
– Je ne peux pas le désobéir, marmonna Darius, ma carrière est en jeu...
– Pfft ! souffla Vanille. Toujours à prendre ses grands airs celui là !

Fortement irritée, Jenna s'avança férocement vers la Présidente.

– Et vous ! Vous ne pouvez pas faire preuve d'autorité ?! Vous voyez bien qu'il fait de la merde, non ?! Vous êtes bien la Présidente, non ?! Dîtes lui de tout arrêter !
– M-Maiiis ! geignit fébrilement Vanille. J-Je ne peux pas, enfin, il me fait peur !
– Oh, je vous assure, je peux faire beaucoup plus peur que ce grand dadais !

Le sourire carnassier, Jenna approcha lentement son visage de la femme de pouvoir.

– Beaucoup. BEAUCOUP plus !
– Gniiiih !!

Soudainement, un puissant sentiment de satisfaction envahit Jenna. Voilà. Voilà ! C'était ça qu'elle voulait ! Qu'on la craigne ! Qu'on la respecte ! Ah, ça lui avait manquait de ressentir ça !
D'un coup léger coup de pied au ventre, Jenna fit tomber Vanille au sol et écrasa le talon de sa chaussure contre son crâne.

– Euh..., tenta d'intervenir Darius.
– Silence vous ! vociféra la rousse.
– Non, recula t-il. Comment vous dire...
– Silence je vous ai dit !
– ... bon, comme vous voudrez. Si vous n'avez pas besoin de moi, je m'en vais...

Et l'inspecteur prit la poudre d'escampette à une vitesse effrayante. Le sourire de Jenna s';agrandit tandis qu'elle tortillait sa chaussure sur Vanille.

– Alors, petite merdasse inutile, tu ne dis plus rien ? Tu pisses dans ton froc ?
– ...gn... maî...
– Couine plus fort sale chienne, je ne t'entends pas  !
– Maîtresse... !
– ... pardon ? Kyaaah !

Jenna recula vivement, écœurée. Étendue au sol, l'éminente Vanille Valérian était toute rouge, le souffle rauque. Sa langue pendait indécemment, et elle bavait à flot, pendant que son visage était figé dans une expression de béatitude extatique.

– Maîtresse ! cria soudainement Vanille.
– Q-Q-Que...
– Vous avez raison maîtresse ! Je ne suis qu'une sale chienne ! Punissez-moiiiiii !!
– Gggh !
– Piétinez-moi encore ! supplia la Présidente. Faîtes moi sentir le doux cuir de votre chaussure à travers ma gueule de chieeeeenne !
– Bordel ! jura Jenna. Mais où est-ce que je suis tombée encore ?!
– Aaaah! Aaaah ! expira rapidement Vanille. Encore ! Encore ! Malmenez-moi encore ! C'est tout ce que je mérite ! Maîtreeeesse !!

Brusquement, Vanille bondit sur Jenna. Terrifiée, cette dernière l'accueillit avec un puissant coup de pied envoyant l'éminence d'Elyséum valser violemment contre une étagère. Cependant, cela était loin de calmer ses ardeurs.

– Oh ouiiii ! jouit t-elle. C'est tellement booon !
– Gnnn !! N-Ne m'approchez pas, espèce de tarée !

Derrière la porte entrouverte, l'espion Darius Helder eut un petit sourire amusé.

– Haha, j'avais essayé de la prévenir pourtant !


***
Le commandant Christopher Stone entra dans son bureau, toujours aussi droit et neutre. Un Scalpion se présenta promptement devant lui et le salua un parfait petit garde-à-vous. Stone se laissa aller un instant et le gratta doucement le cou. C'était bien là la seule marque de tendresse qu'il pouvait manifester, et uniquement avec ses Pokémon bien sûr, pas avec les humains. Stone n'avait confiance qu'à ceux capables de dévouement sans faille.

Le commandant s'assit ensuite devant son ordinateur, ce n'était pas tout ça, mais il avait un film à modifier. Facile, il en avait l'habitude. Stone s'était spécialisé dans l'information et filmait tout ce qu'il voyait en permanence ; non seulement il était toujours accompagné de sa fidèle caméra, mais de plus, sa veste noire de jais était truffée de micro-caméras capables d'enregistrer la moindre mouche voler quelque soit l'angle.

Stone n'était pas fort en combat, et il le savait. Contre un Corrompu, il ne tiendrait pas deux secondes, contre un Saint non plus, et même Vanille serait capable de l'abattre sans effort. C'est pourquoi Stone misait absolument tout sur l'intimidation, la prestance et la puissance invisible – à savoir l'information –. Grâce à cette trinité, il pouvait gagner la plupart de ses combats sans même combattre. Une menace, un regard glacial, un ton autoritaire, et il avait ceux qu'il voulait dans sa poche. L'idéal étant d'avoir des personnages forts et dociles en main.

C'était pourquoi Stone avait élaboré ce plan de « héros », avec Sevan en tête de liste. Ce type était puissant, diablement puissant même, d'après ce que le commandent avait pu voir et filmer. Cependant, c'était aussi un Corrompu.
Peu le savait, mais les Corrompus n'étaient pas tous méchants, 80% d'entre eux ne l'étaient pas même. Or, le problème venait de leur cœur, corrompu, comme leur nom l'indique. Ils possédaient tous une petite voie intérieur, une sorte de « monstre » en eux, qui leur murmurait sans cesse de tout détruire. C'était pour cela que les Corrompus étaient fort instables ; même si certains étaient profondément gentils, ils pourraient mal tourner d'une seconde à l'autre, sans préavis.

D'où la bombe. Une précaution indispensable. Lorsque Sevan se réveillera, il n'aura pas d'autre choix que d'accepter le plan s'il ne voudrait pas repeindre les murs de son sang. Un coup bas ? Peut-être. Mais un coup nécessaire. Il fallait à tout prix que la police regagnât son éclat d'antan. Il fallait à tout prix stopper la folie des Saints. A tout prix.