Et le soleil devint ténèbres. de Clafoutis

Tout était arrivé très vite. Sevan venait à peine de s'extirper de sa stupéfiante position de méditation lorsqu'une secousse extrêmement violente secoua l'auberge, envoyant vivement valser tout objet mobile contre le mur.
Au début, le jeune homme à la chevelure de ténèbres pensait que ça ne devait être qu'une spécificité de la région – après tout, pourquoi pas –. Cependant, au moment où des flammes commencèrent à atteindre vigoureusement la bas de la porte, Sevan se dit qu'il y avait peut-être matière à s'inquiéter. Surtout que la brusque montée de chaleur devenait de plus en plus insupportable et que le brasier menaçait grandement de pénétrer la chambre.

– Mister Dark.
– Oui ?
– On est dans la mouise ?
– Oui.
– … je vois, donc c'est le moment d'agir virilement.

Sur ce, Sevan retroussa ses manches, inspira et expira un bon coup, avant de se mettre à courir en cercle comme un dératé à gueuler des « AU FEU ! » , « AU FEU » à qui voulait bien l'entendre.
Non loin de là, réveillée par la secousse, Alice émergeait petit à petit. Son cerveau juvénile ne prit pas bien longtemps afin d'analyser la situation. Tout qui était en sens dessus-dessous, la porte de la chambre en feu, et Sevan en état de panique avancé.

Pathétique.

La blondinette gémit faiblement. Non, sérieusement, cette voix abjecte n'avait pas trouvé d'autre moment pour intervenir ?

On devrait s'en débarrasser, n'est-ce pas Alice ? Ce n'était pas comme s'il nous était utile de tout façon.

Encore affaiblie par son réveil forcée, Alice s'écroula sur son lit, tentant péniblement d'ignorer cette ignoble voix crissante.

Nous n'avons besoin de personne. Être seul est tellement mieux.

– N-Non...

Piètre réponse de la blondinette, qui provoqua un horrible ricanement de la voix.

Kukuku ! Je vois dans ton cœur Alice. Tu ne peux me mentir !

Ravagée par les flammes, la porte s'écroula lourdement ; leur dernier bastion contre l'incendie était tombé. De son côté, Sevan remarqua enfin qu'Alice était réveillée. Il jura. Il aurait vraiment préféré qu'elle reste endormie dans une situation pareille...

– A-Alice, ça va ? geignit-il en tentant de reprendre un peu de contenance. T-Tout va bien, j-je m'en occupe, ok ?

La fillette lui répondit par un petit sourire faible, actuellement bien trop occupée pour fournir une réponse plus élaborée.

Tu as entendu ça ? Il s'en occupe ? Il croit vraiment qu'on ne l'a pas vu pleurer comme une pucelle tout à l'heure ?!

Alice se recroquevilla encore plus, suant abondamment. Chaque son que prononçait cette voix était une torture pour elle, comme si chaque syllabe était une écharde de verre s'enfonçant dans son cœur.

– Alice ?! T-Tu te sens bien ?! paniqua Sevan. Gnnn... ! Je ne m'y connais rien en médecine moi, si seulement l'autre religieuse était là !

Kukuku ! Qu'est-ce que je disais ? Il est inutile. Cependant, je n'ai pas prévu de mourir aujourd'hui. Laisse-moi ta place gamine...

Brusquement, la présence de la voix se fit de plus en plus imposante dans l'esprit d'Alice. La blondinette avait beau tenter de la repousser, en vain. Elle n'avait plus assez de force. Elle ne pouvait que constater, petit à petit, sa propre conscience s'évanouir dans le néant...
Tout à coup, Alice se releva si vivement que Sevan dut faire un bond en arrière pour éviter que leur deux têtes se ne cognassent l'une sur l'autre.

– A-Alice ?! s'exclama le jeune homme.
– Silence ! siffla t-elle.

Éberlué par ce simple mot, prononcé avec tant de violence, Sevan en resta bouche-bée, incapable de bouger un muscle. L'ignorant totalement, Alice fit un petit cercle dans le vide de son index. Soudainement, l'espace devant elle sembla se contorsionner jusqu'à se déchirer, créant une sorte de portail circulaire bordé d'or semblant donner vers un tourbillon bleu-nuit sans fin.
Aussitôt, absolument toutes les flammes envahissant l'auberge furent irrémédiablement aspirer par le portail. Toutes formes élémentaires du feu se ruèrent en trombe dans le portail, comme l'eau d'une baignoire une fois que l'on débouchait le siphon. Une fois la dernière flamiche disparut, un rictus disgracieux orna le visage d'Alice.

– Kukuku..., ricana t-elle. Et voilà le travail.

Sans un regard pour Sevan, la blondinette fit disparaître son portail d'un claquement de doigt, avant de se précipiter vers la sortie.

– Woooh, souffla à demie-voix Darkrai. C'était vraiment bizarre.
– …..
– Hé petit, faudrait la suivre non ? Pas que je m'inquiète vraiment pour elle après ce que je viens de voir mais...

Comme pour lui donner raison, un pan du plancher brûlé s'écroula brusquement. Même si l'incendie avait disparu, – ou plutôt aspiré –, ses dégâts perduraient. Et visiblement, les étages inférieurs avaient aussi morflés, fragilisant toute l'ossature boisée de l'auberge.

– ….
– Tu comptes rester longtemps comme ça à gober des mouches ?! grogna Darkrai. Ohé ! Il faut partir ! Sinon nous mourir ! Toi saisir ?!
– ….
– Tss ! Tu ne vas quand même pas obliger le prince des ténèbres à implorer une intervention divine tout de même ?!

Et Arceus lui répondit, à sa manière. Une petite poutre de bois au plafond s'écroula et heurta vivement le crâne de Sevan, le faisant brusquement reprendre conscience.

– Waaaah ! AU FEU !! s'égosilla t-il virilement avec une grosse bosse sur le front.
– Change de refrain, on a déjà passé cette épisode !
– AU.... à tiens c'est vrai ! réalisa enfin Sevan.
– Et je te suggère de partir d'ici au plus vite ! Tu vois tous les petits trous au sol ? C'est genre le plancher qui tombe. Et devine ce qu'il se passe si le plancher tombe au moment où on est dessus ? Bah on MEURT !
– … mais je suis déjà mort !
– Sevaaan ! Ne discute pas ! grogna Darkrai. Et on doit retrouver Alice aussi !
– ALICE !

Réalisant soudainement l'absence de la fillette, Sevan bondit vers la sortie. Arpenter les couloirs saccagés de l'auberge s'était révélés extrêmement ardu, le plancher avait énormément souffert de l'incendie ; il pouvait s'écrouler au moindre pas, en particulier l'escalier qui avait aussi la bonne idée d'avoir été conçu en bois. Cependant, Sevan n'avait pas le temps de jouer au équilibriste. Ni une, ni deux, il fonça tel le vent. Il allait si vite que le sol noirci n'avait même pas le temps de s'effondrer que Sevan était déjà bien loin. En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, le jeune homme déterminé était déjà à l'air libre, juste à temps avant que l'auberge ne s'écroulât derrière lui.

– … c'était moins une ! geignit Sevan une goutte de sueur perlant son front.
– Kukuku, tu as survécu ? Pas mal, pour un minable.

Sevan pencha la tête, interloqué. D'où pouvait venir cette horrible voix ? Il n'y avait pourtant strictement personne autour de lui. Bon certes, il y avait Alice, mais ça ne pouvait pas être elle, la fillette était beaucoup trop mignonne pour proliférer une telle insulte.

– Arrête de fuir la réalité, lui souffla Darkrai.
– Je ne vois absolument de quoi tu parles !
– Humpf, toujours aussi stupide, cracha la fillette. Tu aurais du crever dans cette auberge, le monde t'en remercierait.
– A-Alice ? hésita Sevan. T-Tu vas bien ?! T-Tu es malade c'est ça, et tu ne sais plus ce que tu dis, hein ?
– Mais non, je vais très bien, au contraire, lui assura la fillette. Qu'il y a t-il grand dadais, ce que tu entends te choque ? Tu ne reconnais plus ta gentille et mignonne petite Alice ?
– J-Je...
– Sevan, déclara sombrement Darkrai. Quelque chose ne va pas, elle est... différente. Pas que dans son attitude, mais aussi dans son aura.
– Son aura ? s'étonna l'hôte du prince des ténèbres.
– Oui, en tant que Pokémon, je peux ressentir ces choses là.

Brusquement, Alice éclata d'un énorme et effroyable rire sardonique.

– KUKUKU ! Bravo Sherlock ! Cependant, tu te trompes sur un point. Je suis bien Alice, ou plutôt je suis l'autre Alice, ou encore plus précisément, je suis la véritable Alice.
– … pardon ? geignit un Sevan qui avait du mal à suivre.
– Allons, tu ne pensais quand même pas qu'Alice n'était faîte que de cette simple façade naïve et gentillette ! C'est une Corrompue ne l'oublie pas, son cœur est aussi putride que l'enfer. Et je suis la reflet de ce cœur.
– Le reflet... de son cœur ?
– Kukuku, quoi ? ricana Alice. C'est trop difficile à comprendre pour ton petit cervelet ? Je suis l'âme d'Alice, ce qu'elle pense et ressent réellement !
– Im-Impossible ! Alice... Alice est la plus gentille fillette que je connaisse !
– Kukuku ! Pour un amnésique c'est très convainquant ! D'ailleurs, tu ne connais rien d'Alice, n'est-ce pas ? Ce n'est qu'une gamine qui a croisé ta route par inadvertance.
– Ce...
– Tu ne peux pas le nier, insista fermement Alice. Et penses-y, que faisait une gamine dans un coin aussi paumé ? Penses-tu réellement que c'est un endroit adéquat pour une gentille fifille censée être « toute mignonne » ?
– M-Mais ! protesta vainement Sevan. A-Alice... Alice...
– La Alice que tu connais n'est qu'une chimère, cracha la gamine. Une façade qu'elle c'est elle-même créée afin de tenter d'oublier la noirceur de son âme. Mais on ne peut effacer sa véritable nature, j'en suis la preuve vivante !
– N-Non ! Tu n'es pas Alice ! se borna Sevan. Rends-là moi ! Fais revenir la véritable Alice !
– Kukuku ! Tu ne m'as donc pas écouté ? JE suis la véritable Alice !
– C'est par là !

Une voix inattendue venait interrompu brusquement la discussion afin qu'elle ne s'envenimât plus encore.
Jenna, accompagnée d'un inspecteur assez familier, courait dans leur direction. Une fois arrivé à leur hauteur, le visage du policier prit une teinte désolé.

– Dommage pour l'auberge, j'y avais de bon souvenirs, souffla l'inspecteur Darius Helder avant de remarquer Sevan et Alice. Oh ? Des survivants ? Mmh, ce n'est donc pas aujourd'hui que les hôpitaux referont leur stock d'organes.
– … pardon ? s'étonna Jenna.
– Humour de policier, sourit Darius. Je suis bien sûr heureux qu'il n'y est pas beaucoup de causalités, ça m'évite de remplir des tonnes de rapports inutiles.

Darius gloussa sobrement avant de se rappeler quelque chose.

– Ah, et si vous vous demandez, déclara t-il en direction de Sevan, l'aubergiste à réussit à s'enfuir dès le premier impact, c'est lui qui nous prévenu de l'incident. Et comme vous étiez actuellement les deux seuls occupants, je peux donc en conclure qu'aucune perte humaine n'est à déclarer.
– …

Cependant, l'inspecteur remarqua que la bonne nouvelle ne semblait étrangement pas vraiment enchanter son auditoire, à l'exception peut-être de la gamine blonde. Quoique non, en y regardant de plus près, le sourire carnassier qu'arborait cette fillette n'avait pas l'air d'être le fruit d'un quelconque soulagement.

– Okay, fit simplement l'inspecteur cependant quelque peu soupçonneux. Je vous conseille tout de même de prendre refuge au centre de police pour l'instant, il est probable que le responsable de l'incident soit le même que celui d'hier.
– Probable ? grimaça Jenna. Vous plaisantez ? Deux crimes similaires en un cours laps de temps, et vous parlez encore de doutes  ?! 
– Pas de conclusions hâtives, ne pas sauter sur les évidences, se lassa Darius. Il y a toujours la possibilité que l'on soit face à un imitateur, un petit malin profitant du précédent drame pour se faire remarquer. Cela arrive bien plus souvent que vous ne pouviez le croire.
– Hahaha ! gloussa l'ex-religieuse. Et vous en avez d'autre des excuses pathétiques de ce genre ?
– J'utilise autant d'excuses qu'il n'y a de neurones actives dans votre cervelle, c'est à dire aucune. Mais je n'attendais pas de vous que vous me compreniez, je savais que c'était hors de votre portée.
– Effectivement, sourit angéliquement Jenna. Le niveau de stupidité des policiers est bien trop élevé pour ma pauvre personne.
– Vous devriez consulter un dictionnaire, lui sourit Darius en retour. J'ai bien peur que vous confondiez « stupidité » et « discernement ».
– Haha ! Au moins, on peut dire que vous aviez de l'humour !
– Je peux en dire autant de vous, hahaha.

Malgré leur expression rieuse, le policer et l'ex-religieuse dégageaient une ambiance si froide que l'air sembla baisser de plusieurs dizaines de degrés.

– Kukuku ! ricana Alice. Le sarcasme, l'incompréhension, la haine, voilà qui est bien plus intéressant...
– …

Sevan resta silencieux, bien trop perturbé par le changement soudain de son ange de lumière pour en placer une.

« Tss, siffla mentalement Darkrai. Entre la gamine qui a pété un câble, Sevan muet comme un Magicarpe et les deux crétins qui s'insultent, plus personne ne pense à ce qui a causé l'incendie...»

Mais si le prince des ténèbres craignait que le mystère de l'incendiaire ne restât voilé, la suite des événements eut de quoi le rassurer. Brusquement et sans préavis, une puissante explosion se fit entendre, en direction du port cette fois-ci.

– … !

Darius réagit au quart de tour, abandonnant Jenna, il courra vers la source de l'explosion en gueulant des ordres précis à travers son transmetteur qu'il avait saisi d'une extrême agilité. A l'instar du policier, Alice se précipita au port, un large sourire disgracieux aux lèvres. Un peu plus lente, Jenna rejoint néanmoins rapidement le duo. Seul Sevan resta immobile.

« Hé, souffla Darkrai. Il faudrait peut-être y aller. »

– …

« Tss ! Oui, ok, tu es perturbé, tu ne sais plus quoi penser, d'accord c'est triste, on ramènera les violons plus tard. Ton image idéalisée d'Alice est détruite ? Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Bienvenue dans la réalité ? »

– …

« Alors tu veux dire que tu appréciais uniquement Alice pour son côté mignon et gentille ? Tu es incapable d'accepter sa part sombre ? Eho ! Les gens avec un cœur de guimauve et qui chient des Arc-en-Ciel ça n'existent pas ! Évidement qu'elle devait forcément avoir un côté sombre ! »

– …

« Bon, j'admets que dans son cas, c'est assez extrême. Mais si tu dis vraiment aimer Alice, tu dois accepter sa part d'ombre. Dans le cas contraire, cela signifie que ton affection pour elle n'est que factice. »

– Non ! réagit enfin Sevan. J-J'ai promis à Alice de la protéger ! Rien n'est factice ! Je l'aime sincèrement !

« Alors qu'est-ce que tu fous planter là ?! »

– C-C'est juste que... c'est... c'est tellement brutale ! Elle était si... si différente ! Elle avait une toute autre personnalité !

« Une autre personnalité... je ne sais pas, ça à l'air plus compliqué que ça... »

– … ?

« Raaah ! Mais tu crois que c'est le moment de réfléchir à sa ?! Go ! Faut y aller ! »

– O-oui, tu as raison...


 ***


Sevan arriva enfin au port de Sol-Styx. Le première chose que le jeune homme vu fut les intenses flammes dévorant les bateaux, les conteneurs et les diverses machines du dock. Il se serait cru en enfer, ni plus ni moins, tant la chaleur était étouffante. Même la mer n'était pas épargnée par le brasier.
Mais malgré ce paysage apocalyptique, l'attention de Jenna, Alice, Darius et de nombreux policiers en présence accompagné de leur Caninos était mortellement concentré sur autre chose. Ou plutôt quelqu'un d'autre.

A quelques mètres du sol, un imposant Scorvol faisait du surplace, toisant le groupe d'humain. Et sur son dos, un homme. Il avait l'air plutôt jeune, à la chevelure noir tirant sur le pourpre. Son ample manteau ivoire à capuche flottant au vent recouvrait tout son corps à l'exception de son visage, tout en lui donnant un air presque religieux. En revanche, son visage se rapprochait bien plus du diable. Ses deux yeux dorée luisait d'un terrifiant éclat maléfique tendis que son large sourire angulaire dévoilait deux rangées acérées de dents inhumaines ; en particulier les deux canines supérieures si aiguisées qu'elles pourraient sans doute percer l'acier comme du beurre.

– Jeoffrey... Jeoffrey...

Jenna répéta inlassablement, presque inaudible, le même nom, comme hypnotisée. Ses yeux grands ouverts s'injectèrent peu à peu de sang, jusqu'à prendre la même couleur que l'écarlate liquide. Elle serrait tellement les poings que ses ongles percèrent sa paume, souillant le bitume d'un fin et continu filet vermeil.
Une expression de rage incommensurable, légendaire, presque divin, défigurait atrocement son visage de jeune femme.

– JEOFFREY DEAN !

Les deux mots éructèrent enfin de sa bouche, tonitruants. Tel une flèche acérée, la vocifération de l'ex-religieuse fusa vers l'homme au Scorvol, dont le sourire carnassier s'allongea jusqu'aux oreilles. Jubilant intérieurement, il leva lentement sa main au ciel et tout-à-coup, plusieurs vagues d'énergies violacées se condensèrent au dessus de sa paume, jusqu'à former une large et purulente orbe violâtre.
Tous les policiers braquèrent leur pistolet sur lui, ordonnant à leur Caninos de se tenir prêt à arroser la menace au manteau d'ivoire d'un déluge de flammes.
L'homme au Scorvol, dont le regard luisait désormais d'un éclat gourmand, ferma brusquement sa main, éclatant son orbe.
Une puissante déflagration toxique déferla subitement à l'endroit même où il se trouvait.
Les hostilités avaient commencé.