Et le soleil devint ténèbres. de Clafoutis

Le lendemain matin, Sevan se leva avec un sacré mal de dos. Jenna Naïven avait eut la bonté de lui prêter le doux sol de son église délabrée comme couche pour la nuit. Inutile de dire que Sevan avait accepté cet élan de générosité avec un grand sourire ; surtout que pendant ce temps Jenna se prélassait confortablement dans un énorme et douillet lit-double situé dans une pièce annexe.

– Une religieuse, une religieuse..., grommela Sevan. Une démone oui !
– Ne me mets pas dans le même sac que les individus de son espèce, grogna Darkai.

Et comme Sevan avait passé une mauvaise nuit, par extension, le prince des ténèbres aussi, puisque leurs sens étaient liés.

– Elle va m'entendre cette pseudo-prêtresse ! se résolut Sevan. On ne traite pas les gens de cette façon !! Ça ne se passera pas comme...

Soudain, Sevan croisa – par inadvertance – l'innocent visage encore endormi d'Alice, qui sommeillait paisiblement sur tapis verdâtre, enroulée dans une mince toile de soie.

– Daaaaww..., s'extasia t-il. Elle est si mignooone !! Hihihi !
– Sevaaaann..., se blasa Darkrai.
– Mmh..., s'interrogea soudainement ce dernier. C'est étrange, j'ai été sacrément en colère il y a un instant, mais dès que je pose mon regard sur tant d'innocence et de douceur, j'ai l'impression qu'un ange vient soulager toute la lourdeur de mon cœur !
– …

Sevan s'installa en tailleur devant Alice, bien décider de profiter de cette vision enchanteresse pendant plusieurs heures.

– Sevan.
– Daaaw...
– Sevan !
– Daaaw...

« BORDEL SEVAN !!  ARRÊTE DE BAVER !!»

– Aaaah !! M-Mister Dark ?! Mais ne gueule pas comme ça dans mon esprit !
– Et toi, calme tes pulsions ! Bref, je voudrais te parler, pendant que tout le monde dort.
– … en tête à tête ?! réagit vivement Sevan. T-tu ne comptes pas m'avouez ton amour caché quand même ?! E-euh... ça me touche, vraiment, mais... comment dire... on.... on ne se connaît pas encore assez pour...
– Arrête de t'exciter tout seul crétin !! Je veux te parler de ce que nous a raconté la religieuse hier !
– Oh. Je vois. Alalah, il fallait me le dire plus tôt, tu es si dur à comprendre, Darky !
– … par pitié, ne m'appelle plus jamais comme ça.
– Ah ? Je trouve ça mignon pourtant !
– Ne. M'appelle. Plus. Jamais. Comme. Ça.
– Hoon...
– Bref, sortons, cette église me mets mal à l'aise...
– Je vois, acquiesça Sevan. Tu veux que l'on se promène nonchalamment dehors, pour installer une ambiance propice à ta déclaration...
– Gnn...

« PUISQUE JE TE DIS QUE CE N'EST PAS ÇA, BORDEL !! »

***


Après quelques engueulades mentales, Sevan se décida enfin à se balader à l'extérieur. Il prit tout de même le soin de couvrir sa main gauche à l'aide d'un gant en latex rose que lui avait gracieusement fournit Jenna la veille, lors de l'opération « nettoyage volontaire obligatoire de l'église ». Pour plus de précaution, Sevan s'éloigna quand même des petites habitations et se dirigea vers les plaines herbeuses, lieu uniquement dérangé par la brise matinale.

– Alors ? s'enquit Sevan. Je t'écoute, Mister Dark.
– … hé Sevan, souffla Darkrai. Je voudrais savoir, hier, ce que tu as dit à la gamine...
– À Alice ?
– Oui, ce que tu lui as dit pour qu'elle nous rejoigne. Le passage comme quoi tu étais terrifié et que ton insouciance n'était qu'un masque, c'était vrai ?
– … hahaha, s'embarrassa Sevan. Je ne pensais pas que tu t'en souviendrais. Mais si tu tiens vraiment à le savoir, oui, j'ai un peu la trouille.
– …

Sevan s'arrêta de marcher, ses épaules se relâchèrent brusquement.

– T-tu sais, Mister Dark. J-je suis mort. Mort. Assassiné. Et je ne sais même pas pourquoi. Qu'ai-je donc fait de mal pour en arriver là ? Suis-je vraiment un pauvre type qui ne mérite pas de vivre ? Tu l'as entendu hier, cette religieuse ? Je n'arrête pas de me poser la question, est-ce moi aussi, je suis un de ses maudits Corrompus ? Tu te souviens quand tu as dit que tu étais attiré par moi lors de notre rencontre ? Et si c'était parce que j'avais invoqué tes pouvoirs moi aussi ? Et si moi aussi, j'avais tué quelqu'un de très cher à mes yeux, uniquement assoiffé par la soif de pouvoir ? Je... je ne suis qu'un corps uniquement capable de fonctionner grâce à toi. Je suis une anomalie, Darkrai.

Comme pour prouver ses dires, Sevan tourna son cou dans un angle de 180°.

– Tu vois ? Mon cou est encore cassé, ce corps n'est pas censé vivre. Je ne suis pas censé vivre. C'est idiot, n'est-ce pas ? J'ai... j'ai la chance d'avoir ressuscité, de pouvoir de nouveau sentir le sol sous mes pieds, et je ne fais que me plaindre. Je suis vraiment horrible.
– … Oui, tu es horrible, lâcha froidement Darkrai.
– … !
– Ta vie est précieuse, tu ne dois jamais la renier. Pas pour faire plaisir à je ne sais quel principe religieux, non, mais parce que ta vie est la cristallisation de toute ton existence, elle t'appartient pleinement. La renier revient à te renier. Tu peux renier les dieux, tu peux renier le monde, mais tu ne dois jamais te renier toi-même. Tu n'as de comptes à rendre à personne, sauf à toi-même. Tu étais une pourriture par le passé ? Tu as tué des milliers de gens ? L'univers te déteste ? Tu peux toujours te racheter. Ça peut te sembler simpliste, mais tant qu'au fond, sincèrement, tu désires te racheter, que tu n'abandonnes pas tes convictions, que tu n'abandonnes pas ta vie, tout est possible. Le monde te condamnera peut-être, mais tant que tu es en paix avec toi-même, rien ne pourra t'atteindre. C'est toi, le personnage principale de ta propre vie, Sevan, alors agis, agis pour ce qui te sembles juste, mais ne te laisse pas aller au désespoir.

Darkrai laissait les mots sortir avec fluidité, sans qu'il puisse les contrôler ; lui-même était surpris par son sermon. Il n'arrivait pas vraiment à le comprendre ; mais dès que Sevan ait parlé de sa vie en tant qu'abomination, Darkrai ressentit une intense et lancinante douleur parcourir son âme, comme si cela lui rappelait un souvenir déchirant.

– … faire ce qui me semble juste, pouffa légèrement Sevan, voilà une belle pensée de criminelle.
– … ?
– S'il me semble juste de tuer pour le pouvoir, je serais toujours en paix avec moi-même ?
– Tu déformes mes propos, soupira Darkrai. Et puis, tu n'es pas du genre à tuer pour une raison aussi stupide.
– … pas faux. Mmh, j'imagine qu'il doit y avoir du bon dans tout ce que tu as baragouiné. Je n'aurais jamais pensé recevoir une leçon sur la vie directement du prince des ténèbres, alors... merci.
– Hm. Si tu te flingues à coup de dépression, j'y passe aussi ; je préfère éviter.
– Hahaha...

Lentement, Darkrai ferma à moitié son œil rouge sang.

– Et puis..., je ne suis même plus sûr d'être le prince des ténèbres.
– … ?
– La Gemme Azurée. La relique censée contenir l'âme du maléfique Darkrai, si cela est vrai, alors qu'est-ce que je fiche ici ?
– C-ce n'est qu'une relique, tenta Sevan. Peut-être qu'on lui attribue des pouvoirs qu'elle n'a pas !
– Il y a autre chose. Sevan, regarde mon œil. De quel couleur est-il ?

Interloqué, l'intéressé souleva légèrement son gant rosé.

– … rouge-sang ?
– Exactement. Lorsque cette Jenna a mentionné la Gemme Azurée, ce petit détail m'est revenu en mémoire. Mon œil, enfin, l'œil de Darkrai, est censé être bleu azur. Un terrible bleu froid et sauvage, capable de terroriser les plus braves.
– … Mister Dark...
– Tu vois ? ricana Darkrai. Je suis tout aussi paumé que toi, à ne pas savoir qui je suis réellement. Pourquoi est-ce que mon œil est rouge-sang et non pas bleu azur ? Pourquoi est-ce que mon âme repose dans une stupide relique ?
– Mmmh..., Mister Rouge ?
– … pardon ?
– Nan mais je me demandais, puisque tu n'es plus sûr d'être Darkrai, je me demandais comment est-ce que je pouvais t'appeler... quelque chose en rapport avec le rouge ? Le sang peut-être ? Bloody ?
– … je me questionne mon existence et tu ne t'inquiètes que sur mon surnom ?!
– Haha ! pouffa Sevan. Excuse-moi, j'ai tenté de détendre l'atmosphère avec une blague mais...

Darkrai pouffa à son tour.

– … tu voulais me réconforter ?
– … possible, rougit Sevan. Tu l'avais bien fait pour moi tout-à-l'heure, alors je me suis dit...
– Tu n'es pas doué.
– Haha...
– … mais ta bétise m'aurais au moins fait oublier mes problèmes pendant un instant, je t'en remercie.
– … de rien... j'imagine.
– Mais laisse-moi te préciser une chose. Je suis Darkrai, même si beaucoup de détail ne colle pas et instaure le doute, y compris en moi, je suis Darkrai. Je le sens, au plus profond de mon âme, c'est la seule et dernière brique qui maintient mon esprit en équilibre. Si jamais je laisse le doute m'envahir, j'ai l'impression que je disparaîtrais et ça, je ne peux pas l'accepter.
– D'accord, acquiesça simplement Sevan. Si tu le dis, je te crois.

Sevan ferma les yeux, se laissa bercer par le vent et le bruissement des hautes-herbes.

– Hé, Mister Dark.
– … ?
– Tu veux savoir pourquoi tu as perdu la mémoire ?
– … évidemment.
– Moi aussi, je veux savoir qui je suis. Alors, ça te dirait qu'on cherche ensemble ?
– Comme si j'avais le choix, siffla chaleureusement Darkrai. Je suis coincé dans ta main gauche j'te signale !
– Hahaha..., maintenant que tu le dis...
– Cependant...

Sevan n'en était pas sûr, il eut l'impression que Darkrai souriait.

– … j'imagine que j'aurais pu tomber sur pire.
– Qu'est-ce que ça veut dire ça ? plissa Sevan des yeux.
– Ce que ça veut dire, statua Darkrai avant de changer de sujet. Sinon, qu'est-ce qu'on fait pour cette religieuse ?
– … mh ? Pourquoi tu me demandes ça ?

Darkrai soupira.

– Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, c'est sûrement elle et sa Gardevoir qui t'ont assassiné.
– … oui, sans doute.
– Cette femme est une sadique, mais ne semble pas à être du genre à tuer sans raisons.
– A moins que je ne sois un Corrompu, réfléchit Sevan. Elle avait bien fait que les Corrompus étaient des cibles à abattre, non ?
– Mmh...

Sevan secoua vivement la tête.

– Bah, après tout, elle n'a pas l'air de me reconnaître. Tout va bien.
– … que me vaut cet élan d'optimiste ?
– Nan, je me disais juste que tu avais raison. Je n'ai pas à trop m'attarder sur mon hypothétique vie, c'est important bien sûr, mais ça ne doit pas m'empêcher d'avancer. Au contraire, je dois profiter de ma renaissance pour faire table rase du passé, et mener une vie plus convenable.
– … j'espère honnêtement que tu resteras simpliste encore longtemps.
– Haha, c'est un sarcasme ? Bah, ça ne devrait pas être un problème, je suis stupide après tout !

Soudain, un vif coup de vent glaciale parcourut la plaine, faisant frissonner Sevan.

– Brrr..., on se caille ici ! Rentrons, mon ange d'innocence et de lumière – alias Alice – me manque déjà !
– …

***
Alors que Sevan, avait bien l'intention de retourner à l'Église et de retrouver sa chère Alice, une scène plutôt inattendue le laissa perplexe.

– Je vous remercie de votre générosité, gente dame. Arceus en soit témoin, votre bonté d'âme est telle un diamant resplendissant de mille feux.
– Haha ! Vous vous me flatter mademoiselle Naïven !

Jenna Naïven, souriant jusqu'à l'illumination, regarda la vieille autochtone rougissante qui s'éloignait vers le village. Une fois qu'elle eut confirmé que l'autochtone fut hors de porté, Jenna fouilla avidement le panier qu'elle venait de recevoir.

– Tsst, siffla t-elle. Un bout de pain et du poisson poisseux, voilà pourquoi je déteste ces ploucs...
– … je peux savoir ce que tu fais ?

Jenna bondit, surprise, avant de réaliser qui était son interlocuteur.

– Oh, balaya t-elle d'un geste de main. C'est juste le type de hier.
– L'indifférence de ton regard me blesse profondément, geignit Sevan. Mais dit moi, je rêve où tu viens de voler cette pauvre dame ?
– On se tutoie maintenant... ? Bah, si tu veux. Et non, je n'ai rien volé. Il m'a simplement suffit de lui expliquer ma situation, comme quoi je n'étais qu'une simple et pauvre religieuse luttant chaque jour afin de me remplir le ventre, avec un joli sourire, et elle m'a généreusement donné un peu de ses courses.
– … tu es si nécessiteuse que ça ?!
– Bien sûr que non, c'est juste que je ne vais pas dépenser mon argent pour acheter les sous-produits dégueulasses de coin tout de même ! Tu me prends pour qui ?!
– Donc, tu l'escroques ?!
– Non, ne joues pas avec les mots. Je lui fais l'honneur de me nourrir, elle devrait remercier Arceus pour ce privilège.
– … euh, qu'on soit bien d'accord, tu es une religieuse, n'est-ce pas ?
– Apprentie-prêtresse pour être exacte. Mais je ne vois absolument pas le rapport.
– Pourtant, moi je le vois, je le vois même très bien... je pensais que les religieuses devaient respecter certains préceptes moi, comme bah... allez au hasard, le respect d'autrui ?

Jenna fixa un moment Sevan avec de grand yeux ronds, avant d'éclater de rire.

– Le respect d'autrui ?! Ohohoh ! Mais qu'est-ce que c'est que ce concept archaïque ?! Ohohoh !
– …
– Écoute-moi bien petit naïf ; dans ce monde, on ne respecte que ceux qui nous son supérieur hiérarchiquement. Le reste n'est qu'un tremplin juste bon pour nous faire avancer. Pourquoi est-ce que je respecterais ses ploucs de seconde zone ? Cela ne m'apportera strictement rien. Je suis une apprentie-prêtresse, petite tête, je suis bien au-dessus de tout le monde ici.
– C'est...
– C'est comme ça que ça marche, finit Jenna. Bon, je n'ai pas que ça à faire de perdre mon temps avec toi, je vais faire un tour dans le village, peut-être que d'autres auront des mets plus raffinés à me proposer ; même si je n'y crois pas trop...

Et Jenna s'éloigna sereinement, laissant un Sevan plus que stupéfait.

– Le monde a bien changé si les religieux se montrent tous aussi hautains, souffla Darkrai.
– Je préfère croire que cette femme soit l'exception à la règle...

Après avoir secoué la tête pour tenter d'oublier le comportement Jenna, Sevan rentra finalement dans la vieille église où Alice l'attendait avec anxiété.

– Monsieur Sevan ! s'illumina t-elle en le voyant pousser la grande porte du bâtiment.
– Aliiiice ! accourra Sevan les bras grands ouverts.

Mais visiblement, la fillette ne comprit pas le message sous-jacent et resta immobile, à fixer Sevan d'un air interrogatif. Ce dernier, un peu déçu, laissa tomber ses épaules et eut même une larme à l'œil.

– Tu ne vas pas de mettre à pleurer quand même ! grogna Darkrai.
– Snif..., c'est juste que c'était une si belle manière de fêter nos retrouvailles !
– … retrouvailles ? On est partie à peine plus d'une demi-heure !
– Un demi-heure ! Ce qui fait 1 800 secondes de trop séparé de ma douce Alice !! Tu es bien un démon pour ne pas te rendre compte de l'horreur que j'ai vécue pendant ses 1 800 secondes !
– Je me rends surtout compte que tu es un sacré psychopathe !
– Ah ! Traite-moi de ce que tu veux, tu es juste jaloux de ma passion !
– Et pourquoi est-ce que je serais jaloux, tête de gland ?!

Perplexe, Alice observait Sevan se disputer avec sa main gauche parlante. Même si elle ne comprenait pas un traître mot de ce qu'ils disaient, une sourire se dessina sur son visage. Elle qui avait toujours eu une vie terne et solitaire, rien n'était plus rafraîchissant que d'assister à une querelle amicale. Peut-être que finalement, le destin jouait enfin en sa faveur, peut-être qu'avec Sevan et le mystérieux Darkrai, Alice pourra avoir la vie heureuse qu'elle avait toujours voulue.

Folie.

Une résonance. Brusquement, Alice se tétanisa ; sa vue se ternit et le temps sembla se dérouler au ralenti.

Tu ne peux pas...

Des larmes commencèrent à s'écouler sur ses petites joues roses, des larmes qui semblait l'entailler le visage tant elles étaient déchirantes.
Alice eut envie de crier, mais elle ne pouvait plus bouger, elle était comme transportée dans un autre monde. Un monde qui ne lui montrait aucune pitié.

… être heureuse !

La fillette crut recevoir un énorme coup de marteau à l'intérieur même de son crâne.

« N-non..., geignit-elle, pas...pas encore … c-cette voix... pourquoi... »

Une intense fatigue ravagea soudain son corps, ne lui laissant à peine le temps de voir l'expression terrifiée de Sevan avant de s'évanouir.