Altaïr et Lesath 5. de illapa

Et lentement, discrètement, précautionneusement, le trio avança à travers le marais délétère, deux d'entre eux se méfiant de l'environnement comme s'il allait leur sauter à la gorge au moindre faux pas. Petit à petit, l'air sembla s'alourdir, les nappes de brumes paresseuses se firent de plus en plus nombreuses, le violet angoissant et le kaki répugnant se muèrent en un bleu de minuit qui sembla même affecter la lumière.
Altaïr avait l'impression de se perdre au fond d'une marre vaseuse par une nuit de pleine lune.
Les nuages sombres dans le ciel étaient bleus et projetaient leur ombre comme un voile recouvrant tout de bleu sombre. Altaïr n'aimait pas le rose. Il associait cette couleur à certaines personnes de son village qui étaient douces comme le sucre à en faire des indigestions, à des caractères tout-mi-mi- tout-mignon-tout-plein qui lui donnaient envie de devenir tout-gro-gro-tout-grognon-tout-plein.
Mais là, bizarrement, ce bleu oppressant lui donnait une furieuse envie de voir un rose flashy et de sentir son foie lui faire une crise par les yeux.
Son humeur ne s'arrangea pas lorsque Lesath déclara gaiement :
-C'est pittoresque l'ambiance dans le coin ! Je me demande comment tout a pu se teinter en bleu comme ça.
Voyant qu'Altaïr ne faisait pas mine de vouloir répondre, CorLéonis s'en chargea :
-C'est sûrement juste un effet de lumière à cause des nuages bizarres. Enfin j'espère.
-Oh.
Lesath repartit dans ses pensées un moment avant de déclarer avec espoir :
-Vous croyez que la tanière de l'hydraulique est par là ?
Patiemment le vieux lion répondit :
-Ca en revanche, c'est quelque chose que je n'espère pas.

Ils pataugèrent encore un peu silencieusement au milieu d'un brouillard de plus en plus dense, lorsque soudain, un rugissement se fit entendre. Il transperça la fausse nuit avec puissance, faisant trembler les trois compagnons et le décor autour.
Une rafale soudaine fusa à travers les arbres.
Et soudain, au dessus de leurs têtes une forme noire et massive passa dans un grondement, déchirant le brouillard et soulevant une bourrasque qui leur glaça les os. Même Lesath n'osa pas la ramener. La forme avait l'air vaguement draconienne, mais au lieu d'avoir une paire l'aile, il avait trois paires de... membres très effilés, et surtout, les pattes avants étaient beaucoup plus larges que celles de l'arrière.
Mais peut-être ses pattes avants étaient-elles cachées dans l'ombre sous son corps, ce qui ne laissait qu'une solution...
Lesath béait d'admiration :
-C'est le dragon à trois têtes ! Celui qui crache du feu, et qui commande au ciel, à la terre et aux ténèbres, et...
-Lesath !
-Ben, si ça se trouve, c'est à cause de ses pouvoirs si cet endroit est tout bleu comme ça !
L'asbol railla :
-Oh merci de la théorie, je me sens beaucoup mieux maintenant.
Le luxray intervint :
-Allons allons les enfants, pas la peine de se disputer, il est parti et il ne nous a pas vu c'est l'essentiel. On ne devait plus être très loin du château à présent.
-Oh génial...

Le pokémon ténèbres ronchonna et tout le monde se remit en route, plus méfiant que jamais, sauf Lesath qui semblait s'intéresser de près à la forme torturée des arbres lugubres qui semblaient pourrir au fur et à mesure de leur croissance. Certains dégoulinaient même d'une substance visqueuse dont personne n'osa s'approcher.
Altaïr s'attendait presque aux toiles d'araignées qui ajouteraient un aspect fantomatique à cette forêt aussi silencieuse et immobile qu'un cimetière, mais même les pokémons insectes, poisons ou autres pokémons répugnants ne semblaient pas avoir eu le courage de s'aventurer aussi loin. Ce qui n'était pas rassurant. Pas rassurant du tout. Au moins le marais empoisonné était vivant, voie même un peu trop vivant dans le cas de certaines grosses fleurs. Cette forêt-là était vide. C'était comme marcher dans du néant qui aurait voulu prendre la forme du monde. Les ténèbres ne dérangeaient pas Altaïr, mais le silence et l'immobilité, si. Il ne sentait plus rien avec sa corne, et il se sentait perdu et seul au monde. Ce n'était pas une sensation très agréable. Heureusement qu'il avait des compagnons, même si CorLéonis était resté étrangement silencieux durant le voyage.
Il y avait toujours Lesath qui faisait son Lesath, et même si c'était épuisant, c'était la seule chose à laquelle le pokémon porte-malheur pouvait se raccrocher. C'était bien sa veine de s'embarquer dans des aventures pareilles. Il se surpris même à espérer qu'il y aurait des spectres au bout du chemin.

Mais maintenant qu'il y pensait, il était inquiet au sujet du vieux lion. Son silence n'était pas habituel. Il ne s'inquiétait jamais sans raison et quand il le faisait, il ne le montrait pas.
Le pokémon ténèbres chuchota :
-Alors... On vient chercher quoi dans cet endroit lugubre à souhait ?
-Oh, je...n'en suis pas sûr. Il y avait des rumeurs et mon dresseur a voulu... les vérifier.
Le mot « dresseur » fit faire la grimace à l'absol qui demanda avec dédain :
-Pourquoi il s'est pas déplacé lui-même alors ?
CorLéonis soupira avec mélancolie, mais il répondit avec douceur et patience :
-Parce qu'il a dans les 70-75ans. C'est vieux, surtout pour un humain. Ils sont plus fragiles que nous. Ils vivent moins longtemps aussi.
L'absol ne trouva rien à redire. Après une hésitation le lion bleu ajouta dans un sourire chaleureux :
-C'est aussi ce qui fait leur charme. On a tendance à les considérer comme des jeunes à couver. Et ils ont d'autres qualités, d'autres aptitudes assez fascinantes. Des petits trucs dont ils nous font profiter et qui rendent la vie beaucoup plus agréable.
-Comme ?
-La technologie. La médecine. Le savoir-faire. La gastronomie. Plein de trucs.
Altaïr ne répondit rien. Il n'avait rien à répondre. Même s'il ne l'avouerait jamais, il aimait trop les friandises d'un humain transformable en feurisson pour protester là-dessus.
Au bout d'un quart d'heure, un roulement de tonnerre accompagné d'un flash lumineux rouge-orangé déchira les cieux. La fourrure du pokémon électrique crépita. Avec lassitude, l'absol constata :
-Il va pleuvoir, on dirait. L'air est très lourd.
Joyeusement Lesath annonça :
-Ben, on pourrait se réfugier dans le château qui se trouve là-bas derrière nous en attendant que ça passe !
Devant l'air exaspéré de ses compagnons, il ajouta :
-Quoi ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

*** ***

Le château en question se trouvait un peu plus loin en arrière. Une trouée dans le brouillard avait permis aux trois compagnons de le repérer et de se diriger droit sur lui. Lesath vérifiait régulièrement qu'ils étaient dans la bonne direction en voletant un peu au dessus de la brume.
Ils arrivèrent rapidement au pied de l'édifice.
Un haut rempart construit dans des pierres de taille plus grosses que la norme en faisait le tour, traversable seulement à travers un immense portail en fer forgé apparemment solidement fermé par un cadenas à sa mesure.
Visiblement les premiers propriétaires avaient tenus à annoncer la couleur au visiteur dès le premier abord : « demi-tour, et on ne vous remercie pas d'être passé parce qu'on ne vous a rien demandé ».
En parlant de la couleur des pierres... Altaïr n'aimait pas leur teinte. Il n'avait encore jamais entendu parler de pierres de couleurs indigo très grisé. Il en gratta une du bout des griffes. Elle ne ressemblait en rien au type de roche qui stationnait dans ce coin boueux et plutôt argileux. Il ne s'y connaissait pas beaucoup en minéralogie, mais il était à peu près certain qu'on trouvait les roches dures comme celles-ci plutôt dans les zones montagneuses, pas dans les marais.
Les molles dans les plaines, les dures dans les montagnes. Lesath aurait sûrement affirmé qu'il valait mieux qu'il en soit ainsi pour que les montagnes restent bien droites, bien dressées.
Lesath interrompit le cours de ses pensées avec une simple question :
-Bon... Une idée pour entrer là-dedans ?

« Là-dedans » avait tout du château de conte de fée qui aurait viré au conte de zombie. Le premier mot qui venait à l'esprit pour décrire le bâtiment était « mastodonte » talonné de près par « obscur » qui s'unissaient pour donner « angoissant », ce qui amenait inexorablement « oppressant ». Si on pouvait imaginer une forteresse impénétrable de la Reine Terreur la Maléfique, il serait exactement comme ça.
Les poils de l'absol se hérissèrent. Il aimait le mot « impénétrable ». Il espérait que ce mot-là ne serait pas de la publicité mensongère.
Le togetic ajouta :
-Parce que moi je peux voler par dessus, mais vous ? Oh, on peut peut-être casser un arbre pour qu'il tombe sur le mur et nous fasse un pont !
Altaïr s'emporta :
-Mais ça va pas la tête ! Et comment on fait ensuite pour ressortir !?
Mais c'était sans compter sur CorLéonis et ses lubies...
-Et bien Lesath, tu n'auras qu'à passer par dessus et nous, on va passer en dessous.
Et sans plus attendre, le pokémon électrique se mit à creuser sous le portail.
Mais avec un peu de chance, se dit l'absol, avec un peu de chance, on sera bloqués devant la grosse porte noire là-bas, on sera obligé de renoncer...

La grosse porte noire en question se situait sur un perron haussé par quelques marches et était, vue de plus près, très grosse, très noire, et très... porte. Elle remplissait parfaitement son office d'obstacle infranchissable obstruant le passage et rendant l'autre côté hermétiquement clos. En outre comme en amphore, elle semblait peser plus qu'on ne l'imaginait et semblait disposer de deux épaisseurs contenant une autre intermédiaire. En métal. Rouillé, d'après l'odeur âpre qui s'en dégageait. Elle était également ornée d'un heurtoir en forme de... nospheralto, de ce qu'en devinait l'absol, ainsi que de motifs géométriques courbes et symétriques sculptés dans le bois, dissimulant ça et là de gros clous rouillés. Étrangement, le bois semblait être noir depuis toujours, et non pas parce qu'il avait brûlé. Altaïr avait un jour entendu parler de l'ébène mais il n'y avait pas cru jusqu'à maintenant.

Le pokémon ténèbres poussa un soupir de soulagement. Cette porte là ne le laisserait pas tomber, il en avait la certitude. Ce n'était pas le genre à s'ouvrir d'une poussée. CorLéonis se mit sur ses pattes arrières, attrapa la poignée qu'il tira vers le bas et s'appuya de tout son poids sur le colosse d'ébène. En vain.
Altaïr songea que s'il proposait de repartir maintenant, les deux autres refuseraient et pourraient même le menacer de se séparer en le laissant monter la garde seul ici. Il y avait peu de chance qu'ils prennent une telle décision, mais l'absol était si dérouté par l'absence de vie et de mouvement qu'il était prêt à s'imaginer le pire. Il décida donc de faire bonne figure et se joignit en même temps que le togetic à l'effort pour tenter de pousser cette espèce de massif sans montagne. Mais l'entité en bois sembla s'en moquer éperdument et ne bougea pas d'un iota.
Altaïr réussit à faire passer son soupir de soulagement pour un soupir de déception. CorLéonis s'affaissa.
-Si près du but...
Mais avant que l'absol ne puisse proposer de faire demi tour, Lesath s'exclama :
-Hé, y a pas mal de carreaux des fenêtres cassés ! On pourrait passer par là !
Le vieux lion regarda les ouvertures et constata tristement :
-C'est beaucoup trop haut pour nous. Et puis, il faut être sûr qu'on puisse repasser en sens inverse.
Le togetic voleta jusqu'à la plus proche en déclarant joyeusement :
-Je vais voir si on peut pas voir une entrée ou un interrupteur pour ouvrir la porte !
Et avant que les deux autres n'aient pu l'en empêcher, ignorant les « c'est dangereux ! » il s'était glissé à travers un des carreaux manquant.

Les deux quadrupèdes se regardèrent dans le rouge des yeux. Altaïr demanda d'un ton fatigué :
-Bon on fait quoi maintenant ?
-Il vaut mieux attendre Lesath, si on bouge pour chercher une autre entrée on risque de ne plus se retrouver.
-Et s'il lui arrive quelque chose ?
-Hm...
Le vieux lion alla se placer sous la fenêtre où Lesath était entré et rugit :
-LESATH ! REVIENS !
Il y eut une seconde de silence, et soudain, un hurlement à glacer le sang lui répondit. Un hurlement avec la voix du togetic. Tout aussi brusquement, la panique envahit les deux dehors.
Un choc sourd se fit entendre lorsque le petit pokémon volant percuta la fenêtre de plein fouet dans sa précipitation à sortir, et au deuxième essai, il repassa en trombe par le carreau manquant, avant de se jeter, tout en hurlant, sous l'absol, s'accrochant en tremblant à sa patte avant gauche.
-Quoi ? Quoi ? Lesath qu'est-ce qu'il se passe ?
-Qu'est-ce que tu as vu ?
L'intéressé balbutia :
-C'est... c'est horrible ! C'est affreux ! Allons-nous en !