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» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 09/05/2015 à 22:54
» Dernière mise à jour le 11/05/2015 à 14:06

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Chapitre 45 : La puanteur de cet autre monde
À rester trop longtemps reculé du reste du monde on finit par oublier ce qu'il se passe à l'extérieur de notre doux cocon de laine.
Rovia avait pendant longtemps fait office de protecteur envers moi. C'était à la fois un endroit où je pouvais me réunir avec une famille aimante qui ne m'imposait aucune règle et m'aimait tant que je n'outrepassais pas mes droits, comme tout enfant se doit de le faire, un lieu où je pouvais apprendre à canaliser le don que la nature m'avait donné et qui était pour moi un fardeau mais aussi, et surtout, un paradis qui me tenait loin du monde réel. C'était une réalité fracassante qui ne m'apparaissait que maintenant, une fois les montagnes de la frontière dans mon dos.
Certains disent qu'on ne comprend la valeur de ce que l'on possède seulement quand on ne l'a plus ; une phrase qu'on croirait tout droit tirée d'un magazine féminin, sur la dernière page que personne ne lit, pas même la ménagère. Pourtant elle n'avait jamais été aussi vraie que ce soir-là.

« Mange ce truc, me lança Ed' d'un ton aimable. Je sais que ça ressemble à rien mais il va falloir que tu t'en contentes pour ce soir. Il y a pas mieux ici et ça m'a déjà coûté les yeux de la tête. C'est qu'ils en profitent là dedans, crois-moi. » Je ne répondis rien et me contentai de retirer le film plastique de la chose informe qui ressemblait vaguement à un sandwich au fromage, pain ramolli et emmental à la couleur orangée en prime.
Ed' me tapota l'épaule. « Courage. »
Dès que la drogue avait commencé à s'estomper, ce qui continuait progressivement à se faire durant la soirée, j'avais reconnu Ed' comme étant le soldat qui se trouvait dans l'école lors de l'attaque de Rovia, épisode qui me revenait lentement. Son immense taille et son visage carré semblant taillé dans le marbre ne trompaient pas. Et contrairement aux apparences, et à la première impression que j'avais eu de lui à ce moment-là, il était de loin mon meilleur allié actuellement.

La mort de Mila m'était revenue en tête et bizarrement j'avais été incapable de verser une seule larme en y pensant. Je m'étais contenté d'espérer que les autres s'étaient tiré indemnes de cette bataille, notamment Charles, Élisa ou encore l'Ancien, mais aussi tous les autres habitants de Rovia, même Bruce que je n'appréciais guère. Tout cela ressemblait à un mauvais rêve qui ne s'estompait pas et j'étais incapable de ressentir la moindre émotion. L'effet de la drogue ou du choc ? C'était sans doute un peu des deux puisque j'allais finir par m'effondrer en larmes quelques jours plus tard en réalisant que tout était terminé. Mais pour le moment non ; je pensais à tout sauf à elle, ou plutôt à rien. Extérieurement je devais avoir l'apparence de l'un de ces zombies arpentant les rues d'une grande ville au lendemain de l'apocalypse.
En dehors du bus je pouvais percevoir le parking crade d'une vieille aire autoroutière. Je retrouvais petit à petit mes sens, même si quelque chose au fond de moi m'empêchait d'être en possession de toutes mes capacités. Reste de ce qu'ils m'avaient injecté ?

Non, Cooper, je ne droguerai plus ce môme, c'est hors de question ! Je l'ai fait à deux reprises et ça m'en a coûté ; beaucoup trop !
Soit, Ed'. Fais ce que tu veux, je le ferai à ta place. Les ordres du chef sont les ordres. S'il dit que le gamin est dangereux c'est qu'il a raison. Il ne nous aurait pas demandé de raser tout un village s'il n'y avait rien à craindre.
H est un malade mental, je me moque de ce qu'il peut penser ! Et il n'a jamais demandé de raser le village, simplement de ramener le gosse. C'est l'unité de l'autre crétin qui a dérapé en tirant à vue des obus sur les bâtiments principaux. Ce gosse a assez souffert, on l'a récupéré en train de chialer sur le corps de sa copine ; tu penses pas qu'on devrait s'arrêter là ?
Les ordres de H sont...
Je me branle des ordres de ce fils de pute !

J'ai entendu quelque chose claquer et un objet voler à travers le bus ; puis plus rien. Je pense que je venais de me rendormir pour me réveiller quelques heures plus tard sur l'autoroute, sans le moindre champ de maïs aux alentours. La discussion entre mes ravisseurs, tout comme la mort de Mila, m'apparaissait comme un rêve lointain. Et pourtant elle avait été réelle, preuve en était que les effets de la drogue disparaissaient lentement.

Et maintenant je me trouvais sur une aire d'autoroute, assis sur le siège passager d'un bus miteux – bien loin de celui dans lequel j'étais monté pour rejoindre Rovia la première fois – à côté du type que j'avais vu piller l'école. À l'avant du véhicule se reposait le chauffeur dont je ne connaissais pas le nom, ainsi que trois types dont deux devaient être Dick et Cooper. Depuis mon réveil aucun d'eux n'avaient adressé la parole à leur collègue, sans doute en proie à la réflexion par rapport aux ordres de ce H.
« On arrivera dans deux jours là où on doit t'emmener, reprit Ed' qui tentait désespérément de lancer la conversation. J'espère que tout ira bien pour toi. » Je n'ai pas réagi, me contentant de croquer dans l'ersatz de sandwich. En effet, il était dégueux.

Me tournant vers l'extérieur, ignorant mon protecteur à qui je n'avais absolument rien à dire, je me fis la réflexion suivant laquelle Rovia avait été un cocon pour moi durant toutes ces années.
S'il y a des lieux capables de témoigner de la déchéance de la civilisation humaine alors ce sont sans hésitation les aires autoroutières. Je me rappelle de celle où nous nous arrêtions ce soir-là surtout pour son hideux néon rose fluo dont il manquait des ampoules, si bien que le mot Stop Limaspeed, qui était une dénomination stupide pour un endroit de ce genre mais qui permettait de lui donner un côté amusant, si on était un enfant de cinq ans, se transformait en un vulgaire So imasped du fait de la perte de quelques lettres. La couleur criarde clignotait dans le noir, mettant en relief le bâtiment miteux dans lequel on vendait de la bouffe trop cher en profitant du fait que les gens n'avaient pas envie de quitter l'autoroute pour se fournir à moindre prix. Deux clients erraient dans les rayons d'un magasin mal rangé, l'un ayant l'apparence d'un clodo grattant impétueusement ses couilles devant un vendeur qui s'en moquait, les yeux rivés sur un petit écran installé derrière son comptoir, matant un porno ou un match de foot.
En extérieur seulement trois pompes à essence occupaient le parking, une voiture s'y arrêtant toutes les dix minutes avant de repartir sans demander son reste. Le conducteur descendait, glissait trois billets dans la main du gros vendeur trop occupé à regarder deux lesbiennes se galocher pour lui adresser un regard et repartait sans demander son reste. Notre bus était garé plus loin, dans l'ombre, deux camions occupant le reste du parking. Peut-être qu'un routier était en train de se soulager d'une longue journée dans sa cabine aux côtés d'une vieille prostitué récupérée plus tôt ; j'en avais vu une traîner dans le coin dix minutes avant.
Je me demande pour quelle raison les réalisateurs de ces films d'horreur bon marché choisissent un manoir hanté ou un parc abandonné comme lieu de tournage quand une simple aire d'autoroute ferait parfaitement l'affaire. Il n'y a pas d'endroit plus glauque au monde.

Alors que je promenais mon regard sur cet endroit lugubre, Ed' posa de nouveau sa main sur mon épaule et approcha sa bouche de mon oreille : « Tu veux boire quelque chose ? »
Je me suis retourné, le regard sans doute vide du moindre sentiment, avant de répondre : « Coca. »
Et lui de me sourire. Bizarrement prononcer ce simple mot provoqua en mon corps des sensations dont je ne soupçonnais plus l'existence. Une chaleur intense qui remonta progressivement le long de mes organes pour écraser un mur qui se dressait dans mon esprit. C'était comme si bouger les lèvres et produire un son me rappelait une vérité essentielle : j'étais en vie. Et il fallait que j'en tire quelque chose rapidement.