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Accord Secret de Xabab



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» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 02/05/2015 à 16:10
» Dernière mise à jour le 02/05/2015 à 16:10

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Chapitre 41 : Sortir du dédale pour les ténèbres
« C'est le moment. »
Charles prononça ces mots calmement, comme s'il n'en était rien, comme si la bataille que nous étions sur le point de livrer n'était pas la plus importante de notre vie et celle qui concrétisait des années de souffrance. Comme si l'Inquisition pour laquelle nous avions tant œuvré ne trouvait pas sa finalité dans ce tête à tête.
Lorsque résonnèrent les cris de l'armée de poche de mon meilleur ami au-dessus de nos têtes, une bête se réveilla au fond de ma poitrine. Cela me surprit. Voilà des années que je n'avais pas entendu cette voix au fond de moi, criant vengeance et demandant rédemption pour les erreurs du passé. Un monstre avide à la fois de sang et de renouveau ; phénix et loup en même temps, chimère étrange naît de la passion. Ce sentiment qui s'humanisait parfois avait guidé mes nuits pendant des années, de Fan jusqu'à la Ligue en passant par la plus terrible des prisons d'Ermo. Dans ma proximité avec cette voix je lui avais donné un nom : Aniya.

Je tirais cette appellation d'une vieille légende que ma mère me contait quand je n'étais qu'un gosse, au sujet d'un dieu pokemon régissant le monde des morts et d'un accord secret passé entre lui et une mortelle, humaine belle à en crever, paraît-il. Cette histoire était ma préférée. Petit je demandais très souvent à m'endormir en l'entendant, me concentrant pour la centième fois sur ce dieu cupide qui se glissa auprès d'une innocente victime, friand de ses yeux et de sa beauté. Le légendaire Aniya, qui désirait posséder le beau qu'il ne pouvait toucher dans le monde qu'il gouvernait, emmena la jeune fille sous les yeux de ses parents et la transporta chez lui, au royaume des morts. Elle se débattit car son ravisseur était laid et le monde des défunts puait la charogne. Mais il ne voulait pas se séparer de sa proie ; elle était devenue son bien le plus précieux.
Le monde des morts trouva une reine humaine qui n'avait rien à voir avec son époux. Lui, malgré sa proximité avec le phénix dont les cendres bienveillantes tenaient éveillées sans arrêt ceux errant dans l'Au-delà, gardait sans cesse son sourire carnassier de loup. Elle ne lui ressemblait pas. Ma mère me disait qu'elle avait la peau blanche comme de l'albâtre et les lèvres aussi rouge que la peau d'une pomme.

Aniya était la voix au fond de mon corps qui réclamait que le sang soit versé. Parfois je me demandais si elle n'était pas l'écho du dieu lui-même. Après tout j'étais en quelque sorte son serviteur, homme chargé de voyager entre le monde vivant et le sien comme le fit sa femme. Je suis un héritier de son don de vision, capable de voir ce que les autres ne peuvent imaginer.
Parfois les humains s'amusent, glissant des verres sur des nappes, appelant les esprits. Certains sont plus lucides que d'autres. Ils parviennent à sentir la présence des morts dans des maisons que l'on dit hantées, sentent qu'un être cher disparu dans un tragique accident les regarde dormir… Parfois ce ne sont que des idioties que l'on doit à un trouble psychologique ; parfois ce sont des gens qui ont des relents du don que je possède. Ils ne peuvent pas voir l'autre monde mais le ressentent en divers lieux, chargés de fantômes.

Si on me demandait mon rapport au dieux et à la religion, je dirai sans doute qu'elle est pour chacun une conception mais qu'on trouve une part de vérité dans chaque précepte. Je ne crois pas forcément à tout ce que l'on dit sur Arceus, Urceus, ou Giratina, ou tout autre être divin ayant façonné cet bel univers. Je pense qu'il faut savoir comparer ce que l'espèce humaine créa de toutes pièces de ce qui est vrai.
En revanche je ne peux affirmer que tout est faux. Ce serait nier mon passé et la vérité. Aniya est un être conceptuel mais vivant, possédant passé, présent et futur. La religion tient en partie à savoir s'il y a une vie après la mort. Vous connaissez ma réponse à cette question. Demandez à un aveugle de vous décrire une couleur ; il aura autant de mal que moi qui affirmerait que la vie s'achève à notre dernier souffle.

Ces idées traversaient mon esprit tandis que l'énorme Dracolosse que chevauchait Bill passait dans le ciel, se dirigeant vers la base ennemi aux côtés d'autres dragons, les pokemons favoris de mon meilleur ami.
C'était sans doute stupide de penser maintenant à tout cela. De me remémorer ma mère, ce conte au sujet du dieu des morts, de penser à la religion et aux esprits… Mais au final, l'était-ce vraiment si l'on prenait en compte ce qui allait se produire sous peu ? N'était-ce pas là une autre facette de mon don ? Anticiper les choses qui allait se produire était-il possible ? La question n'est pas valable pour quelqu'un qui voit les morts depuis qu'il est gosse. Après tout ce monde n'est pas réglé par la logique comme le pense le commun des mortels, ou du moins la logique n'est pas celle qu'ils pensent. Si on peut voyager dans le monde des morts et parler à ses habitants, anticiper certaines choses ne paraît pas si inconcevable.

« Il est temps, lança Christophe dans mon oreille. Bill créera bientôt une brèche dans la base, vous devez profiter de l'opportunité. »
Au même moment, avant même que je puisse répondre, une détonation retentit sur ma droite, là où se trouvait Olivia et les hommes de Kruger. La diversion commençait des deux côtés, tout cela dans le but de cacher les deux hommes qui allaient se précipiter dans la brèche que les dragons de Bill allaient créer dans un instant.
« Allons-y ! cria Charles en tirant de son sac deux balles qu'il lança en l'air, faisant apparaître deux Chevroums. »
Ces derniers étaient des rescapés de ceux dont il s'occupait à Rovia dans le temps, avant que tout ne soit réduit en cendres et que les survivants ne migrent pour les villages alentours. Personne n'ayant voulu de ces pokemons, mon père adoptif les avait recueilli sous son aile. Avec le temps une partie des rescapés de ce petit enclos sur l'un des pans de la montagne avait quitté ce monde, laissant deux camarades derrière eux. « Ils ne sont plus tout jeune, ajouta Charles en complétant ma pensée mais ils peuvent courir. »
J'hochai simplement la tête en réponse. La boule au creux de mon estomac prenait tant d'ampleur à présent que je pouvais à peine parler. La rencontre avec H m'intriguait autant qu'elle me terrifiait.

Comme pour me réveiller le Dracolosse sur lequel était perché Bill utilisa ultralaser et fit voler en éclats l'un des murs de la base. Par la porte est, des soldats sortaient en trombe et se précipitaient en armes vers le lieu où avaient eu lieu les explosions. Ils étaient assez nombreux au sein du complexe pour se permettre une telle perte d'effectifs, sans doute ; ou trop stupides. Au même moment, alors que la nuit calme se troublait d'une centaine de bruits, les fusils firent vrombirent l'air de leurs balles tirées vers le ciel en direction de la cohorte de dragons. Ils ne s'attendaient pas à une telle opposition capable de résister à un tir groupé ; ce n'était qu'un plouc sur le dos de son pokemon. Pourtant Bill était aussi bon dresseur que moi, peut-être meilleur sur certains points. Et ses disciples allaient le prouver.
Pendant ce temps j'avais enfourché Chevroum et Charles avait donné l'ordre de galoper vers l'entrée de fortune dans le mur de la base. Ses pokemons n'étaient pas les plus intelligents du monde mais ils savaient obéir aux ordres et n'avaient peur de rien. Sans reculer face au brouhaha qui s'élevait devant eux, ils foncèrent tête baissé vers l'objectif.

« Une fois dedans on localise la porte et on entre, ordonna mon père, sans poser de question et…
– … si elle est fermé on appelle Bill pour qu'il vienne y mettre un coup, complétai-je sans même le regarder. »
Perché sur le dos du pokemon, j'étais raide comme un épouvantail oublié au milieu d'un champ en été. Il ne me manquait plus que le balais dans le cul, le chapeau de paille et trois piafs sur le dos pour être parfait pour ce boulot. Même mes yeux semblaient incapable de bouger tant la peur s'étendait maintenant à tout mon corps. Seule la voix au fond de moi semblait vouloir tout ébranler d'un coup. Elle voulait sortir et montrer sa colère au monde. Elle voulait la vengeance et la mort de H.
Aniya le voulait.

Au loin une tour explosa. Le Drattak de Bill s'y était juché un instant, prolongeant son cou sous la tonnelle pour lancer un jet de flammes sur les soldats qui s'y trouvaient, les brûlant vif. Puis, ayant achevé son travail, il s'envola en fracassant la construction d'un coup d'aile. Celle-ci s'effondra, les pierres recouvrant une dizaine d'hommes armés qui tiraient en dessous vers le Libégon qui attaquait la porte de son côté. Celui-ci ne volait plus très droit, sans doute touché par une ou plusieurs balles de ses ennemis.
Ce n'est pas important, me prévint Bill dans mon esprit, on sait qu'il y aura des dégâts collatéraux quoi qu'il arrive. Mes pokemons mettent leurs vies en jeu et je mets la mienne. C'est la seule façon pour nous d'accomplir notre destinée et de terminer cette guerre. Ce n'est pas important si certains y laissent leurs vies. On ne pourra pas gagner sans prendre des risques.
J'avais beau me le répéter, chevauchant à perdre haleine vers la bataille, cela ne m'empêcha pas de me sentir coupable pour le pauvre pokemon dont la mort était presque écrite, gravée dans la roche.

« Ne regarde pas si tu te sens coupable et concentre-toi sur l'objectif ! »
Charles parla d'une voix autoritaire, ce qui était rare venant de lui. Il ne m'adressa pas un regard ; je ne sais même pas s'il me vit regrettant la mission à la vue du partenaire de Bill. Après tout il avait ce don de lire dans mon esprit comme dans un livre ouvert. C'était la seconde fois qu'il me reprenait ce jour-là, peut-être plus, toujours avec raison. Et comme pour en rajouter une couche Bill, qui avait entendu la conversation dans son micro, se rangea du côté de mon père. « On fait ça pour toi. Alors fais moi le plaisir qu'il ne meurt pas en vain et vas botter le cul de cet enfoiré qui a gâché nos vies et tué Mila. »

Et tué Mila.
Oui, ce fils de pute l'avait tué. Comme du bétail qu'on égorge pour faire de la viande, sans aucune considération. Il l'avait buté sans un regard, la laissant se faire écraser sous un tas de pierres avec le reste du village. Elle était innocente et n'avait même pas le don. Elle n'était pas d'Unys, inutile dans son putain d'orphelinat de merde ! Elle n'avait rien de plus que sa vie peinarde au fond d'un village dont personne ne soupçonnait l'existence !
Et il avait tout balayé comme une vague sur le rivage, ce salopard
et tué Mila
avait réduit nos vies à néant. Tout le village, Mila, ma mère, l'Ancien… Tant de cadavres que ce sale petit con de chauve avait laissé dans son sillage pour repartir avec un seul et unique prisonnier dans son
tué Mila
bus qui l'emmenait dans une prison pour gosses sur la côte ouest.

La rage monta, écumante. Elle engloba tout mon être et Aniya épancha sa soif de revanche par toute la passion qui ravageait mon esprit. Mes mains se serrèrent autour des cornes du Chevroum et mes yeux se redressèrent pour fixer avec volonté la brèche dans la forteresse que H s'était construite afin de poursuivre ses recherches. Au loin le combat s'engageait entre les hommes de Kruger et ceux du dictateur. Libégon pendant ce temps tombait, mort, s'écrasant dans un ultime effort sur une aile de la base qu'il emporta avec lui dans l'autre monde. H se trouvait dedans et était mort dans l'incident ? Il n'en était pas question, c'était impossible. On ne tue pas aussi facilement la vermine qui dévore le monde ; on doit la chasser après des années de lutte.
Moi, consumé par la rage inébranlable qui dévorait chaque parcelle de mon âme, je secondais mon père dans la brèche creusé dans le mur.

Une fois à l'intérieur ce fut un spectacle de mort qui se livra à nous. Des corps gisaient tout autour, mêlant hommes et pokemons qui défendaient ensemble le grand projet du docteur. Je tentais de ne pas regarder mais mes yeux s'arrêtèrent sans le vouloir sur un Miradar, couché sur le flanc, organes vitaux répandus sur le sol. Auprès de lui se trouvait un homme, peut-être son maître, le crâne fendu en deux. Il était jeune, la trentaine au maximum. Et pourtant la vie venait de le quitter. Avait-il été garant des paroles et gestes d'Aimé, volontaire dans l'armée, homme de confiance, ou bien fils d'une bonne famille, contraint de partir, sous les ordres d'un gouvernement qu'il haïssait, au front, cloîtré entre les murs de cette terrible base ?
Ouvrant mon œil, je tentais d'apercevoir le spectre gémissant de ce jeune homme se soulevant de ce corps sans vie mais sans résultat. Il ne regrettait sans doute pas ce monde, pas plus que le pokemon à ses côtés. Oui, eux aussi possède une âme et parfois leurs spectres vagabondent entre les mondes à l'image de ceux des hommes. Cette fois-ci il n'en était rien. Le crâne ouvert, la cervelle suintant à la lueur de la lune, le jeune homme fixait le ciel intemporel d'un regard sain et doux.

En revanche si ce dernier était parvenu à trouver la paix, ce n'était pas le cas de tous ses alliés. Lors de notre cavalcade vers l'entrée qui ne dura pas moins de dix secondes une fois la brèche dépassée, je vis des dizaines de morts nous environner. Certains flottaient au-dessus de leurs anciens cocons désormais vides, se demandant où ils se trouvaient, cherchant des yeux un point de repère dans un chaos qu'ils ne percevaient encore.
Se réveiller après la mort c'est comme sortir d'un très long rêve, m'avait dit un jour une âme errante dans la prison d'Ermo. On ne sait pas où l'on est, ce qu'il se passe. Notre tête tourne, notre regard est brouillé par des flashs de lumière et le monde alentour n'est que poussière. Il reprend ensuite forme et alors tout apparaît comme une réalité brutale. On est mort, nous dit une voix au fond de notre esprit. Et jamais plus on ne rejoindra ce monde que l'on voit ici, même si on ne veut pas encore le quitter pour celui qui nous attend.
Et les ombres qui erraient dans le champ de bataille, récemment tirées de ce long sommeil qu'est la vie, ne comprenaient pas encore où elles se trouvaient. Elles se moquaient du cadavre du Libégon, de leurs propres carcasses dont le sang ruisselait et des deux idiots chevauchant dans la mêlée. Ce n'étaient que des spectres qui allaient longtemps marcher sur cette terre à la recherche de ce qu'ils ne pouvaient laisser derrière eux, désireux de voir de leurs propres yeux un proche ou un rêve dévoré par le temps qu'ils n'avaient pas eu.

« William, la porte, ordonna calmement Charles en voyant que j'observais alentours, comprenant ce que je voyais et la manière dont je le voyais. »
Bill ne répondit pas. Mais quelques secondes plus tard la porte vola en éclats, écrasée sous le poids d'un ultralaser venu du ciel. « Charles, fais gaffe à cet idiot, je ne veux pas qu'il se fasse mal.
– T'en fais pas, je l'ai à l'œil. »
Les deux hommes n'ont rien ajouté de plus et je n'ai rien dit. Il n'y avait rien à dire. Je savais qu'ils avaient raison et que cette force qui montait
(Aniya)
en moi était puissante, découlant de rage et d'espérance. Les morts qui parcouraient la bataille petit à petit l'alimentait, tout comme les souvenirs de Mila qui remontaient au fur et à mesure que nous progressions vers l'entrée du complexe. Jeune adolescente aux cheveux roux tombant en cascade sur ses épaules, les yeux mi-clos cherchant en vain un soutien de ma part, les larmes dégoulinant dans les miens. Elle me murmurait des mots et je lui en disais en retour et…
Deux doigts qui se croisent. Une promesse. Notre accord secret. Comme celui d'Aniya et de la mortelle qu'il épousa au fin fond des enfers. Un vœu sur un lit de mort, murmuré tout bas comme un désir qui jamais ne peut s'estomper.

Nous sommes descendus des pokemons une fois à l'intérieur. Le lieu était désert et progresser avec eux dans cette interminable galerie déserte qui se profilait devant nous serait plus encombrant que tout. Il fallait aller vite et profiter du désordre tant qu'il en était encore temps ; ceux qui luttaient en notre nom dehors ne le feraient pas éternellement. Nous devions au moins leur rend honneur de cette manière.
« On avance, lança Charles en prenant la tête. Ferme ton œil, maintenant. »
Mais je ne pouvais pas répondre à cette requête. Alors que nous nous enfoncions dans un dédales de couloirs gris comme la mort, le sens qui avait fait de moi quelqu'un de spécial était en éveil, comme un sonar détectant chaque signe de vie aux alentours. Et dans les méandres de la base je vis ce que cachait H.

Des enfants, arpentant le complexe à l'ombre des portes de fer dressées sur notre passage, traînant les pieds contre ce sol dur et froid, le regard perdu vers un lieu qu'eux seuls pouvaient voir. Parfois l'un d'eux s'arrêtait, me fixait un instant, puis reprenait sa marche lente ; funèbre procession des gosses que ce monde avait happé, broyé, fondu et dévoré. L'énorme machine de la vie, aux dents si épaisses qu'elles pouvaient réduire en poussière les montagnes, n'avaient pas laissé leur chance à ces pauvres ermites auxquels le temps échappait désormais. Sur un tapis roulant ils s'y étaient précipités en plongeant tête la première vers l'infernale fournaise qui avait déchiré leurs chairs et leurs espoirs, leurs rêves et leurs désirs.
« C'est un tombeau, dis-je à Charles en les voyant.
– Fan ? me demanda-t-il simplement, une expression de dégoût sur son visage.
– Ouais, exactement pareil. »
Non, c'était un mensonge. Fan était une grande résidence avec un immense jardin, d'agréables dortoirs, une cantine parfois pas si dégueulasse, des camarades avec lesquels jouer, parler, vivre et souffrir. Ici la vie n'était qu'acier, expériences et mort.

« Comment on va faire pour le retrouver ? reprit mon père qui commençait à s'impatienter, sachant que ses amis luttaient au dehors. C'est désert, il n'y a personne mais c'est de loin le pire labyrinthe que j'ai eu le loisir de traverser. »
Pas moi. Non. Avant cela il y eut Rock Island et ce fut un sacré foutoir quand j'y repense. Avec tous ces coins qui se ressemblaient, des gardes à chaque détour, des prisonniers qui hurlaient mon nom pour que je me fasse chopper… Ce complexe n'est rien en comparaison de plus qu'un jouet pour les enfants. Et je sais où est H. Je peux ressentir sa présence, je ne sais pas comment mais je le peux. Il est proche, couché sur un lit, les yeux fermés derrière ses grosses lunettes noires ; il m'attend. Il sait que je suis dans cette base, avec mon père, prêt à nourrir ma vengeance et à
(Aniya)
le tuer.

« Par là, me contentai-je de répondre. »

Je pris la tête du cortège, ne fermant pas mon œil pour autant. La vision de ces enfants morts, tués par la folie de H sous les ordres d'Aimé afin de reproduire ce qu'il avait fait à Fan, faisait monter en moi cette haine que le souvenir de Mila avait ravivé. Cachée derrière une large porte de fer, une petite fille me regardait, des boucles blanches tombant en cascades devant ses yeux gris. Elle avait l'âge de ma sœur le jour où je l'avais quitté. Contrairement aux autres gamin de cet endroit elle était en mesure de comprendre ce qui lui arrivait – sans doute maîtrisait-elle mieux le troisième œil que ses camarades torturés par H avant d'expirer – et cherchait à me faire un signe. Le doigt tendu vers le fond du couloir dans lequel nous avancions, elle murmurait quelques mots que je parvenais à lire difficilement sur le bout de ses lèvres.
« Garde… Passage… Homme en blanc… G… »

Charles me dévisagea, comprenant que mon cerveau venait d'entrer en ébullition, subitement. « Que se passe-t-il ?
– Homme en blanc… Passage… G…
– Pardon ?
– La petite fille me l'a... » Mais la fillette venait de disparaître de la porte derrière laquelle elle nous observait. À sa place se trouvait son corps sans vie, couché dans une mare de sang. Ses boucles d'un blond platiné était teintée de pourpre et je ne pouvais voir la véritable couleur de ses yeux. Face à la terre elle avait délivré son ultime souffle. « Garde… Homme en blanc… G… Passage… Homme en blanc… Garde… Passage…
– Jake !
– Passage… G…
– Jake ! »
Je secouai la tête et fixai mon père droit dans les yeux. « Concentrons-nous sur l'objectif, ordonna-t-il en reprenant la marche vers la porte. Nous verrons ensuite pour ce qu'elle voulait dire. »

Il s'avança sur ce vers notre destination au bout du couloir, l'air décidé. Charles n'était pas du genre à se laisser abattre, ni à être intimidé. Tirant de son dos le fusil d'assaut qu'il avait amené, il prépara un immense coup de pied qui aurait dégondé n'importe quelle structure. Sa force était herculéenne, nourrie par des heures et des heures de travail à la ferme, ses muscles sculptés par la rigueur de ces hivers passés à Rovia. Même la porte en acier qui protégeait la cache de H ne pourrait retenir toute sa puissance. Il allait entrer, tirer à vue sur tous les hommes de la pièce et arrêter H pour qu'il soit interrogé par l'Inquisition. On renverserait ainsi la tendance de la guerre et Aimé serait presque à nu. La libération d'Ermo aurait du se faire par ce simple coup de pied.
Mais ce ne fut pas le cas. Car, alors que la jambe de Charles se tendait en direction de la structure, sa gorge fut découpée, sa tête roula contre le sol froid et le costume blanc de son assassin se tâcha du sang de sa victime.

« Le pressing va encore me coûter un bras, pesta ce dernier en regardant la lame de son épée suinter du sang de mon père. »
C'était arrivé rapidement, comme dans un rêve. Charles s'était avancé, avait tendu la jambe et celui que la fillette avait auparavant appelé l'homme en blanc l'avait décapité d'un coup de sa lame. Il se tenait désormais entre moi et le corps de mon père tombant à genoux avant de s'effondrer. Dans son costume blanc agrémenté seulement d'une rose sur le torse, son visage en partie dissimulé sous un immense chapeau de même couleur, ne laissant qu'entrevoir un œil vide de tout sentiment, il faisait penser à un personnage tout droit débarqué d'une planche de bande-dessinée.
Sauf que ce n'était pas le cas. Lui venait de nulle part. Il était apparut derrière Charles pour le tuer, il savait précisément ce qu'il faisait et il avait usé pour cela d'un pouvoir qui me dépassait.

Sur le coup je ne ressentis rien face à la mort d'un être cher. Peut-être un peu de colère vint s'ajouter à toute celle qui s'était accumulée dans mon cœur durant la traversée. En vérité j'étais terrifié par ce qui m'arrivait : l'homme qui se tenait devant moi, le corps de la fillette plus haut dans le couloir et la présence de H de l'autre côté de la porte. Ma main, portée par un désir de vengeance et de survie, se glissa à ma ceinture vers l'arme de poing que j'y gardais. Mon adversaire vit mon geste et se mit à sourire stupidement. « Non, Don Jake, il n'est pas temps de tuer, non non non ! »
Je tendis l'arme, agacé par les manières du personnage, les larmes brouillant ma vision sans que je m'en rende compte et pressai la détente. Trois fois.
Les balles traversèrent le couloir et se fichèrent dans la porte. L'homme en blanc venait de repartir d'où il venait : nulle part.

L'idée de le manquer sans comprendre pourquoi fit monter en moi cette rage inhumaine à laquelle j'avais donné un nom : Aniya, celui de ce dieu fourbe, créateur des enfers qui avait un jour passé un accord secret avec une mortelle, celui qui nourrissait mon œil et mes pulsions.
Comment ? Comment il peut aller aussi rapidement et éviter mes balles ? Comment il a pu tuer si facilement Charles ? Charles… Mila… Élisa… Rovia… L'Ancien… Mathilde… La petite fille dans le couloir de Gefat… Combien encore de sacrifiés avant que cela s'arrête ? Combien de vies vont être prises avant de tout arrêter ?
Mais avant que ma colère ne s'étende une douleur traversa mon mollet droit. Baissant les yeux, je vis planté dans ce dernier la lame de l'homme en blanc. Je n'avais pas besoin de lever les yeux pour savoir qu'il s'agissait effectivement de lui. J'en étais persuadé, avant même qu'il ne plante son épée dans mon épaule, me faisant lâcher l'arme que je tenais pour tomber sur le sol, mes genoux allant se claquer contre l'acier teinté de pourpre.
« Yo pistolero, chantonna l'assassin. Tirer n'est pas jouer, gringo ! » Et il ajouta à sa petite musique une balayette qu'il plaça entre mes côtes, m'obligeant à chuter sur le flanc pendant que s'ouvrait au fond du couloir la porte devant laquelle étaient couchés les restes de Charles. Je savais qui allait en sortir avant même de voir son crâne chauve et ses grosses lunettes noires. Ses talons claquèrent sur le sol de fer et il avança dans ma direction.

« Un revenant. »
Deux mots. Après des années d'absence il revenait dans ma vie pour me lâcher deux mots, stupides et d'une banalité affligeante. Après tout ce temps, après le saccage de centaines de vie il revenait à moi pour ça ? Et quoi ? On en restait là ?
Un revenant. Tu n'as rien de mieux à dire que la réplique d'un personnage de série B, tu veux faire jouir la ménagère dans son salon ? Tu veux faire mouiller une gamine en âge d'avoir ses premières règles comme devant son boys-band préféré en concert à la télévision ? Elton, Mich, Bryan, Cole ! Je vous aime ! Vous, vos corps androgynes, votre coiffure de lopette et vos chansons téléphonées si copiées les unes sur les autres ! Et vos citations à deux balles du genre : « C'est pour toi, bébé. ». Si nulle qu'on en pâlirait, si mauvaise que si mon histoire était un roman, le lecteur fermerait le livre en se demandant ce qu'il venait de lire. C'est lui le méchant ? Un idiot incapable de montrer un minimum de charisme ? Un crétin ?
« T'as rien trouvé de mieux, tocard ? » Et lui de rire.

« Tu attendais quoi, Jake Bishop ? Des salutations en grandes pompes, une fleur, une fanfare et des applaudissements ? La foule est en délire, regardez le môme qui s'est enfuit de Fan pour revenir s'y jeter des années après ! Oh, non : mieux ! Tu veux des remerciements et des félicitations ? Ne me dit rien, tu es venu ici exprès pour ça, évidemment. J'aurais du me douter que tu n'avais pas changé. Tu es le même gamin arrogant qu'à l'époque, toujours à penser que les choses tournent autour de toi et que les autres sont tes jouets. Tu les entraîne avec toi dans tes idées de demeurés et ils finissent par en payer le prix pendant que tu fuis. Comme cette gamine que tu as fait mourir il y a quinze ans avant l'incendie. Et je n'ai pas besoin de te parler de ce qu'il vient de se produire, si ? ajouta-t-il en donnant un coup de pied au corps de mon père. »
Il parlait lentement comme à son habitude, rythmant ses paroles par des claquements de langue et le bruit de ses semelles compensées sur le sol du complexe. Son ton ne changeait pas pour une phrase exclamative ou interrogative, H se contentait de trouver le moyen de faire ressortir son dédain et son ironie par d'autres manières, comme un don qu'il possédait.
« Ta gueule... » Ces mots quittèrent difficilement mes lèvres, les douleurs dans mon corps étant de plus en plus intenses au fil du temps. Je savais que je venais de perdre la bataille, peut-être même la guerre et, sous le poids du supplice infligé par la mort de Charles et la lame que l'homme en blanc avait planté à deux reprises dans mon corps, ma haine me quittait pour laisser place à la peine et à la douleur. Des larmes assombrissaient mon regard et le sang qui défilait entre les striures du sol me donnait le tournis. Je montais sur un grand carrousel ;celui de la mort.
Et il tournait, tournait, tournait…

« Tu es faible, Jake. Tu es un enfant au potentiel immense mais qui est incapable de l'utiliser comme il le faut. Tu étais à Fan l'un de mes meilleurs éléments, un sujet de test parfait qui m'a permit d'en savoir énormément. Néanmoins tu n'étais pas le meilleur. Ton œil est trop fragile. »
C'est alors qu'un éclair me frappa de plein fouet. Je comprenais soudain qui se cachait sous le grand chapeau blanc dans mon dos, qui maniait cette épée et la manière dont il disparaissait soudain à ma vue.
« Monsieur G…
– Perspicace, répondit H d'un sourire. Tu comprends maintenant pourquoi Fan brûla. Ce n'était que pour révéler votre potentiel. Qui serait en mesure de fuir et par quel moyen ? Qui pourrait rouvrir ce don pour se protéger des flammes dans l'autre monde ?
– Je ne suis…
– Je sais : incapable de le faire. C'est pour ça que tu dois vivre. Car tu es faible mais prometteur. Et je ne peux pas crever un œil si beau, ce serait gâcher un énorme potentiel. Un œil comme le tien est trop rare pour être perdu. » Il s'approcha au-dessus de moi, si près que je pouvais sentir son haleine mentholée, affreuse odeur. « On doit te garder jusqu'à ton réveil. »
Il tira une seringue de sa poche, la prépara et planta l'aiguille dans mon poignet. Je ne pouvais rien faire pour l'en empêcher, évidemment. J'étais nu comme un vers, détruit, sans famille et sans ami à mes côtés. Et, avant de tomber dans le sommeil, baignant dans mon sang et le corps de Charles sous mes yeux, je vis cette tombe sur la colline, seule. Et à la lueur de la lune je lisais le nom gravé dans le marbre : Jake Bishop. Et le prêtre chantait un sombre cantique devant la procession des âmes que ma vie emporta.