IV - Reality show
6 septembre 18, 10h08, Route 1
Le producteur avait voulu lui envoyer une limousine, qu'il avait poliment refusée. Après tout, il lui fallait moins d'une demi-heure à pied pour atteindre la forêt de Jade, qui était le lieu du tournage, et puis, il avait besoin de se retrouver un peu seul. Il était donc sur la route, habillé d'un fin pantalon noir et d'un polo bleu marine. Il se demandait s'il n'avait pas fait de bêtise en acceptant la proposition. Enfin, après tout, ce n'était qu'un simple rendez-vous, ça ne l'engageait en rien. Malheureusement, ce n'était pas l'avis de sa mère. Il soupira et secoua la tête en repensant à ce qui c'était passé la veille.
5 septembre 18, 14h17, Bourg-Palette
- Maman ? Je peux te parler ?
- Bien sûr, mon chéri, j'arrive !
Délia posa la cuillère qu'elle tenait dans la main, s'essuya les mains sur son tablier et vint s'asseoir en face de son fils. Elle le regarda avec toute la tendresse qu'une mère peut avoir pour son fils. Sacha prit une inspiration et lui dit :
- Maman, tu sais, hier, je t'ai parlé de mon projet avec Pierre…
- Oui, mon canard, et tu sais que je te soutiens totalement.
- Je t'en remercie, mais j'ai besoin d'argent…
- Oh, mon chéri, il fallait le dire avant ! Je suis prête à t'aider, dans la mesure de mes moyens, bien sûr. Il te faudrait combien, au total ?
- Oh non, Maman, il n'est pas question que tu m'aides, c'est mon projet ! Non, j'ai trouvé un moyen de le financer moi-même. Mais comme je suis mineur, il me faudrait ton accord légal.
Il vit soudain les yeux de sa mère s'embuer. Elle lâcha dans un sanglot :
- Oh mon canard, mon petit bout de chou, j'ai déjà l'impression de parler à un adulte quand tu te comportes comme ça. Je suis fière de toi !
Sacha réprima l'agacement que provoquait le comportement de sa mère, puis reprit gentiment.
- Tu m'écoutes, maman ?
- Bien sûr mon chéri, dit Delia d'une voix étouffée.
- Voilà mon projet. Il ya quelques mois, pendant une cérémonie officielle de remise de diplômes de l'École Pokémon, un homme m'a approché. Il m'a dit être le père d'une des lauréats. Il a ajouté être producteur, et m'a dit qu'il avait un projet de téléréalité pour moi. Il voudrait m'enfermer…enfin me mettre dans une maison avec une fille qui aurait la charge de… me séduire.
Il avait prononcé toutes ces paroles de manière confuse et d'une seule traite. Il vit alors les traits de sa mère se durcir et il l'entendit dire :
- Sacha Ketchum, il n'en est pas question ! Je refuse de participer à cette spirale d'hyper-sexualisation des jeunes, tu m'entends ? Je trouve inadmissible qu'un enfant de onze ans rentre dans un jeu de séduction devant le pays entier, pour le simple plaisir de quelques abrutis avides d'images malsaines.
Sacha était abasourdi. Il adorait sa mère plus que tout au monde, mais pensait qu'elle manquait franchement de culture. Elle venait de lui prouver le contraire, et même si ça ne lui plaisait pas, il devait reconnaître qu'elle avait raison. Il tenta malgré tout de la convaincre.
- Maman, c'est mon seul moyen d'accomplir mon projet. Et ce projet, c'est l'unique méthode pour devenir un jour autre chose que « Sacha Ketchum, plus jeune Maître Pokémon de tout les temps ». Tu ne vas pas m'enlever ça, quand même ?
Il vit sur le visage de sa mère son dur combat intérieur entre sa morale et son instinct, qu'il lui disait de faire confiance à son fils. Soudain, il apparut clairement qu'elle avait pris une décision.
- Comme je te l'ai dit, je suis totalement opposée à ce système débile et cupide. Cependant, je donnerai toutes les autorisations nécessaires, et tu pourras tourner dans ton…programme.
- Merci, maman, dit simplement le garçon.
Il se leva, et sera sa mère dans ses bras, essayant de lui retransmettre tout l'amour et la gratitude qu'il éprouvait pour elle. Ils restèrent un moment enlacés, comme coupés du monde.
6 septembre 18, 10h11, Route 1
C'est avec ces souvenirs en tête que Sacha atteignit la route 2. Il serait bientôt arrivé. Que l'avenir lui réservait-il ? Il décida de remettre ses interrogations à plus tard et de voir ce que l'avenir lui réservait.
6 septembre 18, 12h08, Bourg-Palette
J'ai faim. Horriblement faim. D'ailleurs, je crois que je pourrais avaler un Rhinocorne entier. La mère de Sacha est en train de préparer le repas, qui devrait être prêt dans dix minutes, mais je crois que je vais mourir d'ici là. J'ai tellement faim que je commence à regarder avec envie les croquettes que Togepi est en train de grignoter à quelques centimètres de moi. Heureusement Pierre entre dans ma chambre, me tirant de mes rêves de nourriture. Je me redresse, lisse mon T-shirt et lui lance un regard interrogateur.
- Sacha vient d'appeler. Il a fini son rendez-vous avec le prod. Ils vont déjeuner ensemble puis il rentrera.
- Et ?
- Et c'est tout. Enfin non, c'est pas tout, dit-il d'un ton précipité, il m'a aussi donné le nom de la séductrice.
J'ai du mal à ne pas me redresser d'un coup. J'essaie d'avoir l'air le plus ennuyé possible, et je lui lance ?
- Ah, cool…
- Oh non, s'il te plaît, pas à moi, Ondine, je sais que tu crèves d'envie de savoir !
- Peut-être, je lance avec un petit sourire.
- Bon je te le dis ou on tourne encore autour du pot ?
- Vas-y.
- C'est Emily Vassiliev, la fille du producteur de l'émission, Nikolaï Vassiliev.
Je me précipite vers la porte, dévale quatre à quatre les marches de l'escalier, et rentre en trombe dans le salon. Heureusement, l'ordinateur est allumé. Je ne prends même pas la peine de m'asseoir et déplace fébrilement la souris vers l'icône du navigateur. Une fois la fenêtre ouverte, je tape le nom de la fille. Les photos qui s'affichent à l'écran me glace le sang.
Emily est belle. Très belle. Magnifique même. Des longs cheveux blonds cendrés, un regard vert lagon, des traits harmonieux, un corps…
Oh putain qu'est-ce qu'elle est bien foutue ! Je vois pas comment Sacha pourrait lui résister, et en même temps je peux pas lui en vouloir. J'éteins l'ordinateur et retourne lentement dans ma chambre. Pierre est toujours à la même place, et il me regarde avec compassion.
- Je suis désolé…
- Toi aussi tu as vu les photos ? C'en est presque drôle, hein ?
- Écoute, Sacha est…enfin je veux dire que…
- Te fatigue pas, Pierre…
Je m'assoie doucement sur le lit, face au miroir qui me renvoie mon image. Comment ferais-je pour résister face à une bombe pareille. En même temps, c'est pas comme si Sacha m'avait manifesté le moindre intérêt, à part en tant qu'amie. Voilà, c'est ça. Je suis l'éternelle bonne copine du crétin le plus génial de l'univers. J'en ai marre.
6 septembre 18, 13h24, Maison
Sacha mâchait lentement, écoutant avec intérêt Nikolaï Vassiliev raconter un. Si le dixième de ce que cet homme raconte sur sa vie est vrai, c'est un type passionnant.
- Et c'est comme ça que j'ai évité ce Crocrodil enragé et que je suis sorti du Parc Safari !
- Fascinant ! Dites, Monsieur Vassiliev…
- Je t'ai déjà dit de m'appeler Nikolaï et de me tutoyer !
- D'accord Nikolaï. Je voulais te poser une question. On ne va pas se mentir, il y a du trucage dans la téléréalité. Je voulais savoir dans quelle mesure j'allais être libre des mes faits et gestes, et quand j'allais devoir jouer la comédie.
- Non, non, tu n'as pas compris ! Si on veut percer dans la téléréalité aujourd'hui, il faut trois ingrédients indispensables : des invités de marque, un concept accrocheur et une totale franchise ! Des émissions qui parlent de parfaits inconnus, sur un sujet déjà vu et qui prennent les spectateurs pour des crétins, il y en a à la pelle !
- Vous voulez dire, que j'aurais une liberté…totale ?
- Bien sûr ! Le but ce n'est pas que tu tombes fatalement dans les bras de ma fille – même si, je ne vais pas te le cacher, ça augmenterais l'audience…
- Alors dans ce cas, est-ce que tu pourrais me rendre un service s'il te plait ?
- Tu voudrais que j'appelle ta mère pour la rassurer, c'est ça ? Il n'y a pas de problème, Sacha, je le fais dès qu'on a fini le repas.
- Merci, Nikolaï.
Décidément, ce producteur était vraiment sympa. Lui qui s'était imaginé un vieux bourgeois prétentieux, il se retrouvait face à un homme jeune, aux traits slaves et à l'accent légèrement marqué, qui le traitait presque d'égal à égal. Il faudrait qu'il pense à appeler Pierre pour lui donner des nouvelles.
6 septembre 18, 22h32, Arène de Jadielle, QG des Agents Avancés
James était confortablement installé dans un fauteuil, une cigarette aux lèvres. Il avait retiré sa tenue d'agent avancé pour revêtir un confortable pantalon de survêtement avec un pull. Ses paupières étaient lourdes, il était prêt à s'endormir quand Jessie débarqua dans la pièce.
- James ! Je t'ai déjà dit que ces conneries allaient finir par te donner le cancer, dit-elle en lui retirant la cigarette des lèvres.
Il ne voyait pas pourquoi Jessie se souciait de détails aussi anodins. Avec ses problèmes budgétaires liés à ses échecs à répétition, cela faisait au moins quatre ou cinq mois qu'il n'avait pas touché à une cigarette. Maintenant qu'il en avait à nouveau les moyens, il ne voulait plus s'en priver.
- En plus, rajouta-t-elle d'un ton sec, tu étais censé faire des recherches pour coincer le morveux, et je te retrouve avachi comme un Tadmorv asthmatique.
- J'ai cherché longtemps mais…j'ai…pas…trouvé, lâcha-t-il dans un baillement.
- Et bien tu n'as pas dû t'y mettre sérieusement, parce que ça ne m'a pas pris plus de cinq minutes de trouver une info intéressante. Et datée d'aujourd'hui, en plus. Allez, viens voir !
James se tira hors du fauteuil, écrasa sa cigarette dans le cendrier et se dirigea d'un pas endormi vers l'écran. Il parcourut rapidement des yeux la une brève, sûrement trouvé sur un site d'information en continu.
"Aujourd'hui, le producteur d'émissions de téléréalité Nikolaï Vassiliev a confirmé « une possible collaboration avec le Maître Sacha Ketchum pour une émission future. Le projet est en cours de négociation, et devrait être sur les écrans dans moins de trois mois […] L'émission se tournerait en quasi-direct, avec moins de vingt-quatre heures de délai entre le tournage et la diffusion » Ce mystérieux projet connu aujourd'hui sous le nom de « AAES » devrait donc bientôt être dévoilé au grand public, pour notre plus grand plaisir."
Un sourire étira le visage de James. Ils allaient l'avoir. Enfin.