Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Accord Secret de Xabab



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 24/03/2015 à 17:58
» Dernière mise à jour le 24/03/2015 à 20:27

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 30 : Remuer les cendres du passé
Il y a plus de vingt ans je fus déposé à cet endroit par un bus fantomatique. Je me souviens de cette nuit et de la fraîcheur hivernale qui y régnait. C'était comme dans un rêve.
J'étais descendu de la montagne en pente raide vers l'amoncellement de petites chaumières qui dans le temps formaient un paisible foyer du nom de Rovia. Et dans les rues de ce village j'avais fait la connaissance d'une fille de mon âge. Mila, ses cheveux roux se baladant au grès du vent, quelques bûches dans les bois. Elle était sortit pour les récupérer et alimenter la cheminée de la maison dans laquelle j'avais vécu à ses côtés. Avec cette famille... Avec la famille idéale.

Mais le temps avait effacé cette période comme s'il était un géant qui d'un souffle avait débarrassé le sommet d'une montagne de sa poudre blanche. Car il ne restait rien de Rovia, de Mila et de cette petite famille. Peut-être quelques souvenirs enfouis au fond de ma mémoire.
En contrebas de la montagne s'étendaient des ruines. Enfant je m'étais réfugié ici ; fuyant mon père, sa banque, la ville et toutes les complications de la vie. Ma lâcheté m'avait conduite ici, dans ce lieu qui appartenait désormais au passé. J'y avais trouvé tout ce dont un enfant pouvait rêver. Des amis, une famille et l'amour. Aucun contexte n'était plus parfait que celui-ci pour s'épanouir pleinement et je regrettais ce temps. Si je devais choisir une période de ma vie comme étant la plus belle, ce serait sans aucun doute celle-ci.

Mais en bas il ne restait rien que des masures privées de certains de leurs murs, de toits arrachés et de restes de fenêtres dont les verres recouvraient encore le sol. Dans les allées rampaient quelques pokemons sauvages qui avaient fait de ce lieu leur territoire après la fuite des hommes. Les enclos qui gardaient auparavant les bêtes étaient vides, les clôtures couchées dans des mètres de mauvaises herbes et les cultures ne ressemblaient plus à rien. Au loin le grand arbre sous lequel je mis un jour un coup de poing dans la face de Bruce penchait sur les décombres d'un pré, fatigué comme l'était le village qu'il avait toujours surveillé du haut de sa butte.
La maison de l'Ancien était détruite. Un mur manquait, le porche semblait encore couvert du sang qui avait été versé ce jour-là et je pouvais presque voir fumer le toit comme si j'y étais. L'école était nue au point que la classe dans laquelle nous avons travaillé si dur Mila et moi était à découvert. Il y avait là les restes seulement de cette époque. Quelques tables en miettes, un tableau qui pendait par son côté droit, des affaires scolaires qui pourrissaient sur le sol depuis des années...

Mais alors que je contemplais l'ombre du village, mon regard était attiré par la maison dans laquelle j'avais grandit.
Il s'agissait de la seule du village à laquelle il ne manquait rien. On voyait par endroits les travaux récents qu'on y avait fait afin de la faire paraître neuve. Malgré le soin de ces rénovations, certaines traces de ciment encore fraîche ne laissait pas de place au doute : elle avait été retouchée suite au massacre.

« C'est triste de voir comment tout a changé. »
Je me suis retourné calmement pour lui sourire. Elle a étiré ses lèvres, difficilement, me rendant ce geste. Puis elle n'est pas parvenu à ajouter quoi que ce soit et le silence est retombé. Je savais qu'elle désirait me tirer hors de ces ignobles souvenirs et je ne pouvais que la remercier de son attention. En revanche c'était impossible.
Car là où je me tenais cette nuit, exactement où le bus me laissa des années auparavant, sous un très vieux panneau d'indication en bois, se trouvaient deux tombe.

La raison pour laquelle elles avaient été creusé à l'écart du village et du cimetière qui se dressait sur l'un des pans de la montagne m'était inconnue. C'était Charles qui en était l'auteur. Quand il le fit je me trouvais déjà loin, forcé de rejoindre un orphelinat sur la côte ouest. À mes yeux c'était comme si je fuyais de nouveau, comme lors de mon arrivée dans ce village. C'était une course qui allait se poursuivre éternellement : échapper à une réalité menaçante qui me terrassait.
« Ce n'était pas ta faute, tu n'as pas désiré le laisser tout seul après cela, me rassura la voix dans mon dos qui lisait dans mes pensées. Je t'ai regardé longtemps t'en vouloir pour cela. Il ne faut pas.
– Si seulement j'avais pu...
– Tu ne pouvais rien faire. »

Je me suis retourné vers Mila, les poings serrés. Mes yeux dans les siens, j'ai tenté de lui tenir tête, ce que je savais impossible. Au fond je voulais m'en vouloir, comme si rejeter la faute sur moi allait guérir les plaies béantes que le passé avait laissé. De mes yeux coulaient quelques larmes que je tentais vainement de retenir.
Quand j'avais décidé de passer par cet endroit de la frontière pour gagner du temps, je savais à quoi m'attendre. Rovia, les vieux souvenirs, la tombe de Mila en haut de la montagne... Tout cela était prévu, tout comme la vague de sentiments qui ne manquaient pas de m'envahir. Mais sur le coup ce passage m'avait semblé comme un défi envers moi-même. C'était comme aller rechercher le pardon en remuant les cendres de mes souvenirs. Quelque part il me semblait que je devais en passer par là pour m'accomplir totalement dans ma quête.

« Jake... »
Et j'ai pleuré. Comme un enfant, comme un demeuré, comme un imbécile incapable de se retenir. Là, perché sur mon pan de montagne, j'ai chialé comme je ne l'avais jamais fait depuis des années, ne me retenant pas. Cette nuit-là je n'avais rien à cacher à ce paysage mort ni à celle qui se tenait devant moi. Alors au travers de mes larmes j'ai laissé sortir la lâcheté, la peur, la peine, l'amour et cette foule de sentiments qui me faisaient souffrir. C'était comme purger mon corps de toutes les épreuves endurées jusqu'à ce moment fatidique.
Pour la première fois depuis ce jour j'étais réellement confronté à la réalité et je ne voulais pas fuir ou redresser le menton. Pleurer me suffisait.

« C'est comme un vent qui passe au loin, murmura Mila en s'approchant. Au début il est léger et il le restera éternellement si on le laisse souffler. Mais, dès lors que tu tentes de l'empêcher d'avancer, sa puissance ne fera que grandir. Et au moment de se libérer il sera devenu une tempête. »
Mes sentiments étaient le vent décrit par Mila et la tempête la cascade de larmes qui dévalaient mes joues.
« Mais cela fait énormément de bien de laisser souffler le vent, ajouta-t-elle en riant. »
Et elle avait raison, encore une fois. Ses paroles ne mentaient jamais et ses mots frappaient la cible avec une justesse digne des plus grands archers.

« Merci...
– Inutile de me remercier, tu en fais énormément pour moi, chaque jour. Ta quête, garder tes esprits pour l'accomplir ; c'est énorme. Je ne suis là que pour te surveiller, parce que je ne me sentais pas prête à rejoindre l'autre monde en te laissant seul. Tu ne t'en sortirais pas une seconde sans mon aide, pas vrai ?
– Tu connais la réponse, répliquai-je en séchant mes larmes du revers de ma main.
– Elle me fait d'autant plus plaisir. »
Je voulais la serrer dans mes bras mais c'était impossible, pas tout de suite. Mon œil n'était pas assez ouvert pour que je puisse le faire de nouveau, il me fallait attendre un peu et m'exercer encore.

« Quand mon père viendra, dis-lui que je l'aime et qu'il n'a pas à s'en faire.
– Je ferai passer le message, ne t'en fais pas. Et je doute que ce soit nécessaire ; il le sait.
– Jake...
– Quelque chose ne va pas ? lui demandai-je en voyant sa mine devenir sombre.
– Promets-moi de veiller sur lui.
– Ne crains rien. Il est comme un père pour moi, sa vie compte autant que la mienne. Je ferais tout pour que les gens autour de moi ne souffre plus.
– Mourir ne le ferait pas souffrir, c'est bien cela le problème. Je l'ai observé et je sais ce qu'il ressent au plus profond de lui. Il s'agit de haine mêlé à de l'admiration. Il te suivrait au bout du monde pour se venger, il a confiance en toi. »

J'ai laissé le silence retomber. Elle s'est approchée de moi jusqu'à se trouver à mes côtés et a reprit la conversation : « Il n'est plus tout jeune. »
Cette remarque nous fit rire tous les deux, ce qui était un décalage complet avec la scène qui venait d'avoir lieu. Mais cela n'avait pas d'importance. « Pour le moment il regarde une cabane aux abords d'un champ plus loin, avec nostalgie. C'est celle du soir de la tempête, pas vrai ?
– Il y pense encore, ai-je murmuré en retenant une larme de joie.
– Et il n'est pas seul visiblement. Cette nuit vous aura rapproché plus que prévu. »
Alors je me suis tourné dans la direction de la jeune femme qui semblait flotter à mes côtés afin de lui montrer l'étendue de la joie qu'elle venait de faire renaître en moi. De l'espoir que suscitait son petit discours, il me semblait pouvoir en tirer des choses fabuleuses.
Et peu importait le nom gravé sur l'une des tombes, peu importait que ce soit le sien.

Car je voulais la sauver plus que tout au monde.