Chapitre 29 : Victor Kruger
« Ta négligence te perdra, Bruce.
– Je ne pouvais pas deviner que l'on tomberait sur une patrouille d'Ermo en plein port de Volucité. Il ne devrait pas y en avoir.
– On a enlevé et tué Cullen il y a une semaine, tu te doutes bien qu'ils ne vont pas laisser passer sans tenter quelque chose. Ils savaient qu'on reviendrait à Unys pour diriger la suite des opérations, une occasion de rêve.
– Ce n'est pas la peine de se prendre la tête pour si peu, on les a presque semé, intervint Bill qui se contentait de courir à l'avant sans rien dire.
– Hors de question qu'on ne fasse que les semer. »
Ma réponse pouvait paraître brutale mais l'état d'esprit dans lequel je me trouvais à ce moment-là me le pardonnait. Dès la sortie du port nous avions été interceptés par deux hommes armées. Ceux-ci nous attendaient ; ils connaissaient nos noms et savaient que nous faisions partie de l'Insurrection. Bruce, qui malgré son sourire à moitié terrifiant détestait la violence, s'était empressé de sortir son Smogo de sa balle afin de créer un nuage de gaz afin de couvrir notre fuite.
Mais cela ne suffisait pas à mes yeux. Il était bien trop dangereux de laisser ces hommes retourner auprès de leur maître après ce qu'ils avaient vu.
« Tu ne comptes tout de même pas t'en débarrasser ? »
Je répondis à la question de Bruce par un sourire gêné tout en tirant maladroitement une balle de mon sac à dos, ce qui n'était pas facile en pleine course. Et, d'un geste du poignet, je l'envoyai valser derrière les poubelles de la ruelle dans laquelle nous progressions. « Si, tu comptes le faire...
– Désolé mais tu me connais assez pour savoir que je ne prends rien à la légère. »
Il haussa les épaules. Après tout il savait parfaitement qu'il ne pouvait rien répliquer à cela, le temps que nous avions passé ensemble était assez important pour qu'ils puissent prévoir mes réactions et savoir qu'il ne pouvait rien faire pour m'empêcher de les prendre.
Bill était devant, nous guidant à travers les rues en évitant de se diriger vers le quartier général comme le prévoyait les mesures prises si nous étions un jour pris en chasse ; l'ennemi ne devait rien savoir de notre position. Il était de nous trois le plus rapide et celui qui avait le sens de l'orientation le plus affiné. Bruce perdait rapidement son souffle, le sport n'étant pas son activité favorite, et je devais de mon côté préparer la mise à mort de nos poursuivants dont les bruits de pas résonnaient dans notre dos, frappant contre les dalles pavés des ruelles.
« Ils sont rapide, remarquai-je, sans doute des membres des forces d'espionnage. Pas les meilleures mais pas les plus mauvais.
– Ils pourraient nous tirer dessus à tout moment s'ils nous rattrapent, commenta Bruce qui perdait rapidement son courage. J'espère que ton monstre va se dépêcher de faire le travail.
– Tu es d'accord pour que je m'en débarrasse maintenant ? »
Il ne répondit pas à mon sarcasme, se contentant de détourner le regard comme il le faisait lorsque sa fierté était en jeu.
Mais, avant même qu'il ait eu le temps de trouver au fond de son esprit tordu une réplique cinglante, des cris s'élevèrent dans la ruelle se trouvant derrière nous. La balle que j'avais lancé derrière un tas de poubelle s'était ouverte et le pokemon y résidant venait de faire son office. Un bruit de chute, un autre hurlement, un sifflement.
Voilà comment je pouvais résumer le combat inégal qui venait d'avoir lieu.
Dès les premiers cris Bill cessa de courir, sachant pertinemment que cela ne servait à rien. Bruce et moi fîmes de même.
« Il les a eu ? demanda bêtement le requin, toujours sceptique dans ces moments-là.
– Évidemment, andouille, lui répliqua Bill qui faisait demi-tour. Tu peux parier qu'il ne reste rien de leurs vies. Je n'aimerai pas me frotter à un seul membre de l'équipe de Jake sans avoir moi-même un pokemon à mes côtés. En se faisant prendre par surprise autant dire qu'ils n'avaient aucune chance de s'en sortir. »
Bruce haussa les épaules et soupira. « Des amateurs, j'aurai fait tout aussi bien.
– Tu pleurais presque ta mère pendant que l'on courait, s'amusa Bill en le montrant du doigt.
– Espèce de sale petit... »
D'un geste de main je les faisais taire. Car s'ils étaient occupés par leur dispute, qui n'était que l'une des innombrables qu'ils avaient à chacune de leurs rencontres, quelque chose occupait mes pensées et nécessitait toute ma concentration. « Jake... »
Je ne répondis toujours pas à Bill, me contentant de tendre l'oreille vers la ruelle où avaient été tués nos deux poursuivants, tout en tentant de percer l'obscurité. Quelque chose ne tournait pas rond. De un mon pokemon ne revenait pas, de deux je sentais une présence dans les recoins de la ville. Les deux agents d'Ermo n'étaient pas seuls dans les rues ce soir. Il y avait d'autres personnes entraînées qui parvenaient à se dissimuler à mes sens.
Un bruit de pas et le fait que mon pokemon ne revienne pas m'avaient mis sur cette voie. J'étais presque certains que nous n'étions pas seuls, avant même que celui qui nous avait pris en filature ne se dévoile à nous quelques secondes plus tard, laissant rugir sa voix tonitruante dans les ruelles de la ville.
« Quand s'ouvre l'œil... »
Ce à quoi je répondis le plus naturellement du monde : « ... se dévoile la porte d'un monde d'où les vivants rencontrent les défunts. »
Un silence suivit ma réponse à cet homme puis un rire venu de l'endroit où j'avais laissé la balle et le pokemon qu'elle contenait.
« Bienvenue à bord, monsieur Bishop. »
Un homme d'une stature imposante quitta l'ombre où il se cachait, suivit par deux soldats. Les trois étaient en uniformes mais celui qui s'adressait à moi arborait bien plus de médailles sur sa poitrine que les deux autres. Il avait le crâne rasé, portait fier les couleurs de sa patrie en déclin et laissait pendre dans son dos une mitraillette avec laquelle il avait sans doute déjà troué de nombreux corps. Cela faisait maintenant quelques années que je connaissais le capitaine Sanders et, malgré son air un peu farouche, il était de loin l'officier d'Unys que je respectais le plus.
« Capitaine, lui lançai-je afin de le saluer. C'est un plaisir.
– Pas de temps pour les formules de politesse, on vous attend immédiatement dans le coin.
– Nous n'allons pas au quartier général ?
– Le temps de réserver une salle et de réunir toutes les grosses têtes de l'Insurrection ? Si seulement on l'avait. Je crains que les deux idiots que votre pokemon a massacré ne soit pas seuls dans notre ville. C'était un gros coup de pied dans la fourmilière la semaine dernière. Félicitations. »
Et sans attendre une seconde de plus, car il était le genre de soldat dont la patience n'était pas la qualité principale, il désigna de la main l'Exagide qui se tenait derrière lui. « Bien dressé, je devrai recommander à l'armée d'utiliser cette espèce.
– Merci beaucoup. C'est l'un de mes meilleurs éléments. »
Il m'adressa un sourire pendant que je rappelai mon pokemon et m'emboîta le pas. « Bref, trêve de bavardage. On a une chambre d'hôtel à deux rues d'ici où tout est préparé.
– Tout ?
– Trois de vos hommes et les dirigeants du pays, du moins de ce qu'il en reste. Autant vous dire que pour le moment c'est mal partit pour qu'ils acceptent l'opération. Quand Charles a annoncé que votre cible se trouvait à Gefat je ne vais pas vous cacher qu'ils ont immédiatement refusé.
– On parle de H.
– Justement. »
Il continua à marcher pendant qu'ils débitaient les informations.
« Ce n'est pas un peu dangereux de parler de cela en pleine rue si d'autres agents d'Ermo sont après nous ? demanda brusquement Bruce d'un air blasé.
– Si, totalement. Mais je suis au regret de vous annoncer que le gouvernement d'Ermo est déjà au courant pour l'opération à Gefat.
– Au courant, comment cela ?
– Une taupe, monsieur Bishop. D'où les espions en ville. Ils savaient pour l'heure de votre arrivée et ils savent que vous visez Gefat. Le gouvernement doute de la pertinence d'une telle opération. Si H est au courant il ne restera pas là-bas longtemps. Il n'est pas stupide. »
J'ai failli m'arrêter de marcher tant la nouvelle me surprit. Une taupe ? Si c'était vrai alors je voyais mieux la raison pour laquelle Unys refusait de nous apporter son soutien. « Quelqu'un a identifié le traître ?
– Nous en parlerons mieux à l'intérieur, ajouta simplement Sanders en tendant la main vers la porte miteuse d'un vieil hôtel qui semblait fermé depuis des décennies. Tout le monde vous attend. »
La devanture était éteinte, la porte tombait en lambeaux et quelques volets pendaient bêtement aux deux fenêtres visibles de la rue. « Ici ? l'interrogea Bruce en fronçant les sourcils. »
Le capitaine se contenta d'ouvrir la porte et de nous faire signe. « Des hommes se déploient en ce moment dans le périmètre. On couvre cet endroit, vous n'avez aucune crainte. Ils ne peuvent pas se risquer à envoyer trop d'agents ici. »
Par un sourire je le remerciai de son soutien, ne parvenant à détacher mes pensées de l'idée d'un traître. Qu'il soit parmi nos alliés ne faisait que provoquer en moi un sentiment de colère inaudible. En revanche, rien qu'imaginer qu'il fasse partie de mes plus proches confidents provoquait en moi un hurlement tonitruant.
Mais dès mon entrée dans le hall de l'hôtel je chassai cette horrible pensée de ma tête. Ce n'était tout simplement pas possible. Personne autour de moi ne pouvait donner ce genre d'informations à nos ennemis. Ils n'en étaient pas capable. De plus, personne ici ne le ferait. Tout le monde avait trop souffert de cette guerre et des agissements d'Aimé pour oser se ranger de son côté et trahir ses pairs.
« C'est par ici, me montra Sanders en dirigeant son doigt vers une porte à l'arrière de la réception. Au sous-sol. »
L'entrée du petit immeuble faisait peine à voir. Les araignées étaient reines, quelques tableaux se cassaient la figure le long des murs et la peinture s'écaillait à de multiples endroits. Le bar sur lequel reposait une clochette qui n'avait sans doute pas été utilisée depuis des années était recouvert d'une couche de poussière si épaisse que l'on aurait pu y plonger sa main toute entière. Au fond, un petit escalier en colimaçon se découvrait entre deux pans de mur. Ce dernier donnait l'impression à celui qui désirerait y monter qu'il le paierait de sa vie, chaque marche semblant être un piège mortel pouvant se dérober sous le poids d'un homme. Et, au milieu de tout cela, caché derrière le comptoir, se trouvait une unique porte presque invisible si l'on ne regardait pas dans sa direction.
Sans attendre une seconde de plus nous nous dirigions nous quatre vers elle. Le capitaine Sanders l'ouvrit et nous fit signe d'avancer.
Derrière celle-ci se dévoilait un escalier sombre que seul une ampoule à la lumière pâle et fatiguée éclairait. Précautionneusement Bill prit la tête comme il le faisait toujours et Bruce lui emboîta le pas, ne voulant pas se trouver en reste de lui. C'était un fragment de la compétition qui existait entre les deux hommes et qu'ils ne pouvaient mettre de côté. Une habitude puérile d'après mon avis mais qui me faisait rire.
« Drôle de lieu de rendez-vous, lança la face de requin en s'appuyant contre les murs sales afin de trouver un appui dans l'obscurité.
– Le plus sûr que nous ayons, lui répondit Sanders.
– Étrange que les grosses têtes d'Unys acceptent de se réunir dans un endroit pareil. »
En vérité les grosses têtes d'Unys présentent sur le lieu de réunion n'était pas nombreuses et j'allais le découvrir rapidement.
Autour de la table circulaire installée dans le sous-sol de l'hôtel abandonné ne se trouvait que quatre hommes en costumes. Trois m'étaient totalement inconnu. L'un était petit, flanqué d'une paire de lunettes en écaille et ses cheveux étaient brossés en arrière. Il avait le regard timide, hésitant et ses pupilles semblaient fureter tout autour de lui en quête du moindre danger. Le type à ses côtés était plus grand que lui de presque une tête, ce qui n'était pas fascinant vu la taille du premier. L'air assuré et les épaules hautes, il comblait le manque de confiance de son collègue. Dès mon entrée il me fixa d'un air grave et sembla tenter de pénétrer mon intimité par le regard. Le dernier, pour finir, ressemblait à un homme d'affaire banal se rendant à son bureau un lundi matin. Grand, mince, froid et invisible. Voilà quelques mots qui auraient pu aisément caractériser le dernier visage inconnu de cette table. Un homme insipide dont on me révélerait plus tard sa fonction de patron de l'une des plus grandes entreprises d'Unys, et donc l'un des plus gros donateurs de l'armée.
Parmi mes hommes je pouvais compter Charles qui avait rejoins le pays quelques jours avant nous afin d'entamer les négociations. Il était flanqué d'Olivia, qui semblait se demander ce qu'elle faisait à une telle réunion, et de Christophe. Ce dernier gardait son précieux ordinateur devant lui, les deux mains sur le clavier, prêt à noter tout ce qui allait être dit, enregistrant en parallèle pour ne pas en perdre une miette.
Je les saluai d'un signe de tête et chacun me répondit avec un sourire, excepté Olivia. Mon alliée ne semblait véritablement pas enchantée de se voir rattaché à des négociations. Parler n'était pas son fort.
Mais l'homme qui attirait mon attention était celui qui se tenait en face de la porte et qui me salua à l'aide d'un signe du menton des plus froids. Comme d'habitude vêtu de son affreux costume violet et paré de sa monstrueuse cravate rouge, il ressemblait à un clown que l'on aurait retiré d'un cirque en le nommant soudain président.
Car Victor Kruger était le président d'Unys, en personne. Bien entendu il n'avait pas été élu par son peuple mais nommé par les dirigeants du pays en temps de crise pour reprendre en main la situation. Ce qui plaisait chez lui n'étaient pas ses cheveux gras, ses yeux cernés et sa tenue vestimentaire ; c'était sa manière de dire non dès qu'il voyait un risque. Il était le genre d'homme à retirer toutes ses troupes de la bataille si trois soldats étaient pris d'une soudaine gastro et que cela le mettait alors en infériorité. Il ne laissait rien au hasard et ne croyait pas à la chance car les statistiques faisaient pour lui tourner le monde entier.
Et il était surtout un extrémiste de pure souche et haïssait Ermo.
Si un espion était capturé sur le sol de sa patrie, il était exécuté sur ordre du président. Lors de son élection il avait annoncé devant tout le peuple qu'il ne considérait plus les habitants d'Ermo comme des humains et qu'il fallait répondre au sang par le sang, que la tolérance n'était plus permise. Dans cette guerre il avait perdu énormément. Des membres de sa famille, un pays qu'il chérissait et des amis par centaines. C'était un patriote et un homme à la volonté de fer qui pensait qu'il agissait pour le bien tant que c'était pour sa patrie.
Et sa présence venait comme un coup de fouet me faire comprendre une chose : la raison pour laquelle les négociations étaient si longues.
« Mes amis, voici monsieur Bishop, chef de l'Insurrection, annonça-t-il dès mon entrée. Voici les frères Terence, le capitaine Sanders que vous connaissez déjà ainsi que vos alliés. Bref, inutile de s'attarder plus longtemps sur des civilités et parlons directement de ce qui nous amène aujourd'hui. Prenez un siège, bien sûr. »
La chose qu'il ne fallait pas faire devant Kruger était de montrer le moindre signe d'intimidation. S'il se savait en supériorité alors il n'hésiterait pas à monopoliser la conversation. Et par conséquent à obtenir la conclusion qu'il désirait. Un débat contre le président d'Unys était une véritable bataille rangée sans merci.
« Gefat donc, poursuivit-il sans même attendre que tout le monde soit autour de la table. Sanders vous a sans doute mit au courant de la taupe qui actuellement se baladerait parmi vos rangs ou bien les notre. Vous savez sans doute que ce n'est donc pas bienvenue de se rendre actuellement à l'autre bout du pays. »
Autre spécificité du président que je haïssais et dont je venais de me souvenir en l'entendant parler : il ne posait jamais de question. Tout passait dans sa bouche par de l'affirmation pure et dure. Mais il fallait que je me calme pour le bien de l'opération.
« Je sais, répondis-je après avoir longuement pris mon souffle. Néanmoins avons-nous confirmation d'un espion parmi nous ?
– Aucune. Nos services ne sont pas encore arrivés à le déterminer. Le fait est que les ennemis savent que vous vous rendez à Gefat, pour retrouver H.
– J'ai essayé de lui faire comprendre que c'était une opportunité en or, lança Charles de l'autre bout de la table d'un air dédaigneux, lui aussi n'appréciant pas tellement le président d'Unys. Plus l'on attendra et moins on a de chance d'arriver à le capturer. »
Kruger lui lança un regard et se détourna immédiatement de lui, ignorant sa remarque avec le mépris d'un Tauros chassant de son derrière une mouche d'un coup de queue. « Vous voulez sans doute des armes et des hommes. Néanmoins j'ai trop peu des deux pour les envoyer en mission qui ne me conduira qu'à leur perte. Traverser Ermo est impossible et Aimé vous attendra à Gefat.
– Je ne compte pas traverser le pays en armes et faire franchir les frontières à vos hommes. Je n'ai besoin que des effectifs de l'Insurrection pour cette mission. Trois des hommes autour de cette table devraient me suivre au-delà de la frontière demain matin, aucun autre. Le reste des troupes dont j'ai besoin se trouvent sur place. Je suis maître, j'ai des privilèges et une campagne à mener dans tout le pays. Des centaines d'invitations sur des plateaux de télévision peuvent me donner des raisons de me rendre sur la côté ouest.
– Dans ce cas je ne vois pas en quoi l'aide de notre patrie vous est requise. »
Je serrai le poing sous la table.
« Je n'ai pas de contacts sur la côté ouest et faire voyager des armes serait trop dangereux. Ce que je veux c'est que le gouvernement pense que j'ai abandonné ma lutte pour le moment et que je fais ma tournée de maître. Ils ne peuvent m'attaquer car je suis devenu une figure public en les prenant par surprise, revenant d'entre les morts. Appuyer cette notoriété auprès du peuple pour assurer ma sécurité ne passera pas pour suspect. Mais j'aurai besoin d'armes dès que je serai près de Gefat. Et vous avez des contacts qui peuvent m'aider.
– Cela ne répond pas au reste : l'ennemi vous verra venir.
– C'est là qu'il faut être plus intelligent que lui et le prendre à son propre jeu. »
L'un des sourcils sur le front de Kruger se haussa. Ma détermination était sans faille et les filets que j'avais tendu au-dessus de cette table retombait mollement sur lui.
« Je connais H mieux que beaucoup de gens pour des raisons qui me sont spécifiques. Je sais quelle est sa manière de fonctionner. Il n'est pas inhumain, il a des faiblesses exploitables.
– Dites m'en plus.
– Sa curiosité est son plus grand défaut. C'est la raison pour laquelle il mène ses recherches. Il veut tout savoir sur l'œil et j'ai un appât pour lui. »
Kruger m'a fait signe de poursuivre. Les secondes de pause étaient volontaires, faire attendre faisait partie de la pression que je mettais au cours du débat.
« Vous savez ce qu'il s'est passé à Fan. Or vous savez aussi que j'essaie depuis de rouvrir mon œil. Il est ouvert et cela intéresserait notre ami. Avec du miel il est facile d'attirer les insectes. »
Je posai sur la table ma dernière carte, espérant que cela suffise au président d'Unys. Et, suite à un très long silence, ce fut le cas. Il donna son accord, se leva et quitta la salle sans un mot en plus. Il gardait la tête haute et ses pensées s'en retournait à des calculs incessants sur les probabilités de voir cette mission réussir.
La bataille était gagnée.
« Et maintenant ? demanda Olivia sans même se soucier des hommes d'affaires encore dans la salle qui avaient écouté sans rien dire et rangeaient désormais leurs affaires.
– Maintenant toi, Charles et Bill m'accompagneraient à Ermo. On repasse la frontière cette nuit, par voie terrestre.
– Tu n'y penses tout de même pas ? me demanda mon père adoptif dont le visage était soudain d'une pâleur extrême.
– Si, nous emprunterons le seul chemin non surveillé de la frontière dans quelques heures. »
Il le fallait, quoi qu'il en coûte. Unys venait de donner son approbation et il n'y avait plus une seule seconde à perdre. Et peu importe si je souffrais, peu importe s'il fallait repasser devant sa tombe et revivre cette scène. J'emprunterai le passage dans la montagne et contemplerai le village en ruines qui autrefois resplendissait sous le nom de Rovia.