II - Sortie d'affaire
1 septembre 18, 17h12, Azuria
Au début, ça avait été terrible. Quand Daisy, si souriante d'habitude, avait pris une mine grave pendant l'un de nos traditionnels repas dominicaux, j'ai su que quelque chose de terrible s'était passé. Elle s'éclaircit la voix et dit :
- Lily, Ondine, Violette, j'ai quelque chose à vous annoncer. Voilà, il y a quelques jours de cela, je suis allé passer des tests, et le médecin m'a dit que…
- Tu as un cancer, c'est ça ?
Je ne sais pas ce qui m'a pris de l'interrompre aussi brusquement. Je ne savais pas d'où venait cette colère en moi, qui me brûlait les entrailles et me donnait envie de fuir le plus loin possible. Daisy, très calme, me répondit avec un sourire triste.
- Oui, Ondine, en effet, j'ai un cancer. Un cancer du sein.
- Je suis désolée, je n'aurais pas dû…
- Réagir aussi brusquement ? Non, ne t'inquiète pas, je vais pas me fâcher pour ça, petite sœur, me dit-elle avec un sourire, cette fois bien moins triste que le précédent.
Je savais maintenant contre quoi était dirigée ma colère. Contre tout et n'importe quoi. Contre moi, pour ne pas avoir deviné plus tôt, contre Daisy, qui restait si calme dans un moment pareil, contre Lily et Violette, qui restaient silencieuses. Contre les émotions, qui me faisaient tant souffrir. Putain, qu'est-ce que j'aurai aimé ne rien ressentir, être délivrée de ma souffrance.
- On pourra rencontrer ton médecin ? intervint doucement Lily.
Pourquoi posait-elle une question comme ça ? Elle n'avait pas besoin du médecin pour confirmer que Daisy était bien malade, c'était évident, non ? Ses cheveux blonds, si brillants d'habitude, ressemblaient à de la paille, et ses beaux yeux verts ne luisaient plus de leur lueur habituelle. Comment avais-je pu être aussi aveugle ?
- Je veux dire, j'aimerai bien savoir comment va se passer ton traitement, et tout ça…reprit Lily, presque sur un ton d'excuse.
L'après-midi, nous étions toutes les deux assises chez le médecin, Lily et moi, Daisy ayant préféré rester à la maison et Violette était restée pour veiller sur elle. Le médecin, un homme bedonnant, la cinquantaine, nous fit asseoir. C'est étrange comme le métier que nous faisons peut marquer notre façon d'être. On voyait sur ce visage vieilli prématurément des traces de fatigue et de tristesse, comme s'il avait lui-même ressenti toutes les souffrances de ses patients.
Malgré tout, il nous sourit gentiment.
- Mesdemoiselles, je ne vais pas vous mentir, un cancer n'est jamais une mince affaire. Cependant, le cancer du sein est l'une des maladies graves les mieux traitées, il n'y a donc aucun souci à se faire. Mais votre sœur va subir un lourd traitement de chimiothérapie, et elle aura besoin d'énormément de repos. Vous avez, vous et vos deux sœurs, la charge d'une arène, c'est bien cela ?
- Oui, en effet.
- Je ne crains que vous deviez la gérer à trois. Comme je vous le disais, votre sœur aura besoin de repos et d'énormément d'attention. Il faudra que vous soyez présentes.
Il soupira, puis nous demanda si nous avions des questions. Devant notre hochement de tête, il nous raccompagna à la porte.
Sur le chemin du retour, Lily prit la parole.
- Je me demande comment nous allons nous en sortir.
- Pour l'arène ?
- Oui, nous avons déjà du mal à subsister, à quatre et en organisant des spectacles tous les soirs. Comment allons-nous nous en sortir ? J'ai bien peur que d'ici un an, au grand maximum, nous ne soyons contraints de fermer l'arène et de déposer le bilan.
Je restais silencieuse, ne sachant quoi répondre.
Je repensais à tous ces évènements, en préparant mon sac pour partir au Bourg-Palette. Je devais partir ce soir dans un train de nuit pour arriver demain à l'aube. Sacha rentrait dans deux jours et je voulais être là pour l'accueillir.
Je rangeais quelques paires de chaussettes dans ma valise quand j'entendais la porte de ma chambre grincer. Daisy se tenait sur le seuil, Togepi sur son épaule, un foulard noué autour de sa tête.
Tandis que Togepi se jetait dans mes bras, ma sœur me fit un sourire malicieux.
- Tu prépares ton sac pour partir chez Sacha ?
- Oui.
- Tu t'es enfin décidée à lui dire ?
- Ce que tu peux être bête…
Depuis que je lui avais avoué mes sentiments pour Sacha, elle passait son temps à me lancer des allusions, souhaitant apparemment que j'avoue mes sentiments à l'élu de mon cœur. L'élu de mon cœur… Écoutez-moi parler ! J'ai l'impression d'avoir cinquante ans ! Toujours est-il que je me refusais à lui dire. Parce qu'avant tout, Sacha était mon meilleur ami, et je n'avais pas envie de gâcher ça. Et puis, il semblait s'évertuer à ne pas saisir ce qui paraissait évident à tous les autres. S'il n'avait pas envie de voir que j'étais amoureuse de lui, c'est que ce n'était pas le bon moment.
- Tu es trop craquante quand tu rougis. Au moins, il y aura Pierre, tu ne seras pas obligée de te retrouver seule avec lui, dit-elle dans un rire.
- Oui c'est vrai, dis-je, et je décidais d'en rire avec elle.
- Ondy, je pourrais te demander une faveur ?
- Tout ce que tu voudras grande sœur.
- Je ne t'empêche pas de parler de nos problèmes financiers à Sacha, mais évite de lui parler de ma maladie d'accord ?
- D'accord, comme tu voudras.
Tandis que je finissais de ranger mes affaires, Togepi lâcha un petit cri triste.
- Toge-triiiiii !
- Oui, Togepi, excuse-moi d'être si triste, ne t'inquiète pas.
Je souris, me perdant dans la présence du petit corps chaud entre mes bras.
2 septembre 18, 10h11, Route 1
Au loin, le jeune homme apercevait les maisons du Bourg-Palette, au bout du chemin. Habillé de sa tenue habituelle de randonneur, une gourde et ses Pokéballs à sa poche, il marchait d'un pas décidé, profitant de la relative fraicheur du matin pour garder un rythme soutenu et arriver dans le petit village le plus vite possible.
Pierre avait hâte de revoir son ami Sacha, et de le féliciter pour toute cette célébrité. Il avait aussi hâte de revoir Ondine, qui était sa confidente et dont il était le confident depuis longtemps. Bien sûr, ils s'envoyaient régulièrement des lettres, mais pouvoir la serrer dans ses bras et lui parler de vive voix n'avait pas de prix. Car Pierre avait beau avoir 16 ans et une maturité d'adulte, il sentait toujours le besoin d'être réconforté de temps en temps.
Et puis, puisqu'il était de passage dans la région, il en profiterait pour consulter les agences immobilières. Il avait désespérément besoin d'une vaste propriété s'il souhaitait élever des Pokémons dans de bonnes conditions. Et sans terrain adéquat, pas de clients, et donc pas de revenus. Et il se refusait d'abandonner son rêve.
Il arrivait dans la rue principale du petit village, déserte. Il faut dire qu'un dimanche matin, par une telle chaleur, les gens préféraient rester chez eux. Même les boutiques étaient fermées. Faute de clients, les commerçants avaient préféré baisser le rideau de fer et se réfugier à l'ombre.
Au bout d'un certain moment, il quitta la route pavée pour s'engager sur un petit chemin de terre, et arriva en face de la maisonnette. Il toqua doucement à la porte, puis, sans attendre de réponse, pénétra dans le hall d'entrée. Entendant du bruit dans la cuisine, il s'y rendit et y trouva Delia, la mère de Sacha, en train de cuisiner ce qui avait l'air d'être un délicieux rôti de Tauros.
- Pierre, mon grand, comment vas-tu ?
- Bien, et vous Mme Ketchum ?
- Oh, appelle-moi Delia, voyons ! Tu as fait bon voyage depuis Argenta ?
- Excellent. Il n'y avait personne sur les routes, je l'ai fait en moins de trois heures.
- Oh, tu es parti si tôt ? Tu dois avoir envie de te rafraîchir alors ! Viens, je vais te montrer ta chambre.
Elle posa sa cuillère et l'emmena au premier étage.
- Vas déposer tes affaires dans ma chambre pour l'instant, tu es dans la même chambre qu'Ondine, mais elle dort, la pauvre, elle a fait le voyage de nuit. Tu iras les transférer dans ta chambre quand elle se réveillera. La salle de bain est au fond du couloir, si tu as envie de te doucher, et j'ai quelques livres sur l'élevage Pokémon dans la bibliothèque de ma chambre, si ça t'intéresse. Je t'appellerais quand le repas sera prêt. En attendant, si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas !
- Merci Delia.
Elle repartit vers les escaliers, laissant Pierre seul à ses pensées. Sacha avait vraiment de la chance d'avoir une mère pareille. Douce, attentionnée, même son étrange voix chantante la rendait sympathique. Il posa ses affaires et se glissa sous la douche. Détendu par le jet chaud, il se dit que ses recherches immobilières pouvaient bien attendre demain.