Accord Secret de Xabab

« Pas cette fois, me lança le vieil homme lors de notre dixième rencontre. Je pense qu'il est plus que temps de laisser de côté la méditation et de passer à autre chose. Tu as fait assez de progrès dans ce domaine pour le moment.
– Enfin...
– Ne te crois pas tiré d'affaire pour autant, l'exercice est loin d'être terminé et je compte remettre le couvert dès la prochaine séance. Néanmoins tu n'y auras pas droit aujourd'hui. Nous allons nous concentrer sur une autre phase de ton apprentissage, tout aussi importante. »

Rien que ces mots suffirent à me faire frétiller d'impatience. Enfin la méditation allait être laissée de côté car, même si j'avais fini par m'y accommoder et y trouver mon compte, je ressentais sans arrêt le besoin d'aller plus loin dans l'entraînement. Bien entendu j'avais cessé de me plaindre à chacune de nos rencontres sur les méthodes de l'Ancien. J'avais compris que c'était inutile d'insister et que je terminais inlassablement la tête dans un mur de béton. Ainsi je me taisais, attendant le moment où il me serait permit d'en savoir un peu plus.
Et ce moment était enfin arrivé.

« Nous allons nous concentrer sur quelque chose dont je t'ai déjà parlé, un élément qui permettra de t'enfoncer plus profondément dans ton esprit lors de nos futures séances de méditation. Et sans pour autant y employer plus de forces que maintenant.
– Vous ne pouviez pas m'en parler avant ? demandai-je, un peu frustré.
– Non. Il fallait que tu franchisses les étapes préliminaires avant d'arriver à celle d'aujourd'hui. Quand tu prépares un gâteau tu ne commences pas en mettant la farine dans le four. »
Sa façon de toujours tout ramener à la nourriture, et plus particulièrement aux pâtisseries en tout genre, avait le don de me faire sourire. Néanmoins cela ne permit pour autant à ôter de ma gorge le goût rance laissé par ses précédentes paroles.

Sans attendre une seconde de plus, le vieil homme plongea sa main dans une pochette posée sur le sol à côté de lui et en tira un objet cylindrique que je connaissais bien pour en avoir longuement rêvé.
« Pokeball... »
Le vieillard la posa sur le sol sans un mot, la fit rouler dans ma direction et m'indiqua d'un signe de tête que je devais m'en saisir.
« Elle est pour toi, considère cela comme un cadeau de ma part. »

Sceptique je m'emparai de l'objet et le portai à hauteur de mon regard, m'attendant à quelque chose de spécial. Mais rien ne me frappa, c'était une balle, tout ce qu'il y avait de plus ordinaire. Elle ne différait en rien des trois que j'avais acheté avec ma sœur des mois auparavant et que je gardais tout précieusement dans le sac avec lequel j'étais arrivé à Rovia, rangé sous mon lit.
« J'ai déjà des balles, maître. Trois pour être plus précis. Je les avais acheté en ville avant de prendre la fuite et elles font partie des seuls objets que j'ai emmené avec moi dans ce village. Je ne peux pas accepter...
– Tais-toi et appuie sur le bouton au centre, m'ordonna l'Ancien en réponse, gardant inlassablement sur son visage l'air placide qu'il arborait durant les séances d'entraînement. »

Bien entendu dès ce moment j'eus l'impression qu'il était en train de m'offrir mon tout premier pokemon, celui que j'avais espéré capturé tout seul, celui dont j'avais rêvé tous les mercredis après-midi, assis dans le fond du bureau de mon père à me ronger les ongles. Je sentais arriver l'accomplissement de mon désir le plus secret, celui qui était né lors d'un combat de rue, un jour de chaleur intense où l'on suffoquait entre les immeubles de la capitale. Mais ce sentiment de bonheur ne se trouvait qu'au plus profond de mon être, enfouis sous des tonnes de scepticisme.
Car sur le moment je ne pensais pas cela possible et je réfléchissais à tout ce qui pouvait sortir de la balle autre qu'un pokemon.
Quand on parvient au seuil de son rêve le plus fou, on a toujours du mal à réaliser qu'il est sur le point de s'accomplir. Et, alors que j'appuyais sur le bouton centrale, ma main tremblait à la fois de peur et d'excitation.

Quand le rayon blanc eut envahit la pièce et que mes yeux se furent remit de cet éclat de blancheur, je découvris mon nouveau compagnon.
C'était pour ainsi dire un pokemon que je n'avais jamais vu et qui me surprenait beaucoup. Pendant mes divers songes à propos de la carrière de dresseur que je rêvais de mener dans le futur, il m'était souvent arrivé de me demander quel serait la nature de mon tout premier compagnon ; c'était le cas de nombreux gamin de mon âge.
Il y a une politique visant à réaliser dans tout le pays le rêve d'enfants voulant devenir dresseur. Lors de l'année des treize ans, l'académie fait passer un test d'aptitude à tous les écoliers d'Ermo visant à définir leurs capacités pour le dressage. Dix jeunes adolescents sont alors désignés par régions et se voient décerner leur premier pokemon, en échange de quoi ils doivent faire quelques recherches pour la communauté scientifique du pays en répertoriant les diverses espèces qu'ils rencontrent dans une encyclopédie portative : le Pokédex.

Mais les pokemons distribués lors de cet événement sont toujours les mêmes, chaque année et pour chaque gagnant. Unys et Ermo étant à la base un seul et même pays, les pokemons distribués dans les deux états sont respectivement Gruikui, Vipélierre et Moustillon. Un triangle de type parfait et des compagnons idéals pour les débutants.
Ainsi ce n'était pas rare que mes songes me portent vers ces trois pokemons. Et j'imaginais que l'un des trois serait le premier à se trouver à mes côtés. J'avais longuement réfléchis sur lequel des trois serait mon favori sans jamais me décider. Et voilà qu'aujourd'hui le vieil homme m'ôtait cette peine car ce ne serait pas un compagnon pour débutant que j'allais avoir avec moi, je n'avais jamais vu ou entendu parler de cette créature.

Le premier mot qui me vint à l'esprit une fois en face de cette dernière fut étrange. Et c'était le moins que l'on pouvait dire à son sujet. Il ressemblait à une sorte de fantôme pourvu de trois bras qui portait un masque en or trop lourd pour lui. Le pokemon semblait aussi avoir deux visages. L'un sur son spectre, représenté par deux immenses yeux rouges, l'autre sur le masque. La tristesse qui se dégageait du second me gênait d'ailleurs étrangement, comme s'il parvenait à transmettre toute sa peine à l'aide de son regard.
« C'est un Tutafeh, me lança mon maître en souriant. Et afin d'ôter tout de suite tes doutes : oui, je te l'offre. »

Une vague de chaleur s'empara soudainement de moi. Ce n'était plus simplement une idée, un désir ou une folie ; c'était une réalité. J'étais devenu à partir de cet instant précis un dresseur de pokemon. Et le petit être étrange qui brandissait devant moi son masque de clown triste était mon nouveau compagnon.
Néanmoins ma joie retomba rapidement, supplantée par la foule de questions qui venaient prendre place dans les fauteuils de mon esprit. Pourquoi ce cadeau et quel était le rapport avec ce que nous faisions ici, avec mon entraînement et avec le troisième œil.
Je n'attendis pas pour mettre mes pensées à l'oral et le maître me répondit sur le champ, d'un ton très calme, comme s'il avait préparé sa réponse la veille de notre rencontre et ne faisait que la réciter. Ce qui venant de lui était fort probable.

« Il s'agit de la pierre de voûte de l'entraînement. Tu te souviens sans aucun doute de notre première séance et de mes paroles à ce moment-là. Je t'avais signalé que les pokemons allaient prendre une place importante dans la maîtrise de ton pouvoir et il est grand temps de rentrer dans le vif du sujet. Et pour cela tu dois devenir dresseur, entrer en osmose avec ton compagnon et le garder toujours auprès de toi. Mais pour cette tâche je ne me fais pas vraiment de soucis, les gamins de ton âge ne rêvent que de cela et certains tueraient pour être à ta place aujourd'hui.
– Vous voulez dire que la prochaine phase de l'entraînement consiste à devenir dresseur ? vérifiai-je sans cacher la vague de bonheur et d'excitation qui venait de m'envahir.
– Exactement. Et nous allons commencer dès maintenant. En sachant qu'il s'agit là de tes premiers devoirs maison. J'entends que tu devras avoir évolué d'ici la semaine prochaine et être capable de me prouver que tu es un jeune dresseur digne de ce nom. »

Il me lança un sourire d'encouragement avant de passer la main dans un pli de sa veste et de tirer à son tour une balle sur laquelle il appuya. De son côté il fit apparaître un pokemon que je connaissais bien et qui était souvent vu dans les foyers, apprécié pour sa compagnie et son indépendance.
« Un Léopardus, récitai-je comme une leçon en voyant s'avancer le chat violet dans ma direction. Il est plutôt rapide et agile en combat. Néanmoins les gens s'en servent bien souvent simplement dans le but d'égayer leurs foyers.
– Très bien, je vois que tu as certaines connaissances sur le sujet. Maintenant passons à ce qui nous intéresse vraiment : la raison pour laquelle nous avons besoin de ces créatures en vue de la maîtrise de notre don. »

Évidemment je n'avais pas la réponse à la question et toutes les pistes que je pouvais poursuivre me semblaient obscures. Pendant que je réfléchissais, mon nouveau pokemon s'était rapproché de moi et me contemplait d'un air curieux, comme s'il tentait d'évaluer mon potentiel. Je coupai court à mes réflexions pendant quelques secondes pour lui adresser un regard attentionné et un sourire, ce à quoi il répondit en se frottant à moi.
« Il t'aime déjà beaucoup visiblement, l'entraîner sera une partie de plaisir, me gratifia le vieillard en attendant ma réponse. Pour ce qui est du reste je vais te donner deux indices : je n'ai pas décidé de t'offrir un pokemon au hasard et il a un point commun avec le mien que tu ne dois pas négliger. »

Un point commun ? Facile à dire mais je ne le voyais absolument pas. Ils ne se ressemblaient pas, n'avaient sans doute pas les mêmes capacités physiques et psychiques, ne maîtrisaient pas du tout les mêmes attaques, n'avaient pas le même niveau, n'étaient pas du même type, n'avaient pas...
Même type.
La réponse venait de m'apparaître au fil de mes pensées, cachée derrière une réflexion que je venais de me faire. En effet ils n'étaient absolument pas du même type mais ce n'était pas pour autant qu'ils n'avaient rien à voir.

« Leurs deux types ont un lien avec les arcanes et le mystique.
– Exactement, je ne m'attendais pas à une réponse aussi rapide mais mon élève est plus malin qu'il n'y paraît. Comme tu l'as si bien dit leurs types reflètent l'autre monde, celui que nous regardons tous les jours à l'aide de notre troisième œil. Tout d'abord il n'y a que trois types capables de cette prouesse : spectre, ténèbres et psy.
– Je ne vois pas en quoi ils peuvent nous aider pour autant.
– Ce sont des catalyseurs, capables de concentrer tes pouvoirs pour te permettre de les utiliser au mieux et de parvenir à fermer l'œil quand tu ne veux pas voir au travers. C'est la raison pour laquelle je ne suis entouré que par des pokemons représentants ces trois types, ajouta-t-il en relevant son manteau et en découvrant les trois balles accrochées à sa ceinture. »

Des catalyseurs... Alors voilà où le vieux voulait en venir depuis le début avec son histoire et voilà le rôle des pokemons. De plus ces derniers allaient me permettre de fermer le troisième œil les jours où je ne voudrai pas l'utiliser ; c'était l'un de mes vœux les plus chers au monde.
« Ne pense pas pour autant que ce sera facile, reprit l'Ancien en rabattant la joie que j'étais en train de me faire dans mon esprit. Tu as beaucoup de chemin à parcourir avant d'arriver à ce stade et ne compte pas sur moi pour te fournir le reste de ta future équipe. Un dresseur capture ses pokemons, ce ne sont pas des cadeaux mais les résultats d'un effort quotidien. De plus il m'est impossible de canaliser l'énergie du troisième œil à ta place et tu vas devoir découvrir comme faire seul.
– Je vais devoir m'entraîner.
– Exactement. Tu vas devoir te battre tous les jours, apprendre à maîtriser Tutafeh, remplir les trois balles que tu caches sous ton lit et pouvoir un jour espérer m'affronter sans pleurer. Voilà la suite de ton entraînement. »

La joie retomba aussi rapidement qu'elle était montée. Même si je préférais cela aux longues séances de méditation et que j'étais excité à l'idée d'en découdre aux côtés de mon nouveau compagnon, le vieillard venait de me prouver que ce n'était pas chose facile.
« Je n'arriverai pas à m'entraîner tout seul, tentai-je d'avancer comme argument, et tous les gens du village qui possèdent des pokemons n'auront pas le temps de combattre.
– J'ai déjà résolu ce problème, me répondit mon maître en souriant. »
Je lui lançai un regard sceptique quand la porte claqua dans mon dos. Des pas légers résonnèrent et une voix féminine que je connaissais sur le bout des doigts résonna.
« On mange ce goûter, papi, ou je dois d'abord écraser mon nouveau rival ? »
Mila, fidèle à elle-même.