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» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 11/01/2015 à 00:25
» Dernière mise à jour le 03/05/2015 à 00:46

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Chapitre 10 : À charge de revanche
Le lotissement dans lequel nous habitions se trouvait en bordure de la forêt. Et c'est dans cette dernière que j'ai plongé tête baissé, traînant l'une de mes jambes derrières moi.
Je ne savais pas combien de temps mettraient mes parents pour se rendre compte que j'avais disparu. Une minute ? Une heure ? Le verrait-il avant le coucher du soleil, ma sœur allait-elle revenir sur sa décision et tout balancer ? Non, je doutais de la dernière proposition ; c'était tout simplement impensable.

Le fait est qu'ils ne m'ont pas cherché tout de suite. D'ailleurs j'ai été trop longtemps coupé du monde pour savoir s'ils l'avaient fait. En partant de la maison familiale, je disais aussi adieu à la télévision, aux journaux et à toute forme d'informations pour une dizaine d'années. Jamais je ne verrai d'annonce portant mon nom, d'alerte enlèvement, fugue, de photo de moi au grand journal... Ni le témoignage de mes parents affligés par le drame – ce dont je doutais de la part de mon père – ni celui de ma maîtresse expliquant que j'ai toujours été un enfant intelligent et bien intégré.
Il s'asseyait et m'écoutait parler pendant des heures sans rien dire. Il écrivait, répondait à mes questions et était doué pour ça. Je suis sous le choc.

Je ne verrai pas l'affaire se tasser quelques semaines après quand la police déposerait le bilan sans avoir retrouvé la moindre trace de ma fuite. Qui aurait cru qu'un gosse pouvait en moins d'une nuit disparaître à plus de quelques centaines de kilomètres ? Qui aurait cherché aussi loin, même des années après.
Quand j'ai refait surface des années plus tard, j'ai appris que j'étais officiellement décédé.
La procédure s'enclenche quand nous restons autant de temps sans nouvelles, monsieur. Vous avez eu une cérémonie d'enterrement il y a déjà sept ans de cela, huit ans après le lancement de l'avis de recherche. La procédure de réhabilitation sera sans doute longue, compter quelques années, mais si vous êtes réellement celui que vous prétendez être, nous allons y parvenir.

Mais pour le moment je me moquais bien de ce qu'il se passerait dans le futur. Je m'en foutais de ce vieux con avec ces lunettes en écailles qui me fixerait avec l'air de dire que je n'étais rien de plus qu'un imposteur. Je me moquais de remplir de la paperasse, d'attendre de recevoir une carte d'identité, de retrouver officiellement mon nom.
Je voulais simplement fuir le plus loin possible de mon père, de sa banque de merde et de cette capitale puante dans laquelle je me rendais tous les matins. Je voulais être autre chose qu'un banquier fou capable de voir les morts.

Et pour cette raison je me mis à courir au travers de la forêt. Il faisait froid et le pull que j'avais enfilé ne suffisait pas à me réchauffer. J'ai pressé le pas afin de me procurer une chaleur factice, me moquant de mon genou qui me lançait à chaque seconde. Une branche m'a griffé le visage, j'ai manqué de glisser avant de me rattraper en mettant en avant les paumes de mes mains. J'ai senti de la boue et des feuilles mais je n'y ai pas prêté attention.
Je me suis relevé et j'ai repris ma course. La nuit était tombé depuis seulement deux heures et j'avais l'impression, au fond de cette forêt, qu'elle était éternelle.

La peur m'envahissait à chaque instant. Je pouvais à peine discerner où j'allais, ne voyant pas au-delà des quelques arbres se trouvant devant moi que les étoiles éclairaient. Il n'y avait pas de nuage pour les couvrir, j'avais au moins cette chance.
Courir dans une forêt la nuit est l'une des pires choses que je n'ai jamais vécues. Dans le silence qui m'environnait, chaque son me menaçait. Que ce soit le simple cri d'un Noarfang en haut de son arbre ou le craquement d'une branche ; tout était danger. Je ne savais pas ce qui pouvait se montrer au prochain détour, caché derrière le tronc d'un arbre, attendant la bave aux lèvres que je passe devant. Un prédateur pouvait se cacher, rôder, traquer et tuer.
Et quand bien même il n'y avait rien de dangereux, étant enfant, on s'imagine toujours le pire dans l'obscurité.

Mais je n'ai pas cherché à comprendre malgré mon cœur battant. J'ai continué d'avancer sans me poser de question. S'il y avait un monstre qui m'attendait sur une branche, le pelage noir indétectable par mes yeux, qui se jetterait sur moi au moment où je passerai en dessous. Alors il me tuerait, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Il enfoncerait ses griffes dans ma chair d'enfant, me tailladerait avant de dérouler mes tripes sur le sol. Il croquerait quelques morceaux et aurait terminé avant même de se rendre compte qu'il avait commencé son repas ; je n'étais pas assez gros pour faire un bon goûter nocturne.

Il n'y a rien, me suis-je dit pour me rassurer alors que je continuais d'avancer tout droit, rien du tout. Tu es seul au beau milieu de la forêt, seul. Pas de monstre, pas de bête.
Mais le courage ne revint pas. Mes jambes continuaient de s'élancer tout droit, faisant parfois un détour pour éviter un arbre. Mes muscles agissaient de façon machinale, comme s'il s'était s'agit d'un robot. D'un côté mon corps continuait de fuir, de l'autre mon esprit priait pour que tout cela s'arrête.
Depuis combien de temps avais-je quitté la maison ? Les secondes s'étalaient en minutes qui se changeaient en heures. Et la forêt s'étendait au fur et à mesure que je poursuivais ma course de sorte à ce que je n'en vois jamais le bout. Le temps comme l'espace n'avait plus de logique. Et j'étais esclave de cette folie qui brisait les codes du monde sensé.

En partant j'avais dit non à la vie que j'avais toujours connue. Avec ses règles, sa belle maison, son gentil papa prêt à vous passer le flambeau. En sautant par la fenêtre je crachais sur tous ces principes, sur la banque, sur mon chemin tout tracé ou encore sur l'école. Je rentrais dans un univers de chaos, je rejoignais les âmes des défunts que je voyais. Ma vie, ce monde... Tout ce que je connaissais était voué à changer.
Et cela commençait maintenant.

L'inconnu m'effrayait. Que ce soit la forêt, ce qui m'attendait une fois dehors, ma carrière de dresseur ou la façon dont mon sixième sens allait se développer dans les années à venir ; rien dans l'avenir ne me rassurait.
Les ombres semblaient glisser autour de moi, les ténèbres s'emparaient de l'univers. Soudain la douleur dans mon genou redevint une réalité, je manquais de tomber à plusieurs reprises, je me cognais aux arbres... Puis j'ai senti mes forces me quitter.

Une racine en travers du chemin et un moment de faiblesse. Voilà ce qu'il fallut pour que je me retrouve à faire un vol plané au milieu des bois. Je suis tombé, face contre terre. J'ai senti de la boue sur le côté gauche de mon visage sur lequel j'ai atterrit. Heureusement à part ça et quelques feuilles morts il n'y avait rien pour me faire mal sur le sol.
J'ai soufflé, peinant à redonner à mon cœur un rythme normal, et je suis resté là sans rien faire. Me contentant d'écouter le calme qui revenait tout autour, j'avais l'impression que tout ce que j'avais entendu ne fut que le fruit de mon imagination, que les bruits de la forêt se basaient sur les battements de mon cœur. Plus il allait vite, plus le silence se brisait.

Maintenant je me trouvais dans un havre de paix, coupé du reste du monde. Pas un cri, pas une parole, pas même un murmure.
C'est pour le silence que je suis resté couché dans la boue, le sac contenant mes affaires tombé un peu plus loin. J'aurais tout le temps pour le récupérer. Il fallait que je me repose. J'étais loin de chez moi, loin de mon père ; à l'abri.
Tout cela n'est plus qu'un mauvais souvenir. C'est ici que ta vie commence, celle de dresseur pokemon. Il te suffit de trouver un endroit à toi, une famille même et suivre ta route. Pas celle que ton père t'a imposée mais la tienne. Tu avances sur ton chemin désormais.

Je réalisais pour la première fois ce que cette fuite signifiait. Là, seul, couché dans la boue, dans le froid, j'avais enfin la possibilité de décider seul de ce que je voulais faire plus tard. La liberté prit possession un instant de mon corps et je me sentis pousser des ailes. Prêt à m'envoler, à me lancer dans les airs jusqu'à toucher le soleil. Je pouvais tout faire, donner lieu au plus petit de mes désirs car je n'avais aucune limite.
Puis, aussi rapidement qu'elle arriva, cette pulsion retomba brusquement. Et ce fut la place aux larmes, aux sanglots dans le noir.
Car j'étais seul, perdu au milieu d'une forêt, ayant lâchement abandonné ma petite sœur. Sans personne pour m'épauler, sans endroit où aller.

Et d'un coup je passai de la joie aux larmes, deux états contradictoires qui s 'affrontaient au fond de moi. J'étais seul.
« Pourquoi tu pleures, cousin ? »
Je n'ai pas prêté attention à la voix d'enfant qui m'interpellait. Ce n'était qu'un autre bruit de la forêt, tout ce qu'il y a de plus banal. Pourquoi s'y arrêter ? Un autre de ces stupides sons que j'interprétais à ma manière, pensant voir des monstres surgir du coin des arbres. J'ai continué à pleurer sans tenir compte de mes hallucinations sonores.
Mais elles ne voulaient pas me lâcher.

« Allez, relève-toi, tu vas être sale. Je voudrais bien t'aider mais je doute que l'on soit du même monde. Je ne te toucherai pas. »
C'est là que j'ai commencé à penser qu'elle n'était pas seulement du ressort de mon imagination à l'image des monstres des bois. La voix qui me provenait était réelle, claire et ne pouvait être dans ma tête. J'ai relevé les yeux et je l'ai vu, perché sur une souche d'arbre au-dessus de moi, me souriant. Et, comme l'homme qui dans la rue m'avait donné un geste de soutien lorsque je portais les livres de mon père, l'enfant qui se trouvait avec moi au fond des bois me voyait.
Nous n'étions pas du même monde et pourtant il savait que les barrières qui nous séparaient se brisaient.

« Ne fais pas cette tête, me lança-t-il en continuant de sourire. Commence par te lever et prend ton sac. Je te le répète : tu vas être sacrément crade si tu ne le fais pas. »
Sans attendre une seconde de plus j'ai cessé de pleurer et je lui ai obéis. J'ai ramassé mon sac à deux pas de moi et l'ai remis sur mes épaules.
« Comment tu sais que je peux te voir ?
– Parce qu'on est pareil, cousin ! Enfin, je veux dire, avant que ça m'arrive et que je me retrouve de l'autre côté ?
– Tu veux dire que...
– Que j'arrive à voir les âmes errantes, comme toi. Depuis que je suis ici je sais reconnaître les humains ayant cette particularité. »

Je suis resté sans rien dire pendant quelques secondes, une vague de chaleur venait de m'envahir brusquement.
Je n'étais pas seul.
Voilà la pensée qui s'empara de mon esprit à ce moment précis. Il n'y avait pas que moi. Mon fardeau n'était pas si exceptionnel que j'aurais pu le croire. D'un côté je me sentais salement égoïste de penser un truc pareil, d'un autre j'étais rassuré de savoir qu'il y en avait d'autre.

« Je ne suis pas seul, ai-je finalement dit tout haut.
– Non, me répondit le gosse que je voyais parfaitement du haut de sa souche, moi aussi je les vois. Et je sais qu'il y en a d'autres, au moins un. Un enfant de mon école disait tout haut qu'il les voyait mais personne ne le croyait. C'était le premier de la classe, lunettes rondes, fayot sur les bords ; personne n'écoute ce genre de gars. »
Il s'est mis à rire.
« Mais moi je l'écoutais quand il disait qu'il voyait leurs contours s'affiner de plus en plus, que ce n'étaient plus que des ombres et qu'il entendait même parfois leurs voix. Je savais que ce qu'il disait était vrai parce que je vivais exactement la même chose. »

Mon cœur a fait un bond à cette description. C'était ma vie au travers les yeux d'un autre que l'enfant me décrivait. Je me reconnaissais, j'imaginais avoir la même souffrance si j'avais osé en parler ne serait-ce qu'à mon père. J'étais différent mais pas seul.
« Pourquoi tu es ici ? ai-je cette fois demandé au garçon. »
J'ai regardé ce dernier droit dans les yeux et je me suis étonné de voir qu'il m'apparaissait avec la plus grande clarté. Généralement, lorsque je rencontrais une âme, les contours de celle-ci étaient flous par endroit. Une fois c'était son nez que je percevais comme une immense tâche au milieu de son visage, ses jambes une autre fois ou même ses pieds. Jamais l'un d'eux n'était apparu avec autant de détails.

Néanmoins quelque chose me dérangeait chez ce gosse.
Ce dernier devait avoir mon âge, peut-être un an de plus au maximum. Il était petit, portait une casquette qui permettait de tenir ses cheveux longs qui lui tombait jusqu'au coup et était vêtu d'une veste et d'un jean. Rien d'exceptionnel. Pourtant une sirène d'alarme venait d'être tirée dans ma tête.
« Je me suis perdu, m'a-t-il répondu tandis que je l'observais. Comme toi en ce moment.
– Je ne suis pas perdu, ai-je rétorqué, ne voulant pas avouer que c'était effectivement le cas et que je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où j'étais. »
Il m'a souri.

« Je doute que tu saches où aller. La forêt est grande, j'imagine que tu dois habiter dans un des lotissements aux alentours, ou au village en bas de la pente. C'est de là d'où je viens.
– Pourquoi tu es partit ?
– Pour les mêmes raisons que toi. Personne ne me comprenait, mon père pensait que j'étais fou et voulait m'envoyer voir un psy car un gosse qui voit les fantômes, c'est une aberration sans nom. Et puis je voulais devenir dresseur, un avenir que mes parents ne me réservaient pas. Tout comme toi.
– Comment...
– Je connais la lueur dans ton regard, je l'ai déjà vu. »

Je ne me suis pas attardé sur ce détail, continuant de le fixer pour tenter de comprendre l'alarme qui vrombissait dans mon esprit. Quelque chose clochait chez lui.
« Tu veux t'en sortir ? me demanda-t-il avant d'enchaîner sans même attendre de réponse. Il y a un bus qui passe pas loin d'ici, juste en bas sur la grande route, à minuit toutes les nuits. Et le chauffeur peut te conduire où tu veux, le plus loin possible d'ici.
– C'est une blague ?
– Non. J'ai emprunté ce bus pour fuir ma famille. Je l'ai trouvé par hasard près de la borne sur la route, au sud d'ici. Il m'a demandé où je voulais aller et je lui ai demandé de m'emmener le plus loin possible. Sauf que... »

Sauf qu'il était mort.
« Comment tu en es arrivé là ? »
Il a levé le regard vers moi et je pouvais presque lire de la tristesse au fond de son regard qu'un flot de larmes semblaient envahir.
« J'étais malade, bien avant de partir. Le chauffeur du bus le voyait et il savait que je n'en avais pas pour longtemps. Mais moi je voulais vivre mon rêve avant tout et devenir dresseur, au moins capturer un pokemon avant de partir. Il m'a conseillé un village à la frontière du pays, tout près d'Unys. Il s'appelait Rovia. Il m'a indiqué qu'il y avait là-bas un vieil homme que tout le monde appelait l'ancêtre et qu'il pouvait m'aider à comprendre certaines choses sur ma vie.
– L'ancêtre ?
– Oui. Je l'ai rencontré et si tu veux commencer ton voyage c'est à lui que devras t'adresser. Je n'ai pas pu le faire car je suis mort, la maladie a gagné, deux mois après mon arrivée au village de Rovia. »

J'ai gardé le silence et baissé les yeux.
« Après cela je me suis réveillé sur Terre, errant avec les âmes que je plaignais tous les jours. Et j'ai marché jusqu'ici, seul et à pieds pour retrouver la famille que j'ai abandonné. C'est mon fardeau. »
Je n'ai rien dit, il n'y avait rien à ajouter.
« Mais si tu veux suivre ce chemin tu dois le faire. Sache que je ne regrette pas ma fuite et que tu n'es pas malade, tu peux réussir où j'ai échoué. Mais prends ce bus et va à Rovia, parle à l'ancien, cousin. Il est le seul qui pourra t'aider.
– Merci. »

Disant ce dernier mot j'ai versé une larme et il m'a fait un autre sourire. Puis il m'a indiqué du doigt la direction à prendre.
« Tout droit pendant quelques mètres et tu seras à la route. Là attend près de la borne, cousin. Il te prendra et te demandera ta destination. Rappelle-toi : Rovia. »
Je l'ai remercié et je me suis dirigé dans la direction indiqué sans me retourner. Et c'est là qu'il me lança une ultime parole : « Á charge de revanche. »
Et j'ai compris d'où venait la sirène d'alarme. J'avais entendu cette phrase, il y a longtemps, de la bouche de ce même gamin qui m'avait extorqué d'un billet de dix lors de mon premier match pokemon.

Á charge de revanche.
Je me suis tourné vers lui et il m'a souri, encore plus. « J'ai vu la lueur d'un dresseur dès notre rencontre, m'a-t-il avoué. Suis ce chemin pour nous deux, fais ce que je n'ai pas eu la force de faire. »
Une larme a coulé. J'ai tourné les talons et me suis mis à courir.