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» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 06/01/2015 à 11:30
» Dernière mise à jour le 12/03/2015 à 19:40

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Chapitre 4 : L'éveil du parasite
Dans la vie certains événements sont indélébiles. On se lève un matin sans savoir que la journée que l'on va vivre marquera notre esprit au fer rouge. Puis le soleil passe d'un bord à l'autre de la terre, la nuit tombe et notre mémoire s'imprègne de ces quelques heures. Ce n'est qu'une partie infime de notre vie, un détail qui eut paraître insignifiant.
Pourquoi chaque jour se ressemble ? Pourquoi notre mémoire ne sélectionne que certains d'entre eux, laissant les autres se perdre dans un vide infini ?

On se souvient tous de nos plus grosses bêtises, de nos plus grosses punitions... On se rappelle sans le moindre problème de rentrées des classes, de la rencontre avec les gens qui nous ont marqué, du premier flirt, du premier baiser, de la première fois... Demandez à un homme s'il a oublié le jour de son mariage, à une femme si elle parvient à se souvenir du jour où elle a dit oui à celui qu'elle aime encore des années après ; la réponse tombe sous le sens.
La vie est une ligne droite sur une grande feuille. Elle n'est pas intéressante et pourtant, si on se penche de plus près, on peut distinguer qu'elle dévie par moment de sa fine trajectoire en un sursaut.
Ce sont ces instants qu'il nous faut saisir. Aussi fugitifs soient-ils.

Je me souviens de peu de choses ayant précédé ma fuite. Il faut dire que je n'avais que dix ans et que la mémoire travaille trop peu pour tout ce que l'on voudrait retenir de cette époque pleine d'innocence et de naïveté.
Bien entendu je me rappelle de ma sœur, de ses grands yeux bleus. Malheureusement je peine à me remémorer sa voix. On dit que c'est la première chose que l'on oublie de quelqu'un et je suis attristé d'avouer que c'est vrai. Je ne compte le nombre de fois où, du fond de mon lit, j'ai vainement tenté de me rappeler la façon qu'elle avait de parler. Je me souviens qu'elle avait du mal à prononcer les r et que le son t prenait trop souvent la place du k.
Jate, maman veut pas me donner le ca'amel !
Et je riais.

Je me rappelle de cette vieille dame au bureau de mon père, des colères de ce dernier, de son visage figé lorsqu'il s'approchait de moi et me collait une claque sans laisser transparaître la moindre émotion. La nuit de ma fuite est d'une clarté sans pareille dans mon esprit tout comme les cris de ma mère ce soir-là.
Mais le souvenir le plus impérissable dans mon esprit demeure celui de mon premier combat.

Mon père ne quittait jamais son bureau. Il y entrait à huit heure le matin, prenait sa pause déjeuner à midi pile, reprenait une heure plus tard et quittait la banque à six heure du soir. Le mercredi il se permettait d'embaucher une demi-heure plus tôt afin d'allonger sa pause du midi pour pouvoir me récupérer. Je le rejoignais pour le restant de la journée.
Il était le genre d'homme à avoir des principes et à s'y tenir le plus fermement du monde. S'il avait décidé qu'il tiendrait ces horaires jusqu'à la fin de ses jours, alors il le ferait à n'en surtout pas douter.

Jamais il ne se permettait de quitter son bureau, qu'importe ce qu'il pouvait advenir.
« Jacob, m'a-t-il lancé alors que la dixième cliente de l'après-midi quittait son bureau, je n'aime pas l'avouer mais je ne me sens pas disposé à travailler aujourd'hui. »
J'étais naïf à l'époque et j'espérais depuis quelques dizaines de minutes qu'il allait craquer et m'apprendre qu'on rentrait plus tôt que prévu. Je le voyais se frotter le ventre et je savais qu'il était malade.
Il m'a fait un geste de la main, me demandant d'approcher de son bureau et, brisant le moindre de mes espoirs, a glissé un billet vert entre mes doigts.
« Il y a une pharmacie en bas de la rue. Rapporte-moi en vitesse des cachets. En poudre, à diluer dans de l'eau. Je ne veux pas avaler ces horreurs d'une autre façon que ce soit. »

J'ai obéit sans réfléchir et sans rien ajouter. Il n'y avait pas besoin de répondre. Pour lui je me devais d'avoir compris la moindre de ses revendications, même celles qu'il n'avait pas formulé. Je devais être omniscient.
Mais peu m'importait en vérité. Car quand bien même on ne rentrait pas à la maison en avance, il me laissait quelques minutes de liberté. Sans réfléchir j'ai posé le foutu calepin sur la chaise, envoyé balader le stylo avec et j'ai couru jusqu'à la pharmacie.
Du moins au début, tant que je n'avais pas dépassé la cloison de verre qui me séparait du regard de mon père. Arrivé à l'étage d'en bas mon pas s'est allongé jusqu'à devenir une marche lente et monotone. La marche de la liberté.

En partant j'ai pris la peine de saluer Miss Christy, la réceptionniste. Toujours aimable et ne perdant jamais l'occasion de déposer une sucette dans la poche arrière de mon pantalon avec un clin d'œil. « Pour quand le bourreau qui te sers de père ne regarde pas. » Ce à quoi je ne répondais évidemment jamais ; je tenais à la vie.
Une fois dehors j'ai respiré, longuement. Heureux.

La rue était agitée. En même temps la banque nationale, la Grande Famille, brassait assez de monde par jour pour attirer de la clientèle dans cette partie de la ville qui était grâce à elle l'une des plus fréquentée de Panthamonia.
Personnellement je n'aimais pas la ville. J'étais habitué à vivre dans une petite maison, à un peu plus d'une heure du centre. Mon école était ici, le travail de mon père y était, le club de gym de ma sœur ; mon cœur était à la campagne. Le bruit, les klaxons, les cris, les gens pressés de ne courir après rien, la foule de solitaires marchant tête baissée au milieu des autres... Très peu pour moi.

Effrayé par cette ambiance que je jugeais malsaine, je me suis empressé de franchir le passage piéton me séparant de la pharmacie. C'est là que le gamin, à peine plus vieux que moi, m'a bousculé.
« Désolé, je ne t'avais pas vu. »
Étant donné le choc, le coup d'épaule et l'angle je savais qu'il mentait. Mais j'étais timide, peu courageux et même plutôt couard. Je me suis contenté d'hocher la tête.
« Tu as de l'argent ? a-t-il demandé expressément. »
Là encore je n'ai pas osé répondre. Il prit le silence pour un oui ; à raison.

« J'ai un truc cool pour les mecs comme toi qui ont de l'argent ! Un truc qui déboîte !
– Un truc cool ? »
Je me suis contenté de répéter. Dans ma tête résonnait deux alarmes. L'une d'elle était mon signal d'alerte qui me disait de ne pas lui faire confiance ; l'autre était ma curiosité qui était piqué à vif.
« Un truc super cool, qu'il a répondu en montrant ses dents jaunes. Tellement cool que tu ne vas pas en revenir. »

J'ai hésité. On ne suit pas un inconnu de son âge qui vous demande du fric.
« Allez, c'est pas loin et personne en saura rien. Si t'as peur pour ta sécurité, sache que c'est sur la place Roigada, à deux pas d'ici. Il y a du monde et personne te feras de mal dans la foule.
– Et mon argent ?
– C'est pour pimenter. »
Il a éclaté de rire et m'a tapé sur l'épaule. J'ai lancé un regard par-dessus la mienne puis je l'ai suivi.

La place Roigada était vraiment à deux pas, comme il le disait. Les gens étaient nombreux, tous en cercle autour d'un évènement qui avait l'air fabuleux au point de tous les faire crier. J'avais l'impression de me retrouver dans les tribunes d'un stade de football sans pouvoir profiter du match.
« Faufile-toi, m'a dit mon ami en battant des bras dans la foule. »

Une hésitation m'a pris puis m'a relâché aussitôt. J'ai foncé tête baissé entre les jambes d'un gros monsieur, ait poussé une adolescente sur le côté sans même qu'elle s'en rende compte, je suis tombé... Dans cette bataille dont je fus le seul témoin, je m'écorchai les mains, frotta mon nez contre des aisselles visqueuses stimulées par une chaleur de juillet et vis de trop près la forêt peuplant la raie des fesses d'un vieillard.
Mais quand je traversai finalement cette foule pour me heurter à des barrières en fer, ce fut une lumière qui pénétra ma vie.

Cette ambiance submergea tout le reste.

Ce fut durant un instant l'odeur de la sueur, la puanteur de corps reposant depuis trop longtemps à la chaleur, compressé dans des pulls sales. Ce fut les cris, la liesse du spectacle, le sifflement d'un supporter, les hourras. Ce fut pendant un instant le silence puis de nouveau le bruit. Ce fut des regards tous tournés vers un seul endroit, vers l'arène.
Le grand théâtre d'un nouveau monde levait son rideau pour la première fois devant mes yeux.

« Alors ? me lança le gosse qui m'avait attiré ici. Tu veux parier ? »
Après un moment d'absence car j'étais trop occupé à fixer les deux adversaires qui se faisaient face au centre du cercle, j'ai nonchalamment tiré mon billet de dix de ma poche et lui ai tendu. « Sur le Tarinor. »
Disant cela je ne lui ai même pas adressé un regard. J'étais trop obnubilé par ce qu'il se passait sous mes yeux.

Pour la première fois de ma vie j'assistais à un match pokemon. Et ce n'était pas un de ces trucs que j'avais pu voir à la télévision quand mon père avait le dos tourné, ce dernier détestant par-dessus tout les gens qui se livraient à ce genre d'activité.
Ce qui fait tourner le monde, c'est l'argent, aimait-il à dire. L'argent et rien d'autre. Ce sont des idiots vivant au crochet de la société, des incapables et des parasites. Et jamais aucun de mes enfants ne deviendra l'un d'entre eux.

Mais mon père n'était pas là. Et je me moquais de lui, de son argent que je venais de refiler à ce gosse qui me l'avait arraché des mains avec un sourire de requin. S'il savait que je l'avais dépensé de cette manière, il me tuerait.
Tant pis.
J'étais mort dès l'instant où j'avais accepté de me détourner du chemin de la pharmacie. Autant vivre dans le pêché jusqu'au bout.

« Allez, dégomme-le ! ai-je hurlé à l'intention du Tarinor qui venait d'asséner une attaque lame de roc au Manternel adverse. »
J'ai applaudi.
« Il va n'en faire qu'une bouchée.
– On verra, a répondu le gosse. Le propriétaire du Manternel est un champion reconnu dans le coin, il n'est pas du genre à se laisser faire. »

Et en effet il ne laissa pas la situation tourner à l'avantage de son opposant. L'insecte parvint sans trop de problèmes à percer la défense du pokemon adverse, le gratifiant d'une petite dose d'attaques plantes, tout juste suffisant pour perturber le cours de l'affrontement.
« Merveilleux ! hurla un homme dans mon dos pendant que Tarinor chancelait. Défonce-le dans les règles de l'art !
– Relève-toi Tari ! riposta un autre. »
J'avais souvent entendu parler de ces matchs de rue qu'on organisait à la sauvette sur une place et qu'on terminait avant que la police ne débarque pour empêcher autant d'agitation. Jamais je n'aurais en revanche pensé y assister, encore moins pour la première fois.

Mais ce jour-là je fus emporté par l'hystérie générale, hurlant avec les autres et ne voyant plus passer le temps. Comme tout le monde, du haut de mes neuf ans, je gueulais pour que mon petit favori remporte la victoire. Il n'était pas question de reprendre mon argent, juste de participer à cette folie.
Quand Tarinor perdit, je me moquais du fric ; j'ai hurlé. Hurlements de joie et de rage mêlée à de l'admiration.
Les dresseurs se sont serrés les mains, la foule s'est dispersée et mon nouvel ami que je ne reverrai plus jamais me tapa sur l'épaule. « Á charge de revanche. » Puis il est partit, les mains dans les poches.

C'est seulement quand le silence est retombé que j'ai commencé à me soucier de l'argent que je venais de perdre, celui de mon père, et au temps que j'avais passé sur cette place à crier sur deux pokemons qui se battaient dans un combat de rue. Mon corps s'est raidit, une goutte de sueur a perlé sur mon front et mon cœur a démarré plus vite que le moteur d'une voiture de course.
Comment m'en sortir ? Comment trouver une excuse qu'il puisse tolérer sans soupçonner ce qu'il vient de se passer ?

Je me posais ces questions quand je me suis retourné et que mon regard s'est posé sur l'homme que je prévoyais de berner. Lui qui ne sortait jamais de son bureau pendant le travail venait de faire une entorse à son règlement. Il m'avait retrouvé sans que je sache comment, sans doute grâce à un instinct naturel chez lui.
Sur son visage je ne lisais aucune colère, ni aucun autre sentiment en vérité. Il était stoïque, ne laissant rien paraître comme à son habitude.

La place était presque vide désormais lorsqu'il la traversa, déboutonnant soigneusement le haut de son costume. Alors qu'il se trouvait à deux mètres de moi et que j'étais tétanisé, il remonta précautionneusement ses manches, une par une, prenant son temps. Il enleva sa montre, la jeta dans sa poche, retira son alliance et me fixa droit dans les yeux.
Et il resta ainsi pendant une dizaine de secondes. Ne disant rien, ne montrant rien.
Puis la claque partit, d'un coup.
Mon visage fut projeté sur le côté, je sentis ma joue décoller et je tombai face contre terre.

« Mon fils ne deviendra pas un parasite, a-t-il sifflé entre ses dents. »
Puis il a remis sa montre, son alliance, réarrangé son costume et s'en est retourné vers la banque, me laissant sur le sol. Quand je me suis levé ce fut pour traîner des pieds derrière lui avant de m'asseoir dans le fond de son bureau afin de prendre des notes.
Ce jour-là je n'ai pas pleuré, pas même lorsqu'il me mit cette claque. En revanche le soir, une fois dans mon lit, le plus beau sourire du monde arpentait mon visage. J'avais trouvé ma voie en ce mercredi d'après-midi, ce moment-même dédié à me faire rentrer dans la Grande Famille de la Banque Nationale.