Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Accord Secret de Xabab



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 06/01/2015 à 11:26
» Dernière mise à jour le 12/03/2015 à 19:39

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 3 : Souvenir d'un mercredi
Petit on me promettait monts et merveilles. Ma vie était toute tracée.
Mon père était de ces gens qui prenaient soin de dresser un schéma complet et détaillé sur une immense feuille blanche. Soucieux de la perfection il n'oubliait rien quand il établissait le plan de sa vie.

Il était né pauvre, dans une petite famille d'artisan en campagne. Son père était maçon, passait le plus clair de son temps loin du foyer, sans doute auprès de deux ou trois maîtresse dont sa mère n'avait guère le temps de se soucier tant elle avait à faire avec ses cinq enfants. Lui était le dernier de la famille, le plus aimé de sa mère et de ses frères et sœurs et le plus brillant. Très rapidement il s'est éloigné de sa famille, a suivi de grandes études scientifiques avant de trouver un poste important dans la banque nationale où il épousa l'une de ses clientes.
Au départ né pour suivre les traces de son père et construire des maisons à ses côtés comme ses frères et sœurs, il s'était détourné de ce chemin qu'il n'avait jamais voulu suivre.

On peut penser que les erreurs des parents ne seront jamais commises par leurs enfants, qu'ils ont trop soufferts pour infliger leurs maux d'antan.
Pourtant je me retrouvais chaque mercredi quand je n'avais pas école dans le fond du bureau de mon père, un carnet à la main. Ma mère ne pouvait pas me garder et ma sœur faisait du sport en club. De mon côté j'étais trop occupé par mes lectures, mes cours ou mes jeux-vidéos pour désirer courir derrière un ballon avec tous les abrutis de ma classe ou pour tenir une batte afin de taper dans des balles le plus fort possible. Si Dieu existe il a donné un cerveau à sa création ; pourquoi les joueurs de foot de ma classe me paraissaient ne pas être aimés du Créateur ?

Mais ne pas faire de sport rendait mon père heureux. C'était un réel plaisir de pouvoir traîner son fils le jour de repos à la Banque Nationale, l'asseoir sur un siège dans le fond et lui demander d'écouter les clients. Je n'avais pas le droit d'intervenir mais je devais tout noter, tout ce qui me paraissait essentiel. Car plus tard j'entrerai comme mon père avant moi dans ce qu'il appelait La Grande Famille de la Banque Nationale d'Ermo¸ avec des majuscules à chaque lettre sauf aux déterminants. Attention, le grand G et le grand F était une priorité. On ne parlait pas de n'importe quelle famille mais de celle de la banque que je surnommais en secret Ali Baba et les Deux-milles voleurs.
Nul doute que j'aurais reçu quelques savons si ma petite sœur plus jeune que moi de deux ans avait décidé de balancer ce surnom à mon père. On ne crache pas sur la banque.
C'est évident.

Parfois je le soupçonne de m'avoir emmené là-bas pour d'autres raisons que celle de me voir un jour suivre ses traces. Certes il me voyait comme le seul fils qu'il n'aurait jamais, intelligent, doué à l'école et curieux de découvrir sans cesse de nouvelles choses. Il me voyait directeur de tout un secteur, comme lui. Au pire je serais huissier, m'avait-il avoué un jour avant de s'empresser d'ajouter qu'il ferait tout pour que je prenne sa place et gravisse les échelons qu'il n'a pu atteindre avant sa retraite.
Tu seras mon étoile après la mort. Notre famille ne laissera pas tomber son flambeau, me disait-il les soirs où il avait trop bu. L'aventure est trop belle pour qu'on abandonne aussi vite. Tu es l'espoir.

Je n'aimais pas me retrouver dans le fond de ce bureau crasseux à attendre que mon père mette la clé sur son tiroir, range sa sacoche et décide enfin de partir – le plus beau moment de la journée pour tout avouer – mais je n'avais pas le choix.
Comme je l'ai dit précédemment j'étais un prétexte. Il ne m'emmenait pas seulement pour que je l'écoute mais aussi pour que les clients me voient. Combien de fois ai-je supporté les larmes d'un homme ou d'une femme implorant qu'il leur accorde un dernier prêt pour que leur fille ait droit à une rééducation suite à un tragique accident de voiture ? pour une maison décent ? pour survivre tout simplement ?
Combien de fois l'ai-je entendu chuchoter en tapotant la main de ces gens : madame, monsieur, vous n'allez pas pleurer et dire de tels mots devant un enfant ?

Un enfant.
Il ne m'appelait pas son fils ou tout simplement Jake. J'étais un enfant. Indéterminé, rien qu'un gosse qui d'après son ton de voix passait son mercredi après-midi à la banque au lieu de sortir jouer avec les gamins de son quartier. Un enfant qui préférer récurer des larmes et noter tout un tas de chiffre dans son carnet plutôt que de faire une après-midi console avec un paquet de chips sur les genoux.
Parfois j'avais le droit à un regard de dédain, parfois à de la colère ; rarement de la pitié.

Je me souviens en revanche de cette vieille dame affublé d'un énorme manteau de fourrure qui m'avait regardé d'un air étrange en entrant dans le bureau de mon père. Elle venait pour régler quelques soucis financiers avec des actionnaires de son entreprise, des choses que je n'ai jamais comprises. Elle a serré la main de mon paternel sans même le regarder et ne lui a accordé un peu d'attention qu'au bout de quelques minutes.
Puis quand elle a quitté la salle, elle m'a adressé un regard.

« Pauvre chou, a-t-elle lancé à l'intention de mon père. Si seulement vous compreniez ce que veut dire son regard. »
Et il finit par comprendre, le soir même.
Pendant deux ans il me traina dans son bureau, m'obligeant même durant les vacances à bloquer mon mercredi après-midi pour m'asseoir dans le fond. De huit à dix ans j'étais formé pour la Banque National d'Ermo. J'étais dans la banque avant qu'elle ne sache que j'y étais. Pour mon père je serais formé, heureux, riche, reprenant le grand flambeau qu'il faisait scintiller pour moi depuis des années.
Mais pas une seule fois en deux ans il ne se demanda ce que j'en pensais et ce que je voulais faire.

Quand la question entra dans sa tête grâce à la remarque de cette vieille femme qui fut la toute première à avoir de la compassion pour moi, ce ne fut pas une simple pensée fugitive que l'on saisit au passage avant de relâcher. Ce n'était pas un doute, une remise en question ou même une peur ; ce fut un raz-de-marée.
La cause de ce dernier ne fut pas la réponse à cette question, cette dernière était évidente : je ne pouvais être autre chose que banquier, que directeur de tout un secteur de la plus grande banque de la plus grande région du monde ! Ce chemin était son idéal et par substitution le mien.

Ce qui provoqua cette déferlante dans son esprit ce fut la facilité avec laquelle il découvrir que je pouvais ne pas en penser autant. Jamais il ne m'avait posé la question. Et ce soir-là quand il se la posa, il n'eut pas besoin de me demander ce que j'en pensais pour le découvrir.
Pire que cela : il se rendit compte que ma mère n'approuvait pas ses décisions. Et quand elle lui avoua qu'elle pensait que le mieux pour moi était que je suive mon propre chemin, il se mit tout simplement à hurler.

Jamais je ne vis mon père en colère. Il était le parfait père de famille, l'homme modèle dont le costume et la cravate devenait sa première peau. Pas d'emportement, pas de stress. Serein face aux clients, serein face à la famille. Le travail c'est la santé, ne pas travailler c'est ne pas vivre. La banque avant tout, la famille pour la banque.
Mais ce soir il laissa tomber tout cela. Son costume, sa sérénité, son rapport calme et réfléchis avec les choses. Il explosa de rage.

Je vis dans ces yeux de la colère avant tout lorsqu'il me regarda, le doigt tendu entre ses deux pupilles écarquillés, le coin de la lèvre tressaillant. Petit j'eu pensé à de la haine de sa part. De la déception car j'osais voir un autre avenir que La Grande Famille de la Banque Nationale d'Ermo. Mais ce n'était pas seulement cela, c'était sans doute de l'amour.
Mais ce soir-là je ne le voyais pas. J'entendais seulement ces cris envers ma mère, l'affublant de mots tels que poufiasse dégénérée ou salope qui dévie notre fils de la Voie¸ celle avec un grand V comme le G et le F de la Grande Famille.

Tu seras banquier, m'a-t-il dit en faisant siffler le s, tu le seras. Il n'y a pas de voie digne de ce nom pour ce fils autre que la mienne. Tu prendras ma place, la seule disponible pour toi. Tu ne seras rien d'autre, Jacob, rien ! Banquier ou rat des villes. Pouilleux et raté !
Ma mère hurla et me poussa dans ma chambre, me demandant de monter avec ma sœur dans les bras de laquelle j'ai pleuré.
Jake...
Elle se contentait de dire mon nom. Jake, pas Jacob ; seul mon père ne m'appelait pas par mon surnom. Mais elle perdait les mots. Elle savait que depuis deux ans je prévoyais ce que j'allais faire dans quelques heures quand la maison se serait endormie, que j'avais depuis un an mit un baluchon sous une lame d'un parquet. Il contenait tout ce dont j'avais besoin. Affaires, balles et un bon livre, mon préféré.

Nous avons discuté tard, jusqu'à ce qu'elle s'endorme, que les cris de mes parents se tassent. Je l'ai porté dans son lit, je l'ai bordé puis j'ai poussé la lame de parquet. Une fois mon sac sur mon dos j'ai poussé la fenêtre et sauté dans le jardin.
Dans la chute j'ai entendu mon genou craquer, ce que me fit boiter pendant quelques jours. Sur le moment je n'ai même pas senti, cela n'avait aucune importance.

J'étais libre.