Chapitre 4 : Le grand Cataclysme
De mémoire de Pacifivillois, on n'avait pas vu une telle pluie depuis longtemps. La tempête de la quinzaine précédente n'avait pas grand-chose à voir avec cette incessante tombée d'eau du ciel, ces vagues de plusieurs mètres de haut, et ces nuages noirs qui donnaient l'impression qu'il faisait nuit même en pleine journée. Mais le plus perturbant était sans doute le fait qu'il arrivait que le crachin cesse pour laisser place à un soleil de plomb, tout aussi dangereux, qui donnait l'impression que les nuages étaient cette fois chauffés à blanc ; le vent soufflait en permanence, et le ciel lui-même semblait hésiter sur la couleur dont il souhaitait se parer. Les protections dont s'était équipé le village contre la tempête étaient efficaces face aux assauts de la pluie, mais le soleil ardent les séchait et les fragilisait. Une première maison s'effondra sous les coups du vent et des vagues, et il fallut reloger les malheureux habitants désormais à la rue. Le Centre Pokémon se retrouva rempli en deux jours, car il était le bâtiment le plus sécurisé de la ville. Par ailleurs, les déplacements devenaient de plus en plus difficiles, les ponts ayant pour la majeure partie cédé, et été emportés au loin par la mer.
La famille de Vaimiti, comme de nombreuses autres, avaient déménagé au centre de soin en attendant la fin de ces dérèglements climatiques qui ne semblait jamais vouloir arriver. Empilés les uns sur les autres, les habitants et rares touristes vivaient enfermés dans cet espace clôt, limitant les sorties au maximum. Même la jeune fille s'efforçait de rester le plus souvent possible à l'abri, mais elle ne pouvait s'empêcher malgré tout d'aller régulièrement à l'extérieur, lors des périodes ensoleillées, pour constater les dégâts et s'assurer que ses protégés se portaient bien. La plupart des Pokémon de l'élevage avaient disparu avant la catastrophe, partis pour éviter le pire. En tout cas, l'éleveuse l'espérait, redoutant que l'un d'entre eux n'ait été blessé ou tué par la tempête. Mais Cory et Piko Jr étaient restés fidèles à leur amie et demeuraient dans le coin. Ils avaient tous les deux gagnés en résistance et en endurance, et s'étaient probablement trouvé un abri où passer les pires heures du cataclysme.
Les heures passaient et les choses empiraient, mais aucun secours ni aucune information de l'extérieur ne semblaient vouloir venir. Les télévisions et le réseau PokéNav étaient en panne depuis le début de la tempête, de même que les visiocommunicateurs. Pacifiville était aveugle, sourde, et à la merci des éléments déchaînés jusqu'à ce qu'elle ne se fasse complètement engloutir. On aurait pu craindre des débordements et des coups de folies de la part de ses habitants, mais, au contraire, ils se montrèrent plus solidaires que jamais. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose, à part prier et attendre, en partageant les rations d'eau et de nourriture du Centre ; mais ils le faisaient sans la moindre hésitation, chacun soutenant son voisin autant que n'importe quel membre de sa propre famille. De toute façon, tous devaient pressentir qu'au final tout le monde s'en sortirait, ou tout le monde serait emporté.
Alors que Vaimiti était à l'extérieur, collée au mur pour ne pas s'envoler, et guettant une aide qui n'arrivait pas, elle aperçut un point dans le ciel, qui se rapprochait tout en volant de travers. Sans s'éloigner du bâtiment, la fillette mit sa main en visière pour discerner ce qu'était cet étrange objet volant et reconnut le Békipan de Timéo. Enfin un signe du monde extérieur !! Le poids de l'oiseau l'empêchait d'être trop emporté, notamment comparé à Piko, mais l'effet était atténué par son corps large qui réagissait comme une voile. Avec difficulté et sans la moindre élégance, l'oiseau marin se laissa chuter dans l'eau bouillonnante de la mer, préférant nager sur les derniers mètres qui le séparait de la ville-île dont il ne restait plus que quelques plateformes encore en état. Vaimiti dut se retenir de plonger à sa rencontre, toute impatiente qu'elle était d'avoir des nouvelles, des informations sur la situation, quelque chose. Le Békipan s'arrima près d'elle comme un bateau, puis grimpa sur la place centrale pour s'abriter du vent derrière le mur du Centre Pokémon, et confia sa lettre à la destinataire, qui s'empressa de l'ouvrir.
Ma chère Vaimiti,
Je t'écris cette lettre en priant pour qu'elle ne soit pas la dernière. Et je te confie Békipan, en espérant qu'il trouve son chemin jusqu'à toi dans la tempête, et qu'il sera plus en sécurité à Pacifiville qu'à Atalanopolis.
Vaimiti interrompit sa lecture, perplexe, tandis que la pluie tombait de nouveau à grosses gouttes. Elle allait devoir se mettre à l'abri rapidement. Son Corayon et son Goélise pouvaient retourner dans leurs cachettes respectives, mais le Békipan de Timéo semblait trop épuisé pour rester à l'extérieur. Elle décida de le conduire au Centre Pokémon pour le moment. Tandis qu'une vague s'écrasait avec violence non loin d'eux, manquant de faire tomber la jeune fille, elle se demanda ce que son camarade entendait par « plus en sécurité à Pacifiville », endroit qui était, à ses yeux, le moins sûr au monde à l'heure actuelle. Lorsqu'elle pénétra dans le bâtiment, suivie de l'imposant oiseau, on la regarda avec curiosité et agacement. On manquait déjà de place avant ; ce n'était pas le moment d'accueillir des Pokémon étrangers ! Néanmoins, personne ne fit de remarque à voix haute.
Slalomant entre les réfugiés assis au sol, la fillette rejoignit ses parents qui reconnurent tout de suite le Pokémon pour ce qu'il était : un messager porteur de nouvelles. L'espoir éclaira leurs visages jusqu'à ce que l'expression tendue de leur fille ne fasse revenir leurs doutes. Sans un mot, elle s'assit et reprit sa lecture, consciente que les deux adultes n'en perdaient pas une miette, lisant par-dessus son épaule.
Ici, la tempête a des airs de fin du monde. Une rage monstrueuse. Personne n'a l'air de savoir comment et pourquoi, mais l'impossible a eu lieu : quelqu'un a réveillé Kyogre et Groudon. J'aimerais qu'il ne s'agisse que d'un cauchemar, mais je peux les voir de ma fenêtre, s'affrontant au milieu de la ville. On nous a tous ordonné de nous mettre à l'abri, mais il n'y a plus d'abri désormais, aucun moyen de s'échapper. La plupart des gens l'ont bien compris et se contentent de regarder, incapables de faire quoi que ce soit pour empêcher l'inévitable de se produire. L'eau monte dans notre ville-cuvette, et nous allons tous finir noyés.
Mais s'il y a un moyen de sauver Békipan et de t'envoyer un dernier message, je saisis cette chance, même si j'ai peur que cette lettre se perde en chemin. Je ne suis pas encore mort, et mes parents non plus. Ils ont dit que nous allions tenter de sortir par le haut du cratère, et de là... On avisera. Dans tous les cas, j'aurais au moins eu la « chance » de voir des mes yeux des Pokémon légendaires ! Haha...
Je n'ai plus de temps, ils ont fini leurs préparatifs.
Un gribouillis illisible faisait office de signature, manifestement écrit dans la précipitation. Vaimiti sentit son corps s'affaisser, comme si toute la fatigue accumulée ces deux derniers jours lui tombait enfin dessus, comme si toute l'adrénaline qui lui avait permis de tenir venait de s'évaporer. Kyogre... et Groudon ? Quelle était cette mauvaise blague ? La fillette se sentit épuisée et désespérée. Personne n'allait venir les aider... Puisque tout le monde subissait probablement la même Apocalypse. Sonnée, elle sentit vaguement ses parents la prendre dans leurs bras et la serrer contre leurs cœurs. Elle entendit les sanglots de sa mère contre son oreille. L'étreinte puissante de son père.
Mais c'est un grand fracas suivi d'un hurlement qui la fit sortir de sa torpeur. Les réfugiés levèrent tous la tête, perdus, jusqu'à ce qu'une infirmière déboule d'une réserve en hurlant des propos incohérents et incompréhensibles. La flaque d'eau grossissant à vue d'œil juste derrière elle était suffisamment claire pour que tout le monde saisisse le message : quelque chose avait cassé et le centre allait être inondé. La panique se répandit comme une trainée de poudre dans l'espace clôt, et des cris d'horreur se firent entendre tout autour, tandis que les gens se bousculaient pour s'éloigner de la fuite, oubliant toute retenue et se piétinant les uns les autres.
La mère de Vaimiti se serra encore plus fort contre ceux qu'elle aimait et qu'elle ne voulait pas perdre, pleurant pour de bon, et murmurant des prières.
« À l'aide... quelqu'un, par pitié... Aidez-nous... »
La fillette avait peur. Voir celle qui était son soutien, pilier de sa famille, s'effondrer ainsi lui faisait comprendre la gravité de la situation. Voir les larmes sur les joues de sa maman lui brisait le cœur et lui faisait souhaiter une seule chose : qu'elles cessent de couler. Et l'eau continuait de monter de l'autre côté du centre, comme une créature affamée prête à avaler quiconque resterait sur son chemin...
Poussée par son instinct et sans laisser à qui que ce soit le temps de réagir, Vaimiti se dégagea des bras de ses parents et fit signe au Békipan de Timéo de la suivre. À contre-courant dans la mer d'humains, elle fonça vers la sortie du bâtiment sans se retourner.
« Je vais chercher de l'aide ! »
Paroles bien naïves de la part de cette enfant frêle, et elle en avait conscience. Qu'espérait-elle trouver dans l'immensité de l'Océan déchaîné, à part la mort ! Vaimiti le savait, en était persuadée du plus profond de son être, mais rien n'était pire que de rester enfermée sans rien faire, prisonnière d'une cage de béton qui se remplissait d'eau à toute vitesse. Rien n'était pire que de voir sa mère pleurer et prier pour sa survie sans le moindre espoir d'être entendue. Même la violence absolue du vent et des vagues, qui s'allièrent dès son premier pas dehors pour la déstabiliser et la faire tomber au sol n'était pas pire. Chancelante et aveugle, elle s'approcha malgré tout du bord de la plateforme et hurla.
« Coooooryyyyy !!! Piiiiikoooooo !!! »
Elle constata que cet effort était vain : elle-même entendait à peine sa voix par-dessus les mugissements de la tempête. Elle n'aurait que Békipan pour allié dans cette épreuve, s'il acceptait de la suivre dans son opération kamikaze. Mais l'oiseau avait compris, lui aussi, que la mort était partout, et que suivre cette fillette n'était pas plus risqué que rester sur place. Il était effrayé : son plumage était gonflé et Vaimiti le voyait frissonner. Mais il plongea dans l'eau de lui-même et la laissa monter sur son dos, tandis qu'il fonçait à travers les vagues meurtrières.
C'est une fois sur l'eau que la jeune fille réalisa qu'elle n'avait pas de plan à proprement parler. Nager droit devant finirait par la conduire quelque part ; d'ailleurs, dans la direction qu'ils suivaient, le quelque part en question avait de grandes chances d'être Atalanopolis. Et alors quoi ? Il n'y aurait rien pour les aider, là-bas. Timéo avait été clair sur ce point, malgré la précipitation dans laquelle il avait écrit son message. Rien à part deux créatures destructrices en train de se livrer la bataille de leur vie. Enfin, la seconde bataille de leur vie...
Une idée folle traversa l'esprit de Vaimiti, une idée si absurde qu'elle ressentit de la honte d'y avoir simplement pensé. Lors du premier Cataclysme, on racontait que Rayquaza était intervenu pour sauver le monde. Reviendrait-il cette fois encore ? La légende disait qu'il venait parfois au sommet du Pilier Céleste, haute tour qui touchait presque le ciel, près de son village...
« Non, commença la fillette, se forçant à parler à voix haute pour se raisonner. Non, c'est idiot, stupide, n'y pense même pas. »
Békipan lui jeta un regard en coin, et continua à nager droit devant lui, qu'importe la destination. De toute manière, même s'ils avaient su où ils souhaitaient se rendre, ils auraient eu peu de chances d'y arriver : l'Océan dictait sa loi. Ce n'était pas le Pokémon qui choisissait où aller le porter sa brasse suivante, mais la mer, puissante et terrible. Une vague s'écrasa finalement sur eux, les sonnant et les faisant dévier de la route qu'ils pensaient suivre jusqu'alors. Pris dans un tourbillon d'eau, de bulles et de sel, l'humaine et le Pokémon se séparèrent bien malgré eux. Vaimiti se sentait secouée, agressée même, et vint s'écraser contre quelque chose de dur et plat. Lorsque la vague se retira, elle constata qu'elle avait touché terre... Mais elle avait mal, et se sentait tellement épuisée... Tout devint noir autour d'elle pendant quelques instants. Bientôt, une autre vague allait s'abattre sur elle et l'écraser de nouveau pour l'achever.
Cet instant n'arriva pas ; quelque chose de gros s'approcha d'elle et l'avala, avant de s'envoler plus en hauteur, à l'abri de la colère de l'Océan. Békipan l'avait miraculeusement rejointe, et à temps. L'oiseau marin l'avait sauvée. Il la recracha avec autant de délicatesse que possible sur le sol en pierre froide mais parfaitement sèche. Avec faiblesse, Vaimiti tendit la main pour caresser son héros, et leva la tête pour déterminer l'endroit où ils se trouvaient. Avec amertume, elle constata que la mer avait un sens de l'humour particulier. À quelques mètres s'élevait une grande tour qui semblait toucher les nuages...
En fait, non. À bien y regarder, la tour semblait toucher un ciel bleu azur comme celui auquel était habituée la jeune fille. Un ciel sans nuage, mais sans le Soleil agressif non plus. Elle se leva lentement, toujours sonnée, et observa. Ici, il n'y avait ni vent, ni pluie, mais à moins de dix mètres, en direction de la mer, la tempête faisait rage. De la même façon, les nuages sombres formaient un rond parfait autour du sommet du Pilier Céleste... car c'était bien là qu'elle se trouvait. Le destin lui-même se moquait d'elle. Mais s'il avait décidé qu'elle devait arriver dans la demeure terrestre du dragon d'émeraude, alors elle ferait tout pour tenir son serment de trouver de l'aide. Incapable de courir, elle marcha d'un pas traînant jusqu'à l'entrée du temple divin.
L'endroit était parfaitement désert, et parfaitement bien conservé. Les tempêtes n'avaient jamais dû parvenir à atteindre la tour, pour une raison inconnue de Vaimiti. Et cette fois, contrairement au Sanctuaire sous-marin ou au Mont Mémoria, aucune fioriture ne venait décorer les murs ; pas de messages en alphabet étrange, pas de fresque représentant le Dieu reptile séparant Groudon et Kyogre lors de leur première bataille : juste la pierre nue, noire et froide. Retrouvant ses forces, la fillette, toujours accompagnée du Békipan, accéléra le pas. Marche après marche, couloir après couloir, elle parvint finalement au sommet du Pilier Céleste.
Là-haut, Vaimiti découvrit une scène tout à fait inattendue.
« Vous ! »
Les quatre individus en costumes bleus et rouges se retournèrent, apparemment surpris d'être interrompus dans leur besogne. Séparés en deux groupes de deux humains, accompagnés d'une horde d'Ortide et de Rafflésia côté azur et d'un Hypnomade dirigeant un groupe de Soporifik côté carmin, les inconnus, non sans se lancer aux uns et aux autres des regards haineux, encerclaient l'immense dragon Rayquaza, apparemment plongé dans un profond et douloureux sommeil. Personne ne bougea pendant un instant, ce qui permit au Dieu de sortir à moitié de sa torpeur. Alarmés, les deux clans oublièrent l'intruse pendant un instant et donnèrent leurs ordres.
« Poudre-Dodo ! »
« Hypnose et Dévorêve, ne le laissez pas se réveiller ! »
Asservis, les Pokémon s'exécutèrent et le serpent s'assoupit de nouveau. Vaimiti ne comprenait pas la scène à laquelle elle assistait, mais elle savait que si le Pokémon ne se réveillait pas immédiatement pour agir contre les deux Dieux destructeurs, ses efforts auraient été vains. Elle se précipita sur l'homme en rouge le plus proche d'elle.
« Arrêtez, arrêtez !! Vous êtes fous !
- Bordel, mais qu'est-ce que cette gamine fout ici ?! »
Plus fort et plus rapide, l'adulte lança son poing dans le visage de la jeune fille, qui s'effondra au sol avec un hoquet de douleur. Sans s'émouvoir, l'agresseur l'attrapa par le col de sa robe et la souleva à un mètre du sol, la laissant s'étouffer à moitié.
« Toi aussi, tu veux goûter au Dévorêve d'un Sporifik, hein ? »
Un autre homme du groupe opposé intervint immédiatement.
« Lâche-la tout de suite ! Elle n'a rien à voir avec ça, c'est qu'une gamine ! »
Avec un grognement de dépit, l'homme au costume carmin laissa sa captive chuter au sol sans la moindre délicatesse, lui lançant seulement un regard méprisant. Mais Vaimiti, recueillie par Békipan, ne s'en formalisa guère ; elle avait reconnu la voix de celui qui l'avait défendue, et s'approcha de lui, meurtrie.
« ... Eimeo ? »
L'interpelé se tourna vers elle, d'abord surpris, puis choqué de la reconnaitre. Il semblait plus fatigué que lors de son départ, mais la jeune fille se souvenait de cet homme tout aussi amoureux de la mer qu'elle ne l'était, et qui avait quitté Pacifiville quelques années plus tôt pour aller « travailler sur le continent ». Qu'il se soit accoquiné avec une bande de voyous était incompréhensible. Le jeune homme abandonna sa collègue, la seule autre femme présente sur place, pour s'assurer de l'état de Vaimiti.
« Vai... Qu'est-ce que tu fais là, bon sang ?! Pourquoi n'es-tu pas à Pacifiville ?
- Eimeo... TOI, qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce que vous faites, avec Rayquaza ? »
Le garçon passa la main dans ses cheveux blonds et courts, surveillant du coin de l'œil le déroulement des opérations du côté des Ortide. Sa compagne lui lança un regard interrogateur, mais il secoua la tête et se tourna de nouveau vers la fillette.
« On empêche Rayquaza de se réveiller et d'aller détruire Atalanopolis. Tu sais, Vaimiti, on a réussi à réveiller Kyogre ! La Team Aqua a trouvé cet être légendaire et l'artefact permettant son éveil et l'a fait revenir parmi nous ! Nous allons pouvoir étendre les mers, et faire partager notre mode de vie insulaire à toute la population d'Hoenn ! Tu ne trouves pas ça merveilleux ? »
Vaimiti n'en croyait pas ses oreilles. Elle avait toujours eu beaucoup d'affection et de respect pour Eimeo, mais là, c'était n'importe quoi, en plus d'être parfaitement ridicule. Comment avait-il pu être aussi aveugle ? Et comment pouvait-il l'être encore ? Abasourdie, elle fit un pas en arrière, bouche bée, ne sachant par quoi commencer. Le Pacifivillois paraissait sincère ; il pensait ce qu'il venait de dire, et souhaitait vraiment faire partager le bonheur de la vie sur leur île à tout le monde. Et c'était bien ça le pire de l'histoire ! Il n'avait rien compris ! Avait-il seulement déjà ouvert un livre et lu les conséquences désastreuses de la première bataille des deux Pokémon ? La fillette se secoua la tête pour remettre ses idées en place, et brisa le silence.
« Es-tu devenu fou ? Vous avez réveillé Kyogre ?! Et tu me parles d'empêcher Rayquaza de détruire Atalanopolis ? Mais c'est vos actes qui sont en train de détruire la région toute entière !
- Non, Vai. C'est seulement la faute de la Team Magma, qui a réveillé Groudon simplement pour nous empêcher de réaliser notre idéal. Si ces crétins étaient restés tranquilles, on en serait pas là... Mais n'aie pas de crainte, Kyogre ne peut que gagner ce combat, le résultat sera le même...
- Arrête ! Ouvre les yeux, bon sang !! Déjà, le premier combat entre Kyogre et Groudon a duré des années, alors arrête d'être naïf pour celui d'aujourd'hui ! Et ensuite, à quoi cela servirait d'étendre les mers si tu en tues tous les habitants ?! Pacifiville est complètement détruite et il n'y aura bientôt plus personne à y sauver !! »
La jeune fille avait hurlé cette dernière phrase, y faisait résonner toute sa peur et toute sa rage. Tout le monde s'était tu, et même les membres de la mafia rouge avaient perdu leurs sourires narquois. Vaimiti craqua et commença à pleurer en reprenant la parole.
« Vous n'avez rien compris... Rien... L'équilibre entre la terre et la mer est tellement fragile, mais surtout tellement précieux... Je pensais que tu le savais, Eimeo... Perdre la mer signifierait la disparition de notre précieuse ville... Mais l'étendre ne nous ferait pas tellement moins de mal... Pacifiville va être engloutie... Aide-moi, je t'en supplie... Il faut les sauver... »
L'enfant n'arrivait plus à parler, la gorge nouée par la peur et le désespoir. Eimeo avait perdu la confiance dans son regard et semblait à présent perdu, pris par le doute. Sa camarade avait une expression pleine de certitude, au contraire. D'un geste précis, elle rappela six des Pokémon plantes et secoua l'épaule de son collègue.
« On y va, Eimeo. On n'est pas là pour laisser des gens mourir. On a un bateau en bas, ajouta-t-elle à l'intention de Vaimiti, pas assez grand pour récupérer tout un village, mais on aura peut-être le temps de les déposer en lieu plus sûr. Eh, vous, les zigotos Magma, vous venez aussi ! »
Un des sbires, celui qui n'avait pas encore pris la parole jusqu'alors, sorti un nouveau sourire méprisant.
« C'est ça, la morue. Cause toujours. »
La jeune femme leva un sourcil, et alors qu'Eimeo rappelait lui aussi ses Ortide, Rayquaza commença à s'agiter.
« Vous tenez vraiment à vous occuper du gros serpent tous seuls ? Pas de problème, mais ne venez pas pleurer si vos Soporifik ne font pas le poids... »
Les Pokémon hypnotiseurs, de fait, semblaient de moins en moins sûrs de leur capacité à maintenant endormi le dieu Dragon, et leurs maîtres s'en rendirent bien compte. Ils hésitèrent quelques instants, avant de rappeler leurs subordonnés et de rejoindre Vaimiti et les sbires Aqua, qui repartaient déjà par là où ils étaient arrivés un peu plus tôt.
Lorsqu'ils arrivèrent à l'embarcation d'Eimeo, un Zodiak bleu décoré de l'emblème qui ornait aussi son costume, et à côté duquel se trouvait le même genre de bateau, de couleur rouge, le Soleil brillait de nouveau. De la même manière que le Pilier Céleste éloignait la pluie, cependant, la lumière semblait plus supportable au sol qu'à quelques mètres au large. Mais cela n'importait pas, pour l'heure. Répartis en deux groupes, les cinq humains et le Békipan partirent à toute vitesse en direction de Pacifiville, ou de ce qu'il en restait.
Quelques dizaines de minutes plus tard, un rayon vert émanait de la tour, perçant les nuages, fonçant dans la direction d'Atalanopolis. Le spectacle dura une dizaine de secondes, tout au plus, mais Vaimiti et ses compagnons étaient trop occupés à prendre en charge les Pacifivillois terrorisés. Quelques minutes plus tard, le vent s'apaisait enfin.