Chapitre 1 : La petite éleveuse de Corayon
Hey, Vaimiti !
Nous avons fini de nous installer à Atalanopolis, enfin ! Bon, il reste encore plein de cartons à ranger, mais au moins, toutes nos affaires sont là. D'ici quelques jours, on aura enfin l'impression d'habiter dans une maison, notre nouveau « chez-nous », et pas une espèce de truc tout vide et triste. La ville est très jolie. Ça n'a rien à voir avec notre belle Pacifiville, bien sûr, mais ça a son charme de vivre dans un volcan. C'est beaucoup plus animé ici, même si c'est aussi plus fermé aux personnes de l'extérieur.
Pour rentrer ici, on a dû passer par une grotte sous-marine avec un sous-marin ! C'était tout une histoire, avec les meubles et tout à changer d'embarcation, mais il faut croire que les déménageurs du coin sont habitués à ces contraintes. Tu aurais vu la vitesse à laquelle ils ont fait ça !
Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de passer te voir prochainement. Mais maman a dit que tu étais la bienvenue à la maison (une fois qu'elle sera rangée) quand tu veux, et aussi longtemps que tu veux. Donc si l'envie te prend, n'hésite pas à venir nous rendre visite ! Je suis sûr qu'Atalanopolis te plaira !
J'attends ta réponse par retour de Goélise. Bisous !
Timéo
La petite fille caressa avec délicatesse les plumes de l'oiseau marin posé sur sa table, tandis qu'elle achevait la lecture de sa lettre. La vie avait tellement changé depuis le déménagement de son meilleur ami ! Ce premier message depuis son départ lui avait bien remonté le moral. Reconnaissante envers le Goélise qui avait accompli sa mission avec succès, même s'il n'en mesurait sans doute pas l'importance aux yeux de la fillette, Vaimiti lui offrit quelques Pokéblocs que l'oiseau s'empressa d'engloutir, tout content.
Elle attrapa une feuille blanche et un stylo, et réfléchit à sa réponse. Que pouvait-elle raconter à Timéo qu'il ne savait pas déjà ? Il faisait beau à Pacifiville. Son élevage de Corayon se portait bien, si bien qu'elle avait même commencé à adopter des Lovdisc en plus. Sa maman préparait toujours d'excellents plats à partir de ce que pêchait son papa. La mer était toujours aussi belle. Et la maison que la famille de son ami avait laissée derrière attendait toujours de trouver un nouveau propriétaire. Donc, rien de nouveau sous le soleil d'Hoenn. Ce qui n'arrangeait pas ses affaires, puisqu'elle se retrouvait sans rien à raconter. Vaimiti savait aussi qu'un papier dans lequel elle expliquait au garçon qu'il lui manquait la ferait passer pour une chochotte à ses yeux, et n'était pas ce qu'il attendait. Donc... syndrome de la page blanche. Elle en était toujours là dans sa réflexion quand le Goélise, fatigué par sa traversée de l'Océan, replia ses ailes et s'assoupit sur sa table.
Après tout, pourquoi se précipiter ? L'oiseau ne serait pas capable de faire le chemin retour immédiatement. La petite fille sourit et reposa son matériel d'écriture, préférant sortir s'occuper de Cory et ses camarades Pokémon que se triturer les méninges pour rien. Enfilant ses sandales, l'enfant aux cheveux bruns et aux yeux verts sortit de sa maison en bois, ses pas résonnant sur les ponts reliant les plateformes de Pacifiville.
Tout le monde connaissait ce pas, désormais. La petite fille d'une douzaine d'années, ses sourires rayonnant et sa voix guillerette étaient les symboles de la ville flottante. Il fallait dire qu'il était difficile d'ignorer qui était son voisin lorsqu'on vivait dans un aussi petit endroit, et qu'on y restait plusieurs années comme la majorité des habitants. La communauté était comme une grande famille vivant dans une immense maison, avec des cabanes comme chambre, des ponts de bois comme couloirs, des places centrales comme salle de séjour. Chaque individu finissait par être connu pour lui-même. Vaimiti avait d'abord été la fille du pêcheur et de la cuisinière ; désormais, depuis quelques années, elle était « la petite éleveuse de Corayon ».
Alors qu'elle arrivait au bout du chemin en planches, elle plongea la main dans l'eau tiède et salée de l'Océan du Sud, dangereusement penchée au-dessus de la mer. Il ne se passa rien, mais après quelques dizaines de secondes, des bulles apparurent à la surface, puis des remous. Enfin, des coraux roses émergèrent, suivis par les corps de leurs propriétaires Pokémon. Dès qu'elle avait eu l'âge de marcher seule et de se promener dans le village, la petite fille avait rapidement eu le feeling avec les créatures marines, en particulier cette espèce-là. Elle en avait alors adopté un, puis deux, puis toute une bande qui vivait sous les fondations de la cité. Les plus vieux habitants prétendaient même que les Corayon eux-mêmes étaient les fondations de Pacifiville, et avaient commencé par réprimander Vaimiti, dont les actions risquaient de faire couler le village, selon leurs croyances. Mais le groupe de Pokémon avait grossi, et la ville avait continué à flotter comme elle l'avait toujours fait. L'enfant avait donc été laissée tranquille par tous les habitants.
« Bonjour, les Corayon ! Cory n'est pas avec vous ? »
En guise de salutations, les créatures crachèrent quelques filets d'eau qui vinrent arroser la jeune fille, qui ne put tous les esquiver et préféra capituler en riant. Aujourd'hui, six d'entre eux étaient montés à la surface, mais pas celui qu'elle attendait. Cory était le premier Corayon qu'elle avait apprivoisé ; c'était aussi celui dont elle était le plus proche. Cependant, contrairement à un dresseur tel que ceux qui étaient parfois passés en ville, « ses » Pokémon étaient parfaitement libres d'aller et venir à leur guise : le corail vivant était donc, probablement, quelque part en mer, en promenade ou en chasse. Cela n'empêchait pas Vaimiti d'être déçue, bien sûr. Mais elle avait conscience qu'elle n'avait aucun droit sur la vie de son camarade, pas plus qu'il n'en avait sur la sienne.
Un bruit étrange et suspect attira son attention dans son dos. L'enfant se retourna vivement pour se retrouver face à face avec son camarade aquatique, qui, désarçonné d'avoir été surpris si facilement, dût s'y reprendre à deux fois pour réussir une attaque Bulles d'O correcte qui éclaboussa des pieds à la tête la fillette. Celle-ci cria de stupéfaction, trempée comme une soupe, mais finalement hilare. Ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait avoir comme ça par Cory, bien au contraire. Mais, sur une ville-île où il faisait beau et chaud toute l'année, un peu d'eau n'était pas un grand mal. D'ailleurs, Vaimiti se jeta sur le Pokémon sitôt qu'il eut vidé ses réserves d'eau, et ils plongèrent ensemble dans l'Océan.
Une tempête de bulles les enveloppa tandis qu'ils s'enfonçaient dans l'eau salée, entourés par les créatures marines de l'élevage. Cory, que son amie tenait par une corne de pierre, plongea plus profondément. Comprenant immédiatement les intentions de son camarade, Vaimiti sortit d'une poche son dispositif de respiration sous-marine, qu'elle plaça dans sa bouche. On ne pouvait se séparer de ce genre d'appareil lorsqu'on vivait ainsi juste au-dessus de l'eau, et que le risque de noyade était loin d'être nul, en particulier chez les enfants. Celui de la fillette ne la quittait jamais, habituée qu'elle était au plongeon surprise et bain de mer à toute heure du jour – et parfois de la nuit. Rapidement, l'eau qu'avalait l'engin libéra son oxygène que la nageuse put respirer correctement.
Comme à leur habitude, ils explorèrent rapidement les environs, sans aller trop en profondeur toutefois. Les Corayon qu'avait réunis l'éleveuse les suivaient, formant une jolie et joyeuse procession colorée. Ils croisèrent des créatures sauvages, et d'autres qui avaient l'habitude des humains de la ville... Ou même certains qui squattaient régulièrement le groupe de Vaimiti. Des Hypotrempe, des Lovdisc, un Rosabyss, dans les fonds obscurs. La fillette crut même voir un Wailord, bien plus loin. Ce spectacle, auquel elle était habituée et qu'elle pouvait admirer sans lunettes malgré le sel, ne cessait pourtant de l'impressionner et de la faire rêver. L'Océan était si vaste... Rien que dans les alentours, elle savait qu'elle était loin d'avoir tout vu et tout découvert.
La promenade sous l'eau dura encore quelques dizaines de minutes, puis une heure, puis une deuxième. Vaimiti ne remontait à la surface que pour se réchauffer au soleil quelques instants, surveiller sa position, puis replonger aussi vite qu'elle avait émergé. Néanmoins, elle finit sans s'en apercevoir par s'éloigner un peu trop à l'Ouest... Aussitôt, Cory, très réactif, s'interposa sur le chemin de la fillette, la percutant presque tandis qu'elle nageait.
« Bloup ! »
Les autres Corayon le rejoignirent, et formèrent ensemble une grande barrière infranchissable par Vaimiti. En réalisant ce qu'ils l'avaient empêchée de faire, elle faillit en perdre son appareil de respiration, de stupeur. Quelques bulles d'air s'échappèrent de sa bouche, remplacées par de l'eau, qu'elle avala de travers. Mais l'éleveuse était surtout reconnaissante envers ses amis aquatiques : elle avait failli se retrouver sur le Chenal 132, zone interdite aux nageurs car extrêmement dangereuse. Les courants, fourbes et mortels, étaient invisibles, mais la jeune fille pouvait déjà les sentir, comme s'ils essayaient de l'aspirer. Même les Pokémon de son groupe n'étaient pas rassurés et n'osaient s'aventurer dans cette direction. Rapidement, Vaimiti nagea en sens inverse, vers sa ville, en sécurité. Elle s'aperçut qu'elle tremblait. L'idée d'être emportée par les flots était terrifiante et, cette fois, elle n'était pas passée loin. D'un commun accord, le groupe décida que cela faisait assez de balade pour aujourd'hui.
Avec la facilité d'un Phogleur, la petite fille sortit de l'eau et se posa sur l'un des chemins de Pacifiville, épuisée. L'air avait légèrement fraîchi depuis le début de sa plongée, mais il faisait suffisamment chaud pour qu'elle puisse sécher rapidement. Elle essora sa chevelure sombre et retira sa robe pour l'étendre au sol, avant de se coucher elle-même sur le bois tiède. La pré-adolescente n'était pas encore assez formée pour que qui que ce soit ne se formalise d'une telle impudeur ; et, de toute façon, le coin était désert pour le moment. Les rayons du soleil dispensaient leur chaleur à sa peau bronzée, laissant s'évaporer les gouttes d'eau sur son corps frêle. Les Corayon, eux, étaient restés dans leur élément, mais profitaient tout de même de la lumière et de la chaleur de l'astre du jour.
Les yeux fermés, Vaimiti sourit. Au moins, elle avait quelque chose à raconter à Timéo, maintenant !
Bonjour Tim !
Ta lettre m'a fait très plaisir, merci. Ravie d'apprendre que tout s'est bien passé ! Pour fêter ça, maman a proposé qu'on trouve un Pokémon messager plus gros, la prochaine fois, et qu'on vous envoie quelques gâteaux que nous aurons cuisinés toutes les deux. Je ne crois pas que ton Goélise soit capable de porter beaucoup plus qu'une lettre, pour le moment, alors tant pis pour toi :P
Les Corayon se portent toujours bien. Aujourd'hui, nous sommes allés en promenade, pendant presque trois heures. Je crois que j'ai vu un Wailord, à l'Est ! C'était chouette !
Mais après, j'ai sans doute commencé à fatiguer, et j'ai dérivé à l'Ouest... Les Corayon m'ont arrêtée à temps ! Un peu plus et j'arrivais aux rapides... Brrr :( Évidemment, je n'en ai pas parlé à maman en rentrant... Je crois qu'elle me priverait de baignades pendant pas mal de temps, si elle savait !
C'est dommage, mais ta lettre est arrivée juste après le départ du dernier bateau. Il va falloir attendre quelques temps que le prochain ne passe avant de venir te voir ! Mais je n'y manquerai pas, promis !
À très vite, bisou,
Vaimiti