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L'effet Charmillon de Axis



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» Auteur : Axis - Voir le profil
» Créé le 15/11/2014 à 03:59
» Dernière mise à jour le 15/11/2014 à 11:11

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Dépression
C'est la deuxième fois que je vois Alizée pleurer. La dernière fois, c'était quand elle et Alice ont dû se séparer à cause du déménagement de ma dresseuse. Elles étaient les meilleures amies du monde, et ont passé toute leur adolescence ensemble, à rire et à rêver.
A l'époque, j'étais un Massko, et Icare n'avait pas encore évolué en Altaria. Mais nos dresseuses nous entraînaient avec ténacité, la mienne voulant absolument gagner un jour le Tournoi des Légendes, et Alizée rêvant de devenir la championne de l'arène locale. Mais un jour, Alice a dû quitter Cimetronelle pour aller vivre à Poivressel, cette ville offrant beaucoup plus d'opportunités pour les dresseurs. Les adieux furent déchirants.

En ce moment, Alizée est debout en face de toutes les personnes ayant répondu présent pour l'enterrement de cet après-midi dans le cimetière municipal de Poivressel. Elle porte sa tenue d'aviateur bleue et blanche, et deux mèches s'échappent des cotés de son casque, pointant vers le haut, tandis que le reste de sa longue chevelure mauve tombe jusque derrière ses jambes.
Les larmes emplissent à présent son regard et sa voix commence à trembler, mais elle arrive à se contenir suffisamment pour terminer son discours :

- ... et quand je volerai à travers les nuages sur le dos de mon Altaria, je me dirai que quelque part, volant encore plus haut, Alice et là, et veille sur moi. Alors plutôt que de sombrer dans le malheur maintenant qu'elle n'est plus parmi nous, je propose que nous nous réjouissions d'avoir eu le bonheur de la connaître. Alice. Une fille adorable, sensible, et d'une générosité infinie. Repose en paix ma grande, et merci pour tout ce que tu nous a apporté.

Tandis que quelques personnes applaudissent doucement, la championne retourne prendre sa place dans le public. Je crois qu'elle m'a vue, mais elle n'a pas réagi. Actuellement, je suis cachée derrière un arbre, vers le fond de l'assemblée composée d'une vingtaine de personnes, la plupart vêtus de noir. J'avais beau être recherchée, il fallait que je sois présente.

Les deux Pokémon du maître de cérémonie commencent à faire léviter le cercueil d'Alice afin de le poser délicatement au fond du trou, à proximité de l'endroit où Alizée a fait son discours. L'un d'entre eux est un petit Balbuto, et le deuxième... Un Charmina. Quelle ironie.

Une fois cela fait, les membres de l'audience se lèvent tous pour passer les uns après les autres devant le cercueil, afin de rendre un dernier hommage à Alice.
Les premiers à le faire sont une femme rousse et un homme aux cheveux noirs se tenant par la taille. Il s'agit des parents de ma dresseuse. Ils se sont séparés quand elle était encore très jeune, et pourtant ils sont là tous les deux, pleurant ensemble le décès de leur fille.
Suit une petite fille aux cheveux roux et bouclés elle aussi, tenant la main d'un jeune homme coiffé d'un bonnet noir. Ce sont le grand frère et la petite sœur d'Alice. Je les aime beaucoup, et ça me fait du mal de les voir dans cet état. La petite fille hurle de tristesse et pleure contre la jambe de son frère, abattu lui aussi. Un Stalgamin et un Absol les accompagnent, ce sont leur Pokémon.

Je me rappelle soudain les jours heureux qu'on passait à jouer tous ensemble dans le jardin, insouciants. Ces souvenirs m'attristent encore plus, et s'il me restait encore des larmes, je crois que je pleurerais.

Tiens, Thomas est là lui aussi. Blond et portant des lunettes, il est accompagné de son Colhomard. Lui et Alice étaient en couple avant, mais le déménagement de cette dernière a eu raison de leur histoire. J'ai trouvé ça dommage, ils s'entendaient vraiment bien.

Après que tout le monde soit passé devant le cercueil, le Balbuto commence à le recouvrir de terre, marquant la fin de la cérémonie. Je décide donc de partir.



Me voilà à nouveau dans les rues de Poivressel, errant sans but pendant que le soleil décline. La chute fatale de ma dresseuse du haut de la tour radio date d'il y a deux jours, maintenant. Deux jours pendant lesquels je n'ai pas mangé, n'ayant pas le cœur de m'en prendre à d'autres innocents dans mon état actuel. Depuis tout ce temps, j'ai traversé la ville de long en large à plusieurs reprises, sans cesse bousculée par mes pensées faute de l'être par les passants que je continue d'éviter.

Je tente d'imaginer à quoi va ressembler ma vie maintenant qu'Alice n'est plus là, mais je ne vois rien. Nous avons toujours tout fait ensemble, elle faisait partie de moi, et moi d'elle. Afin de surmonter ma tristesse, j'essaie de penser à autre chose, mais j'échoue là aussi : tout ce que je vois me la rappelle.

A proximité de l'embarcadère, j'aperçois le ferry Marina en train d'accoster. Lors de notre emménagement à Poivressel, ce bateau était encore en construction, et mon amie était pressée de voir à quoi il ressemblerait une fois fini. Nous avons même eu l'occasion de voyager à son bord pour nous rendre dans la fameuse Zone de Combat. Alice était tellement excitée...

Sur le flanc d'un bus, j'aperçois une affiche faisant la publicité pour le Musée Océanographique de la ville. Ma dresseuse et moi l'avons visité un nombre incalculable de fois, et nous avons vu passer de nombreuses expositions différentes. Elle était fascinée par l'histoire de Kyogre, un Pokémon ancien qui aurait étendu les océans en provoquant de violentes tempêtes.

Je passe à présent devant le Fan Club Pokémon. Alice était adhérente, et toutes les deux nous sentions ici comme chez nous, au milieu de ces gens de tous âges qui aimaient les Pokémon d'un amour inconditionnel.

Juste en face se trouve le magasin de glaces du quartier, où nous nous rendions après chaque séance d'entraînement. Goût Mago-Fraive. C'étaient ses préférées.
Alice. Tu me manques tellement... Pourquoi a-t-il fallu que ça t'arrive ? Pourquoi toi ? Tu étais une fille adorable...

Une fois de plus, je tombe à genoux et pose mes mains au sol. Je constate ensuite que contrairement à ce que je pensais, il me reste encore des larmes en réserve. Un choc contre mon épaule me rappelle soudain à la réalité. Une femme pressée portant des lunettes et une valise de travail tourne sa tête vers moi tout en continuant de marcher :

- Rooooh, fais attention !

Pendant qu'elle s'éloigne, je regarde autour de moi. Je suis sur un trottoir, en plein milieu du passage, dans une rue bondée. J'étais tellement perdue dans mes pensées que j'ai oublié l'espace d'un instant qu'il faut que j'évite de me faire remarquer. Mais étrangement, le fait d'être au milieu de tout le monde en ce moment ne me dérange pas. Comme si à présent, ma sécurité ne m'importait plus. Reprenant mon chemin, je prête maintenant attention aux passants et Pokémon qui vont et viennent autour de moi. Certains me regardent curieusement lorsqu'ils me croisent, tandis que d'autres m'ignorent.

- Hé, mais... C'est pas ce Jungko ultra dangereux recherché par la police, là ? s'exclame une voix masculine apeurée dans mon dos.

Tous les regards sont à présent braqués sur moi. Je suis entourée d'un cercle d'humains et de Pokémon silencieux qui me fixent avec des yeux exorbités. Les miens dévisagent ces passants un à un, puis s'arrêtent sur un petit garçon tenant un cornet de glace dans une main, et dans l'autre, attaché à un cordon en plastique, un ballon à l'effigie du Pokémon Charmillon. L'enfant lâche alors sa glace et pousse un cri de terreur, provoquant la panique générale. Les gens et leur Pokémon fuient de tous les cotés, certains n'hésitant pas à traverser la route en courant, obligeant les voitures à faire des manœuvres brusques pour les éviter. Il ne faut pas longtemps avant que j'entende des premières sirènes de police. Je ne dois pas rester ici.



M'y revoilà. Là où tout a basculé. Le sommet de la tour radio. Je me suis laissée croire que revenir ici m'aiderait à affronter les fantômes du passé, mais visiblement je me suis trompée, je me sens plus mal que jamais... Et je revis chaque instant de cet horrible jour.

Les battements de mon cœur s'accélèrent à mesure que je m'approche de l'endroit d'où Alice a chuté. Une fois au niveau du rebord, je m'arrête et contemple le paysage. La nuit vient de tomber et Poivressel brille de mille feux. Les lampadaires éclairent les rues, et je vois les lumières mouvantes des voitures sur les routes. J'aperçois même le Marina au loin, scintillant au milieu de l'océan.

Prenant mon courage à deux mains, je me résous enfin à regarder en bas. Ça y est, je la vois. Elle tombe. Elle pleure. Elle sait qu'elle va mourir. J'entends encore sa voix déchirante me crier « Je t'aime ».
Une vision d'horreur vient soudain interférer avec mes souvenirs : ce que j'ai vu après avoir échoué à sauver ma dresseuse. Ce que j'ai vu lorsque je me suis penché au dessus du rebord pour regarder en bas, comme je suis en train de le faire en ce moment.

Un haut-le-cœur me prend, et je ferme les yeux en posant le poignet sur ma bouche. Exactement comme la dernière fois. Je n'en peux plus : levant la tête vers le ciel, je pousse un long cri de douleur. Un cri qui reflète toute la détresse et la souffrance que je ressens.

Une fois ma peine extériorisée, je tombe en arrière et me remets à pleurer, allongée sur le dos, main sur le front. Il faut que je me rende à l'évidence : ma vie n'a plus aucun sens. Et maintenant que j'y pense, elle n'en a jamais eu.

- Mais bien sûr que si.

Non ! Ma dresseuse a passé presque un an en prison par ma faute, puis a été tuée suite à une série de catastrophes que j'ai provoquée. J'ai tué un Pokémon et plongé sa famille dans le malheur. J'ai paralysé à vie une femme, une femme qui avait un fiancé, des projets ! Je.. Je suis une malédiction.

- C'est faux. Tu es capable de faire de bonnes choses.

Je me rends compte que je suis en conflit avec moi-même. Une partie de moi est brisée, tandis que l'autre tente de réconforter la première. Mais c'est trop tard à présent. Ma décision est prise. Depuis ce jour funeste dans le stade d'Éternara, je n'ai cessé de lutter. De lutter contre la vie, à chaque instant, me disant qu'un jour, tout ira mieux. Mais c'était un mensonge : la vie m'a abandonnée. La vie... m'a battue.

Me relevant, je regarde à nouveau la ville, avec un œil différent cette fois. Puisque c'est la dernière fois que je la vois. Bon débarras. De toute façon, ce monde n'en vaut pas la peine.

- Tu sais que ça ne résoudra rien.

Ignorant cette voix intérieure, je me rapproche au maximum du bord de l'immeuble. Si, ça résoudra tout ! Il m'aura fallu du temps pour m'en rendre compte, mais la vie ne veut plus de moi, alors autant en finir...

Fermant les yeux, j'étends les bras sur les cotés et prends une profonde inspiration. Puis, je commence à basculer lentement vers l'avant. Tout est termi...

- Non, Arrête !

Mon geste est interrompu par une voix douce venant de derrière moi. Je décide de ne pas me retourner.

- Ne fais pas ça ! continue la voix. Je ne sais pas ce qui t'arrive, mais quoi que ça puisse être crois moi, ce n'est pas la solution !
- Tais-toi ! je crie, ayant peur que cette voix finisse par me convaincre. Il faut que tout ça s'arrête ! Je n'en peux plus !

Cette voix est étrange. Elle est féminine, mais je n'ai pas l'impression qu'elle est humaine. Pourtant, je n'ai jamais entendu de Pokémon parler de la sorte.

- Ecoute, reprend-elle. Je sais ce que tu ressens. Tu as l'impression d'être dans une impasse dont la mort est le seul échappatoire. Mais il y a toujours un moyen de s'en sortir ! Dis-moi juste ce qui t'arrive.

Comment ose-t-elle se permettre de dire ça ? Je laisse ma rage exploser :

- MA DRESSEUSE EST MORTE A CAUSE DE MOI ! ALORS ? TU SAIS CE QUE JE RESSENS ?
- Le mien aussi, et c'est moi qui l'ai tué.

Surprise par cette réponse, je cesse de tendre les bras et me retourne. A travers mes larmes, je distingue une silhouette claire à quelques pas de moi. Après m'être essuyée les yeux d'un revers de main, je vois beaucoup mieux mon interlocuteur. Robe blanche, chevelure vert clair et yeux rouge rubis : c'est un Gardevoir.

- J'ai l'impression qu'on a toutes les deux besoin de parler, me dit-elle en un souffle en baissant le regard.

Elle commence alors à s'élever dans les airs en reculant.

- Attends ! je crie, la tête remplie de questions.
- Je n'aime pas beaucoup cet endroit, me répond le Pokémon en s'envolant encore plus haut. Je préfère cette route au nord de la ville. Viens m'y retrouver !

Après m'avoir adressé un léger sourire, elle s'éloigne dans la direction qu'elle vient de m'indiquer, traversant les airs loin au dessus des immeubles et des voitures, me laissant seule sur le toit dans un sentiment mélangeant honte et culpabilité.



Je ne sais même pas pourquoi je suis venue. Non seulement le Gardevoir n'est pas là, mais en plus cet endroit me fait repenser à Alice: c'est la route que nous avons empruntée pour revenir à Poivressel après sa sortie de la prison de Lavandia.
Ça fait longtemps que je fais des allers-retours le long de la route, à proximité de la ville. Nous sommes au beau milieu de la nuit maintenant, et l'endroit est désert. De l'herbe pousse à proximité du chemin goudronné, et tandis que la route borde la mer d'un coté, je distingue une petite colline de l'autre. Le cadre est calme et apaisant, mais l'impatience commence à m'emporter.

Je pense que j'attends pour rien, personne ne viendra. Comment ai-je pu être assez stupide pour croire ce Pokémon sorti de nulle part ? J'aurais dû m'y attendre, « cette route au nord de la ville », c'est très vague comme indication...

- Elle s'est peut-être perdue.

Oh, alors toi, la ferme ! Je n'ai plus assez de patience pour un autre débat avec moi-même.
Je décide de faire demi-tour et de revenir à Poivressel.

- Bouh.

A peine retournée, je me retrouve nez-à-nez avec un visage blanc dont les yeux rouges brillent dans la nuit. Dans la panique, je fais un pas en arrière et présente la lame de mon bras gauche en guise d'avertissement.

- T'as des bon réflexes de survie pour un Jungko suicidaire ! s'amuse le Gardevoir.

Je quitte ma posture menaçante et fixe le Pokémon avec un regard surpris. J'étais persuadée qu'elle ne se montrerait pas.

- Mais qu'est-ce qui se passe ? me demande-t-elle en souriant. On dirait que t'as vu un fantôme !

Le Pokémon se met alors à rire de manière enfantine en se serrant les côtes. Après s'être calmée, elle reprend son discours :

- Desolée si je t'ai fait peur, mais c'est tellement drôle de faire ça ! Et puis toi aussi tu m'as fait sursauter lorsque tu as crié sur ce toit ! Quand je t'ai entendue je suis venue aussi vite que j'ai pu... Oh, excuse-moi, j'ai oublié de me présenter ! Moi, c'est Esper.

Le Gardevoir s'incline en relevant gracieusement les coins de sa robe. Je me sens très gênée maintenant.

- Euh... Enchantée, je m'appelle...
- Je sais qui tu es ! me coupe-t-elle. Tout le monde te connaît ! Mesa la Légende Bleue...

Elle baisse soudain le regard et se met à regarder le sol d'un air triste.

- ... Mon dresseur était un grand fan de toi. On allait même participer au Tournoi des Légendes, cette année.
- Oh, je suis vraiment désolée, dis-je en approchant ma main de son épaule pour la réconforter.

La réaction d'Esper est brusque. Avant que je ne la touche, elle fait un grand pas en arrière et place rapidement ses mains sur le haut de sa poitrine en signe de défense :

- Ne t'en fais pas pour moi ! me dit-elle avec précipitation.

Voyant que je ne comprends pas sa réaction, son regard se tourne vers la colline à sa gauche. Elle la fixe un moment, puis porte à nouveau son attention vers moi :

- J'ai envie qu'on aille sur cette jolie colline, là bas. Tu me raconteras tes soucis en chemin, d'accord ?
- T... Très bien, réponds-je en acquiesçant. Par où veux-tu que je commence ?
- Eh bah ! Par le début, évidemment ! rit Esper.

Nous commençons alors à marcher ensemble dans l'herbe, nous éloignant de la route. Au début, c'est assez difficile de m'ouvrir à elle. J'ai peur qu'elle me juge, qu'elle ait une mauvaise image de moi. Mais le comportement compréhensif du Gardevoir me met en confiance, et assez rapidement, je me surprends à lui raconter mon histoire jusque dans les moindres détails.

Je lui dis tout. La relation profonde que j'entretenais avec ma dresseuse, le drame du stade d'Éternara, le sacrifice d'Alice au poste de police pour me sauver la vie, les jours interminables à l'attendre en face de la prison de Lavandia, la tentative de vengeance de Lucie, les derniers instants avec mon amie...

Je sens les larmes me venir à nouveau lorsque j'en arrive à l'épisode de la tour radio. Revivre ce moment est un véritable supplice, mais voyant qu'Esper m'écoute avec attention, je décide de me concentrer pour pouvoir terminer mon récit. Après avoir inspiré, j'entame la partie la plus difficile de l'histoire.

Alors que j'en arrive à l'intervention du Gardevoir qui m'a empêchée de mettre fin à mes jours, nous atteignons le sommet de la colline. Je me sens beaucoup mieux maintenant, comme libérée d'un poids.

- Ouah, quelle histoire... Je suis désolée pour ta dresseuse, c'était vraiment une fille formidable. soupire Esper, émue par mon récit.
- Merci beaucoup. Ça m'a fait du bien de me confier, je crois que c'est de ça que j'avais besoin.

Suit un long moment pendant lequel Esper et moi regardons le paysage dans un silence gêné. De là où nous sommes, nous avons une vue imprenable sur ce qui nous entoure. A ma droite, je vois le reflet de la lune se dessiner à la surface de l'océan. Droit devant, au loin, je distingue la forme imposante du Mont Chimnée, le point culminant de la région. Et à ma gauche, au delà d'un troupeau de Monaflemit et de Vigoroth endormis, se dresse une petite forêt, derrière laquelle je peux aperçevoir les lumières de Clémenti-Ville.

Un choeur de voix apaisantes venant d'au-dessus de nos têtes attire mon attention. Levant les yeux, j'aperçois un groupe de cinq Éoko chantant sous le ciel étoilé. Portés par le vent, ils finissent par s'éloigner lentement, laissant à nouveau place au silence.

- Hé, regarde ! s'exclame le Gardevoir d'une voix émerveillée en pointant du doigt en direction du ciel.

J'ai juste le temps de voir une étoile filante s'évanouir dans la nuit. Quand mon regard revient sur Esper, elle a les yeux fermés et les mains jointes devant sa bouche. Après un court instant, elle me regarde à nouveau, larmoyante, et s'explique :

- On venait souvent ici avec mon dresseur pour contempler le ciel, la nuit. Il m'a dit de faire un vœu à chaque fois que je voyais une étoile filante. Parce qu'il peut arriver qu'en fait il s'agisse de Jirachi, un Pokémon légendaire doux et très généreux. Mon vœu aurait alors de grandes chances de se réaliser !

Elle me sourit et ajoute :

- ... Et là, je viens de faire un vœu pour toi.

Son geste me touche vraiment :

- Oh ! Merci beaucoup ! Quel vœu as-tu fait ?
- Il ne faut surtout pas que je te le dise ! me répond le Gardevoir en riant. Sinon il ne se réalisera pas !

A mon tour, je luis souris, puis lui demande :

- Esper. J'avais besoin de parler, et tu as écouté tous mes problèmes. Maintenant je me sens beaucoup mieux. J'ai envie de te rendre la pareille, je suis certaine que tu as beaucoup de choses à me raconter, toi aussi.

Une fois de plus, elle baisse les yeux d'un air triste. Elle finit par les relever, puis me répond :

- Tu as raison... Suis-moi, il y a un autre endroit que j'aimerais te montrer.

Pendant que nous descendons la colline en direction de la forêt, Esper me raconte à son tour son histoire.

Son dresseur s'appelait Fred. Un adolescent plein d'énergie et de projets. Son rêve le plus cher était de gravir la plus haute marche du podium du Tournoi des Légendes avec son Pokémon, comme Alice à son âge. Le jour de son anniversaire, sa grande soeur lui offrit une capsule technique contenant une puissante attaque consistant à matérialiser des ondes psychiques afin de les envoyer sur l'adversaire. Lui et son Gardevoir sont donc immédiatement partis dans la forêt pour tester la capacité. Pendant que Fred installait la cible d'entraînement, Esper, impatiente d'utiliser sa nouvelle attaque, tenta de tirer dessus. Mais elle ne maîtrisait pas encore parfaitement la technique, et toucha son dresseur à la tête et à la poitrine. Il mourut à l'hôpital des suites de ses blessures.

Tuer son dresseur... Ça doit être horrible. J'ai honte d'avoir hurlé sur ce pauvre Gardevoir au moment où il tentait de me sauver la vie. Esper me disait qu'elle savait ce que je ressentais, et je ne l'ai pas cru.

- Toutes mes condoléances, dis-je d'une voix timide.

« Toutes mes condoléances » ? Allez, c'est tout ce que j'ai trouvé à dire ? Décidément, réconforter mon entourage n'est vraiment pas mon...

- Tu avais raison, je me sens mieux maintenant ! Confier ses problèmes aide beaucoup en fait ! s'exclame Esper en me souriant. Si... Si seulement je...

Elle s'interrompt soudain et pointe du doigt devant elle.

- Ah, je crois qu'on est arrivés ! m'annonce le Gardevoir.

Pendant qu'elle me racontait son histoire, Esper et moi avons contourné le groupe de Pokémon assoupis dans la prairie et nous trouvons à présent à l'orée de la forêt. Dans la direction qu'elle m'indique, je distingue une sorte de clairière, mais l'obscurité de la nuit m'empêche de bien y voir.

- Suis-moi, et ne t'éloigne pas trop. me recommande le Gardevoir en s'aventurant à travers les arbres.

La lumière de la lune est entravée par les feuillages. Maintenant que nous sommes dans l'obscurité totale, je me rends compte qu'Esper est entourée d'un étrange halo lumineux. Comment ça se fait ? Peut-être que c'est normal, chez les Gardevoir. En tout cas je ne vais pas m'en plaindre : il s'agit à présent de mon seul repère visuel m'empêchant de me prendre un tronc d'arbre dans la figure.

Nous finissons effectivement par déboucher sur une clairière. D'une taille assez petite, elle est presque vide : j'aperçois une forme vague et immobile de l'autre coté, on dirait un Pokémon. C'est là qu'Esper m'emmène.

Après avoir traversé la zone, nous arrivons au niveau de la forme étrange. Je dois contourner une motte de terre allongée pour l'atteindre. Il s'agit d'une sorte d'épouvantail de bois et de paille en forme de Chapignon, avec un point noir entouré d'un cercle sur le ventre.

- C'est ici qu'on venait s'entraîner avec mon dresseur. Et là, c'est sa tombe, m'explique Esper en me montrant la motte de terre que j'ai évitée.

Je plaque ma main sur ma bouche : je ne m'attendais vraiment pas à entendre ça. La tombe de son dresseur ? J'ai failli l'écraser !

- Et ça, reprend-elle en pointant du doigt le Chapignon factice, c'est la cible qu'il tentait d'installer le jour de... Tu sais...

Après avoir acquiescé, je m'abaisse en direction d'un petit cadre photo posé entre la tombe et la cible. Il fait assez sombre, mais sur l'image je parviens à distinguer un jeune garçon coiffé d'un cône en carton soufflant des bougies sur un gâteau d'anniversaire. Il a l'air heureux, et je me sens triste en pensant au destin tragique qui l'attendait ce jour là.
Pendant que je contemple la photo, Esper s'adresse à moi d'un ton sincère :

- Dans la vie, on rencontre des gens, et parfois on s'attache à eux. Mais vient inévitablement ce jour où pour une raison quelconque, nos chemins se séparent. Et parfois, ça arrive beaucoup plus tôt que prévu. On peut alors avoir l'impression que tout s'arrête. Que c'est fini. Mais c'est faux, il y a une vie, après, et c'est à nous d'en tirer le meilleur. Et tant qu'on garde souvenir de ces êtres aimés, ils ne partent pas vraiment au final, parce qu'il reste une trace de leur passage dans notre vie. Alors fonce, continue de te battre, bats-toi pour tes idéaux, pour tes projets ! Et si tu n'en as plus, alors trouve-toi-en ! Parce que crois-moi, la vie vaut vraiment la peine d'être vécue. Mais moi, je l'ai compris trop tard... Heureusement que je t'ai arrêtée en haut de cette tour, tu as bien failli faire la même bêtise !

- Qu... Qu'est-ce que tu veux dire ? je demande, interpellée, en me retournant vers elle.

Elle a disparu. Je suis à présent seule dans cette clairière.

Tiens ? Il y a une deuxième motte de terre en face de la première, de l'autre coté de la cible. Je m'en approche et constate qu'un cadre photo a également été placé devant. Je le saisis et aperçois un Pokémon souriant et débordant de joie de vivre, saluant le photographe. C'est un Gardevoir.