Cimetière
Ce soir, c'est Halloween. J'ai souvent entendu des légendes, sur ce jour. Sur cette nuit. Aujourd'hui, je vais tenter ma chance. Les gens de mon village ont souvent parlé de lui. On dit qu'il vit dans les profondeurs de l'Enfer, qu'il n'en sort jamais. Presque jamais. La nuit d'Halloween, une fois par an donc, il apparait dans chaque cimetière de Johto. Il rend visite aux âmes défuntes, emporte avec lui celles qu'il juge digne de le rejoindre en Enfer, et s'en prend aux hommes qu'ils croisent. Ainsi, cette nuit, seuls les plus courageux du pays sortent de chez eux, dans l'espoir de le capturer ou de le tuer, lui, grand Roi de l'Enfer.
Quand la nuit tombera, ma mère verrouillera la porte de notre villa. Ensuite, elle s'assura que je suis bien dans mon lit, et ira dormir. Là, je sortirai par la fenêtre et j'irai voir par moi-même. Je veux vérifier l'exactitude de cette légende.
Le cimetière de Rosalia est bien dissimulé. Personne ne le fréquente plus, pas même le jour. Il doit cela à une rumeur sans réel fondement. Certains le disent « vivant », prétendent l'entendre résonner, la nuit, de gémissements terrifiants. Malheureusement, il est le seul cimetière dans un rayon de deux kilomètres. De jour, certes, cette distance n'est pas un souci pour moi. Mais la nuit d'Halloween, le monde change. Des dizaines de Munjas sortent, et errent sans but dans le pays. Ces Pokémons sont inoffensifs, pour peu qu'on ne regarde pas à l'intérieur de la coquille vide qui leur sert de corps. Dans ce cas, on dit Munja capable d'aspirer notre âme.
La nuit est là, désormais. J'emporte une lampe torche, et je sors, sans bruit. Ma chambre est au rez-de-chaussée. Il me suffit de balancer es jambes dehors, et me voilà dans à l'extérieur. Je cours vers la Tour Cendrée, et emprunte l'étroit chemin qui la sépare de la Tour Carillon.
Ma lampe éclaire mes pas. De chaque côté du chemin, je vois des arbustes mal taillés. Leurs branches mortes gênent le passage. Je les repousse du dos de la main. Enfin, le cimetière. Un vieux panneau de bois grince au rythme de la brise légère.
« Cimetière de Rosalia »
L'atmosphère sinistre m'effraye. J'ai un mouvement de recul, mais je tiens à atteindre mon but. Je veux voir le Roi de l'Enfer de mes propres yeux. J'entre dans le cimetière. Il n'y a pas un bruit, le vent s'est tut. Je n'entends que le bruissement de mes pas sur les feuilles mortes. L'hiver déjà présent m'entoure. Le froid me pique les joues et l'humidité traverse mon pull. J'aurais dû emporter une veste.
Soudain, le silence est déchiré. Le hurlement traverse la nuit, me glace le sang. Je pousse un cri, court et aigu. Un frisson parcourt mon corps, je l'aperçois. Un Skélénox. Il rit, de tout son être. Mon cri l'a amusé, c'est dans sa nature. Ces Pokémons effrayent les gens pour le plaisir de les entendre crier.
Le rire du Pokémon s'éloigne, devenant sinistre. Il finit par disparaitre. Je reprends mon souffle, appuyé contre une tombe. Il faut que je trouve le centre du cimetière, lui ou, d'après la légende, apparait le Roi. Au centre de chaque cimetière du pays, les hommes ont dressés une stèle, pour rendre hommage au Roi de l'Enfer, implorer sa pitié, afin qu'il ne quitte pas le cimetière. Qu'il n'attaque pas la ville. Une fois son tour du cimetière accompli, il dévore les offrandes laissées au pied de la stèle, et se volatilise, emportant avec lui les âmes qu'il a choisies.
Je parcours les allées de tombes, éclairant le cimetière de ma torche. Le silence retombé se fait oppressant. J'ai l'impression... Tout à coup, une énorme masse noire fond sur moi, et me renverse. Elle m'effleure... et disparait. Je rampe vers une tombe, et m'y agrippe, comme si elle avait le pouvoir de me protéger. Sous mes doigts la pierre froide semble familière. Je m'en écarte légèrement.
- Salut soeurette.
Gamine, je venais souvent jouer ici avec ma jumelle, l'été. Nous emportions des sandwichs, et restions toutes la journée dans le cimetière.
Flash-Back :
Les deux fillettes couraient entre les tombes. L'une cherchant à attraper l'autre. Leurs nattes rousses flottaient derrière elles.
- Allez Lia ! Cache-toi, je compte !
La gamine tourna le dos et courut trouver une cachette.
- Un... deux...
Elle se roula en boule derrière un buisson.
- Sia, je suis cachée !
Bien vite, l'enfant découvrit sa sœur. Cette dernière se leva et fuit.
- Attrape moaaah !
La fillette trébucha. Sa tête heurta le coin d'une tombe et elle tomba sur le sol.
- Lia ! Arrête de faire semblant ! Lève-toi ! Allez !
En ville, la Tour Carillon sonne minuit. Je sursaute. Je m'étais assoupie contre la tombe. Je caresse les mots gravés dans la pierre. Lia Pauline Winont : 1998-2005. Je me relève, il me faut trouver la stèle.
En marchant, je traverse un cercle de pierre. Soudain, l'une d'elles s'anime. Un flash de lumière violet m'aveugle. Je suis étendue au sol. Me redressant sur les coudes, je découvre un Spiritomb. Ces pierres sont des Clés de Voûte. Je me redresse, et fuit tant que je le peux, appeurée. J'entends ma respiration paniquée fendre le silence. Tout à coup, alors que je jette un œil en arrière, il me semble voir une forme sombre me suivre. J'arrête de courir.
A ma droite, un buisson bouge. Je m'approche. Un sanglot échappe au buisson. Une fois devant, je n'hésite pas. J'écarte les branches. C'est un Tutafeh. Il tient entre ses pattes un masque ressemblant à un visage. Il pleure. On dirait qu'il ne m'a pas remarquée. Je préfère le laisser en paix et reprendre ma route. En me retournant, je sens une présence. Mes cheveux se dressent dans ma nuque. Je ressens un vide. Soudain, un Feuforêve apparait. Les boules rouges qui lui servent de bouche scintillent.
- Dégage !
La créature cesse son manège et fuit, rassasié. En effet, Feuforêve était occupé à dévorer ma peur.
L'atmosphère oppressante me stresse horriblement. Je me mets à courir. Autour de moi, les tombes paraissent vivantes. Le faisceau de ma lampe éclaire le sentier, de sa lueur blafarde. Le ciel noir m'observe. Il n'y a pas une étoile. Je trébuche. Pour la troisième fois ce soir, me voilà étendue par terre. Jetant un regard en arrière, je distingue une masse sombre, de taille humaine. Je m'en approche en rampant. Ce n'est pas un humain. Le Démolosse ouvre un œil. Il me jette un regard insistant. Ses yeux ne sont pas oranges, c'est étonnant. Ils sont violets.
D'un coup, la bête s'anime. Une seconde lui suffit pour me plaquer au sol. Je crie, mais qui viendrait m'aider, la nuit d'Halloween dans un cimetière ? La créature me domine. Je tente de la frapper avec ma torche, en vain. Bientôt, elle s'écarte. Je m'assieds. Le spectacle qui se joue sous mes yeux me terrorise. Un cercle de Pokémons s'est formé autour de moi. Un Drascore, un Tutankafer et un Noctunoir me fixent, de leurs yeux violets... Je serre ma lampe contre mon coeur.
Tout s'enchaine rapidement. Parfaitement synchronisés, les Pokémons m'attaquent. D'abord, le Drascore me frappe de son dard. Ensuite, Noctunoir me soulève, avec une étrange délicatesse. Je croise son regard. Son regard triste... Il me dépose dans une boite. Non... à l'intérieur du Tutankafer. Ce dernier pose les yeux sur moi. J'ai l'impression qu'il pleure...
La porte servant de ventre à Tutankafer se ferme, il s'ébranle. Le poison qui court dans mes veines me paralyse. Dans ce Pokémon, il fait un noir d'encre. Je flotte. J'ai toujours ma lampe. J'appuie sur le bouton. Rien.
Bien vite, la boite s'immobilise. Elle s'ouvre. Je m'écroule sur le sol. Fuir. Fuir. Fuir. Mes jambes ne répondent pas. Je reste par terre, dans la poussière.
Mes yeux sont fermés, je n'ai pas la force de les ouvrir. On me porte. Je suis sauvée.
Quand je me réveille, il fait toujours nuit. Je voudrais me lever. Mon corps ne répond pas. Je reste assise. Mes yeux s'habituent à l'obscurité. Je distingue mes pieds, dans la poussière. Je suis assise par terre, dehors. Je sens une surface lisse et froide dans mon dos.
Tout à coup, le cimetière s'éclaire. Il n'y a que des tombes, dans cette lumière surnaturelle. Et aussi, un petit point noir. Il grossit, devient énorme. Des bras lui poussent, un visage.
- Bonjour.
Un Pokémon qui parle. J'hallucine. Je rêve. Oui, je suis surement dans mon lit, chez moi, en train de rêver.
- Tu voulais me voir. Me capturer. Me tuer peut-être ?
Je ne peux pas répondre. Je pense très fort mes paroles, mais elles refusent de sortir.
- Bien. Me voir seulement, donc. Mais les humains ne peuvent voir Darkrai, Roi de l'Enfer. Seules les âmes appelées peuvent voir Darkrai. Donc... Un moment.
Le monstre se tourna. Il fondit sur le groupe de Pokémon qui m'avaient amenée à lui. Ils le fixaient comme si leur regard était attiré par le sien.
- Ouste. Votre travail est fini.
Leurs yeux reprirent une couleur normale.
- Bien. A nous maintenant...
Le cercueil descendit lentement dans le trou, fraichement creusé à côté de la tombe de la première jumelle. Les ouvriers le couvrirent de terre. La mère des jumelles resta plus d'une heure, sous la pluie.
« Sia Marie Winont : 1998-2014 »