I°) Étincelle
Une petite étincelle issue de la friction du pont du navire avec l'allumette embrasa cette dernière. L'homme d'un certain âge, d'une certaine corpulence et portant une longue barbe blanche en profita pour allumer sa pipe. Il fit quelques cercles de fumée. Adossé contre le mur extérieur de la cabine, le marin contemplait l'océan. Ce bleu azur qui porte au lointain avait été toute sa jeunesse. Malgré ses humeurs, ses colères, il l'aimait. Sa simple vision l'emplissait de sérénité. Un jour calme et apaisant, puis le lendemain agressif tel une bête défendant avec ardeur son territoire. Les gens disaient de lui qu'il était le seul de tout Hoenn à avoir su la dompter. Huhu, ridicule ! Comment un pauvre mortel, quel que soit sa force, son talent, son expérience, pourrait avoir quelconque pouvoir sur la création de la créature ? Il se laissa aller à sa méditation quand un cri strident retentit. Un petit volatile au plumage blanc et bleu ciel posa ses pattes palmées près de l'individu. Son bec effilé était de couleur sombre. Le Goélise – Piko de son nom – sursauta lorsque la porte de la cabine claqua violemment.
« Capitaine ! Capitaine Marco ! »
Une jeune femme dynamique d'une vingtaine d'années en sortit. Elle était vêtue d'un survêtement kaki et gris sombre. Son regard d'un noir profond était empreint d'une surprenante vivacité. Une rafale de vent agita sa longue chevelure obsidienne. Surprise tant par ce dernier élément que par le caractère glissant du bois vieilli par les années sur lequel elle s'aventurait, elle manqua de trébucher. Le loupio de mer s'amusa de la maladresse.
« Tu es bien matinale aujourd'hui ! Qu'y a-t-il ma petite Saphira ?
- Ah, je voulais simplement savoir : quand pensez vous que nous aurons atteint Poivressel ? Répondit-elle encore tremblante.
- Dans la soirée, pas avant ! »
Elle eu du mal à cacher sa déception. Dans la soirée ?... Zut alors, elle allait manquer sa demi-finale... Bah, tant pis, de toute façon il va probablement s'en sortir sans grandes difficultés. M.Marco rompit le silence qui s'était installé :
« Un problème ?
- Non, rien de grave. C'est déjà gentil à vous de faire tout ce chemin rien que pour moi, je ne vais pas faire ma difficile en plus ! »
Poivressel était une grande ville portuaire célèbre pour son marché et son chantier naval. Située au sud de la région de Hoenn, elle jouissait d'un climat particulièrement doux et ensoleillé. Il était 16 heures passées et le soleil commençait à décroître dans le ciel mais la journée avait été singulièrement chaude. Les enfants jouaient encore sur la plage tandis que les adultes profitaient des derniers rayons offerts par l'astre du jour. Le vent marin apportait continuellement ce même air tempéré et sec pour le plus grand plaisir des échoppes où l'on vendait du Soda Cool. En ce jour un peu spécial, il était un lieu où l'atmosphère demeurait bouillonnante en dépit de la chute, toute relative, des températures. Le centre des concours avait en effet été le lieu de l'affrontement des plus grands coordinateurs de la région, et donc, par extension, du monde. Séduire les spectateurs et les juges au cours d'une représentation mettant en scène Pokémons et Humains, tel avait été leur mission au cours de cette dernière demi-finale. À la clé, le ruban attestant la réussite à la catégorie hyper et une place parmi les quatre finalistes annuels. Le dernier participant finissait tout juste sa représentation. Fin, de grande taille, le jeune homme de vingt-deux ans aux yeux émeraude et aux cheveux blonds était habillé d'un élégant costard et portait, attaché sur sa tête, un vieux bandana. Il était accompagné par une adorable petite créature au pelage entièrement jaune à l'exception de ses joues rouges tout comme le bout de ses pattes, ses oreilles ainsi que de sa queue en forme de croix.
« C'est parfait Positron ! Et maintenant utilise ''Flash'' ! »
Une vive lueur émergea du Posipi qui profita de l'éblouissement provoqué pour monter d'un bond sur la tête de son dresseur. Lorsque la luminosité retrouva son seuil normal, il avait déjà lancé ''Chargeur'' et était prêt pour le clou du spectacle.
« Et pour finir en beauté, ''Étincelle'' ! »
Toujours en équilibre sur le jeune homme, le Pokémon fit un petit saut avant de lancer son attaque. D'innombrables gerbes et arcs électriques s'échappèrent alors de son corps et scintillèrent dans toute la pièce. L'assemblée fut subjuguée par ce véritable feu d'artifice si bien qu'après quelques secondes d'incrédulité suivant le final, une ovation majeure éclata dans la salle.
De retour aux vestiaires, les deux acolytes retrouvèrent un autre Pokémon qui les attendait calmement assis sur un banc. Il était en tout point similaire à Positron sauf que le bleu était sa couleur et que des barres horizontales remplaçaient les croix dessinées sur les joues du Posipi. L'ayant aperçu, le garçon au bandana le pris dans les bras.
« Alors Électron, on était comment ? »
La charmante bête se contenta en guise de réponse d'un grand sourire et d'un petit cri :
« Negaaapi ! »
Il eu à peine le temps de se changer, de remettre ses habits de civil, un jean troué, un t-shirt blanc cassé, tout en gardant ce bandana qu'il ne quittait jamais lorsqu'une voix criarde retentit dans le haut-parleur :
« Très chers participants, merci à tous pour vos brillantes prestations, les juges ont fini de délibérer. Le vainqueur est prié de se rendre sur scène. Il s'agit de Rubin de Poivressel ! »
Après un instant de silence, le trio laissa éclater sa joie.
La cérémonie de remise des prix fut suivie d'un entretien avec les journalistes. Toujours peu habitué à ce genre d'exercice, Rubin répondit assez maladroitement aux questions ce qui décrocha à plusieurs reprises un sourire aux reporters. Le tout dura un peu plus d'une heure. Lorsqu'ils sortirent enfin de la salle de concours, le jeune homme était épuisé mais infiniment satisfait. Participer un jour à la grande finale avait été son rêve depuis tout petit, rêve qu'il partageais avec ses deux petits Pokémons. Enfant, il s'était lié d'amitié avec eux le plus naturellement possible et ils avaient fini par se laisser apprivoiser. Une belle histoire malheureusement de plus en plus rare par les temps qui courent... Positron, déchaîné, sautillait dans tous les sens tandis qu'Électron se contentait d'une large figure réjouie. Au bout d'un moment, il lâcha :
« Je vais faire un saut au marché, vous voulez m'accompagner ? »
Les deux petites créatures firent une grimace puis se regardèrent sans un bruit. Elles ne savaient que trop bien ce que signifiait pour Rubin faire ''un saut'' au marché. Il eu un petit rire.
« D'accord, d'accord, j'ai compris, soupira-t-il souriant, tenez, voilà les clés de l'appartement. Je vous rejoins, je n'en ai pas pour long. »
Entendant ces derniers mots, les deux chenapans se lancèrent un nouveau regard, bien plus malicieux que le premier, agrippèrent l'objet métallique et partirent en trottinant.
Le marché était situé à l'autre bout de la ville et avait lieu une fois par semaine. C'était à chaque fois un grand événement attirant des gens de diverses horizons. Lui venait tous les mardis. Il adorait cette atmosphère chaleureuse qui s'en dégageait. Il avançait, sans but réel, observait les différents stands, sans rien chercher de particulier. Néanmoins, il fit moult arrêts pour acheter tout ce qui pouvait figurer sur sa liste improvisée. Le brouhaha ambiant avait quelque chose d'étrangement apaisant. Parmi les multiples senteurs qui parvenaient à ses narines, Rubin parvint à distinguer de nombreuses épices, quelques produits de la mer ainsi que cette odeur très particulière qui se dégageait toujours de la petite braderie tenue par le Club Force Cachée. Ne prêtant guère attention à l'heure qui défilait, marquée par un ciel orangé qui s'assombrissait de plus en plus, il continuait ainsi à butiner de boutique en boutique ; le marché était immense. Quand il eu fini, il recommença simplement un autre tour, toujours aussi enthousiaste. Son retour à la réalité n'arriva que bien plus tard, aux alentours de 23 heures alors que l'astre de Ho-Oh avait disparu depuis longtemps et que les passants commençaient à déserter les rues.
« Mince, j'ai encore trop traîné, il faut que je rentre ! »