A Twisted Urban Legend de Kérozen

- Uhuh... Uhuhuh...

Le rire triste autant que dément de la jeune femme fut effacé par le vent hurlant qui portait nombre de flocons immaculés.
Sa courte combinaison d'argent, si ridicule depuis que son utopie avait été réduite à néant, la protégeait à peine de la neige et de la glace qui s'accrochait à ses cheveux écarlates et ses mains rougies, mais elle semblait ne pas y faire attention. Elle se contentait de fixer l'océan clair et brumeux qui l'entourait, de son regard d'un rouge profond à l'expression indéchiffrable.

*

Le jeune garçon aux cheveux noir de jais contemplait sa boite à rubans d'un air dépité. Elle contenait trois de ces petites récompenses soigneusement nouées. Deux espaces étaient cependant vides dans le compartiment d'argent au fond duquel était gravé le nom de son propriétaire, Louka Diamond.

- J'ai encore perdu... je ne comprends pas, j'ai atteint la catégorie Master en Résistance, mais je n'arrive pas à dépasser la catégorie Normale en Beauté... dit-il.
- Et tu es venu sur Joliberges uniquement parce que tu as encore demandé à ton Keunotor de faire un sourire aguicheur au public ? demanda son amie d'un air amusé.

Cette dernière portait le nom de Aurore Platinium. Elle était célèbre à travers tout le pays pour être devenue un des plus jeunes Maîtres de la Ligue régionale, à l'âge de quinze ans, soit deux ans plus tôt. Bien qu'elle fut loin du record de dix ans que tenait le mystérieux Red, son aide quant à la dissolution d'un puissant groupe criminel, la Team Galaxie, contribuèrent grandement à sa célébrité.
Louka soupira.
- Je devais venir ici de toute façon. Et puis... Tu pourrais m'aider ! Barry n'arrête pas de se moquer de moi parce que je suis un coordinateur raté. Ca fait, disons, cinq ans qu'on est partis de Bonaugure, et je suis celui qui réussit le moins bien...
- Tu devrais réfléchir plus et arrêter de choisir tes techniques et tes Pokémon au hasard.
- Je vais essayer... au fait, pourquoi es-tu venue ici ?

Soudain, un bruit de pas se fit entendre ; la personne semblait courir plus vite qu'un Doduo sous Vitesse+.
- Vous êtes dans une bibliothèque ! fit la voix perçante et aigue de la bibliothécaire depuis le rez-de-chaussée.
- Désolé, mais j'ai pas le temps, c'est super important ! hurla un jeune homme.

Aurore avait anticipé les cris et placé ses mains sur ses oreilles, mais les tympans de Louka prirent de plein fouet ces sons insupportables.
Un garçon aux cheveux blonds, bouclés et emmêlés apparut. Bien qu'ils soient en décembre dans la région la plus froide du pays, porter un T-shirt à manches courtes ne semblait pas lui poser problème, quand Aurore et Louka étaient chaudement vêtus, même à l'intérieur.
- Barry... soupira Aurore. Sois plus sérieux. Tu n'es plus un enfant, il serait temps de—
- Mais Aurore, c'est super important ! L-
- Pas si fort, le coupa Louka, gêné. Tout le monde se retourne vers nous.

Embarrassé, Barry Pearl se tut, resserrant nerveusement son écharpe. Il tira vivement une chaise, produisant un son de frottement désagréable avec le parquet, et s'assit, ou plutôt se laissa tomber brusquement sur sa chaise.
Louka s'inquiétait. Il était rare que Barry, bien que toujours hyperactif et pressé depuis l'enfance, soit si nerveux. Cela dit, Aurore restait calme. Peut-être avait-elle raison d'agir ainsi... Il faisait peut-être toute une histoire pour rien.
« Comme quand nous étions enfants, et qu'il m'avait emmené au Lac en prétendant qu'il y avait un Léviator rouge », se remémora-t-il avec un sourire nostalgique.

- Alors... chuchota Barry, avant de se mettre à parler aussi rapidement qu'à son habitude. J'ai entendu une rumeur. Il y aurait une femme vue à Frimapic. Croyez-le ou non, mais cette femme... est portée disparue depuis trois ans, et n'avait pas changé d'un pouce. Les gens croient à un fantôme...

Aurore, qui écoutait d'un air distrait, alors que Louka semblait fasciné et benêt, jeta finalement un regard signifiant « Tu te moques de moi ? » au jeune homme blond.
- Et alors ? Ce sont des racontars que tu vas croire ? Nous sommes dans une région de légendes et de mythes. Les histoires de fantômes, ce n'est pas ça qui manque.
- C'est pour ça que tu avais accompagné Lucio à la bibliothèque ? demanda Louka. Je viens de voir que tu lisais un conte légendaire...
- Ce n'est pas le propos, rétorqua sèchement Platinium.

Plus doucement, et amusée, elle ajouta, s'adressant à un Pearl déçu qu'elle voulait réconforter :
- C'était distrayant, par contre. Tu me raconteras d'autres histoires comme celle-là ? Même si tu brûles toujours les étapes, tu as le chic pour trouver des infos...
- Tu dis que je ne suis plus un enfant, mais tu me traites comme si j'avais douze ans, dit simplement le blond d'une mine sombre. Je n'avais pas fini. C'est plus intéressant que ça. Cette femme, enfin, elle est jeune, je crois que vous la connaissiez. En fait oui, on l'a déjà vue, Aurore. Tu sais, quand on a aidé à arrêter la Team Galaxie aux Colonnes Lances ?
- Exact. Il y avait Dame Cynthia, et deux Commandants, je m'en souviens comme si c'était hier.
- Dame Cynthia ?
- La personne dont tu pensais qu'elle était la grande sœur de Louka, selon ce qu'il m'a dit.
- Ce n'est pas ce qu'il voulait dire, je crois... intervint Louka.

Tous trouvaient les formules de politesse d'Aurore étranges par moments.
- Passons. Qui était-ce ? demanda le garçon aux cheveux noirs.
- Euh... La fille rouge, il me semble. Avec une pointe dans les cheveux, une minijupe et—
- Viens-en au fait... je vois qui c'est. Mars, il me semble que c'était son nom... fit Aurore, songeuse. Un sale caractère, totalement borné et enfantin. Mais je ne vois pas en quoi ça nous avance.
- Si on capture un criminel comme elle, on pourra certainement gagner pas mal d'argent, fit remarquer Louka.

Après avoir reçu une vive gifle de ses amis pour ne penser qu'à l'argent – quand ce n'était pas au sommeil ou à la nourriture -, il se frotta la joue et écouta Barry reprendre. Bien que ses racontars étaient durs à croire, il fut très surpris de ce qu'il entendit.
- On dit que depuis sa réapparition, des phénomènes étranges se sont manifestés vers là où elle est, Frimapic. Puis elle a disparu. Je crois qu'on l'a vue près de Vestigion. Ahah ! Vous voulez savoir ce que sont ces phénomènes, non ? Eh bien, les gens, et même certains Pokémon, deviennent fous. C'est léger, mais les humains ne parlent pas très bien, subissent de courtes pertes de mémoire, leurs propos sont incohérents.
- En décembre à Frimapic, quoi de plus normal qu'une grippe ? Ils sont malades et délirent un peu, c'est normal.

Aurore semblait très calme, mais le jeune Diamond n'était absolument pas rassuré. Ces histoires de fantômes, ou même de légendes, l'avaient toujours terrifié et ces phénomènes n'avaient rien de normal. Peut-être était-ce un Pokémon, se dit-il. Mais Barry rétorqua qu'il aurait fallu un trop grand nombre de Pokémon pour produire de tels effets sans être repérés et sur le longe terme, effets qui semblaient de toute manière naturels.
- Tu es bien renseigné, dis-donc, fit remarquer Louka, nerveux au possible.
- En effet ! Mais c'est tout ce qu'on sait.
- Autrement dit, tu as harcelé toutes les personnes susceptibles de savoir quoi que ce soit jusqu'à ce que tu en saches assez... développa Aurore. Rien de concret, là encore.
- Crois-moi, tout est vrai ! D'ailleurs, on devrait partir maintenant pour Vestigion, si elle y est. Comme ça on verra le fantôme et on lui dira d'arrêter tous ses agissements. Nous serons des héros... mais pour une fois, ne t'accapares pas tout le mérite, Aurore.

L'intéressée rit.
- Tu es vraiment un gamin. Soit, prends ton Etouraptor, je pars avec le mien.
- Et... et moi ? balbutia Louka.

Les deux autres, qui s'étaient levés entre temps, se retournèrent vers leur ami.
- Je n'ai pas de Pokémon oiseau autre qu'Héledelle, et il est bien trop petit pour me porter...
- Ohlala... tu es vraiment nul, Louka... fit Barry en faisant la grimace.
- Je n'ai pas d'autre Pokémon qui puisse voler, navrée, s'excusa Aurore. En revanche, tu pourrais nous suivre de loin en bicyclette. La région n'est pas immense, Vestigion est proche. En quelques jours intensifs, tu y seras. Et tu pourras surveiller nos arrières.
- C'est très stratégique, mais tu comprendras que je ne sois pas rassuré... de voyager seul en bicyclette, avec des Pokémon faibles...

Cependant, il finit par accepter. Mieux valait ne pas trop s'inquiéter, ce n'étaient probablement que des rumeurs.
Seulement, Palkia et Dialga étaient également des mythes, or Aurore et Cynthia les avaient bien vus...
En chemin, il se dit que cette histoire lui rappelait celles qui s'étaient déroulées à Fiore et Almia. Un ami ranger, Lunick, lui avait raconté que les Pokémon étaient maitrisés par une machine étrange à Almia, et qu'il avait lui-même contribué, avec une coéquipière, à détruire une arme pouvant aller jusqu'à prendre le contrôle de Pokémon légendaires. Ces histoires étaient récentes, alors pourquoi pas ? Il pouvait bien se dérouler la même chose, et le prétendu fantôme ne serait qu'une rumeur n'ayant aucun lien avec cela.

Le problème était qu'il avait toujours un mauvais pressentiment. Une sensation qui lui donnait d'avance mal au cœur.

Il ignorait encore à quel point un humain pouvait se salir les mains pour une vérité vaine et douloureuse.