Entre deux mondes de Xabab

Kunra se précipita dans la direction de la reine dès l'apparition du monstre qui venait de faire surface. Il l'attrapa par la taille et la lança plus loin avec précaution mais fermeté. Son corps de femme s'écrasa dans le sable à quelques mètres, étrangement sans que la moindre douleur ne le traverse. Le guerrier avait usé de puissance mais de finesse pour qu'elle ne souffre pas. Mais une chose la dérangeait néanmoins.
Avant même qu'elle soit retombé sur le sol elle porta le regard vers son compagnon, terrifiée à l'idée qu'il s'en prenne seul à la force de la nature qui venait de se dresser devant eux.

Elle le vit, plus fort qu'il ne l'avait jamais été et encore une fois il parvient à l'impressionner à l'aide uniquement de sa posture en combat. Le dragon sembla vouloir l'intimider par son regard, le braquant directement vers celui de son opposant et omettant totalement la présence de cette femme qui se trouvait avec lui. Ce n'était qu'un adversaire sans défense, une pauvre créature dont il ne ferait qu'une bouchée une fois son principal adversaire en miettes. Lui seul était en mesure de lui causer quelques soucis.
Et tout chez Kunra montrait qu'il était prêt à en découdre. Son corps arc-bouté qui faisait jaillir de sa peau le moindre de ses muscles, son bras tendu au-dessus de sa tête qui brandissait une lance affutée, les deux autres pendantes dans son dos… Il était un combattant hors du commun et la bête le ressentait.

Sans lui laisser une seconde de plus elle se précipita dans sa direction et tenta de lui arracher la tête d'un coup de crocs. Kunra fit de justesse un bond sur le côté qui le tira loin des rasoirs dont était pourvue la gueule du monstre. Et aussitôt la tête de la bête proche de son bras, il y planta sa lance. Dans son coup il mit toute sa rage de vaincre, sa volonté de se distinguer aux yeux de sa reine, la violence d'un corps blessé et l'envie de pouvoir qu'il pouvait obtenir en tendant le bras au-delà de la cascade…
Mais sa lance, pourvue d'autant de puissance, ne parvint qu'à érafler les écailles du serpent des mers avant de se briser. L'ennemi de Kunra ressentit néanmoins cette attaque et, faisant demi-tour sans crier gare, il lui asséna un coup de queue qui le précipita contre le tronc d'un arbre.

Les branches se secouèrent lors du choc qui fut d'une violence inouï, les fruits tombèrent autour du guerrier et l'écorce se morcela. Un homme serait mort sur le coup, sa colonne brisée en deux dès le contact avec l'arbre. Mais Kunra était tout sauf un homme normal et, tout en crachant du sang, il se releva et s'empara de sa seconde lance…
« Pour les Estras. »
… et chargea son adversaire.

Il fit virevolter tout autour de lui le bâton qu'il avait taillé la veille en prévision de ce combat, y mettant tout son cœur et adaptant sa forme à celle de ses mains. L'arme qu'il venait de briser n'était qu'une sagaie des plus vulgaires, attrapée en hâte avant de quitter le village. Mais celle qu'il tenait maintenant était différente. Le bois était rare mais solide, la pointe coupante comme les crocs de cette bête et sa maniabilité supérieur. Il savait de plus comment se construisait le corps de son ennemi, l'ayant analysé lors de son premier assaut : des écailles solides, chacune empilée sur la précédente de telle sorte qu'il pouvait aisément passer la pointe de sa lance sous l'une d'elle.
Il le tuerait.

Visiblement le monstre ne s'attendait pas à voir son adversaire se relever aussi facilement après ce choc. Il ne se rendit compte que ce dernier était bien vivant uniquement lorsqu'il fut sur lui et qu'il tentait de planter son arme sous sa peau. Heureusement pour lui il bougea avant que le guerrier ne parvienne à viser et lui fit manquer son coup.
Kunra fit deux pas en arrière afin d'éviter la morsure portée par la bête et frappa de nouveau la première écaille qui lui passa sous les yeux. Sa cible détourna la trajectoire de l'arme d'un coup de tête, se redressa et ouvrit grand la gueule.
Une concentration de lumière se fit à l'intérieur de cette dernière et une goutte de sueur tomba de la tempe de Kunra. Il était en train de charger son attaque la plus dévastatrice : une énergie qui le rayerait de la surface du monde sans qu'il ne puisse faire quoi que ce soit.

N'écoutant que son courage il se mit à courir le plus loin possible de son adversaire qui se hâta de le poursuivre. Ce dernier maintenant son regard sur lui, le braquant sans relâche afin de ne pas louper son coup une fois prêt à tirer. Kunra tenta de se mettre à l'abri derrière un rocher et n'en vit aucun, il se demanda s'il pouvait courir vers la cascade et s'emparer de l'objet gardé jalousement par le monstre mais ne vit aucune ouverture possible…
Alors en dernier recours il décida de se précipiter vers la tête de son opposant, ne s'occupant plus de la lumière qui s'en échappait, afin de coincer sa lance sous l'une de ses écailles et de le déstabiliser. Le dragon releva la tête hors de sa portée, chargea son rayon et le visa.
Kunra devint aveugle et se sentit quitter ce monde une seconde plus tard. Jamais plus il n'aurait le pouvoir d'impressionner sa reine ou de s'accaparer le pouvoir de l'océan.

Pendant ce temps la femme qu'il avait aimé avait vu le combat se dérouler sous ses yeux avec une frayeur sans nom. Craignant la mort de Kunra mais ne pouvant l'aider au corps à corps, la jeune reine s'était précipitée en direction d'un arbre avant d'être interrompue dans sa course par le bruit du corps de Kunra qui s'écrasait plus loin après un vol de quelques mètres. Elle cria, prit son arc et se jeta dans sa direction.
Mais à peine avait-t-elle fait deux pas que ce dernier se relevait, presque indemne, et se lançait de nouveau dans la bataille.
« Je ne suis d'aucune utilité ici, se murmura-t-elle comme pour se donner du courage. Je dois le couvrir de plus haut. »

Ne pensant plus à l'homme qui livrait bataille pour elle la jeune femme couru de nouveau vers l'arbre qu'elle avait remarqué un peu plus loin. Il n'était pas très haut, des branches basses lui permettrait une ascension aisée et il donnait un bon angle de vue sur le champ de bataille : une parfaite vigie.
Posant sa main sur l'écorce elle se hissa à quelques mètres du sol et posa juste après ses pieds sur le tronc. Elle se hissa, se retenant de regarder derrière elle quand un rugissement monta de la gueule du monstre, et continua de grimper. Si elle perdait du temps alors Kunra allait être en danger, sans personne pour le couvrir. Elle devait lui faire confiance le temps d'un instant.

Mais lorsqu'elle arriva enfin au sommet la vision qui s'offrit à elle la terrifia. La fin était proche pour le guerrier qui tentait sans succès de frapper la tête de son adversaire qui restait hors de sa portée malgré chacune de ses vaines tentatives. Le fond de sa gueule pendant ce temps brillait de plus belle et, bien qu'elle ne sache pas ce que cette bête allait faire, Keluyah n'avait aucun doute sur le résultat : Kunra allait mourir.
Sans réfléchir elle tira son arc de son épaule, arma une flèche et tira sur la corde. Plus tôt dans sa vie elle aurait rêvé de faire ce geste et de voir le guerrier en face de son arc, elle aurait adoré le tuer pour venger son père et l'affront qu'il lui avait fait. Mais les temps changeaient et en ce jour elle ne faisait que lui sauver la vie.
Elle relâcha le bras.

Du sang l'aveuglait, celui de la bête dont l'œil venait subitement d'être transpercé par un jet de la part de sa reine. L'attaque qu'il chargeait alors avait été interrompue et Kunra se hâta d'ôter ce liquide de son regard du dos de sa main. Face à lui le dragon était sans défense, se tordant de douleur sans savoir où frapper, avant qu'une seconde flèche ne lui crève le globe oculaire qu'il lui restait.
Son sang se mêla à sa peau de pourpre et il hurla.

Kunra le chargea sans prévenir et parvint enfin à trouver l'ouverture qu'il désirait tant. Passant sa lance sous l'une des écailles du monstre, il l'enfonça dans son crâne et sentit sa chair qui se déchirait sous la puissance de sa frappe. Secouant sa tête en un ultime recours, le gardien de la cascade le propulsa au loin. Le guerrier plia le bras et, retirant sa lance, il arracha l'écaille. De la blessure coula un flot incessant de sang qui changea la couleur du bassin.
Et de son arbre Keluyah tira une ultime flèche qui s'enfonça dans l'ouverture créée par Kunra et propulsa le dragon à terre où il expira. Le combat était terminé.

La reine descendit de son arbre et se précipita dans les bras du guerrier qui la serra contre elle. Elle ne comprit pas pourquoi elle faisait ce geste, ni le sentiment qui la traversa à ce moment ; c'était rassurant et voilà tout ce qu'elle recherchait.
Mais ils ne restèrent pas longtemps enlacés car Kunra la repoussa. D'un geste il lui demanda de le suivre et plongea dans le bassin où il se mit à nager en direction de la cascade. Malgré son dégoût à la vue du sang qui s'y déversait, elle l'accompagna. Elle sentit le liquide chaud coller sa peau, se retint de vomir puis sentit un sentiment de libération l'envahir quand la cascade la purifia.

Une main se saisit de son poignet dès qu'elle la traversa et, avant même qu'elle ait le temps de réagir, Kunra posait à genoux à terre et lui présentait l'objet qu'il était venu chercher au sommet de la montagne.
« Je ne veux pas de cette puissance et je n'en suis pas digne. Vous êtes la reine de ce monde et légitimement détentrice de la légende. »
L'orbe bleu brillait entre ses doigts et elle n'en croyait pas ses yeux. Néanmoins elle avança la main et la retira de celles de Kunra.
« Kyogre, murmura simplement ce dernier. »