003-Bientôt la fin... (1)
Un rayon de soleil vint chatouiller le visage de Sam qui se réveilla en sursaut. Il se redressa en position assise, appuyé contre le mur droit de la grotte, le bras crispé sur son sac bleu délavé par le temps. Il soupira.
« Ce cauchemar... Tu ne me laisseras pas me reposer Darkrai... »
Darkrai. Ce nom semblait provenir d'un autre âge. Ce qui était le cas.
« Je ne devrai pas penser à toi. Qui sait, tu as peut-être décidé de me tuer par les rêves. Pas mal comme mort. »
Sam regarda le ciel, peint d'un gris matinal mais qui prenait une jolie teinte bleue au fur et à mesure que le soleil se levait. Le garçon prit son couteau dans ses mains et admira le lever de l'astre pendant un instant. Il y avait deux moments qu'il adorait dans la journée : le lever et le coucher de la gigantesque boule de feu. Ces deux moments, le dresseur les savouraient jusqu'au bout. Après tout, chaque nouveau jour signifiait peut-être la mort et il préférait encore profiter de ce qu'il lui restait à vivre.
Sam se rendit compte que sa main était crispée sur la lame, au point que ses jointures en étaient devenues blanches. Il relâcha lentement sa prise sur le métal froid. Un long soupir se fit entendre dans la montagne, rapidement effacé par le souffle du vent.
« Un jour... Un jour tout sera fini... Je te le promets... »
Le spectre s'approcha lentement et inclina la tête. Il était bien la et n'avait pas bougé depuis six heures. Il ne pleurait plus. Il dormait. C'était une bonne chose.
Ses grands yeux spectraux fixaient le garçon de dix-sept ans. Il s'approcha encore et observa une chose brillante au sol, couverte de sang. Sa vision était trouble et peu précise mais le fantôme se dit que ça serait suffisant... pour l'instant.
Un vent violent se leva. Mais le corps de gaz ne se dispersa pas.
Le garçon jeta un œil au Chapignon. Il semblait perplexe.
-Tu es encore la... Tu es guéri, tu pourrais partir. Et pourtant, tu restes...
Chap dormait paisiblement, un sourire rêveur sur son museau. Sa longue queue était étendu le long de son côté droit et son chapeau de champignon lui cachait les yeux du soleil. Sam soupira. Ca faisait si longtemps qu'il n'avait pas voyagé avec quelqu'un de confiance.
« Allez ça fait combien maintenant ? Quatre ans, non ? Tu commence à avoir de l'âge mine de rien ».
Un rictus s'étira sur ses lèvres.
« Dis pas n'importe quoi. T'as jamais eu d'ami de confiance. »
Un goût amer envahi sa bouche. Pas à cause de ses pensées, non. Car ce n'était pas des pensées. C'était une réalité douloureuse.
Le jeune homme brun passa une main dans ses cheveux puis rangea la lame qu'il tenait auparavant, dans son fourreau. Se faisant, il heurta quelque chose à sa ceinture et baissa le regard.
Il observa alors ses pokéballs. Toutes vides. Elles n'avaient jamais servi ; il les avait achetées un soir d'hiver, il y a de ça trois ans, en se disant qu'il en aurait sûrement besoin un jour.
Sa situation n'était pas encore désespérée et c'était une période où il envisageait de laisser définitivement son passé derrière lui. Il était invisible aux yeux de tous et d'un point de vue moral et social, ça l'arrangeait bien. Il avait envisagé d'aller voir un psy, histoire de se débarrasser de tout ça mais il y avait vite renoncé. On se serait bien foutu de lui. Son esprit avait ensuite posé le doigt sur une autre possibilité. Un hypnotiseur –probablement un Ectoplasma- pourrait l'endormir et procéder à, non pas un lavage de cerveau mais plutôt à un nettoyage profond de sa mémoire et de son esprit. Aucun des deux projets ne fut jamais approfondi plus que ça. Sam ne se sentait pas de tout perdre comme ça...
Alors, il s'était mis en tête de partir sur les routes, avec des Pokémon. Actuellement présent dans la région de Johto cette année-la, il avait pris l'initiative de se rendre dans la paisible petite Ville Griotte. Il avait choisi ce patelin isolé pour sa discrétion et son silence. Sam voulait éviter d'attirer l'attention. Personne ne faisait attention à lui dans cette ville. Les habitants se connaissaient tous entre eux et ça leur suffisait ; il n'avait nullement besoin de parler à un probable jeune dresseur en vadrouille venu acheter du matériel. Dans la boutique à la devanture bleue, il en avait choisi cinq. Cinq pokéballs qui contiendraient peut-être un jour quelques amis. Des partenaires et des alliés dans la vie. Pour l'aider.
Mais il n'était jamais parvenu à s'en servir. L'idée des Pokémon coincés dans cette capsule ronde ne lui plaisait vraiment pas. Les dresseurs ne semblaient jamais s'imaginer ce que les Pokémon pouvaient ressentir. Sam les comprenait, sans vraiment se l'expliquer. La plupart de ces monstres de poche détestaient l'enfermement, certains étaient même claustrophobes.
Tous ces gens –les dresseurs- semblaient souvent oublier que leurs compagnons avaient une personnalité propre, une raison de vivre, une famille et des amis. Au même titre qu'eux. Les hommes étaient ignorants, faibles, égoïstes, égocentriques et avide de pouvoir.
« Je peux bien les critiquer moi, je ne vaux pas mieux », se réprima amèrement le garçon.
S'apercevant que le temps défilait, Sam plongea sa main dans son sac et en sortit la plume de Corboss. Après toutes ses années, elle était toujours aussi belle. La tige centrale était toujours aussi solide, la douceur de l'objet toujours présente et sa splendide couleur noire, toujours aussi brillante.
Soupir du garçon.
Il se leva, mit de l'ordre dans sa tenue, enfila sa veste et regarda Chap. Toutes ses années, des Pokémon de toutes sortes avaient marché à ses côtés, -sauvages, blessés ou rejetés parfois même fuyant leur maître- puis l'avait quitté pour poursuivre leur vie sauvage. Sam avait toujours ce sentiment de vide en lui lorsque l'une de ses créatures partait pour d'autres routes ; il avait besoin d'un ami permanent, quelqu'un qui lui prouverait qu'il resterait lié à lui pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire.
Il se souvenait des oiseaux, des chiens, des papillons, des plantes, des âmes errantes et même des objets vivants qui l'accompagnaient sur quelques kilomètres avant de le laisser seul après un bref adieu.
Pour lui, les régions et les villes défilaient tout comme les têtes de ses accompagnateurs éphémères. Il se savait homme solitaire mais au fond de lui, il avait besoin de quelqu'un. Il devait révéler à quelqu'un tous ses secrets et ses craintes. C'était si lourd à porter... Il fallait qu'il sache qu'il pourrait se libérer sans craindre d'entendre une moquerie ou un ricanement. Ou pire, une accusation.
Chap bougea une patte, Sam saisit son sac.
« Pas cette fois. Je ne veux plus d'adieux. Tu auras été mon dernier ami. »
Le dresseur sortit hors de la caverne et respira l'air frais des hauteurs. Un frisson le parcourut l'espace de quelques secondes alors qu'il prenait une profonde inspiration.
« Bientôt, je serai sur le point d'atteindre mon but. Après ça... »
Après ça, il n'avait pas de projets.
Sans un regard en arrière, il rejoignit le sentier sinueux qui ne cessait de grimper et avança vers son but, la tête basse.
Seul.
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Il était onze heures lorsque le Pokémon plante et combat se réveilla. Il cligna des yeux plusieurs fois. Il venait de faire un rêve merveilleux et l'odeur de la prairie où il gambadait en compagnie d'un ami flou persistait dans sa tête. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire et s'étira vigoureusement. Il décolla sa petite tête du sol et se tourna sur le dos. Il bailla une nouvelle fois et laissa sortir un petit couinement aigu de sa gorge. Son regard vint se poser sur le plafond de la caverne puis vers le ciel au-dehors. Cette journée s'annonçait excellente au vu du soleil déjà bien haut dans l'étendue bleutée.
-Chapignon ! s'écria joyeusement le champignon remonté à bloc en se levant.
Ses yeux pétillaient d'enthousiasme pour la première depuis longtemps. Une lueur nouvelle semblait s'être invitée dans ses yeux de Chapignon abandonné. Son existence avait peut-être mal démarré mais maintenant, avec Sam, il savait que tout irait bien, quelques soient les épreuves.
Il leva la tête vers l'endroit où s'était assoupi le garçon tard la nuit dernière. Le Pokémon ne savait plus exactement ce qu'il lui avait dit à propos de son voyage mais il s'en moquait bien : il voulait juste qu'il l'accepte et le regarde avec ses yeux verts et ce sourire encourageant.
Il sautilla jusqu'à Sam. Mais son sourire se figea rapidement.
-Chapi ?
Chapignon s'approcha de l'emplacement, vide. Où était-il ? Il l'avait... abandonné ? Non impossible, Sam n'était pas comme ça. Il devait être parti chercher de la nourriture ou bien il avait simplement besoin de prendre l'air. Il était peut-être même allé repérer les lieux.
-Gnon... gémit le Pokémon, peu convaincu.
Il espérait que le garçon ne l'avait pas laissé réellement ; il se sentait tellement proche de lui.
Il s'assit sur le sol et se promit d'attendre son retour lorsqu'il sentit quelque chose lui chatouiller la griffe de sa patte arrière droite. Il souleva sa patte et observa la petite chose. Quelques centimètres, noire et douce. C'était une jolie plume d'un bel oiseau qui avait dû avoir une vie bien remplie au vu des petites traces fines démontrant les longs vols de l'animal.
Chap se pencha et saisit l'objet entre ses minuscules griffes rouges présente sur son corps. Cette odeur... Il la connaissait pour avoir voyagé avec elle plusieurs jours.
Il était vraiment parti.
L'effet de la paralysie ne s'estompait pas. Chap avait même l'impression que les fourmillements de sa jambe étaient plus présents qu'auparavant. Une grimace se dessina sur son visage et la douleur était visible dans ses yeux.
Perdre l'usage de sa jambe serait... terrible. Il ne serait plus jamais un Chapignon.
La nuit venait de tomber et le Pokémon se rendit compte qu'il était assis la depuis bien trop longtemps. Il regarda tristement les autres Pokémon rentrer tranquillement chez eux, suivis de leurs petits en pleine santé. Tous semblaient vivre dans des situations confortables. Ces bois étaient vraiment accueillants...
Une ombre avança soudain dans la nuit et les bestioles en tout genre disparurent dans la nature. Chap se replia sur lui-même lorsqu'il reconnut la silhouette familière des hommes. Cette fois-ci, il n'y réchapperait pas. Il serait captif, comme les autres. Il baissa la tête et se recroquevilla, il ne voulait pas voir la pokéball plonger sur lui.
La silhouette se précisa et s'accroupit en face du Pokémon champignon.
-Ca n'a pas l'air d'aller... murmura l'homme. Tu as besoin de soin...
Le garçon brun tendit une baie rouge au Chapignon, avec un regard encourageant quasi invisible dans le noir de la nuit.
-Mange ça... ça devrait t'aider...
Chap leva les yeux vers l'humain. Puis il se saisit du fruit.
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Sam se sentait profondément triste depuis le début de la journée. Il aurait voulu rester avec Chap mais il ne voulait pas d'autres au revoir, c'était si dur à vivre. Le garçon grogna en chassant ces pensées, rajusta la bretelle de son sac sur son épaule qui commençait à lui cisailler le dos et se remit en route, sous le soleil. Son visage le brulait par endroit et il ne serait pas surpris si, lorsqu'il se regarderait prochainement dans un miroir, il y découvrait de méchants coups de soleil.
« Eh ouais l'aventurier. La prochaine fois tu prendras de l'écran total avant faire de la rando. »
Il se sentait bien seul, à vadrouiller dans la poussière et les cailloux sur ce terrain escarpée mais il était plus ou moins heureux car son périple s'achèverait bientôt. Du moins, une partie.
Il était déjà aux trois-quarts de l'escalade de la montagne depuis les deux derniers jours d'ascension. Il ne lui restait presque plus rien à gravir maintenant.
Le brun se mit à siffloter sur l'air d'une vieille chanson. La mélodie s'effaçait au fur et à mesure dans les airs, dans le silence. La musique eut pour effet de l'apaiser ; il savait qu'un ancien souvenir était lié à ces sons mais il ne parvenait pas à se souvenir de ce moment de sa vie. Les paroles lui revinrent en tête. Belles et tristes, il s'en souvenait.
Nouveau soupir.
« Allez Sam, tu atteins le pic de la montagne, tu vas le voir et tu vas te reposer un peu. J'espère que Chap s'en sort. J'imagine qu'il a dû retourner vivre dans la forêt... N'y pense pas, avance.»
Il lui fallut encore des heures de marche pour trouver l'entrée de la caverne. Le dresseur prit une profonde inspiration et se vouta pour pouvoir pénétrer dans le tunnel bas qui se trouvait devant lui.
Tout était sombre mais les sens de l'homme s'éveillèrent pour mieux percevoir son environnement. Des gouttes tombaient régulièrement du plafond, l'air était humide et une odeur indescriptible flottait dans l'air. Il avançait en tâtonnant les parois de la cavité, trébuchant et se cognant régulièrement tant Sam avait l'impression d'être aveugle.
Plic... Ploc... Plic... Ploc...
Sam sortit le couteau de son fourreau, plus par réflexe que par peur ; l'endroit ne lui inspirait pas confiance. Mais qui serait assez fou pour tenter ce qu'il allait faire ? Une boule se forma dans son ventre. Il se surprit à s'arrêter et à hésiter. Devait-il réellement le faire ?
« Ca va pas ?! Avance, crétin ! ».
Après quelques minutes de marche sous une violente angoisse, l'homme de vingt ans déboucha dans une salle éclairée par quelques Lumivole volant de ci de la. Ses yeux s'habituèrent à la semi-pénombre rapidement, heureux de délaisser le noir total. En voyant arriver un individu inconnu, les Mimigal et les Rapion rampèrent furtivement jusqu'à leur terrier, plongés dans les recoins sombres.
Les pas de Sam se firent hésitants. Il s'arrêta subitement et le temps sembla se suspendre tandis qu'il examinait l'endroit.
Les parois rocheuses dégoulinaient d'eau fraîche tout autour de lui et de longs pans de lichen suspendus au plafond semblaient faire un concours de grandeur pour savoir qui atteindrait le sol en premier. Ce dernier était glissant mais ses nombreuses aspérités permettaient d'avancer sans trop de dommages. La salle était de taille moyenne, environ un grand salon d'une personne correct; en son centre, se trouvait une source d'eau, un lac, alimentée par une micro-cascade qui coulait de manière permanente et qui devait prendre sa source plus haut encore dans la montagne.
Sam s'avança vers le lac, lentement, à pas tremblants. Tant de voyages, de prises de risques et de persévérance pour le trouver.
Ca faisait tant de temps qu'il le pourchassait mais maintenant, il le sentait, il était la. Son aura était tellement impressionnante et si forte. Tous pouvaient la ressentir ici, sans même le connaître.
Le garçon s'arrêta au niveau du lac, juste avant une masse de galets gris et blancs qui s'enfonçaient dans l'eau au fur et à mesure que l'on s'avançait vers le centre de la grotte. Aucun bruit n'était perceptible, seule la respiration de l'intrus perturbait le silence d'or.
Sam scruta le lac et vit une douce lumière blanche-verte briller faiblement en son centre. La principale source de lumière provenait de cette chose. Cette même chose qui semblait être la source de la température tiède de l'eau. C'était ici qu'il dormait. L'être de l'émotion, capable de provoquer joie et tristesse.
-Créfollet, enfin....