001-Expédition dans la rocaille
Sam s'arrêta un court instant. Il soupira puis essuya son front couvert de sueurs. Dans quelques heures, ça ferait deux jours que le garçon grimperait au sommet de la falaise. Depuis ce matin, par manque de bol et parce que les Pokémon feu s'en donnaient à cœur joie, les degrés ne cessaient de monter à mesure que le soleil continuait son ascension céleste.
"C'est à midi qu'il fera le plus chaud... Il faudra qu'on s'arrête la sinon on ne le supportera pas..."
Il continua sa montée, concentré par l'effort, suivi de son compagnon, à la simple force de ses bras qui commençaient réellement à faiblir. Ses paumes de main étaient entaillées et ses doigts étaient couverts d'ampoules. Il avait mal aux yeux à cause des rayons qui se répercutaient sur la pierre. Heureusement, les fissures étaient nombreuses et la pente très peu escarpée et inclinée.
« Il en aura vraiment fallu peu pour que j'en arrive la. Je me sens tellement nul. »
Un coup de vent fila vers les deux silhouettes transpirantes, procurant quelques secondes de bonheur et de fraîcheur. Le garçon se hissa de quelques mètres avant de poser sa tête contre le mur et de se glisser dans une fente donnant accès à une nouvelle voie. Celle-ci était aussi accidentée mais un chemin sinueux se profilait vers le pic. C'était exactement ce dont ils avaient besoin : ils ne seraient plus suspendus en équilibre dans les airs sans protection.
Enfin, après une nouvelle session d'escalade d'une dizaine de minutes de niveau vert en accro-branche, le garçon retrouva enfin le chemin dont il avait dû se détourner suite à un éboulement imprévu sur la route. C'était suite à cet événement incongru qu'il avait dû se lancer dans une ascension sans outils et sans expérience. Il avait regardé l'éboulement. Des cailloux de plusieurs tonnes qu'il ne serait jamais capable de soulever à lui-seul, même avec l'aide son compagnon.
Ca ressemblait à une attaque Tomberoche très puissante d'un Pokémon. Probablement un Onix ou bien un Triopikeur voulant s'amuser avec un dresseur. Quel sombre crétin avait eu la bonne idée de faire s'écrouler une montagne sur un sentier de tourisme ?
Sam était exaspéré : des heures d'escalade à cause d'un dresseur stupide qui ne comprenait rien aux règles civiles.
« Je suis mal placé pour penser ça », ricana-t-il intérieurement.
Il fut heureux de retrouver le sentier et de cesser de se trainer entre les branches des vieux buissons rabougris et jaunis par le soleil.
Il eut un rictus. Il était aussi rabougri que ces vieilles plantes mortes. Mais comme elles, il s'accrochait à la vie –si c'était là une vie- et à quelques lueurs d'espoir. Un meilleur avenir que les gens disaient. C'était ce qu'ils ne cessaient de déclamer lorsqu'un pauvre sans abri demandait une pièce.
« Trouve un boulot, vieux soûlard ! Quitte ce pays et bosse au lieu de vivre sur notre dos ! » ou encore « Ton air pitoyable ne fera pas sortir une pièce de mon porte-monnaie. Bosse, parasite ! ». Le problème, c'est que le boulot se faisait rare, même pour un dresseur Pokémon en devenir.
Sam les voyait d'ici, ces crétins de riches, avec leurs noms de la soi-disant lignée du dernier grand roi de la région, se pavanant avec des sacs de marque et des téléphones dernier cri, toujours contre leur oreille à émettre des ondes tels des micro-ondes ambulants mais dont le cerveau était vide. Ce qui n'est pas le cas d'un micro-ondes, qui lui, a au moins un aliment comestible en son ventre. Ou cerveau. Les gens riches, on les voit de loin : montres en or, voitures à 200.000 dollars provenant d'un pays plus riche encore, petit air supérieur qui cachait sûrement une âme de grand timide ou de petite personne rabaissée de manière permanente, maquillage dégoulinant de manière alarmante, parlant fort, smoking ou veste très chic... Les délinquants des ruelles étaient avides de ses choses artificielles ; vols, braquages et agressions ne cessaient de voir leur chiffre grandir. Il leur était tellement simple de voler grâce à la terreur. Les plus faibles donnaient portables, pokéballs et argent sans discuter ; ceux qui leur tenaient tête s'en sortaient avec plus de peur que de mal et finissaient par fermer leur grande bouche et cacher leurs affaires dans un sac grossier et moche.
Le jeune dresseur ne se sentait plus comme ça. Plus depuis deux ans, c'était derrière lui. Sam se retourna pour regarder son Pokémon. Non, en réalité, il ne le considérait pas comme son Pokémon légitime: aucune capture ni cadeau ne les avaient liés pour ce périple long et dangereux. Le Chapignon s'était contenté de suivre Sam, sachant très bien que s'il décidait de faire demi-tour, ici et maintenant, le garçon ne l'en empêcherait pas.
-Tu viens Chap? demanda-t-il. Ce serait bien d'arriver là-bas.
Il désigna un creux au sein de la montagne, à deux heures d'ici, qui semblait accueillant au vu de l'ombre que l'on pouvait apercevoir. Deux heures semblaient encore beaucoup aux deux compagnons mais le terrain accidenté ne permettait plus l'escalade. Chap hocha la tête. Il était vrai qu'il avait de plus en plus de mal à marcher et à sautiller avec sa fougue habituelle: le kangourou champignon souffrait encore légèrement de sa patte et son type plante ne lui permettait pas des folies sous ce cagnard à démotiver un Solaroc.
Il regarda Sam, ce jeune dresseur qui l'avait aidé lorsqu'il était dans une situation désespérée, sans rien demander en retour. Dire qu'à l'extérieur, il avait l'air si imperturbable...
Le Chapignon décida de se concentrer sur lui, afin d'oublier momentanément la canicule et les rayons du soleil qui semblaient le transpercer de part en part.
Sam était un dresseur dans la vingtaine, aux cheveux bruns en bataille et aux yeux verts couleur émeraude. C'était ce que Chap préférait chez lui: ce regard apaisant, qui disait tout dès l'instant où on voyait ses yeux. Qui ne voulaient aucun mal et semblait sourire à tous les Pokémon.
Il était vêtu d'une veste en cuir noir à capuche dont la fermeture Éclair restait pendante afin d'éviter à la chaleur de grandir, bien que ce geste fût inutile, d'un jean bleu classique qui prenait une teinte grise suite à l'escalade et d'une ceinture noire qui maintenait contre sa poche un couteau qu'il gardait de manière permanente sur lui ainsi que quelques pokéballs qui semblaient vides et inutiles. Chapignon avait été rassuré sur ce point : le dresseur, n'utilisait pas les "mini-prisons", il ne supportait pas l'idée qu'un Pokémon se sente mal à l'intérieur... Chap baissa le regard sur le sol. La poussière que leurs pas levaient dans les airs formait un tourbillon scintillant sous les rayons solaires tandis que Sam et Chap avançaient, fatigués mais déterminés vers leur but.
Si Sam se montrait doux et patient avec les Pokémon, le Chapignon se doutait qu'il ne devait pas en être de même pour ses congénères à la peau pale. Chap s'était vite aperçu du caractère et de la nature du jeune homme. Son regard se vidait de toute lueur d'amitié et devenait perçant, presque calculateur. Chap l'avait vu ce regard. Une fois. Il ne voulait plus le voir. Un dresseur lui avait proposé un combat.
Sam avait détaillé le gamin de dix ans qui se croyait très puissant avec son Bulbizarre, sorti du labo du prof. Chen. Une casquette noire avec le logo d'une ball blanche, des cheveux blonds bien peignés, un sac de randonnée rouge, des vêtements sur mesure et des pokéballs lustrés. Le Pokémon à bulbe rivait son regard sur le sol tandis que son dresseur implorait presque Sam pour un combat. Le Bulbizarre semblait fort, d'un niveau proche de quarante, pourtant le Pokémon plante semblait refuser l'évolution.
-Allez quoi ! Faisons un combat ! Je veux que Bobby évolue ! cria-t-il en désignant le Pokémon.
Le garçon, froid, s'était retourné, avait approché lentement Bobby et lui avait gratouillé le front.
Et soudain, le bulbe moins bizarre que le gamin se mit à changer de forme. Quelques secondes plus tard, c'était un Herbizarre qui se tenait face à Sam. Il avait un grand sourire sur le visage et un air amical se peignit sur celui du garçon de vingt ans.
Le gringalet, médusé, avait suivi la scène de près.
-Mais ! Mais... Comment... C'est impossible ! Je n'arrivai pas à le faire évoluer et... et....
Il fixa Sam, bouche ouverte, attendant une réponse.
-T'es un génie ? Un dieu ?
Le dresseur délaissa le Pokémon plante. Son regard calculateur se posa sur le gamin. Chapignon avait peur de la réponse, son chapeau-champignon frémissait.
-Ton Pokémon, la. Il te déteste. Tu ne pense qu'à te battre. C'est un être vivant, pas une machine de guerre. Il ne voulait pas évoluer parce que tu es nul.
-Moi ? Mais je t'interdis de...
-Nul dans tes propos comme dans le dressage. Ton Bobby demande juste un peu d'attention.
Il se retourna et lâcha dans un ricanement :
-Je suis sûr que tu ne sais même pas quelle est sa capacité spéciale.
Chap se sentait si proche de Sam. C'était exactement ce que ce Herbizarre voulait : une caresse. Une démonstration d'amour et de fierté qui ne venait pas. En réalité, les deux êtres étaient beaucoup plus similaires qu'il ne le pensait. La vie n'avait pas été tendre avec eux et ne désirait pas le devenir. Ils étaient rejetés par leur propre société et se retrouvaient à errer sur des chemins poussiéreux à la recherche de... Qu'avait dit Sam déjà... ? Peu importe, il préférait suivre son ami, après tout, il était le seul ami humain qu'il ait. Le champignon sur pattes sentait que le même mal-être qui le suivait partout s'agrippait à Sam comme une sangsue à la patte d'un animal vigoureux. Solitaire et renfermé, le dresseur parlait peu à Chap hormis pour le questionner sur son état de santé, sa fatigue ou simplement pour vérifier qu'il le suivait, contre toute attente, encore.
Mais Chap n'avait nullement besoin de paroles. Seulement de ce regard, plein de tendresse pour les Pokémon.
Ils n'arrivèrent vers la grotte que vers quatorze heures. Ils étaient essoufflés, fatigués et éreintés. Ils avaient la peau moite et dégoulinaient de sueur.
-Heureusement qu'on n'est pas noté sur l'apparence, hein Chap? rigola Sam.
Le dresseur s'assit contre la roche froide et rejeta la tête en arrière qui vint se poser contre un renfoncement. Il enleva sa veste qu'il étendit sur le sol afin que le cuir puisse cesser de chauffer comme une merguez sur un grill et sortît le couteau du fourreau de sa ceinture et le posa au sol.
-Un peu d'ombre en plein été ça fait vraiment du bien...
Chap sourit. Sam ne le vit pas cependant. Il était dans le même cas.
Rare étaient ceux qui le voyait sourire.
-Choppez-le!
"Oh merde... Non... Qu'est-ce que j'ai fais..."
Le Papillusion utilisa Sécrétion.
-Attend! Je... C'était... Pas...
La soie ne résista pas longtemps à ses mouvements brusques et son bras se débarrassa bien vite du matériau collant. Le papillon semblait avoir de la compassion dans son regard.
-S'il te plait...
-T'es vraiment qu'un petit con! Comment t'as pu faire ça!?
Le garçon, effrayé, recula. Son adversaire se tenait à quelques mètres de lui, menaçant. Son Papillusion à ses cotés, Melody, attendait les ordres, battant des ailes et provoquant de légère courants d'air.
Un pas en arrière. Le dresseur de Melody en fit deux en avant.
Il était seul contre cinq. Cinq gars de deux ans de plus que lui, possédant tous un Pokémon puissant ou à son premier stade d'évolution.
-Attend... J'ai pas... Exprès...
Une larme coula le long de son visage. Cette fois, il se demandait ce que ces brutes épaisses inventeraient pour l'humilier... C'était déjà tellement horrible... Non cette fois, ils le tueraient.
-Croâporal, laser glace! cria un garçon rouquin.
-Croâ! rugit le Pokémon en s'exécutant.
-Ah!
Le garçon sans défenses se jeta sur le coté.
"Ils m'attaquent! Ils m'attaquent vraiment avec des capacités de Pokémon!"
-Tu peux pas...! T'as pas le droit d'utiliser ça sur moi!
-Et qu'est-ce que tu vas faire? Allez pleurnicher chez ta môman? Bouh bouh... ricana le roux.
Encore un pas en arrière.
-Chapiii! rigole le Pokémon en engloutissant des baies Ceriz couplés à de petits gâteaux secs.
-Ça te permettra de guérir plus vite de la paralysie. Tu comprends, je peux ne pas t'emmener dans un centre, marmonna Sam avant de se passer de l'eau sur le visage.
Chapignon était d'accord. De toute façon, il n'aimait pas les centres Pokémon. Il se leva et regarda sa jambe. Il ne sentait déjà plus rien mais il fallait éviter les mouvements brusques, il le savait. Le Pokémon champignon fit quelques pas dans la grotte pour rejoindre Sam vers le filet d'eau douce qui suintait des parois. Il lapa le liquide lentement. Le dresseur s'arrêta et observa le Pokémon avant de fouiller dans son sac et d'en sortir une plume de Corboss. Il la serra dans la paume de sa main avant de la remettre dans son journal et d'étudier Chap.
Il ne payait pas de mine vu comme ça, mais il sentait que le Chapignon était un Pokémon spécial, de ceux qui ont un potentiel énorme mais inexploité. Sam était capable de sentir ça, sans se l'expliquer.
"C'est ma... Capacité Spéciale," se répétait-il souvent.
Le dresseur regarda au-dehors: des ombres commençaient à s'étirer, annonçant la fin de l'après-midi. Rester ici pour la nuit semblait être une bonne option pour l'heure. Son visage observa froidement un combat de dresseurs en contrebat. Une fillette de quinze ans poussait son pauvre Caninos, meurtri et essoufflé, à combattre un Aquali qui ne se privait pas d'Anno Hydro et qui semblait en parfaite santé.
Le garçon brun détourna le regard. Encore un combat. Est-ce que les Pokémon étaient tous considérés comme des machines de guerre ? Il venait de déduire que le Caninos n'avait plus qu'une dizaine de secondes devant lui si son guide ne l'aiguillait pas correctement.
"Dix, neuf..." commença-t-il à compter dans sa tête.
-Aquali, pistolet à 0! s'agita le rival de la fillette.
-Aqua!
"Huit, sept, six, cinq, quatre, trois..."
Chap se pencha vers le rebord pour observer la scène. Il eut une grimace de dégoût mais ne dit rien.
-Caninos non! Esquive!
Mais il était déjà trop tard. Le pauvre Médor de feu à sa maman fut lavé, rincé et essoré avec la force d'une machine à laver.
"Deux, un..."
Le Caninos s'écroula face contre terre, couvert d'égratignures et les yeux dans le vague.
-Reviens!
"Zéro. KO. Pauvre Pokémon. Tu ne méritais pas ça."
-Bravo Aquali! s'exclama l'autre en serrant son Pokémon dans les bras. Tu as réussi! Tu es tellement fort!
Sam reprit son observation. Aquali semblait heureux et le dresseur fier de lui. Peut-être que ce Pokémon-ci n'était pas considéré comme une piscine mouvante. Le combat était fini, l'Aquali mordillait un caillou, visiblement affamé par le combat. La fillette au Caninos rouspétait et regardait la pokéball de son chien.
La dresseuse, mauvaise perdante, déclara que c'était de la triche et que son adversaire n'avait pas le droit d'utiliser un type d'une efficacité de niveau deux sur son Pokémon. Sam laissa les jeunes gens régler leur conflit seul. Inutile de se mêler de ça, il avait d'autres Mouffouette à fouetter.
-S'ils découvrent notre présence... Il vaut mieux attendre, voir si on reste ici ou pas...
-Chapi, affirma Chap.
-Je ne pense pas qu'ils grimpent plus haut. Ces deux dingos en culotte courte cherchaient juste un peu d'adrénaline.
-Pi ?
-Qu'ils croient avoir obtenue. Ils n'ont qu'à aller faire du saut à l'élastique au parc de Méanville.