Chapitre 15 : Paul
« Il n'y a pas besoin de tant d'atours pour prier Arceus, d'une gestuelle prononcée ! Ce ne sont que des balivernes, du mysticisme ! Un temple de bois suffit plus que toutes vos idoles et nous nous retrouverons au même endroit que vous : dans les grands champs de lumière Nous sommes égaux, nous sommes les enfants du Père !
– Abdique tes pêchés, abdique ton Église dévergondée et reviens à la raison ! Car Arceus ne voit ses fils qu'à la lumière du livre sacrée, pas dans une lecture débile des textes et dans une interprétation insultante de ses paroles ! »
Paul enfonça un peu plus son chapeau sur sa tête et pressa le pas sans même regarder autour de lui. Voir le cardinal Frollo exécuter un énième de ces bougres devant une foule d'une centaine de personnes ne l'intéressait aucunement. Il ne voulait pas être mêlé à cela et ne voulait pas être vu en cette compagnie.
« Alvin et Uther sont des menteurs, poursuivit le cardinal tandis que Paul se mettait presque à courir. Leurs paroles sont un flot de venin et leurs textes un tissu de mensonges infâmes que le démon n'oserait prononcer. Et toi, Jean Freguin, tu oses t'y plier, construire un temple en pleine province et y convier des fidèles pour mener à bien tes sacrifices impies.
– Mes prières, rectifia l'accusé impassible. Je mène à bien mes prières sur mon lieu de culte. »
Le procès allait dégénérer, le jeune homme le savait avant même de porter son regard vers cette estrade dressée au beau milieu de la place. C'était toujours ainsi que cela se passait : Frollo se chargeait de dénicher des prêtres réformateurs, il les accusait en pleine place, faisait croire au peuple qu'ils avaient une chance de s'en sortir en avouant leurs torts puis mettait fin à leurs vies le plus simplement du monde. Il n'y avait aucune justice en ces lieux ; seulement une odeur de mort.
Le jeune homme ne passait pas par la foule mais la contournait, son long costume gris flottant dans son dos. Comme chaque mercredi il rentrait d'un entretien avec Fargas pour se rendre chez ses parents. Mais ce jour-là il n'y avait aucun véhicule en ville, les rues étaient pleines de sang depuis trois jours et peu de monde se risquaient dehors.
« Si ce n'est ces gens, murmura-t-il en voyant la foule de fondamentaliste attendant l'exécution du prêtre. »
Il risqua un coup d'œil alors qu'il arrivait à la moitié de la grande place et vit le condamné et Frollo, seuls hommes sur l'estrade. L'un s'élevait au-dessus de la foule, enveloppé dans sa très longue soutane noire, son nez aquilin semblant servir de cadran solaire tant il était long. Paul semblait voir ses yeux de rapaces analyser chaque fait et geste autour de lui alors même qu'il accusait et sa haine envers cet homme n'en fut que plus grande.
Même si le jeune homme ne prenait pas parti dans cette guerre, Paul n'aimait pas le personnage de Frollo depuis son ascension. Alors qu'à l'est de Kalos se faisaient entendre les voix d'Alvin et Uther, le cardinal prenait lentement la tête de l'Église fondamentaliste, comme la nomma le Roi en opposition aux réformateurs. Rapidement il devint l'homme fort, le dernier rempart à une dégénérescence sans nom qui n'était en réalité qu'une lecture différente des textes sacrés ; un détail que peu acceptaient.
Le second qui se trouvait sur l'estrade était couché sur le dos. Ses jambes et ses mains étaient attachées par des cordes, chacune reliée à un Grolem qui n'attendait qu'un ordre de la part de leur maître pour tirer et séparer le pauvre bougre de ses membres. Mais ce n'était pas dans les habitudes du cardinal d'aller si rapidement en besogne. Avant cela il voulait torturer, demander au condamné d'avouer ses pêchés et donner à la foule un spectacle digne de ce nom.
Paul en était dégoûté, il avança toujours plus rapidement.
« La Réforme est une honte, un pêché qui doit être étouffé comme Arceus le fit de Giratina en l'enfermant dans un monde à part. Il voulut l'empêcher de corrompre le cœur de ses serviteurs, l'empêcher de nous atteindre par ses mots déplacés, l'empêcher de nous nuire. Mais ce frère démoniaque semble de retour sous le doux nom d'Alvin ou d'Uther, proférant des paroles sans nom à l'encontre de l'humanité. Avez-vous quelque chose à redire sur ces mensonges ? »
Silence. Seul le bruit des pas de Paul claquant le pavé résonnèrent un instant sur la place. Au loin le chant d'un Poichigeon, insouciant du meurtre qui allait avoir lieu sous ses yeux.
« Bien… »
Et Frollo par ces mots mit fin au destin du prêtre. Le jeune homme qui traversait la place, âgé de seulement quinze ans, regretta que cela n'arrive avant qu'il soit loin. Il s'engageait seulement dans une ruelle quand il entendit les cris du condamné, sa souffrance, puis progressivement le déchirement de chacun de ses quatre membres.
Paul fit le vide dans son esprit et continua d'avancer. Durant les deux rues qui le séparaient de l'échoppe de son père il tenta de ne pas regarder autour de lui. Il ne voulait pas voir le sang qui coulait entre les pavés, les marques noires sur les portes attestant qu'on avait purifié ce lieu des réformateurs qui y vivaient ou encore les morceaux de chair qu'on croisait parfois sous son talon.
Cette guerre était immonde.
Il se sentit soulagé en poussant la porte du magasin et en retrouvant Luc. Ce dernier avait aussi grandi en trois ans, sa stature se faisant de plus en plus massive à force de bagarres et de travail acharné.
« Tu es extrêmement pâle, lança-t-il à Paul en le voyant rentrer.
– Frollo, se contenta de dire le concerné en posant son sac sur la table de l'entrée. Il en tuait un autre devant un grand public. »
Son ami marqua un silence puis lui demanda pardon pour son impolitesse. Il baissa les yeux un quart de seconde avant de les relever.
« Personnellement je me fiche de cette guerre, reprit-il. De toute manière je ne crois pas qu'il y ait d'Arceus nulle part pour veiller sur nous. Je ne prie pas, qu'importe la manière.
– Si tu pouvais éviter de balancer ce genre de choses je t'en serais reconnaissant, répliqua Paul qui regarda autour de lui avant de se rassurer de l'absence de client. Je n'ai pas envie de te voir attaché à ces cordes la prochaine fois que je traverserai cette place.
– Cela n'arrivera pas. Bref, nous devons y aller. Je t'attends depuis une heure. »
Sur ces mots il se leva et se dirigea vers la porte avant de lancer un regard vers son frère. « Tu ne me suis pas ?
– Je ne sais pas où tu veux aller, répondit simplement Paul.
– Chez le roi. J'ai une commande pour lui et je préfère que tu gardes un œil sur moi. Le voir me donne des frissons et je n'ai pas envie d'exaucer le vœu de centaines de personnes en tentant de le tuer aujourd'hui. »