Offre généreuse et embarras
À cause du froid qui devenait vraiment insoutenable, Aurore décida de retourner à l'intérieur du Centre Pokémon. Elle n'était vêtue que de sa robe après tout, il serait dommage qu'elle tombe malade et qu'à cause de ça ses chances de gagner le concours soient réduites. Il ne restait que l'infirmière Joëlle, elle attendait toujours patiemment à l'accueil, et pourtant il était très tard. Tous les dresseurs excepté Paul et elle étaient partis se coucher. La jeune fille sortit son Tiplouf de sa Pokéball. Le Pokémon la regarda avec un air d'incompréhension, pourquoi elle le faisait sortit à cette heure-là ? En voyant la lueur qu'elle avait dans les yeux, il comprit.
- J'ai besoin de compagnie, Tiplouf. Ça ne te dérange pas de rester un peu avec moi ? lui demanda-t-elle d'une voix douce.
Le Pokémon fit un non de la tête sans hésitation. Aurore sourit faiblement avant de le prendre dans ses bras dans un geste tendre et affectueux. Il se blottit contre elle et tous les deux levèrent la tête vers le ciel. Ce ciel qui changeait tout le temps mais qui restait le même, bleu et aussi vaste que la distance entre lui et la Terre.
C'était assez étrange, parce que la jeune coordinatrice n'était pas du genre à douté d'elle-même, elle avait une grande confiance en elle et essayait toujours de trouver du positif dans chaque défaite et situation qui se présentait à elle. Pourtant, quand il s'agissait de Paul, le discours n'était pas le même. Il lui faisait perdre ses moyens et ses repères, elle se rappelait de la première fois qu'elle l'avait vu. Cette fois-là, où il était contre un arbre, les bras croisés, le regard froid et hautain. Elle avait tout de suite pensé qu'il n'était pas un garçon comme les autres, et cette pensée n'avait pas changé depuis. Jamais elle n'avait vu une personne aussi distante, et surtout, qui recherchait la solitude elle-même. Car il fallait le dire, Paul ne cherchait pas à se faire des amis. Au contraire, il faisait tout pour éviter ce qui concernait l'amitié, comme si c'était la chose la plus horrible du monde.
Elle se remémora cette phrase qu'il lui avait dit à peine une heure plus tôt :
« L'amitié… c'est toujours la même histoire, tellement pitoyable. »
Pourquoi « pitoyable » ? Est-ce que pour lui, quand on est amis avec quelqu'un, c'est parce qu'on est faible ? Ou alors est-ce une méthode de lâcheté pour éviter d'être seul ? Mais lui n'a-t-il pas eu une seule fois peur de la solitude ? A-t-il toujours vécu ainsi, seul et réservé, à l'écart des autres ? A chaque fois que Sacha essayait de mieux le connaître ou le comprendre, il le rejetait avec indifférence, comme si… une carapace le protégeait pour ne pas souffrir de trahison, de remords ou de culpabilité, car il faut le savoir, l'amitié n'est pas remplie que de bons moments. Il y a parfois des disputes, des gens qui s'en vont et qui trahissent, et c'est peut-être pour ne pas connaître ces choses-là que Paul se refuse d'avoir des amis.
- Dis-moi, Paul, qui détient la clé qui permet d'ouvrir ton cœur ? chuchota-t-elle avec une pointe de tristesse.
- À toi de me le dire, fit une voix froide tout près d'elle.
Elle sursauta et lâcha son Pokémon des mains sous le coup de la surprise. Elle lança un regard désolé à Tiplouf et se tourna vers celui qui possédait cette voix. Bien évidemment, ça ne pouvait être que lui. Les mains dans les poches, Paul regardait dehors par la vitre avec un air ennuyé. Aurore sentit son cœur s'emballer, elle jeta un regard curieux à son vis-à-vis et l'interrogea :
- Tu as fini ton entrainement ?
Il ne répondit pas et fit un geste de tête vers l'avant pour indiquer l'extérieur. Elle suivit son regard et remarqua qu'il pleuvait. Elle était tellement dans ses pensées tout à l'heure qu'elle ne l'avait même pas remarqué ! Plusieurs minutes s'écoulèrent dans un silence pesant, ils regardaient tous les deux les gouttes d'eaux qui s'écrasaient contre la vitre. Soudain, le jeune homme commença à partir, il se dirigeait vers un des couloirs. Aurore le regarda.
- Attends, Paul ! Tu vas où… ?
Aucune réponse ne parvint à ses oreilles, il était tout simplement en train de la snober. Elle fronça les sourcils et rappela son Tiplouf dans sa Pokéball avant de rejoindre le jeune homme en courant. Elle était légèrement derrière lui et fixait son dos. Seuls les bruits de leurs pas brisaient le lourd silence qui régnait entre eux. Ils arrivèrent devant une chambre, elle comprit qu'il allait se coucher, vu qu'il ne pouvait plus s'entrainer à cause de la pluie et peut-être aussi de la fatigue. Il ouvrit la porte et, comprenant qu'il allait lui claquer la porte au nez et la laisser seule, elle attrapa un bout de sa veste, ce qui le força à s'arrêter. Il tourna la tête de façon à pouvoir regarder derrière son épaule, ses yeux froids entrèrent en contact avec ceux de la coordinatrice.
Cette dernière prit conscience de son geste et décida de le lâcher. Elle avait fait ça inconsciemment, elle n'avait pas réfléchis… comme quoi, il lui faisait vraiment perdre ses moyens…
- … Tu… ne veux pas rester un peu… avec moi ? Je… Je ne veux pas être seule…, bafouilla-t-elle, le rouge aux joues.
Il la toisa pendant quelques secondes.
- Pourquoi tu n'es pas avec les deux autres ?
Sa réplique augmenta la gêne de la jeune fille et elle avoua en se mordant la lèvre inférieure :
- En fait… Pierre et Sacha dorment dans une chambre, et il n'y avait pas de place pour moi, donc…
Elle n'acheva pas sa phrase et le silence revint, encore une fois. La présence du jeune homme la gênait, et elle ne savait pas pourquoi. C'est comme s'il dégageait une aura qui l'intimidait, comme si la confiance qu'il avait en lui-même et l'aisance avec laquelle il parlait la mettait mal à l'aise.
Il lâcha un faible soupir. Elle hoqueta lorsqu'il attrapa son poignet et la tira à l'intérieur de sa chambre. Surprise, elle mit plusieurs secondes à comprendre ses intentions, elle le regardait avec une lueur d'incompréhension. Il l'ignora et enleva sa veste, et là, Aurore s'écria en s'éloignant de quelques bons mètres :
- Pervers !
Le garçon aux cheveux mauves ne comprit pas d'où venait cette accusation, qu'est-ce qu'il lui prenait à cette fille ? Elle était complètement folle. Sincèrement surpris, il écarquilla les yeux et ne put lâcher qu'un :
- Quoi ?
La réponse du dresseur figea la coordinatrice qui se sentit soudainement très idiote. Elle qui avait cru que… ben… ?
- Je… Je croyais que… tu voulais qu'on fasse… enfin je ne sais pas, mais vu que tu te déshabillais…
Elle regardait le sol, rouge comme une tomate, et surtout avec un très grand sentiment de honte. Paul mit plusieurs secondes avant de comprendre de quoi elle parlait. Lorsqu'il comprit, il dit d'un ton sec et colérique :
- T'es vraiment stupide ! En plus d'être chiante et ennuyante, tu te fais des films !
Il la gratifia d'un regard de glace et se hâta de s'enfermer dans la salle de bain. Voila comment il était remercié d'avoir rendue service à cette idiote ! La prochaine fois, elle se débrouillerait toute seule.
Plus que honteuse, Aurore fixait toujours le sol et se sentait vraiment très bête. Elle ne lui en voulait pas de l'avoir traité d'idiote car s'était ce qu'elle était à ce moment-là, une véritable idiote. Essayant d'oublier ce moment très gênant de sa vie, elle se mit à réfléchir sur le geste de Paul. Elle en conclut qu'il l'invitait très généreusement à dormir dans sa chambre.
Attendez, d'où lui venait cet excès de gentillesse ? Elle ne put s'empêcher de sourire, attendrit. Il y avait peut-être du bon en lui, en fait. Avec un peu de chance, il allait lui montrer une autre partie de lui-même, celle qu'il ne montrait jamais aux autres. Elle remarqua qu'il avait laissé sa veste par terre et elle s'empressa de la ramasser pour la poser sur son lit. Une odeur masculine lui parvint aux narines et elle ne put résister à humer cette odeur qui était vraiment enivrante. Son cœur s'emballa un peu plus, elle aurait pu s'endormir tout de suite, là, debout, tellement elle se sentait bien.
Par peur d'être surprise, elle posa la veste et se hâta de se réfugier sous la couverture. Le jeune homme sortit peu de temps après et alla lui aussi dans son lit. Il semblait encore en colère après ce qu'il venait de se passer, elle se dit donc qu'il ne fallait pas lui adresser la parole. Il éteignit la lumière et la pièce fut plongée dans l'obscurité la plus totale.
Paul… c'était la première fois qu'il se montrait gentil envers elle. Normalement, il l'aurait laissé devant la porte, et même si elle aurait crié de toutes ses forces qu'elle n'avait pas d'endroit où dormir, il l'aurait ignoré. Il était vraiment différent et n'était peut-être pas celui que tout le monde croyait. Derrière cette carapace se cachait peut-être un cœur d'or… Elle trouvait ça mignon qu'il ne lui ait pas directement proposé de venir dormir dans sa chambre, il était sûrement trop embarrassé et trop fier pour ça. Décidément, c'était bien compliqué de le comprendre.
Étrangement, elle ne voulait pas raconter cela à Sacha et Pierre, non. Elle voulait garder cette soirée pour elle-même, faire comme si c'était leur secret à tout les deux…
Un sourire rempli de tendresse s'afficha sur son visage.
- Bonne nuit, Paul…
Sous la fatigue, elle s'endormit.