Merci.
Je souffle du mieux que je peux. Décidément, cette vieille feuille en papier est vraiment trop empoussiérée. D'un autre côté, vu l'état déplorable de ma "chambre", je ne m'attendais pas à autre chose... faudrait penser à nettoyer, note pour plus tard.
Mais voyons le bon côté des choses : c'est déjà bien que j'ai une feuille plus ou moins blanche et un stylo qui fonctionne !
En apercevant ce petit kit du parfait écrivain un peu plus tôt, j'ai eu la soudaine envie d'écrire à ma famille et mes amis : ça fait vachement longtemps que je ne les avais pas vus. Et vu que je ne vais pas tarder à ... faire un long voyage, je me suis dit que se serait sympa de leur envoyer quelques mots.
Du coup, je suis là, face à une feuille complètement vide. Si on excepte la poussière, bien entendu.
Bon, déjà. Commencer par un "Bonjour ! Ça va ?" peut-être ? ... non, vu les circonstances, je ne pense pas vraiment que ce ne soit, comment dire... approprié.
Mais d'un autre coté, si j'écris "A toute ma famille, que j'aime très fort et que je n'oublierais jamais..." ça va pleurer dans les chaumières. Et j'ai pas vraiment envie de provoquer une inondation de larme à Unionpolis.
Tiens en parlant de famille, mes parents me reviennent en mémoire. Faut dire que je n'étais pas vraiment une fille modèle. Enfin j'étais une enfant normale, je pense. Genre je n'écoutais jamais, ne finissais pas mon assiette d'horribles Baie Pommo, sortais avec mes amis jusqu'à super tard malgré le couvre feu, j'insultais les géniteurs lorsqu'ils m'énervaient, rouspétais dès qu'ils me demandaient de faire un truc chiant, dès fois j'faisais même l'inverse de ce qu'il me disait juste pour les emmerder...
Mouais quand j'y repense, j'étais assez lourde. Mais je ne m'excuserais pas : j'ai ma fierté.
Malgré tout, je commence un peu à comprendre ce qu'ils me disaient.
Papa, toi qui m'avait giflé lorsque j'ai frappé mon Chinchidou. Je m'en souviendrais toujours. C'était la première fois que quelqu'un me frappait. Et malheureusement pas la dernière. « Les Pokémon ne sont pas des objets, ni des esclaves ! Ce sont des êtres vivants ! Ils ressentent la douleur ! » C'est ce que tu m'avais dit à ce moment là. Si ce que tu dis est vrai, je peux t'assurer que moi aussi je suis bien un être vivant.
En parlant de Chinchidou, enfin, de Chin comme on l'avait renommé. Parce qu'il faut avouer que son nom de base est vachement long. Enfin, Chin, c'était toi, Axel, qui me l'avait donné.
Axel, mon premier amour. Et certainement le dernier quand j'y pense. Je me souviens de notre première rencontre, il y a des années, sur la route de l'école primaire, il pleuvait, j'avais une vilaine tâche de confiture sur mon uniforme... Tu m'avais fait un croche pied et je suis tombé dans une grosse flaque d'eau boueuse... c'était marrant. Surtout le fait qu'un professeur t'avait vu et t'avait confisqué ton Pokémon scolaire pendant un mois. Alalaaah... j'en ai bien profité pour te mettre la misère avec mon Capumain. Tu étais sans défense... et moi vengeresse. Haha ! Je me souviens de mon plus beau coup : lorsque j'ai demandé à mon Capumain de saboter ton pantalon, en toute discrétion bien sûr. T'avais l'air bien con en plein milieu de la cours de récré, le slip à l'air et les jambes entravés par ton pantalon baissé !
N'empêche à l'époque, je n'aurais jamais cru que toutes ses messes basses te feraient tomber amoureux de moi. Faut croire que vous aimez souffrir les mecs. J'étais encore plus surprise quand tu m'as proposé d'échanger ton Chinchidou et mon Capumain en signe d'amitié. Mais plus j'y pense et plus je me dis que j'ai eu raison d'accepter. Aaaah... c'est dingue comment ce genre de choses vous revienne en mémoire dans ces moments là.
Axel... j'aurais aimé continuer ma vie avec toi, grandir et devenir adulte, voir même qu'on fasse notre « première fois » ensemble... mais pour tout ça, ce ne sera plus possible... surtout de mon coté...
Wouaah ! Il faut vraiment que j'arrête de divaguer. Si je ne fais ne que penser à ma petite vie sans rien écrire, ce n'est pas demain la veille que ma lettre s'étoffera... et faut dire que je n'ai pas beaucoup de temps aussi. Je n'ai pas droit à l'erreur.
Mmmh... en fait je viens de me rendre compte que j'ai dis plein de chose sur mon petit-ami, alors que plus tôt j'ai juste dis que mon père m'avait frappé. J'peux pas écrire ça, le vieux va m'en vouloir à mort.
Mmmh, donc, Papa... tu as toujours été stricte avec moi. Toujours à espérer de grandes choses. Tu voulais que j'aie les meilleures notes, de bonnes relations, un grand avenir. J'imagine que tous les parents ne veulent que ce qu'il y a de meilleur pour leur enfant. Tu me faisais toujours la morale, voir le cas de Chin, tu t'y prenais mal quelque fois, voir encore le cas de Chin, mais au fond c'était pour mon bien, voir une dernière fois le cas de Chin. ...oui, cette gifle m'a quand même marqué. Ou plutôt, je m'en rappelle beaucoup en ce moment...
J'aurais tellement aimé pouvoir te montrer de quoi je suis capable Papa. Devenir quelqu'un d'important, quelqu'un de bon et juste. L'étoile montante de la société. Je voulais que tu soit fier de pouvoir m'appeler "ta fille". Je l'aurais tellement aimé... enfin... le destin est parfois cruel.
Evidement, maintenant il faut que je parle de Maman.
Que dire... je n'ai jamais vraiment été en de bon terme avec elle. A un tel point que se crêper le chignon était devenu notre sport familial. Toujours à te plaindre que je ne comprends rien à la vie, que je ne deviendrais jamais quelqu'un, que je n'ai pas de valeur... je te détestais. Jusqu'à ce que grand-mère me raconte toute l'histoire... maintenant je sais. Toi aussi, quand tu étais ado, ta mère te disait les mêmes choses. Et la haine que tu as accumulée durant toutes ces années, tu la défoules sur moi. Sans doute inconsciemment. J'aurais aimé en parler avec toi, mais j'imagine que l'occasion ne se représentera plus jamais.
Au final, je me rends compte que je ne te connais assez peu. Ton passé, ton ressenti... non je ne connaissais rien. Je n'ai jamais essayé de discuter avec toi. Maintenant je ne t'en veux plus : si ça se trouve, si jamais j'étais devenue mère, je me serais comportée comme toi. J'ai été bête de juger sans connaître. C'est une erreur que l'on fait bien trop souvent... vraiment... c'est dommage. Je suis certaine que l'on aurait pu mieux s'entendre.
Rhooo... pourquoi est-ce j'arrive à savoir ce que je veux écrire, mais que je n'arrive pas concrétiser ?! C'est dingue ça, on a toutes les idées en tête, mais rien qui sort du stylo... et en plus, je vais devoir tout faire tenir sur cette seule petite feuille poussiéreuse : je ne pense pas en trouver une autre dans tout ce fouillis... le choix des mots, le choix des mots... pfff, je ne suis pas auteus... euh... écrivaine moi !
Sinon, je crois avoir fais le tour des gens de la famille importants pour moi. Yep, j'ai oublié personne... ... bon reste mon grand frère, peut-être. Dommage que je n'ai pas un dictionnaire d'insultes avec moi, là, ça m'aiderais vraiment. Aalalaah... que dire sur lui. Déjà, c'est un con. Ça c'est indéniable. L'évidence même. Sérieusement. Ce mec a les meilleures notes possibles à l'école supérieure des dresseurs, imbattable en combat singulier avec son Draco, mannequin masculin, super sportif, et SURTOUT il gagne plus de fric que nos deux parents réunis. Bref, un sale type invivable dont la seule présence vous rappelle votre inutilité.
... enfin, il doit s'en mordre les doigts de son fric maintenant. Désolée. C'est pas de ta faute frérot.
Et puis, malgré que ton existence soit insupportable, tu restes mon frère. J't'aimerais toujours. Un peu au moins.
Ah, faudra que je te dise. Si t'as copine a rompu, c'est parce que je t'ai envoyée un faux SMS salace, que j'ai direct effacé par la suite, quand elle fouillait dans ton portable. Encore désolée. C'était pour te faire chier, tu comprends, l'instinct primaire des frères et des sœurs, tout ça... ouais non, ça je ne vais pas l'écrire je pense. Y a des secrets qu'il faut garder. Et puis, avoue que c'était une pute c'te fille aussi.
N'empêche, quoi que je puisse dire, c'était sympa notre petite rivalité. Même si elle était un peu à sens unique.
... voilà. Là j'ai vraiment fait le tour de la famille. Il ne reste que mes quelques amis... Tyfenn, Chloé, Antoine, Simon, Lydia. Vous aussi c'était sympa de vous avoir connu. Bon, faut dire qu'en fait, je ne vous connaissez pas vraiment. On est juste des gosses qui se sont trouvées par hasard dans la même école. J'connais quasiment rien de vos problèmes familiaux, de ce qui vous pensez, ce que vous faîtes quand on n'est pas ensemble... et après tout je m'en fiche. Parce que justement, l'essentiel c'est qu'on passe de bons moments quand on est ensemble. On s'amuse et on s'évade. Mais je le répète, le temps passé avec vous était vraiment super sympa. Vous vous souvenez de la fois où on a caché un Mimigal sous le bureau du prof ? Hahaha ! J'm'en souviens encore de ses gros yeux de Barpau ! Ou alors quand on a chouré le journal intime de la sœur de Lydia et qu'on a passé l'aprèm' à s'égosiller tellement il était drôle ! Hahahahaaa... c'était vraiment... cool...
Dommage que je dois partir... mais la vie est faite d'adieux, rien n'est éternel.
En un mois, j'ai au moins appris ça.
Arf, je sens que le temps approche... et je n'ai toujours rien écrit. Bordel, c'est pas le moment... faut absolument que je fasse un truc ! ... ... ... tiens ? Pourquoi est-ce que ma main tremble, tout-à-coup ? ... Raaah ! C'est... c'est vraiment pas le moment ! Allez, courage petite ! Tu dois écrire... écrire... c'est ta dernière chance... mais... non... c'est trop fort, j'ai des larmes qui commencent à couler... putain, PUTAIN ! Ressaisis-toi ! Prend ce foutue stylo et écrie ce qui te passe par la tête ! J'me le pardonnerais jamais si c'te foutue feuille reste blanche...
J'entends des bruits de pas derrière la porte... Et mince... il ne me reste que quelques secondes à peine... alors pourquoi est-ce que je suis en train de me prendre la tête avec moi-même au lieu d'écrire ?! Raaah.... RAAAAH ! et merde ... comment... ? Comment cristalliser tout ce que je ressens sur une feuille aussi stupide ?! Je n'y arriverais jamais ! Et en plus... j'...j'ai les yeux complètement embuée... 'tain... je ne me pensais pas aussi faible... faible... je n'ai pas vécu tout ça pour rester comme une conne devant une vielle feuille idiote !
J'entends le bruit de la clef dans la porte. Trop tard. Je ne peux que maudire mon impuissance...
La porte grince, autant que mes pensées n'hurlent dans ma tête. Je fixe ce fichu bout de papier. J'avance fébrilement ma main, sans la moindre idée de ce que je dois écrire. Ma tête me brûle, j'ai l'impression t'étouffer... Axel, Papa, Maman, frérot, Tyfenn, Chloé, Antoine, Simon, Lydia... tous... tous ces gens qui m'ont soutenus, défiés, fait rire... tous ces gens qui m'ont aimés ! C...c'est la dernière occasion !! Alors... pourquoi... pourquoi ma tête... me fait si mal...
« Qu'est-ce que tu fous ? »
Une grosse voix me sortie de ma torpeur. Surprise, je me retourne vers le nouvel arrivant. De peur d'être découverte, je cache ma "lettre" au fond de l'une de mes poches. Est-ce que j'ai réussis à écrire quelque chose ? J'en ai aucune idée... j'ai du tombé quelques secondes dans les pommes ... quelle idiote !
Alors que je grinçais les dents, un pistolet était pointé droit vers mon cœur.
« Oh ? T'as pleuré ? Haha ! J'me disais bien qu't'allais craquer à un moment. Quoique j'te fasse, t'es resté totalement impassible pendant un mois, moi-même j'uis impressionné. »
Je ne peux que baisser mes yeux encore trop humides. Oui... un mois déjà que je suis piégée ici... à me réfugier dans le cynisme et l'insouciance pour tenir...
« Mais mauvaises nouvelles. Premièrement la police sera là d'une minute à l'autre. Deuxièmement, ton très cher grand-frère m'a donné une grosse rançon et j'lui aie promis de te "rendre". Manque de peau, car troisièmement, t'as vu mon visage. Heureusement, j'n'ai jamais dis que j'te "rendrais" vivante. Enfin, ça tu l'savait déjà. »
Un clic retentit. C'est idiot. Il ne me reste même pas une milliseconde à vivre et j'ai l'impression que le temps passe au ralentit. Je vois presque la balle foncer sur moi, dans une rage meurtrière. Tout ce que je peux faire est de penser à tous ceux qui me sont chers et de leur dire...
***
Flash info : Le corps de Sanae, l'adolescente de 16 ans disparue depuis un mois alors qu'elle revenait de sa grand-mère, vient d'être retrouvé dans une cave abandonnée. Son agresseur est introuvable et semble avoir prit la fuite avec la rançon. La police se démène pour poursuivre le coupable et compte bien le mettre sous les verrous.
Malheureusement, aucun indice conséquent n'a été découvert sur les lieux du crime. Tout ce que la police a trouvé, c'est une vieille feuille froissée dans la poche de la victime sur laquelle un unique et mystérieux mot y était inscrit : "Merci".