Ch. 14 La latence des erreurs
- Si tu as déjà parlé à Nathan, il a du te dire que ta réaction était un peu trop lunatique, non ?
Timéo ouvrit la porte en grand, avant de s'éloigner vers le salon. Kyle, sur le pas de la porte, rentra un poil dubitatif, pas sûr de savoir s'il était en droit de le faire. Timéo lui demanda de patienter quelques minutes, le temps d'aller se changer.
L'agent observa autour de lui l'étalage des richesses décorant la maison. Des tapis immensément imposants, rouges et marron, des lustres en verre réfléchissant la lumière des baies vitrées. Il se dirigea vers les commodes en bois et observa les cadres dormant dessus. Des photos de famille, de partout. On voyait plusieurs photos de Serah et Timéo ensemble, mais il remarqua aussi la présence récurrente de Nathan. Nathan avec un ballon de foot et Timéo lui ébouriffant les cheveux, Nathan obtenant son diplôme avec son meilleur ami. Nathan près de Serah et Timéo à la mer. Kyle réalisa la place importante que semblait occuper le prisonnier chez les Lacklaye. Il continua de faire les cent pas dans le grand salon, quand Timéo revint au bout de quelques minutes, un T-shirt bleu et une paire de jeans troqués contre son affreux peignoir. L'agent s'avança rapidement vers lui pour reprendre la discussion.
- Nathan est en train de perdre pied. Et je ne pense pas être la raison de ce changement, il date de bien avant.
- Si tu attends de moi que je t'en apprenne d'avantage, poursuivit Timéo, dis-toi que je ne le vois que peu ces derniers temps. Je suis d'accord sur le fait qu'il ait changé, mais il a toujours été d'une nature peu expressive.
Kyle baissa la tête, réfléchissant. Tim restait planté là, face à lui, guettant une nouvelle amorce. Le silence était mort, la maison était vide, et il regrettait encore plus l'absence de sa sœur en comprenant que l'ambiance joyeuse était partie. Définitivement.
- Tu veux donc que je défende celui que tu as jeté en prison. Étrangement ridicule. Nath m'a toujours dit que tu étais une sale tête de mule.
- C'est gentil... marmonna le blond.
- C'est pour ça que je suis plutôt surpris que tu reviennes sur une de tes décisions.
Kyle soupira d'entendre ça pour la troisième fois. Qui plus est, il n'avait plus vraiment le temps d'argumenter puisqu'il devait rassembler rapidement des preuves potables.
- Il y a trop de preuves contre lui pour que quelqu'un de lambda s'en charge, répondit Kyle. Si tu ne veux pas t'en charger, dis-le moi tout de suite, histoire que je trouve quelqu'un qui ait la folie de prendre ce cas, le temps presse. D'ici demain soir, les trois jours s'achèvent, et le procès commencera à l'aube suivante.
Timéo hocha la tête, pensif. Il regarda l'agent dans les yeux. Il n'aimait pas ce ton de défi qu'il venait d'employer, lui laissant sous-entendre que ce serait lâche de sa part que de ne pas le défendre. Tout ça ne rimait à rien. Sa sœur venait de mourir, il prenait le risque de défendre son meurtrier. Ce meurtrier présumé était son meilleur ami. L'agent qui l'avait arrêté sous ses yeux lui demandait maintenant de l'aide pour l'innocenter. Le problème dans cette affaire était que les deux personnes concernées étaient non seulement des proches du suspect, mais en plus étaient subjectives. Réussir à démêler le vrai du supposé allait forcément être compliqué. Timéo soupira, posa une main sur son front. Ses cheveux blonds, son visage d'ange, son sourire éclatant... Puis l'image soudaine d'une sœur cadavérique, négligemment ouverte comme une machine pour trouver ce qui aurait pu la tuer. Il ne faisait qu'imaginer. Parce qu'il ne l'avait pas vue. Il était avocat, il connaissait la mort. Mais il ne l'avait jamais vue frapper aussi près de lui. Et soudainement, comme si le sol se dérobait sous ses pieds, il s'accrocha au dossier de son canapé. Était-ce un rêve, ou simplement la fatigue qui l'empêchait de faire face à ça ? Il connaissait Nathan depuis des années, avait grandi avec lui, fait les quatre cents coups. Aujourd'hui, il ne pouvait même pas allumer la télé sans voir la presse s'affoler en voyant la photo de son meilleur ami comme étant le Trianguleur.
Et il devait agir avec lui comme un étranger, en faisant preuve d'objectivité.
C'était impossible.
Mais pour on ne sait quelle raison, il a accepté.
= =
Manger. Dormir. Pompes. Manger. Lire par dessus l'épaule de Micki du Baudelaire. Réfléchir. Manger, dormir, et ainsi de suite.
Il entamait son dernier jour de prisonnier temporaire avant son procès. Il avait l'impression d'avoir passé déjà des années en prison. Familiarisé avec les murs froids de briques entaillées, avec les deux lits superposés rouillés, qui semblaient menacer de s'effondrer au moindre soubresaut, Nathan n'en pouvait plus. Fort heureusement, ce jour n'était pas comme les autres. Privé pendant plusieurs heures interminables se transformant en jours, il n'avait pas pu voir ses Pokémon. Par sa faute, ils se retrouvaient traités comme de vulgaires objets, devant attendre sans prononcer un bruit, sans montrer signe de vie que leur dresseur ait le droit de les voir. Il attendait en se mordant les ongles dans le jardin extérieur aménagé un étage plus bas que Mérouville même. Il était dans une sorte de cage magnétique, où il pouvait voir qu'il était toujours enfermé, cette fois-ci dans un espace de la taille d'un terrain de combat, mais surtout dans un endroit ensoleillé. Nathan avait toujours pensé que c'était ménager les prisonniers que de leur confectionner des jardins aussi bien entretenus et réels à leur niveau ; aujourd'hui, il réalisait qu'ils étaient essentiels, ne serait-ce que pour les Pokémon, ou pour tout simplement ne pas devenir plus horrible que ce que l'on est déjà.
Un Charmina accompagné d'un garde inhabituellement mince pour son poste, arriva les bras chargés des quatre PokéBall de Nathan. Il était tellement fragile, une once de joie arrivant tout juste à transpercer toute la noirceur de son être, qu'il hoqueta maladroitement en se relevant.
- Restez assis.
Il se rassit instantanément en attendant la voix autoritaire du garde.
- Tendez vos mains. Regardez-moi.
Nathan se plia aux ordres machinalement, tendit ses mains pour que le garde détache ses menottes électromagnétiques, puis ouvrit ses yeux du mieux qu'il pouvait, malgré ses difficultés à combattre la lueur du jour, habitué à la pénombre. Le garde passa un scanner devant ses yeux, regarda l'engin.
- Nathan Corywn, donc. Vous êtes en instance d'un procès des trois jours.
- Je sais, merci, marmonna-t-il.
- Mais moi non, alors vous vous taisez et vous me laissez lire.
Nathan plissa ses lèvres et regarda ailleurs, pendant que l'homme continuait de lire avec assurance ce qui défilait sur le scanner. Il écarquilla soudainement les yeux.
- Je suis désolé Agent Corwyn, je ne savais pas que vous étiez des Forces de l'Ordre.
Il sourit.
- Oh, plus pour longtemps. Je peux les voir, maintenant ?
Le garde prit les Ball des mains de Charmina précautionneusement, et les lui donna avec un air plus respectueux que précédemment.
- Vous êtes dans ce qu'on appelle ici un Espace Clos et Sécurisé. Vous ne pouvez pas vous échapper, même en utilisant les capacités de vos Pokémon. Si vous attaquez le champ magnétique, l'attaque est comme « bue » et peut être renvoyée en fonction de sa puissance. Vous pouvez les entraîner, les nourrir via le distributeur de Poffins qui se trouve dans le coin là-bas, expliqua-t-il en désignant un tube rempli de biscuits colorés. Vous avez deux heures, puisque vous n'êtes qu'un temporaire. L'accès aux ECS peut être plus long lorsque vous êtes un réel prisonnier, et en fonction de votre peine.
Il marqua une pause, remarquant bien que Nathan faisait ce qu'il pouvait pour prétendre écouter, mais qu'il n'en était rien. Il triturait ses doigts nerveusement, regardant le sol avec dépit.
- Profitez-bien, acheva-t-il.
Nathan hocha la tête sagement, attendit que l'homme se retire. Charmina se posta à la porte d'entrée de l'ECS, liant les couloirs de la prison au terrain où se trouvait Nathan. Il soupira, regarda ses Ball. Il mourrait d'envie de les voir, mais pensa également à la manière dont ils les avaient négligés. Et là, il se rendait compte de l'erreur qu'il avait commise. C'est toujours en étant privé de quelque chose que l'on se rend compte de sa valeur. Il n'attendit pas plus longtemps, et les ouvrit, dévoilant Arcanin, Kirlia, Heledelle et Phyllali.
La pression s'en alla soudainement, et il s'assit au sol, s'enfonça dans l'herbe, alors que les quatre le dévisagèrent avec timidité. Ils étaient à la fois paniqués de se faire attaqués, mais apparemment réconfortés de voir leur dresseur.
- J'attends ça depuis des jours, foncez-moi dedans ou je vais me vexer ! sourit-il en ouvrant les bras.
= =
Kyle était au volant de sa voiture, où Timéo ne cessait de soupirer sur le siège avant passager. La route était dégagée, le temps était clair, et c'était certainement le seul moment où l'agent arrivait enfin à décompresser, uniquement concentré sur la route. Ils quittaient le bureau de Timéo où ils avaient soigneusement épluché les dossiers des différents meurtres.
- Tu as du rencontrer le Procureur ? demanda l'avocat, déprimé.
- Effectivement... acquiesça Kyle, crispant soudainement ses doigts autour du volant.
Sa visite avait précédé la grosse remontrance qu'il avait subie par son supérieur en imperméable marron, Dick Nantelieu.
= =
Kyle était arrivé au bureau le matin, se voulant fringant. Arbok le suivait de près, effrayant chaque personne qui le regardait un peu trop méchamment. Il avait arrêté un des meilleurs agents la veille, forcément, certains ne comptaient pas tolérer une chose pareille. Mais il s'en moquait éperdument : son sens de la justice l'avait poussé à le faire, et il en était fier. Lui, au moins, ne se laissait pas attraper par sa subjectivité. C'est du moins ce qu'il pensait.
Il se posa sur son bureau, sans prêter attention à Camille ou Logan. Il alluma son ordinateur, leva les yeux et regarda le bureau de Nathan. Vide, pas une vanne lancée sur sa « chemise de riche ». Il imagina cette même personne qui partageait son quotidien depuis des mois, assassiner de sang froid trois jeunes femmes en leur découpant la gorge. Il secoua la tête, énervé, puis chercha du regard les deux autres équipiers. Ils étaient à la machine à café, avant de soudainement se redresser en direction de l'entrée. Kyle tourna la tête vers celle-ci, ou il vit Dick entrer d'un pas agacé. Il s'arrêta, siffla pour que tout le monde se tourne vers lui.
- Vous vous devez de pleinement coopérer avec l'Avocat de l'Accusation afin de l'aider à découvrir la vérité, gnagnagna... grommela Dick suffisamment fort pour que l'office entier entende.
- Merci bien Inspecteur Nantelieu. C'était pas compliqué à répéter ! ricana un homme en costume vert olive qui arriva.
C'est comme ça que ça marche. Un suspect est défendu par un Avocat de la Défense, et ce même suspect, est accusé par un Procureur. Le B.I.C se doit de fournir un maximum de preuves pour le Procureur, et si l'Avocat de la Défense souhaite également se renseigner, ses démarches seront infiniment plus compliquées que celles de l'accusateur. C'est ce qui devrait permettre, en théorie, de découvrir la vérité. En théorie.
Kyle se releva pour accueillir l'homme qui amena une odeur âpre dans la pièce, saisissant ses narines. Il regarda Dick qui le dévisageait avec insistance. Ce dernier lui jeta un regard horriblement froid, inhabituel, lui demandant certainement de défendre son co-équipier emprisonné. Cependant, Kyle commençait à en avoir marre de ces cachotteries, et s'autorisa réflexion quant à l'ordre visuel qui venait de lui être donné.
Le Procureur demanda à Kyle de le suivre. Camille lui attrapa doucement le bras à son passage et le supplia avec une mine triste. Kyle se mordilla la joue, puis s'élança derrière le Procureur. Ce dernier lui demanda de rentrer son Arbok. Ils s'assirent ainsi dans le bureau de Dick, celui-ci l'ayant laissé libre pour l'enquête.
- Votre supérieur, ce... Nantelieu, dit-il en secouant vaniteusement la main, m'a dit que vous n'aviez rien trouvé de nouveau en dehors des traces d'ADN Pokémonesque et humaine. Avez-vous enquêté de votre côté ?
Kyle le regarda, stoïque. C'était devenu tout froid en lui. Il ne savait plus rien. Il n'était pas si sûr d'agir comme il fallait, en voyant cet homme arrogant et certainement mesquin. C'était peut-être de la peur, de jeter un compagnon dans la gueule du Grahyena sans réelle investigation.
- J'ai eu du mal à trouver quoi que ce soit qui pouvait davantage l'incriminer... marmonna Kyle.
Ne faire confiance à personne. Il l'avait appris. Il n'allait pas parler de l'enregistrement où l'on entendait Nathan pleurait le soir du meurtre de Montalio avant d'avoir sérieusement reconsidéré la question. Le Procureur tendit discrètement l'oreille dans le vide, comme si quelqu'un lui parlait. Il plissa les lèvres, fronça les sourcils et sourit.
- Agent Lanter. Vous me mentez.
Kyle déglutit. Il observa autour de lui, mais ne voyait absolument rien qui pouvait lui indiquer son mensonge. Un Pokémon. Ses sens d'agent pouvait au moins lui permettre d'être perspicace de ce côté.
- Et qu'est-ce qui vous dit que je mens ?
- Votre peur. Elle se ressent d'ici, comme de minuscules vibrations qui agitent le coeur, mima-t-il en pinçant ses doigts.
- Voyons, ce n'est pas parce que j'ai peur que j'ai forcément quelque chose à me reprocher.
Le Procureur sourit.
- Ça s'intensifie...
Il appuya ses mains sur le bureau poussiéreux de Nantelieu et se pencha vers Kyle, qui avait le visage déformé par l'énervement.
- Je suis Procureur dans une des cours de justice les plus réputées d'Hoenn, pas vendeur de Potions. Vous vous doutez que je sais un tas de choses sur vous... Oh ? Que vois-je ! Vous êtes un travailleur handicapé répertorié mentalement perturbé. C'est votre parole contre la mienne.
- C'est une menace ? grogna le blond en serrant les mains sur ses genoux.
Il devint réellement inquiet. Pour ce qu'il jouait. Kyle savait très bien qu'il était sur un siège éjectable quand il s'agissait de ses problèmes passés. Il s'était donné du mal à remonter la pente, et pourtant, quelqu'un l'avait visiblement rattrapé.. Il réfléchit plusieurs secondes, dans le silence insondable et éprouvant. Il regardait partout, sans raison, couvé par le sourire sardonique de son adversaire.
- Je n'ai qu'à dire que l'attitude agressive et destructrice de l'Agent Kyle Lanter a bien failli me coûter la vie... et pouf !
- Ça va ! J'ai compris...
Il n'allait pas hésiter plus longtemps. Si Nathan était innocent, cet enregistrement ne devrait pas l'incriminer plus que les autres preuves. Kyle n'avait rien à se reprocher, lui. Il fouilla sous sa chemise en y rentrant sa main, pour sortir une carte SIM enfermée dans un pendentif accroché à une chaîne en argent dissimulée.
- Ceci est un appel téléphonique que le suspect a eu avec sa mère avant de sombrer dans l'inconscience.
- Suite à ?
- Suite à un évènement flou. Le suspect précédent Nathan a été retrouvé mort...
- Et lui baignait dans son sang, je sais. Bizarre que je n'ai pas entendu parler de cet appel. Il doit ruisseler d'informations croustillantes ! s'exclama le Procureur en se levant.
Il attrapa Kyle par l'épaule et l'aida à se relever. L'agent tremblotait doucement sur ses jambes, tétanisé certainement qu'une personne ait si facilement eu accès à son secret. Puis d'un coup, sans raison apparente, sa peur s'échappa de lui, comme happée vers l'extérieur. Une sensation qui n'était pas naturelle. Le Procureur le remercia en lui caressant le bras avec une certaine force, ce qui le laissa assez penaud. Il prit après la direction de la sortie.
- Une simple question... dit Kyle.
L'homme dans son costume vert olive se retourna vers lui et le regarda de bas en haut. Le blond remarqua qu'il ne s'était jamais concentré sur son visage. Et il n'en avait pas envie. Il ressemblait à un masque, un bout de plastique faussement bronzé.
- ... votre nom ? demanda l'Agent.
- Hohenhart. Félix. Vous devriez le connaître, dit-il avec un clin d'oeil.
Avant de refermer la porte derrière lui.
= =
- ... Tu as QUOI ?! Tu comptais m'en parler un jour de cet appel ? gronda Timéo alors que Kyle garait la voiture. Comment veux-tu que je défende un client sans être au courant de ce que va préparer l'accusation !
- Eh bien voilà, tu le sais. Estime-toi plutôt heureux que je te donne ses cartes !
- Que je m'estime heureux ? tonna l'avocat, irrité. Ma sœur vient de mourir, mon meilleur ami est en prison, tout ça repose sur mes épaules, et je dois m'estimer « heureux » ?
Kyle freina bruyamment à un feu rouge, et regarda passer un petit garçon avec son Caninos, la conscience mauvaise.
- Dah, c'est pas ce que je voulais dire... tenta-t-il de se rattraper. Je n'avais pas le choix.
- J'espère bien, sinon je t'aurais laissé rattraper tes erreurs monumentales tout seul, conclut Timéo.
Au moins, Kyle avait pu se libérer de ce poids. Il hésita à insister sur le fait que la sensation ressentie au moment vécu n'était pas naturelle, mais forcée. Cependant, l'intérêt n'y était pas. Nul besoin de se justifier, le mal avait été fait. Il voyait Tim tourné, regardant par la fenêtre, certainement en train d'essayer d'assembler les pièces du puzzle.
- Bon, Nathan a interrogé les proches des victimes avec toi. S'ils le connaissaient, savaient quelque chose sur lui, ils l'auraient mentionné ? demanda Tim.
- Je suppose. L'important pour le moment est de rétablir ce que faisait Nathan à chaque meurtre. On va devoir inspecter chez lui, aussi. On va tenter de découvrir la vérité avant ce procès.
= =
Il était fatigué. Mais une certaine force l'animait plus que tout. Cette petite lueur d'espoir qui lui remuait le ventre était présente, et le maintenait. Il voulait voir une personne. Il espérait de tout cœur tomber sur elle. Parce que c'est à elle qu'il ne cessait de penser pendant ces nuits glacées en prison. Lou. C'était la seule qui pouvait vraiment le soutenir, lui montrer réellement qu'il n'avait pas de souci à se faire. Parce que c'était la seule qui savait trouver les mots, comme pour bercer un enfant. Elle avait ce que tous les autres n'avaient pas, comme un ticket de passe-droit. Il se promettait de se forcer à sourire en la voyant.
Le garde qui tenait les mains liées de Nathan l'observait pendant qu'ils marchaient vers la salle de visite.
- C'est moi ou tu trembles ? demanda le garde, surpris. C'est le stress ou autre chose ?
- Je n'en sais rien. Une chose est sûre, c'est que je commence à y être habitué, répondit-il, à moitié ailleurs.
L'homme de main haussa les épaules, et ouvrit la porte. L'odeur était différente. Des parfums s'entremêlaient, des parfums d'occasion rare. Les parfums que mettaient les proches pour raviver la flamme éteinte des prisonniers.
Il ne sentit pas le parfum de Lou. Mais un parfum plus boisé, plus citronné. Celui de Lou est sucré. Sucré comme le miel. Avec une teinte de monoï, cette odeur de l'été.
Il cligna les yeux pour améliorer sa vue. Il reconnaissait ce parfum vers lequel le garde l'amenait. C'était celui de sa mère. Au début ça prend au niveau de la gorge tellement c'est fort, puis ça se calme et prend une senteur plus agréable. Elle mettait rarement du parfum, mais celui-là, c'était bel et bien le sien. Elle l'avait beaucoup mis après le départ de son père. Ce parfum et ce poncho marron qu'elle adorait porter, c'était la seule image de sa mère durant sa jeunesse. Nathan renifla nonchalamment, et s'assit face à Maria, prenant le temps de poser ses mains accrochées par les menottes blanches électroniques sur la table. Ne serait-ce que pour les soulager du poids.
- Mon chéri, je suis si contente de te voir, s'exclama Maria presque en sanglotant.
- Oui oui, moi aussi, moi aussi... dit-il, avec un peu moins d'enthousiasme.
Elle colla sa main contre la vitre opaque les séparant, un sourire affaibli sur les lèvres. Elle l'observa longuement, s'efforçant de ne pas pleurer, et retira sa main doucement.
- Tu es tout ce qu'il me reste Nath...
Il la regarda, stoïque. Elle se racla la gorge et reprit avec un peu moins de pitié.
- Norman et Erica voulaient aussi te voir. Mais tu n'as le droit qu'à trois visites, alors ils m'ont cédé la place. Norman te dit qu'il a foi en toi. Et te demande de ne pas baisser les bras.
- Je ne les ai même pas levés, donc pas de risque pour ça, grommela-t-il.
Dans le fond, il fut content d'entendre parler des parents de Timéo. Et s'ils le soutenaient, ça voulait dire qu'ils comptaient convaincre Timéo de son innocence. Un silence s'installa doucement, Maria ne sachant comment continuer.
- Comment va Tim ? demanda-t-il pour relancer la conversation.
- Je ne sais pas. Il n'a pas parlé à ses parents depuis le... le...
- Le meurtre de Serah.
Elle hocha la tête, les larmes aux yeux.
- C'est pas compliqué à dire, tu sais, rajouta-t-il, presque vindicatif.
- Pourquoi est-ce que je sens un ton de reproche ? demanda Maria, sur la défensive.
Nathan lui adressa un sourire condescendant. Un petit, parce que c'est quand même sa mère. Et il savait très bien qu'elle le craignait un peu derrière ses grands airs.
- Figure-toi que j'hésite. Je ne sais pas si c'est parce que tu ne m'as pas recontacté après mon coup de fil désespéré, ou si c'est pour croire que je suis l'assassin.
Elle écarquilla les yeux, choquée. Elle essaya de bredouiller une phrase, mais aucun son ne sortait clairement de sa bouche.
- Écoute Nathan, je ne suis pas venue pour être la cible de tes petits jeux de manipulation. Grandis un peu, tu es dans une situation plutôt cr...
- Oh je t'en prie, maman !
Il avait haussé le ton. Les prisonniers et visiteurs s'étaient retournés. Mais il n'y faisait pas attention, en opposition à Maria qui commençait à avoir honte. Il se calma un peu, et souffla avant de reprendre.
- On sait tous les deux que c'est vrai. Ce n'est pas toi qui as prévenu les flics de ce qu'il s'est passé vers Vermilava avec Montalio. Il a fallu qu'un vieux nous découvre au petit matin, alors que l'accident s'est produit la veille au soir !
Maria mordilla ses lèvres, et regarda autour d'elle.
- Tu ne m'as pas rappelé pour savoir si j'allais mieux. Tu as ensuite appris le meurtre de Serah. C'est bizarre de voir que l'étau se resserre autour de son propre fils, hein ? Heureusement que tu ne m'as pas vu recouvert du sang de Montalio, tu m'aurais carrément pendu toi-même, je me trompe ?
- Nathan, arrête, tu te fais du mal.
Il inspira bruyamment pour se calmer. Ses mains continuaient de trembler, il avait chaud, et il réalisait peu à peu qu'à l'issue du lendemain, il n'aurait plus la chance de sortir d'ici. Il tapota la table grise avec ses doigts, et serra les dents pour supporter les différentes douleurs qui recommençaient à l'assaillir.
- Il y a une chose que tu dois savoir Nathan, et c'est la raison pour laquelle je suis venue ici. Je pense qu'il est temps qu'on discute.
- Est-ce que ça pourrait m'aider à me sortir de mon emprisonnement à perpétuité ? demanda-t-il avec un sourire hypocritement angélique.
- Je... non, mais ça res...
- ALORS JE NE VEUX RIEN SAVOIR !
Un grand fracas éclata lorsqu'il envoya valser sa chaise qui percuta une table plus loin. Le crissement fit reculer Maria qui se releva à la vitesse Grand V en couvrant sa bouche de stupeur. Nathan se mit à crier et frappa ses menottes contre le muret séparant sa table à celle de l'autre prisonnier discutant avec sa famille. Il transpirait soudainement, et regardait dans tous les sens avec des yeux exorbités. Le prisonnier se leva et tenta d'arrêter Nathan dans sa colère noire. Il l'attrapa par les épaules et le serra contre lui, sous les cris désespérés et emplis de panique de Maria. L'ancien agent donna un coup de pied bien placé dans le genou de son adversaire, qui grogna en entendant le craquement. Nathan sortit des bras du prisonnier et l'assomma avec ses menottes.
- NATHAN, STOP !
Sa mère n'arrivait plus à se retenir et criait tout en pleurant pour qu'il se calme. Le garde impuissant, envoya son Mackogneur, et appela via son talkie-walkie un garde de l'autre côté de la pièce pour aller aider Maria. Nathan soulevait les tables, pleurait et tapait tout ce qui tombait sous ses mains. Le Mackogneur ne mit pas longtemps à le maîtriser, l'encerclant de ses quatre bras. Il pressa le corps de Nathan qui bientôt manqua d'air. Il essaya de happer ce qu'il pouvait, mais la compression était trop forte. Le garde arriva, marchant calmement accompagné d'un Emolga.
- Excuse-moi, petit.
- Ca... a... caf... cracha-t-il en respirant violemment.
Et sur ces mots, il ordonna à la souris volante Electrique de paralyser Nathan. Il se figea dans les bras du Pokémon Combat, complètement statique et inconscient.
= =
- Je pense que vous devriez venir au plus vite.... Oui, oui oui, je comprends très bien Agent Lanter. Dans ce cas, je vais essayer de vous transmettre mes résultats rapidement.
Un œil, puis deux. La douleur fut atroce quand les deux furent ouverts. Nathan était attaché par une camisole contre ce qui semblait être un matelas d'hôpital. Ce genre de matelas miteux qu'on trouvait en prison. Ça faisait deux fois qu'il se retrouvait sur un tel matelas en si peu de temps. D'habitude, il ne voyait presque jamais de médecin. Et là, il était pathétiquement recroquevillé, les yeux boursouflés, la tête tremblante. Un Papillusion appartenant à l'équipe médicale avait réussi à calmer Nathan grâce à Poudre Dodo.
L'homme en blouse blanche avança sa tête près de celle de son patient, le regarda droit dans ses yeux ambre abîmés.
- Ça fait longtemps que vous êtes sujet à de telles crises ?
Nathan observait lentement les environs. Une petite pièce recouverte de peinture blanche à l'arrache. Deux tablettes métalliques roulantes en fer froid, sur lesquelles reposaient toutes sortes d'outils stérilisés. La lumière était forte, trop forte pour son corps épuisé. Le médecin, en voyant qu'il n'obtiendrait aucune réponse, soupira. Il sortit de la pièce cinq minutes pour aller chercher le dossier de Nathan. Leuphorie faisait le guet près du corps presque inanimé, quand un écran ancré au mur fit retentir une petite sonnerie. L'homme en blouse blanche revint un plus précipitamment que quand il partit, armé d'une pochette marron, et tapota rapidement sur l'écran.
- « Contrôle négatif », annonça la machine.
- Non, ce n'est pas possible, grommela l'homme.
Il revint près de Nathan, lui tapota la joue pour qu'il rouvre ses yeux. Puis il lui les écarta avec ses doigts fins, les regarda sous plusieurs angles. Il claqua plusieurs fois des doigts, mais aucune réaction de la part de l'ex-agent. Agacé, il retourna près de son téléphone et recomposa le numéro de Kyle. tout en ouvrant le dossier qu'il venait de poser sur son comptoir de travail. Il commença à le feuilleter.
= =
- « Je suis pratiquement formel, Agent Lanter. Tout est là : dysphorie, asthénie, anhédonie, psychose... L'Agent Corwyn est victime d'un sevrage toxicologique brutal. »
- Vous voulez dire qu'il se drogue ? répéta plus clairement Kyle, devant l'appartement de Nathan.
Lorsque Timéo entendit cela, il se retourna vers Kyle, concentré sur la conversation téléphonique. Il cherchait normalement le double des clefs censé se trouver dans un carreau devant la porte d'entrée, mais s'arrêta pour se dresser à hauteur de Kyle.
- « Eh bien c'est ce que je pensais, mais les tests sont négatifs ! C'est pas faute de les avoir refaits ! » paniquait le médecin.
- Refaites-les encore alors ! s'impatienta Kyle.
- « Ça ne servirait à rien ! Je n'arrive pas à obtenir une confession de sa part. La dernière chose qu'il a dite était adressée au gardien qui l'a électrocuté. »
- Qu'est-ce qu'il a dit ? demanda le blond.
- « Il aurait bredouillé « Caf ». Ça vous parle ? »
Kyle et Timéo se regardèrent. C'était comme une révélation.
- Le café, acquiesça Timéo, prenant définitivement le problème sérieusement.
Kyle répéta la chose au docteur en hochant la tête. Il était fier de voir que même influencé, Nathan avait été assez lucide pour comprendre d'où le problème venait. Ils auraient bien fini par le découvrir au vu de son addiction, mais il leur faisait gagner du temps précieux.
- Trouve les clefs, vite ! s'alarma Kyle en désignant Tim du menton.
- « Heureusement qu'il a fait cette crise, ou vous n'aurez peut-être jamais su ce qu'il avait vraiment ! » s'exclama l'interlocuteur.
- Effectivement, merci. Si vous avez du nouveau, veillez à nous rappeler.
- « Je risque, en effet ! Je suis en train de comparer les symptômes du patient avec la base de données sur les drogues Pokémonesque. »
- Mais vous n'êtes pas docteur de prison ? Demanda Kyle, penaud.
- « Si, si ! Mais j'ai toujours rêvé de travailler pour la criminelle, je me suis débrouillé pour gratter au moins un accès à la banque de données ! »
Leuphorie fit un signe au docteur de se taire en posant la patte sur sa propre gueule.
- « ... Enfin, c'est juste occasionnel ! »
- Si vous avez peur que je vous mette en prison, rassure-vous, vous y passez déjà votre quotidien, sourit faiblement Kyle, au moins amusé par quelque chose aujourd'hui.
Timéo finit dans le même temps par trouver les clefs en soulevant le troisième carreau. Ils ouvrirent précipitamment la porte d'entrée et s'engouffrèrent dans l'appartement.
= =
Son état s'était un tant soit peu amélioré. Toujours protégé par les draps chauds de l'infirmerie carcérale, Nathan attendait le moment où il allait pouvoir rejoindre Micki, afin de discuter avec pour s'alléger le cœur. Il avait accumulé de nombreux mauvais coups, et pour la première fois, il commençait à se poser des questions. Pourquoi devenir si étrange en peu de temps ? Pourquoi cette sensation inexpliquée de besoin jamais satisfait ? Il fallait qu'il réfléchisse à ça, s'il voulait avoir au moins une petite chance de sortir d'ici.
La porte s'ouvrit. Nathan se releva pour accueillir le médecin. Les hommes qui arrivèrent ne furent pas en blouse blanche, mais plutôt somptueusement habillés de velours. Une odeur âpre entra dans la pièce. L'homme dominant était habillé d'un costume vert olive que l'agent trouvait affreux, et son probable subordonné arborait un look des plus sinistres avec son costard gris, aussi terne que l'appartement dans lequel Nathan vivait. Ce dernier haussa un sourcil quand il vit que l'homme afficha un sourire moqueur, joyeux, ou un peu des deux.
- Agent Corwyn, piètre agent Corwyn...
Avant de rétorquer quoi que ce soit, il se contenta de l'observer de son lit de malade. Les cheveux poivre et sel, les yeux foncés et la mâchoire carrée, il remarqua néanmoins son teint halé décidément pas du tout naturel, qui donnait une étrange sensation d'homme plastique. Son sourire ne laissait entrevoir aucune ride apparente au niveau du visage, ce qui montrait bien que qu'importe qui il était, cet homme avait assez de moyens pour s'injecter du botox tous les mois.
- C'est pas bien de railler un malade comme ça, vous savez.
Celui au costard gris s'avança vers son supérieur, et retira le mouchoir de soie rouge qui couvrait le devant gauche de sa veste vert olive, découvrant ainsi un badge doré circulaire. Comme celui de Timéo. Il eut un bond au cœur, qu'il tenta de dissimuler.
- Oh, bonjour Monsieur le Procureur, déclara Nathan.
- Félix Hohenhart suffira, dit celui en gris.
- Ça fait beaucoup de H en un nom, n'est-ce pas, Monsieur le Procureur ? répéta Nathan en ignorant hypocritement la remarque de l'autre.
Il remarquait maintenant l'accent allemand qui avait vaguement traîné lorsque Hohenhart avait dit « Corwyn ».
- Je venais juste m'assurer que les dires étaient vrais.
- Lesquels ?
- Ceux qui racontent que le Trianguleur est pathétiquement affalé sur un lit en convalescence.
- Je n'ai rien à vous dire.
- Et pour quelle raison ? demanda le Procureur.
Nathan plissa la bouche, se sentant un peu mieux.
- Mon avocat.
- Je ne vois pas d'avocat ici !
- Je suis mon avocat, affirma l'agent.
Hohenhart le regarda, longtemps, sérieux. Puis il se mit à rire, tapotant son homme de main pour qu'il rit à son tour. Nathan leva les yeux au ciel, pas disposé à s'amuser, et attendit qu'ils finissent. Le Procureur reprit sa respiration, s'essuya hypocritement ses fausses larmes pour appuyer l'effet ironique, et se rapprocha du patient.
- Mon petit, ceci est la seule preuve que vous êtes schizophrène. Qui plus est, j'aimerais vous assurer que les preuves sont irréfutables, et vous permettront de rester sous les verrous durant de très, très longues années. Mais vous verrez : on se fait vite des amis, ici.
- J'ai déjà entendu parlé de vous, dit Nathan.
Hohenhart ouvrit les yeux plus grands, interrogateur et intéressé. Il décala les jambes de Nathan avec ses mains et s'assit près de lui, presque affectueusement. Nathan regarda ailleurs, gêné par cette proximité digne d'un manipulateur vraiment étrange.
- Vous coûtez cher. Vous prenez les affaires qui vous savez vont vous rapporter gros. Vous n'êtes pas dessus par hasard.
L'homme de loi sourit tendrement, et enveloppa le pied de Nathan avec sa main pour le perturber.
- Mon brave mignon, en plus d'avoir un esprit scindé, vous êtes également paranoïaque. Je suis seulement un homme dévoué à la cour, prêt à tout pour mettre les plus grands criminels derrière les barreaux.
- Oh, vous savez que je n'en suis pas un, sourit Nathan.
- Le Trianguleur est un gros Magicarpe, appuya Hohenhart. Et j'aime bien pêcher.
Il se sentait ridicule. Ridicule parce qu'il doutait de lui depuis des jours, qu'il était persuadé dans une case de son cerveau d'être responsable, mais qu'il arrivait à se défendre envers et contre tout pour ne pas perdre la face. Une histoire de fierté, qui sait. Il regarda le Procureur avec un air indécis, se faisant tout un tas de films sur la signification du « j'aime bien pêcher ». Mais dans le même temps, il continuait d'afficher ce sourire faussement confiant.
Hohenhart ne semblait pas dupe. Il se leva tranquillement, et vint se rapprocher encore plus près de Nathan, s'asseyant au niveau de son flanc. Il le fixa droit dans les yeux. Nathan sentait montait une sensation de peur, qu'il voulait canaliser malgré une fatigue et des angoisses toujours présentes. Hohenhart fut comme concentré ailleurs, les yeux toujours plantés dans les siens, et se mit à sourire.
- Je vois votre peur. Elle se cristallise dans vos yeux ambre. Elle envoie des vibrations qui secouent mon propre cœur. Mais au lieu de me transmettre votre peur, vous me transmettez une joie exquise. Une joie que je ne pourrais traduire avec des mots ; je peux seulement vous dire que je ne ressens cette sensation qu'en voyant la peur dans le regard de quelqu'un. Je m'en délecte. Et j'ai tout le loisir de m'en délecter autant que je veux. Je sais des secrets, des tas de secrets. Et croyez-moi Nathan, on ne réussit guère à me battre.
Nathan faisait son possible pour ne pas rentrer dans son jeu. Il comprenait bien que le but du Procureur était de stimuler sa peur à son climax. Il continuait de le regarder, impassible, seul son sourire évanoui. Il aurait bien laissé Arcanin lui refaire son visage plastifié.
- Vous êtes très charmant, continua Hohenhart. Je me ferai une joie de vous rendre visite en prison, une fois le verdict rendu. Profitez de votre convalescence...
Il rapprocha son visage souriant vers celui de Nathan, et partant soigneusement du bas de la mâchoire, en remontant jusqu'au bas de l'œil, Hohenhart déposa sa langue sur la joue du brun et la lui lécha âprement. Il put ainsi avoir tout le loisir d'entendre Nathan déglutir, les yeux exorbités. Le Procureur se releva, reprit son mouchoir de soie rouge des mains de son subalterne et le remit dans la poche de sa veste olive. Pendant ce laps de temps, Nathan sentit sa peur sortir de lui, comme si on la lui arrachait de la poitrine. Il était soudainement essoufflé, mais à la fois soulagé de ne plus être effrayé.
- À demain, Agent Corwyn.
Les deux hommes quittèrent la pièce comme ils étaient entrés, avec assurance et ambition. Nathan continuait de respirer doucement, la main sur le torse, les doigts se décrispant une fois la porte fermée. Il avait beau être sévèrement diminué, il gardait bien en mémoire tout ce qu'il venait de vivre, persuadé que cet homme pouvait s'avérer un terrible ennemi.
= =
Kyle et Timéo cherchaient de la cuisine comme deux voleurs. Arbok et Eoko, les deux Pokémon de Kyle, aidaient aux recherches en déplaçant précautionneusement les meubles et examinant les lieux.
- Comment ai-je pu manquer ça... Il venait en retard au travail, il vomissait sur les scènes de crime, il réagissait complètement différemment de ce qu'il est depuis quelques semaines, dit Kyle, peiné.
- C'est vrai qu'il est normalement différent, mais ce n'est pas non plus un exemple de joie, c'était pas super flagrant, tenta de le rassurer Timéo en ouvrant le placard.
- Tu es son meilleur ami, je suis son collègue, personne n'a d'excuses.
- Encore moins toi... grommela Tim en serrant son poignet avec les doigts de son autre main, pour imiter un passage de menottes.
Kyle vit dans le placard une grosse boîte en métal. Il l'attrapa, et l'ouvrit rapidement, Timéo venant à sa suite. Il y avait du café. Le café standard. Celui que Nathan prenait tous les matins, et dont il déposait abondamment plusieurs cuillères dans sa cafetière pour ensuite le prendre en thermos au bureau. Le café qu'il ne partageait pas, le sien. L'agent blond appela son serpent venimeux. Celui-ci arriva tranquillement, presque trop tranquillement pour les deux hommes qui s'impatientaient, même si Timéo ne savait pas trop ce qui était sur le point de se passer. Arbok se pencha sur la boîte remplie, et de sa gueule découla un fin liquide, un peu gluant, un peu gazeux, comme s'il était sur le point de s'évaporer. Timéo écarquillait les yeux, impressionné par l'odeur.
- ... Nathan va te tuer s'il voit que t'as foutu en l'air 40€ de café authentique.
- Si ça peut le sauver, il me remerciera, grogna Kyle.
Quelques secondes, et d'ordinaire d'un joli brun grillé, le café moulu vira au bleu violacé. Kyle ne sourit pas de satisfaction. Eoko arriva et tapota Timéo qui guettait une réponse en regardant son partenaire. Il se leva et suivit le petit Pokémon, ce dernier le conduisant à quelques mètres, près de la baie vitrée du salon donnant sur le petit jardin. Eoko montra l'extrémité en haut à droite, et Timéo dut s'aider d'un tabouret traînant aux alentours pour s'élever. Il se rapprocha de la vitre, et vit un trou d'à peine un centimètre de diamètre, parfaitement taillé dans le verre. L'avocat plissa les yeux et prit une photo avec son téléphone. Kyle, lui, referma la boite métallique et la plongea dans un sac en plastique étiqueté. Il soupira.
- Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais Nathan a de sérieux ennuis, excluant ceux que je lui ai causés...
- J'ai du mal à comprendre aussi. Nath est le mec le plus carré et le plus bourré de principes que je connaisse. Il déteste la cigarette, l'alcool, et les gens qui couchent dès le premier soir.
- Je sais tout ça, je sais, appuya Kyle, une main sur le front.
Timéo revint près de Kyle, suivi par Eoko et Arbok. Il regarda le sac plastique cachant la future preuve.
- C'est pas étonnant qu'il ait des tas d'ennemis, reprit l'avocat. Mais la personne qui a fait ça devait certainement bien le connaître pour savoir qu'il fallait viser le café.
- Je n'en ai pas la moindre idée.
Kyle marqua une pause, la tête baissée, puis leva les yeux vers Timéo.
- Mais en tout cas, cette personne tenait sérieusement à le transformer en monstre.
= =
- C'est moi. J'ai fait tout ça. Sinon Hohenhart ne serait pas venu me narguer comme il l'a fait.
- Et pourquoi ? demanda Micki, assis en tailleur sur son matelas, dans leur chambre de prisonniers.
Nathan frappa les barreaux de métal qui le séparait du couloir. Il venait de rentrer de l'infirmerie, tard dans la soirée. Ça lui faisait du bien d'être avec Micki.
- Parce que cet homme est une pointure dans son domaine. Il est connu pour accepter seulement les cas où il estime que les preuves ne sont pas démontables. Il est intelligent.
- Ce n'est pas parce qu'il est intelligent qu'il défend toujours la bonne cause.
Nathan releva la tête en direction de son nouvel acolyte. Micki lui adressa un sourire placide et étiré.
- Tu me décris un homme qui veut gagner, ça d'accord. Mais il n'a pas l'air de gagner pour faire justice, mais pour dorer son blason, tu ne penses pas ? Sa visite n'était qu'une simple pression psychologique supplémentaire sur une personne déjà affaiblie. Il voulait que tu en viennes à te croire coupable pour lui faciliter la tâche demain, et visiblement il a réussi. Le Spleen, tu connais ?
Nathan secoua ses cheveux et secoua la tête en guise de réponse. Micki décroisa ses jambes et se leva pour se rapprocher de lui.
- « Ce que je sens, c'est un immense découragement, une sensation d'isolement insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une défiance complète de nos forces, une absence totale du désir, une impossibilité de trouver un amusement quelconque... »
- Laisse moi deviner, Baudelaire ? dit Nathan avec une touche de sarcasme dans sa voix.
- Tout à fait, dans les Fleurs du Mal. Cet « Hohenhart » a su voir ce Spleen en toi. Il en a juste profité.
Nathan fixa Micki. Ses yeux violets étaient tellement étranges, tellement intrigants. Sa voix douce lui avait à plusieurs reprises embaumé le cœur. Son aura dégageait quelque chose de spécial, il apportait la même sensation agréable de confiance qu'il avait quand il était avec ses Pokémon. Et en voyant son visage, son regard, il se demandait pourquoi il n'aimait pas les Pokémon. Comment un être si gentil, si pure et si angélique pouvait se retrouver en prison, et garder le sourire apaisé qui le recouvrait lorsqu'il lisait tranquillement sur son lit ? Il ne comprenait pas. Il ne comprenait rien. En même temps, il rentrait tout juste de l'infirmerie. Sa tête vacillait encore un peu, mais les puissants sédatifs Pokémonesque semblaient avoir fait effet. De toute façon, malgré les grondements du médecin, Nathan avait insisté pour retourner dans sa chambre. Il voulait voir Micki, avant son procès. Il en avait besoin, presque.
L'homme aux yeux violets donna un coup de main dans sa mèche châtain très clair, mordit l'intérieur de sa bouche en arrivant à hauteur de l'agent. Il lui attrapa les épaules et les serra fort.
- Ne le laisse pas te détruire. Tu as besoin d'être fort pour demain.
Nathan inspira un grand coup, et donna une tape virile sur le bras de Micki en guise de remerciement, accompagné d'un visage plus serein.
- Tu sais, d'habitude j'ai pas l'air si frêle et pathétique, alors place toutes phrases dépressives de Baudelaire avant que ça change.
- Oh je n'en doute pas Nathan, je n'en doute pas...
Ce dernier haussa un sourcil en attendant ce changement de ton. Micki se retourna en direction de son lit quand la porte de leur cellule s'ouvrit. Un garde apparut et tendit sa main.
- Nathan Corwyn, vous avez de la visite.
- Les heures de visite sont finies, j'ai ma défense à travailler, on peut remettre ça ? grommela-t-il, agacé par toutes ces personnes qui tenaient à le voir.
- C'est important, appuya le garde, perdant déjà patience.
L'agent haussa les épaules et se dirigea vers lui.
- Bon, tant que c'est pas ma mère ni mon ex.
Micki sourit, amusé, en le regardant partir. Le garde le tenait fermement par l'épaule, et l'emmena vers la salle d'interrogatoire. Nathan repensa rapidement à tout ce qu'il avait vécu en si peu de jours : la mort de Serah, de Montalio, l'éloignement de Lou, le dîner raté avec Nelly, la dispute avec sa mère, la perte de son meilleur ami, la trahison de son collègue, ses problèmes de santé alarmants et complètement fous, la visite étrange du Procureur. Malgré tout ça, il gloussa doucement, en se disant que sa vie était mouvementée. Demain, il jouerait sa vie, et même s'il voulait s'en tirer, il se faisait à l'idée que ses jours se termineraient peut-être ici. Il fallait qu'il réfléchisse à l'avenir de ses Pokémon, à qui il les confierait pour qu'ils puissent être heureux. Car Arcanin, Heledelle, Kirlia et Phyllali méritaient le bonheur. Serah aussi le méritait, mais elle n'était plus là pour en témoigner. Quand le garde ouvrit la porte, Nathan avait cette boule au ventre en repensant à Serah.
Et quelle fut sa surprise lorsqu'il découvrit Timéo, nerveusement assis à la table d'interrogatoire, la tête relevée de ses mains quand il entendit la porte s'ouvrir. Nathan chassa rapidement l'image de Serah pour se concentrer sur son frère, vivant, partageant la même pièce que lui, respirant le même air, craignant le même ennemi. Timéo plissa la bouche et fronça les sourcils, pour éviter d'être submergé par tous les sentiments qui l'habitaient en revoyant Nathan, pitoyablement vêtu de cet accoutrement noir et rouge pour prisonniers. Il replaça par excès de stress ses papiers parfaitement empilés les uns sur les autres sur la table, pendant que Nathan continuait de le dévisager. Lui qui avait perdu tout espoir de le revoir avant d'être innocenté – s'il l'était – il avait cette ridicule envie de se mettre à pleurer, là, tout de suite, alors qu'il avait récupérer un semblant de virilité il y a dix minutes. Timéo ouvrit la bouche, concentré et professionnel.
- Assieds-toi, on a du travail.