Chapitre 6 - Rêves et aspirations
Je ne sais pas quand ce chapitre a pris cette tournure o_o Mais bon, l'histoire commence enfin, si on peut dire xD
Dédicacé à tous ceux qui ont galéré avec le Voltorbataille ;; *s'est fait 6 666 jetons en deux jours pour avoir un Evoli femelle* (oui, je n'avais pas internet.)
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Chapitre 6
Rêves et aspirations
Le Voltorbataille était un jeu de logique, de réflexion, d'observation. Tout ce que détestait Hellä. Elle préférait avoir un véritable adversaire devant elle et moins de prises de tête. Devant l'écran lumineux couverts de carrés et de chiffres débiles, elle regrettait le poker. Là, tout lui semblait relever des caprices d'un dieu favorisant les grosses têtes. Comment voir où étaient les Voltorbe ? Chaque fois qu'elle avait essayé, elle avait choisi la mauvaise carte.
Quinn ne semblait pas avoir ce problème. Décontracté, il retournait les bonnes cartes, plaçait des indices aux endroits opportuns. Se tromper ? Perdre la mise ? À croire qu'il ne connaissait pas. Il se constitua ainsi un joli pactole, juste en tapotant l'écran tactile absolument cryptique aux yeux de sa partenaire.
- Et voilà, déclara-t-il en lui tendant un sac de jetons à échanger contre de l'argent.
Hellä secoua la tête.
- Tu prends la moitié de ce que tu as gagné. J'aime pas avoir des dettes.
- C'est toujours à ton avantage, persifla l'adolescent.
- J'ai posé pendant des heures avec les mains de no-life dégueus sur la taille, je mérite salaire.
- ... vendu.
Après tout, il ne s'attendait pas à obtenir quelque chose de plus qu'une soirée au casino. Ça faisait quand même pas mal d'argent de poche... Satisfaite, Hellä accepta enfin de récupérer le sac, mais elle contempla Quinn d'un air étrange qui fit regretter d'avance à ce dernier de poser cette question :
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je voulais te dire merci pour ton aide et tout, mais en même temps je me demandais un truc... répondit-elle presque timidement.
- C'est quoi ? demanda Quinn plus gentiment – elle était trop mignonne, d'un coup.
- Est-ce que l'adage « Malheureux au jeu, heureux au pieu » a une antithèse ?
... il allait la tuer. Quand elle n'aurait plus un truc pour le frapper en retour à la main. Il allait la tuer, elle et ses réflexions random à la con. Et son sourire machiavélique, aussi. Et dire que, pendant un instant, il s'était laissé attendrir !
- Bon, mon bébé, il est tard, dit Hellä d'un ton affreusement condescendant, lui tapotant la joue. Il est temps de prendre un lait chaud, de se laver les dents et d'aller se coucher. Sinon, je vais percer tous tes boutons !
Quinn lui fit comprendre d'un regard blasé ce qu'il pensait de ses menaces...
- ... en utilisant Nosferapti ! ajouta-elle, brandissant le Pokémon en question. Et tu ne veux pas savoir comment, si ?
Quinn décida prudemment qu'il allait se mettre en pyjama et dormir bien sagement jusqu'au matin.
Il faisait frais à l'extérieur du casino, mais les rues étaient éclairées presque comme en plein jour. Les insectes s'agglutinaient dans les halos que les lampadaires dessinaient sur le ciel désert d'étoiles. Même la lune était plus pâle que d'habitude comparée aux lueurs artificielles de la cité. Cette rue était encore animée, mais quelques pâtés plus loin il n'y eut plus un chat sur les trottoirs aux lumières de plus en plus espacées. Il n'y avait guère que les fêtards pour errer à une heure pareille.
Pourtant, Hellä vit passer brièvement dans le cercle doré d'un lampadaire quelques silhouettes noires vêtues. Elle fronça imperceptiblement les sourcils et jeta un coup d'œil à Quinn, en pleine rêverie éveillée. Il devait être plus fatigué qu'il ne voulait bien l'admettre, et n'avait rien remarqué. Hellä décida de ne pas l'alarmer inutilement – ça ne les concernait pas. Qu'elle ait rêvé le symbole rouge sur le torse des ombres ou pas...
- Excusez-moi.
Une fille venait de les aborder, arrachant un sursaut à Quinn. Elle n'avait pas l'air d'être là pour faire la fête, à son air déterminé, bien qu'ouvert et aimable. Les cheveux et les yeux bleu clair, coiffée d'un bonnet jaune, elle portait aussi un short à revers de la même couleur sur un legging sombre. Un top long cintré à la taille, d'un vieux rose devina Hellä à la lumière du lampadaire le plus proche, une veste légère claire et des tennis complétaient son habillement. Un garçon l'accompagnait en retrait.
- Vous n'auriez pas vu ce garçon ? les interrogea-t-elle.
Elle fit signe à son compagnon, qui, sans quitter les ombres, brandit une affiche vers la lumière. C'était la photo, prise de toute évidence à son insu, d'un jeune homme aux cheveux rouges, la peau pâle et vêtu de noir en prime, avec un Pichu ébouriffé sur l'épaule. Quinn fit « non » de la tête et affirma ne pas l'avoir vu – et un type pareil ne devait pas passer inaperçu, avec de telles couleurs. Hellä prit l'affiche, perplexe, puis elle lança au garçon dans l'ombre :
- Tu cherches ton petit ami perdu ?
- Hellä, soupira Quinn.
Il s'attendit à ce que le jeune homme proteste avec véhémence, mais il ne nia pas. La jeune fille l'accompagnant lui frotta le bras discrètement.
Hellä leur rendit l'affiche.
- Je suis désolée, je ne l'ai pas vu. J'espère que vous ne le retrouverez pas castré et renommé Steve dans un coin.
- ... pourquoi Steve ? s'étonna Quinn.
- Because it's very evil ! répondit Hellä comme si c'était l'évidence même. Tu ignores le danger d'être stevé ou quoi ?
Les commissures des lèvres de la jeune fille frémirent d'amusement. Cependant, elle eut la délicatesse de ne pas éclater de rire devant son ami angoissé par leurs recherches infructueuses. Elle remercia Hellä et Quinn pour avoir pris le temps de les écouter.
- Vous devriez essayer la rue du casino, c'est plein de monde, proposa Quinn en regardant le jeune homme avec un air bizarre.
- Bonne idée, sourit la fille. Viens, Gold, on va voir !
Sans lui laisser le temps de répliquer, elle l'attrapa par le bras et le traîna dans la direction indiquée. Hellä reprit celle du Centre Pokémon aussitôt et Quinn, encore troublé, dut courir sur quelques mètres pour la rattraper.
- Hé, tu crois que c'est vraiment son mec qu'il cherche ? Ça pourrait être son pote non ?
- Pauvre Quinnouchet face aux irrégularités de la vie, ricana Hellä. Tu peux penser à une bromance si ça te fait te sentir mieux, mais ne sous-estime pas l'instinct d'une femme quand un truc mignon et pervers se passe.
- Une... bromance ? C'est quoi ?
- Va sur YouTube, jeune inculte ! N'empêche... c'est pas rien le type qu'il a perdu... murmura-t-elle pensivement.
Il cherchait le fils de Giovanni. L'ex-Boss de la Rocket qui, un an plutôt, après maintes annonces dans le même genre pour des périodes plus ou moins longues, avaient définitivement dissous l'organisation. La Team avait œuvré au grand jour à une époque, avant que des dresseurs fouineurs ne viennent mettre leur grain de sel. Elle avait tenté de survivre ensuite en faisant profil bas, avec quelques coups durs signés dresseurs encore plus fouineurs. Mais si, au bout d'un an et après tout ça, le marmot du grand patron en cavale disparaissait à son tour, plantant des potes suffisamment attachés à lui pour aborder des passants la nuit... qu'est-ce que ça pouvait bien signifier ?
- Hellä ? l'appela Quinn. On est bientôt arrivé, pourquoi tu bloques comme ça ? En plein sur la route, en plus...
Hellä se secoua.
- Désolée, sourit-elle. Je me demandais juste à quoi ces deux mecs ressemblent pendant qu'ils font l'...
- LALALA, j'entends rien ! coupa l'adolescent.
- Mon trip mental est tellement chaud que je devrais me mettre à tourner des pornos !
- LALALALALA.
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Elle le renvoyait encore. Plus jeune qu'elle, encore un gamin, mais déjà d'une incroyable finesse, avec des cheveux rouges et des yeux d'argent.
- Père est un faible, crachait-il pour lui-même, sans sembler la voir. Une petite défaite et il remet tout en cause de son côté. Il devrait arrêter cette Team une bonne fois pour toutes s'il n'est pas capable de la maintenir à flot ! Tous des minables !
Hellä l'avait écouté, blasée à souhait, encore dans la phase rebelle de son adolescence tardive. Mâchonnant son chewing-gum avec vulgarité, en pensant que même les parrains de mafia pouvaient engendrer des sales gosses à la langue fourchue.
Crachant leur venin avant de s'empoisonner avec, parce que c'est plus facile de rejeter sa frustration sur les autres que d'y faire face soi-même. Il y a des sentiments de trahison plus virulents que le poison d'un Arbok... surtout quand leur victime est un enfant déçu par ses parents...
Évidemment, rester fixée sur ces réminiscences semi-éveillées était plutôt ardu avec ce poids sur ses hanches.
- Normalement, c'est plutôt moi qui suis au-dessus... commenta-t-elle à mi-voix.
Son assaillant eut un drôle de sursaut.
- Chéri, si tu ne dégages pas de là, je vais te virer de force, avertit Hellä avec un doux sourire.
Il passa sans doute inaperçu dans la semi-pénombre – il y avait une source de lumière inhabituelle au sol – de sa chambre du Centre Pokémon, mais le message passa. Sans un mot, l'intrus la libéra de son poids, se leva et tâtonna à la recherche de l'interrupteur.
- Ah la la, minauda Hellä. Heureusement que j'ai le sommeil léger, qui sait ce qui aurait pu m'arriver...
- Je cherchais à atteindre votre Pokématos, rétorqua-t-il en désignant un coin à côté de sa tête, entre l'oreiller et le mur.
C'était là que Hellä l'avait abandonné avant de dormir. Le jeune homme – elle devinait, à la silhouette diffuse, qu'il s'agissait du « Gold » accompagnant la jeune fille de tout à l'heure – avait dû essayer de l'atteindre en l'enjambant, mais l'avait réveillée. Hellä avait entassé toutes ses affaires à côté du lit pour pouvoir fouiller dans ses valises sans sortir de la couette (une pratique assez dangereuse, obligeant à se tordre dans positions improbables et ridicules, mais bon). Il n'avait donc pas d'intentions craignos finalement, surtout s'il était gay...
Le plafonnier s'illumina enfin, et Hellä battit frénétiquement des cils pour chasser la lumière brutalement imprimée sur ses rétines fatiguées.
- Qu'est-ce qui est arrivé à votre visage ?! s'étonna le jeune homme.
Par réflexe, Hellä plaqua sa main sur ses pommette et tempe gauches. Sa frange asymétrique et son maquillage les masquaient en temps normal, mais elle n'avait ni l'un ni l'autre ce soir. Cela faisait bien longtemps que nul n'avait vu son visage dénudé, depuis qu'elle savait se servir du fond de teint et du blush, en fait...
Ce n'était rien, vraiment. Le garçon – il était un peu plus jeune qu'elle, peut-être du même âge que le fils de son ex-patron (patron qu'accessoirement, elle n'avait jamais rencontré personnellement) – n'avait pas à la fixer ainsi, comme désolé. Il n'y avait pas d'histoire tragique derrière ces marques, à peine un petit drame idiot, dont elle avait fait le deuil avant même qu'il ne lui vienne à l'idée de se morfondre.
Ses cheveux étaient noirs, courts, avec une mèche ombrant une moitié de son visage. Sa tignasse aplatie sur le haut indiquait qu'il coiffait souvent un couvre-chef quelconque. Sa peau était légèrement hâlée, plus encore sous ses yeux, qui s'ornaient des cernes des angoissés. Ils étaient pourtant doré comme le soleil, limpides. Ils enjolivaient toute sa figure somme toute banale, encore un peu ronde malgré les os saillants de son visage adulte imminent. Sa tenue était décontractée, un tee-shirt sombre, un blouson sportif, un jean jaune et noir et des baskets rouges. Ce qu'il devait porter tous les jours : sa petite escapade n'était pas préméditée.
- Je crois qu'on s'est rencontré tout à l'heure dans la rue, éluda Hellä.
Elle était douée pour reconnaître les silhouettes. La stature correspondait largement : solide, de taille moyenne. Un peu familière également, elle était sûre d'avoir déjà vu quelqu'un comme ça une fois ou deux... mais où ?
- En effet, reconnut-il en se secouant. Je m'appelle Gold. J'ai cru comprendre que votre nom, c'est Hellä ?
Il récupéra une lampe-torche allumée par terre et l'éteignit. Une ampoule clignota difficilement dans le crâne de Hellä.
- Désolé d'être si cavalier, dit Gold d'un ton qui n'était pas désolé du tout, mais j'ai vu à votre réaction que vous connaissiez Silver, alors j'ai décidé de vérifier. Vous dormiez alors j'ai voulu voir votre liste de conta...
- GOLD ! s'exclama Hellä en claquant des doigts, triomphante. Pokéathlon, catégorie Endurance !
- En effet, marmonna-t-il. Je suis flatté que vous m'ayez reconnu, mais pourriez-vous écouter ce que...
- KYAH ! couina Hellä, au septième ciel. Je n'en reviens pas de me faire agresser EN PLEINE NUIT dans mon SOMMEIL quand je suis VULNÉRABLE, et comme par hasard sans POKÉMON HORS DE SA POKÉBALL, par quelqu'un d'aussi exceptionnel !
Gold ne savait pas comment le prendre : comme un compliment ou comme un reproche ?!
- Tu as percé plutôt récemment, babilla-t-elle, enjouée. Ah la la, je suis dégoûtée, là où je bossais avant je pouvais pas suivre un Pokéathlon sans être interrompue par les clients, et maintenant que je suis en voyage c'est la même en pire... c'est pour ça que je t'ai pas reconnu immédiatement, désolée...
- Je suis vraiment flatté, répéta Gold, excédé, mais je suis là pour Silver !
- Ton amoureux ?
Comme plus tôt dans la ruelle, il ne nia pas, ne rougit pas. Hellä vit son excitation prendre un tabouret, s'ouvrir le bide et se pendre avec ses propres tripes.
C'était trop nul. Ce genre de personnes était impossible à taquiner. Quinn, lui, se serait déjà étouffé avec sa langue en cherchant une excuse, si son cerveau ne disjonctait pas avant sous la surchauffe. Ce type, Gold, n'avait aucun problème avec ce qu'il ressentait. Il devait l'accepter et le vivre pleinement. Sans doute en était-il très heureux, quand l'objet de son affection n'était pas en vadrouille... Hellä devait lui ressembler en apparence, elle qui avait l'air de tout accepter et de tout prendre comme ça venait, mais il y avait une marge entre s'avouer un truc et le reconnaître pleinement.
Ils étaient tous les deux très différents. Elle se demandait ce que ça donnait avec le petit con aux cheveux rouges, et comment il avait grandi, du coup...
- Tu le connais, devina Gold. Tu viens encore de faire cette tête.
- Tu me vois ravie d'apprendre que j'ai un truc au bout de mon cou, ça me rassure, j'espère que le cerveau est compris dedans, parce que l'autre jour le gosse que j'ai à charge a fait une remarque vraiment désobligeante...
- Le fait est aussi que tu connais notre relation.
- Je peux dire aussi que ta copine a un piercing au nombril juste en l'ayant vue quelques minutes habillée et dans une ruelle mal éclairée. Question d'observation.
Et d'instinct aussi.
Gold supprima habilement la moindre marque de surprise cherchant à briser son masque sérieux. Signe qu'elle avait vu juste.
- Je veux savoir où il est, asséna-t-il, déterminé.
- ... oh, mon chou, répliqua Hellä avec sa plus belle expression de compassion condescendante. S'il t'a dit « Je vais chercher des croissants. », c'était une façon détournée de dire « C'était génial, mais une fois me suffit. À jamais. », tu sais.
- Ça n'a rien à voir ! siffla Gold, agacé. Le fait est que depuis quelques temps il y a du mouvement, et que dès qu'il l'a appris, il s'est tiré. Hormis ça, nous allons très bien, merci !
Mais un rougissement suspect se répandit sur ses joues.
Oh, finalement, il y avait matière à taquiner. Mais encore une fois, ce n'était pas vraiment marrant : ses doutes relevaient d'une angoisse profonde. Hellä n'était pas (encore) assez sadique pour jouer avec des émotions d'une intensité pareille, à son grand regret.
Gold reprit contenance et poursuivit :
- Si vous connaissez Silver, vous devez savoir de quoi je parle. La Team Rocket a repris du service, mais cette fois, ce n'est pas Giovanni. Il y a quatre types plus en avant que les autres qui mènent les opérations.
- Tu sais qui est son père, alors, remarqua Hellä.
Elle qui voulait se la jouer Dark Vador, pff...
- Je l'ai appris d'une manière un peu... inhabituelle, répondit Gold. Vous ne me croiriez pas.
- Je suis prête à croire n'importe quoi contre du jus de tomate, avoua Hellä très sincèrement. Même que le ciel est rose à pois verts, que la Lune est en fromage et que le soleil se couche à l'Est.
- Je n'ai... pas ça sur moi... fit Gold, incrédule.
- Par contre, je ne peux pas garantir ma sincérité. Je suis très vénale et je mens comme une arracheuse de dents. Mais je n'ai jamais arraché une dent, je te rassure.
- ... bref, reprit-il, sonné, des sbires se sont réunis à Doublonville et on a pensé que Silver avait pu remonter leur piste... et on est tombé sur vous. Alors si vous savez où il est...
- La dernière fois que je l'ai vu il avait quoi, douze ans ? Et c'était à Kanto. Je pense pas que ça aide.
Une déception féroce imprégna chaque trait de Gold. Hellä se sentit presque mal de ne pas pouvoir le renseigner. Il avait, de toute évidence, placé beaucoup d'espoirs en elle, et à sa tête fatiguée, ce ne devait pas être sa première déconvenue.
- Oh... soupira-t-il. Tout ça pour rien...
- Oui, ça ne justifiait pas vraiment de crocheter ma serrure.
- Silver a déteint sur moi, répondit-il avec une ombre de sourire, penaud.
- Sans doute de bien des façons très intéressantes je n'en doute pas, mais j'ai l'impression que ton sang va déteindre quelque part si tu as une tronche aussi worn out à son retour. Après, je dis ça en me basant sur son caractère quand il avait douze piges... fit remarquer Hellä.
Gold ricana.
- Ouais, il a toujours mauvais caractère... et moi, je devrais dormir un peu, en effet.
- Ailleurs, s'il te plaît, j'ai pas envie d'expliquer l'histoire de l'Apireine et du Rafflesia à mon gamin... pour des gays, est-ce qu'on parle de deux abeilles ? se demanda-t-elle tout haut. Ça serait con, les Apireine sont des meufs, non ? Les Apitrini font threesome, je sais pas si c'est bien ou pas...
- Je crois que je suis pas le seul à manquer de sommeil, lâcha Gold en se massant la tête, dérouté par son débit d'enfer.
- La faute au pervers à califourchon sur mes hanches.
- Ahem. Je vais y aller...
- Répare la porte derrière toi, lança Hellä en retournant sous la couette.
- ... mademoiselle ?
- Hm ?
- Merci quand même.
Gold éteignit la lumière et referma la porte derrière lui. La serrure cliqueta deux-trois fois, puis le silence retomba.
En essayant de retrouver le sommeil, Hellä songea aux paroles de Gold, à propos des sbires. Qu'est-ce qu'ils foutaient, franchement ? Le pire, c'est qu'elle connaissait quelques personnes qui, par le passé, étaient fiers d'être membre d'un organisme comme la Team Rocket. Suffisamment pour vouloir l'arracher de ses cendres de leurs propres mains en cas de chute...
Ça craignait, comme idée...
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- Tourne plus la tête comme ça, Hellä... voilà, on ne bouge plus !
Le flash les illumina, figeant cet instant pour l'éternité sur le papier glacé. Un énième otaku repartit avec son butin, l'image de lui en compagnie d'une jolie Rocket blonde.
Hellä n'était pas du genre à cracher sur un boulot – elle n'aurait pas rejoint à la vraie Team Rocket dans le cas contraire –, mais cette fois, elle envisageait vraiment de démissionner. Elle avait mis beaucoup d'argent de côté grâce à Quinn, et on était vendredi. Elle pouvait bien prendre un jour de repos avant cette grande guerre qu'étaient les soldes, non ?
Ce n'était pas la faute des otakus ou des no-life, franchement. Elle se moquait assez d'avoir leurs mains sur sa taille ou son épaule. Le truc qui la dérangeait, c'était ce faux uniforme. Savoir que des vrais sbires faisaient mumuse dehors lui donnait l'impression que le tissu douceâtre, de qualité douteuse comparée à celle du treillis solide de la véritable tenue Rocket, était une monstrueuse infection de la peau. Elle avait vu hier à la télé que les Parasect étaient dévorés par leur propre champignon dorsal. Elle n'avait jamais aussi bien compris un Pokémon... à part Nosferapti, qui aimait le jus de tomate autant qu'elle.
Au temps où elle était entré dans la Rocket, Hellä était plutôt mal dans sa peau. Enfin, elle ne déprimait pas, mais elle évitait de songer qu'elle n'était qu'une orpheline parmi tant d'autres. Rien de spécial. Une quantité négligeable. Alors quand cet homme avait déclaré, au café où elle travaillait à mi-temps, qu'il partait intégrer la Team Rocket, elle l'avait suivi sur un coup de tête. Elle avait fourré ses quelques vêtements et son maquillage dans une valise, récupéré tout l'argent qu'elle avait mis de côté avec ses petits boulots, et était partie pour Kanto.
Ce n'était pas par esprit de rébellion. Elle ne pensait pas avoir une meilleure vie en quittant sa ville natale qui l'angoissait tant. Elle n'avait aucun goût pour le crime, le vol ou quoique ce soit. La preuve : au départ elle était hôtesse de casino, ce n'était qu'ensuite, en voyant ses capacités d'équilibre et de discrétion innées qu'elle avait été « promue » sbire. Elle ne s'était pas sentie particulièrement rebelle en sortant avec un type comme Lance non plus. Elle s'était juste laissée porter par le courant en songeant qu'au moins, elle verrait un paysage différent de celui qu'une naissance hasardeuse lui avait imposé.
La vérité était que Hellä Joki n'avait jamais eu le moindre rêve ou but à accomplir. Aujourd'hui encore, elle bondissait de petits objectifs en petits objectifs pour passer un temps qui passait abominablement lentement. Elle y trouvait son compte, qui est-ce que ça dérangeait ? Ce style de vie libre, dénué de responsabilité, ne semblait minable qu'aux abrutis qui ne pouvaient pas en faire autant. Ils allaient tous mourir pareil, pourquoi ne pas profiter de ce qu'une idiote pas foutue d'avorter lui avait si gentiment imposé ? Elle allait pas faire plaisir à ces biens-pensant serrés du cul, non plus !
Mais, carrément ! Comment avait-elle pu oublier ?
- Hé, m'sieur, lança-t-elle à son patron.
- Oui ?
- Je démissionne.
Elle le planta là, ahuri, et alla se changer dans l'arrière-boutique. Un tee-shirt noir lacéré, avec une sous-couche bleue à motif Léopardus, un jean sombre aux reflets argentés et ses bottines à talons remplacèrent le faux uniforme sexy frappé d'un R écarlate. En enfilant ses bijoux, elle s'arrêta au collier qu'elle portait tout le temps. Une simple perle d'un violet passé au bout d'un cordon de cuir usé, du toc qui valait plus que de l'or à ses yeux.
Hellä Joki n'avait jamais eu de rêves, certes, mais cela ne l'avait pas empêchée d'en caresser un, une fois...
Elle quitta le souterrain sans se soucier des jérémiades de son ancien employeur. Elle était payée à la journée, sans contrat, elle s'en foutait de perdre deux jours de salaire, avec ce que Quinn lui avait fait gagner. Elle avait largement assez pour faire quelques folies, pourquoi vouloir plus ? La liberté avait bien plus de valeur !
Quelqu'un se tenait à la sortie, encore en survêtement avec sueur comprise.
- J'ai démissionné, si tu veux une photo avec un Rocket, tu devrais demander à ton chéri, ça lui ira sûrement mieux qu'à moi, commenta-t-elle en guise de salut.
Gold dut croire que ses rougeurs dues à ses efforts récents masquaient celles d'un sans doute très bon souvenir, car il ne montra aucun trouble. Ou alors il s'en foutait de fantasmer en plein jour, c'était tout à fait envisageable.
Ils pourraient devenir copains, dans ces conditions.
- Je venais juste pour qu'on échange nos numéros de Pokématos, au cas où tu croises Silver, expliqua-t-il en passant instinctivement au tutoiement. En échange, je peux te donner un compte-rendu de chaque Pokéathlon auquel je...
- Passe-moi toutes tes coordonnées beau gosse, et j'ouvrirai l'œil, coupa Hellä, enchantée.
Gold sourit et lui tendit son Pokématos en échange du sien. Hellä s'empressa d'y rentrer son numéro et son e-mail.
- Mine de rien, tu sais parler aux femmes, toi ! remarqua-t-elle avec un grand sourire.
- J'ai grandi avec Christy... la fille avec moi hier.
- Avoir deux beaux garçons en couple avec elle tout le temps, c'est un peu comme une fusion de l'Enfer et du Paradis.
- Elle chasse un autre genre de proie, répliqua Gold. Des Pokémon chromatiques, expliqua-t-il devant l'air suggestif de Hellä. Elle est Shiny Hunter.
- Ton Silver est une espèce de Léviator rouge ?
Cette fois, Gold rit franchement.
- Il en a le caractère, en tout cas !
Il pouffait encore quand il récupéra son téléphone et lui rendit le sien.
- Merci beaucoup. J'avais peur de te rater alors je suis venu pendant l'entraînement, je devrais y retourner d'ailleurs...
- Y'a une compétition prochainement ?
- Dans deux semaines. Je suis plutôt excité, il paraît que le Fantôme y participera, dit-il, un sourire féroce effaçant un peu la lassitude angoissée qui ne le quittait plus.
Hellä eut d'abord une vision de son fantasme d'enfance, le Fantôme de l'Opéra, avec son masque et sa cape. Puis le nom éveilla autre chose.
- Le Fantôme... cette Pokéathlète qui vient quand ça lui chante et qui gagne tout le temps ?
Cette fille portait bien son nom. Hellä, qui était plutôt observatrice de nature, ne se souvenait de son apparence que des cheveux noirs et une silhouette frêle, et pourtant puissante : on ne se lançait pas dans la catégorie Endurance sans en avoir dans les tripes. Quant à son équipe, impossible de s'en rappeler...
- Celle-là même. Mais cette fois, elle va perdre ! assura Gold, déterminé.
Hellä eut l'impression qu'il utilisait cette perspective comme un moyen de noyer son désespoir. C'était toujours plus sain que l'alcool, mais quand même dangereux. Quelqu'un d'autre aurait dit à Gold de se ménager un peu, même par principe, mais Hellä se foutait de ça aussi.
- Je suis impatiente de voir ça ! s'exclama-t-elle en gloussant comme la fan-girl qu'elle était.
Dans deux semaines, elle tannerait Quinn pour être dans une ville et avoir une télé !
Gold la remercia à nouveau, la salua puis repartit s'entraîner comme un forcené. Désœuvrée, Hellä décida de se promener, se disant qu'elle trouverait bien un truc à faire en chemin.
Elle tomba sur Quinn, en train de s'entraîner sur un terrain vague contre un jeune de son âge. Reptincel, le regard outremer masqué par ses goggles, était désavantagé par rapport au Sablaireau adverse, mais il ne laissait pas démonter pour autant. Il exécuta une esquive particulièrement habile tout en protégeant sa queue d'une gerbe de sable, puis répliqua d'une attaque Griffe Acier dévastatrice. L'exclamation ravie de Quinn arracha un sourire à Hellä, et elle fit demi-tour discrètement. Ce n'était pas le moment de le troubler par sa présence ou un truc dans le genre.
Quinn avait un objectif, lui. Devenir Maître. Cela avait l'air de lui tenir à cœur, mais pas pour la gloire... toujours était-il qu'il se donnait à fond pour arriver au but. Hellä se moquait de la Ligue, elle – elle suivait juste le mouvement, une fois encore. Soupirant, elle se laissa tomber sur un banc, qu'elle quitta cinq minutes, le temps d'acheter des crêpes bien grasses au stand d'en face.
Elle sortit Evoli et Nosferapti de leurs Pokéball et leur tendit ces calories sous forme de pâte épaisse flambée au rhum et fourrée de chantilly et de fruits. Ils se goinfrèrent en silence en regardant les passants.
- Vous savez, je m'en fiche de la Ligue, lâcha-t-elle de but en blanc.
Evoli sursauta, et lui jeta un regard perdu. Nosferapti cessa de manger sa part, inquiet.
- J'ai pas spécialement envie de devenir Maître. M'imaginer galérer pendant des heures face au Conseil des 4 me donne plus envie de dormir que des frissons d'excitation. Les match Pokémon ne sont pas plus passionnants que le reste.
Evoli trépigna, mal à l'aise. Pourtant la veille, face à la championne, elle avait exulté, crié, semblé s'amuser... tout ce qu'un Pokémon souhaitait à son dresseur dans l'arène.
- Mais on va continuer ce voyage, reprit Hellä, et tout ce qui va avec. J'ai eu l'impression que vous vous amusiez bien hier, donc on va jouer ensemble encore. Si arrivé aux huit badges, l'Élite vous tente, je le ferais pour vous. En remerciement de tout ce que vous m'apportez, conclut-elle en haussant les épaules.
Evoli sentit un poids énorme le quitter. Roucoulant, il gratifia sa dresseuse d'un câlin, tandis que Nosferapti se rapprochait de son côté sans cesser de grignoter sa crêpe. Hellä leur gratta le crâne dans un soupir plein d'auto-dérision.
Hellä Joki n'avait ni rêves, ni aspirations, mais elle mentait comme une arracheuse de dents, rappelons-le.
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Si un mec bizarre et efféminé vous demande de signer un papier, ne le faites pas les enfants : vous pourriez être stevés !