http://www.youtube.com/watch?v=8hWwMZ8yn_I« Martin, à table ! »
Une note, encore une note venue tout droit du choc d'une petite boule sur un morceau de bois. Et à chaque note le Pikachu qui avait accompagné le garçon dans le grenier se mettait à danser tout en l'écoutant d'un air attentif.
Alors Martin ne s'arrêtait pas de frapper sur ces morceaux de bois sans pour autant savoir jouer. Le son était beau, les notes douces berçaient ses oreilles depuis des heures et il faisait en même temps plaisir au pokemon de sa mère. Il n'avait aucune raison d'arrêter cette mélodie ; encore moins pour un plat de nouilles.
« Martin tu viens manger, je ne le répéterais pas deux fois ! »
Mais le garçon ne répondit pas aux cris de son père. Ne les entendait-il pas ou bien se le refusait tout simplement pour rester un peu plus de temps avec le Pikachu de sa mère qui se dandinait au rythme de la musique.
« Martin ! »
Cette fois-ci il était trop tard pour ne pas descendre. Son père venait de pousser son ultime appel et le jeune garçon de dix ans savait qu'il ne pouvait pas se permettre de rester un peu plus longtemps dans le grenier où il élisait souvent domicile le dimanche. Un endroit calme, paisible et où rien ne semblait jamais l'atteindre.
C'était dans ce même grenier qu'il avait découvert le xylophone sur lequel il jouait tous les jours. Le garçon l'avait découvert au fond d'un carton, accompagné de deux petits bâtonnets ornés d'une boule de bois pour frapper sur les lames de l'instrument. Lorsqu'il en avait joué la première fois, il s'était sentit enivré par la musique et surprit par les réactions des pokemons qui l'écoutaient ; notamment le Pikachu de sa mère avec lequel il était très proche.
Il rangea avec déception les baguettes et l'instrument de musique au fond d'un carton avant de se lever et de descendre. Son père n'aimait pas attendre.
Dès qu'il arriva à table, ce fut pour subir les regards froids de ses parents qui l'attendaient déjà depuis quelques minutes et qui venaient même de finir l'entrée.
« On t'en a laissé un peu, lui lança sa mère en lui désignant un reste de semoule. Dépêche-toi de manger et d'aller te coucher. »
Son père n'ajouta rien et se contenta de regarder la télévision. Martin leva un instant les yeux vers lui avant de les baisser en comprenant que cela ne servait à rien ; ce n'était pas aujourd'hui que son père allait lui accorder un regard.
Ainsi comme chaque soir il mangea un morceau et remonta dans sa chambre, passant avant cela dans le grenier afin de récupérer son xylophone.
Et comme chaque nuit il se cacha sous ses draps pour en jouer, jusqu'au matin, ne dormant qu'une heure en tout.
Lorsque sa mère vint le lever en tirant sa couverture, il se dépêcha de descendre tout en rangeant son instrument dans son bureau au passage. Aucun de ses parents ne sait qu'il existe, il préfère que cela reste un secret.
Il monta dans la voiture de sa mère sans un mot, baissant les yeux pour ne pas avoir à subir les foudres de son regard. Comme chaque matin en semaine, cette dernière le lâcha sans un mot à l'entrée de l'école avant de repartir à peine la portière fermée.
Et comme chaque matin Martin regardait les autres enfants être embrassés sur le front par leurs mères et recevoir quelques mots tendres. Comme toujours il se demanda pourquoi ce n'était pas son tour de ressentir cette présence mais ne s'attarda pas trop dessus. Il connaissait sa vie après tout.
Comme chaque jour passé à l'école il travailla, sans trop de convictions pour autant. Martin n'était pas un bon élève bien qu'il n'était pas mauvais non plus. Disons qu'il savait rester dans la moyenne sans se démarquer ; il ne voulait pas se démarquer.
Et tandis qu'il écrivait les interminables lignes de dictée, le petit garçon pensait au xylophone chez lui et à la demande qu'il avait faite à sa mère. Ce dernier lui avait glissé trois jours avant un morceau de papier lui demandant d'aller au parc. Il en avait toujours rêvé sans jamais oser et espérait que cela se produirait.
Il y avait tant de pokemons au parc qu'il pouvait charmer et faire danser.
A la sonnerie il se dépêcha de mettre son sac sur les épaules et de rejoindre le portail. Il devait à tout prix savoir si sa mère acceptait sa demande.
Malheureusement, quand il arriva face aux mères qui attendaient leurs enfants devant l'école, il ne vit pas la voiture de la sienne. Car en effet jamais cette dernière ne sortait pour venir l'accueillir ; elle ne voulait pas avoir honte.
Constatant cela, Martin reçut un violent coup dans le dos de la part de l'un de ses camarades de classe, un prénommé Fabien qui le prenait comme souffre-douleur depuis la maternelle. Toujours suivit de sa bande de copains, Fabien adorait ridiculiser le joueur de xylophone. En même temps c'était bien plus amusant de s'en prendre à quelqu'un qui ne se défendra jamais.
« J'ai une question pour toi, Martinet, lui lança-t-il en agrémentant ses mots du petit surnom qu'il lui donnait depuis toujours. Tu vas répondre correctement ou je pourrais me fâcher très fort ; quel est mon nom ? »
A cela, Martin descendit son sac d'une épaule devant les rires moqueurs de ses camarades et fouilla à l'intérieur. Il y a trouva un morceau de papier ainsi qu'un stylo qu'il gardait toujours portée de main. Le plaçant sur son genou, il y griffonna le prénom de la brute et lui tendit l'œuvre achevée.
« Tu te moques de moi ? Lui lança Fabien en regardant son nom sur le papier et avec un grand sourire. Je t'avais demandé de me le dire Martinet. »
Et il le frappa d'un grand coup dans le ventre. Martin se plia sous le choc et tomba à la renverse sans rien faire. Il n'entendit pas ricaner la bande de brutes au-dessus de lui ; le garçon n'avait jamais rien entendu de plus que les notes de son xylophone. Sa surdité et son mutisme faisait de lui la proie des brutes de son école.
Quand Fabien et sa bande furent reparti, il se posa sur le muret devant le portail et attendit la venue de sa mère. Il attendit ainsi jusqu'à la tombée de la nuit avant que la voiture ne s'engage sur la route devant l'école et qu'il puisse monter sur la banquette arrière.
Encore une fois il n'irait pas au parc aujourd'hui pour jouer de son xylophone, c'était bien trop tard pour cela. Il se contenta donc d'attendre d'être rentré et monta les marches du grenier plus vite que jamais.
Il joua du xylophone jusqu'à entendre la voix de son père comme chaque soir, ou du moins les coups que donnait ce dernier contre le plafond pour le faire descendre, des chocs qu'il associait toujours à la voix de son père qu'il s'était imaginé.
Il descendit à table sans regarder ses parents. Il savait de toute manière qu'aucun d'eux n'allait lui adresser la parole.
Quand ce fut fini, il remonta dans sa chambre, accompagné de Pikachu que sa mère lui laissait un soir dans la semaine ; ou alors qu'elle oubliait de venir récupérer avant d'aller se coucher.
Et comme toujours il joua de son xylophone pour le charmer, le faire danser et rendre à sa vie un peu de bonheur. Ce son était étrangement le seul qu'il entendait et sur lequel il pouvait compter. Il savait qu'il était capable grâce à lui de rendre heureux les pokemons durant quelques instants et tous ceux qu'ils croisaient lui rendait la pareil. Si Martin devant se sentir vivant alors il préférait encore se croire pokemon plutôt qu'humain.
***
http://www.youtube.com/watch?v=YpcN0Pa3ffYMartin se rendit au parc le jour de ses quinze ans, libre enfin de pouvoir sortir de chez lui sans que son père ou sa mère ne ferme à clé la porte de l'entrée afin de l'en empêcher. Il avait depuis loupé une bonne partie de ses études, non pas parce qu'il en était dégoûté mais surtout parce qu'il voyait son avenir autrement. Le jeune homme apercevait son futur livré au bonheur des pokemons qu'il faisait danser chaque jour au son de son instrument.
Sa mère et son père faisait encore moins attention à lui qu'avant sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi. Il n'avait jamais cherché à en savoir les raisons de toute manière.
Lorsqu'il fut libre, Martin se précipita dans la rue, son xylophone sous le bras, heureux de pouvoir enfin profiter d'un semblant de bonheur. Il avait rêvé durant des années de pouvoir se rendre au parc sans jamais oser tant qu'il n'avait pas l'autorisation de ses parents.
Maintenant il le faisait enfin et sans le moindre scrupule. Il était tout simplement heureux de pouvoir réaliser son rêve.
Arrivé à destination, le jeune homme se posa sur un banc et installa le xylophone sur ses genoux. Il prit les baguettes entre ses doigts en commença à jouer, il entra dans l'un des deux plus beaux moments de sa vie.
Alors que sa mère, son père, ses camarades de classe et de nombreux autres connaissances ne lui avait jamais accordé la reconnaissance qu'il méritait, les pokemons avaient cerné la bonté qui émanait de son cœur.
D'une simple volée, de nombreux oiseaux se posèrent devant lui. D'un seul coup, quelques rongeurs sortirent leurs têtes du sol avant d'avancer dans sa direction. Un Taupiqueur se dressa sous le banc et commença à dandiner son corps au rythme de la musique sans pouvoir s'arrêter. De leur côté, les Etourmis et Piafabecs se donnaient l'aile afin de tourner en rond autour du banc sur lequel était assis le jeune homme pendant que les Keunotors et Miradars frappaient leurs pattes l'une contre l'autre.
En découvrant ce que pouvait donner comme musique un simple son, Martin se vit jaillir un sourire sur le bord de ses lèvres.
Car en effet il entendait le chant des pokemons, percevait le bruit que faisaient leurs pattes sur le sol et voyait le tout comme un cadeau du ciel. Pour la première fois de sa vie il entendait autre chose que le son de son xylophone, autre chose que cette petite mélodie qu'il faisait vivre du fond de son grenier.
Il regarda l'objet posé sur ses genoux et se sentit heureux.
La première fois qu'il l'avait découvert, au fond du grenier, Martin n'avait pas entendu de son en sortir au moment de frapper dessus. Puis il avait émis le vœu de pouvoir entendre le son de cet instrument, de pouvoir avoir le privilège d'écouter une fois la musique qu'il pouvait faire... Et le lendemain il le pouvait ; Martin pouvait non seulement entendre la musique mais aussi s'en servir afin de prodiguer de la joie tout autour de lui. C'était son plus grand plaisir.
Alors que les pokemons dansaient tout autour de lui, Martin prit tout de même le temps de regarder au-delà de cette ronde endiablé.
C'est alors qu'il cessa soudain de jouer, foudroyé sur place par les yeux de la petite rouquine qui le fixait depuis le départ. Comme soudainement prit de honte, il tenta de cacher les baguettes dans son dos et de mettre l'instrument de musique dans le sac. Il était gêné par le regard de la file qui devait avoir à peu près le même âge que lui.
Elle s'avança d'un pas, les pokemons commençaient déjà à partir. Elle s'arrêta en voyant tous les oiseaux qui quittèrent le lieu.
« Non, continue à jouer, lui lança-t-elle tout bas pour ne pas effrayer les pokemons. Joue encore s'il te plaît. »
Martin la regarda au travers ses grands yeux verts mais eu soudainement peur qu'elle se moque de lui. Il ressentit monter dans son cœur cette peur du regard de l'autre qu'il avait essuyé durant toute son existence, ce besoin de s'assumer qu'il n'avait jamais connu de toute sa vie.
Alors il monta son cartable sur ses épaules et se releva, tentant d'échapper à la jeune fille qui l'avait interrompu durant son concert privée.
En vérité, et sans le savoir, c'était la peur que ressentait Martin à ce moment-là. La peur de l'inconnu, la peur des gens qui étaient différents de lui, ceux qui n'étaient pas des pokemons et qui ne pouvaient d'après lui ressentir autant d'amour à son égard. Son estomac se nouait face au regard de la jeune femme, ses lèvres se crispaient ; l'angoisse l'avait atteint.
Et sans oser fixer ne serait-ce que quelques secondes de plus ce visage pâle et cette chevelure rousse à la beauté enivrante ; Martin prit la fuite.
Ses baguettes à la main et son xylophone sur le dos, il quitta le parc en courant pour regagner le repaire froid mais serein de son grenier, pour regagner la tranquillité qu'il aimait tant.
Ce souvenir resta néanmoins gravé toute sa vie dans sa mémoire. Et, tandis qu'il jouait sous ses draps pour entendre encore une fois cette mélodie, il repensa à la jeune fille qui lui avait fait peur.
***
http://www.youtube.com/watch?v=lrI8bHs6QvkC'est en rentrant de l'internat, un vendredi soir, que Martin découvrit un mot collé sur la porte de la maison. Il reconnut directement l'écriture de son père.
Il avait alors vingt ans et poursuivait des études en médecine bien qu'il soit en constant échec depuis des années ; il se débrouillait comme il le pouvait.
En voyant le mot, il comprit directement qu'il n'y trouverait rien de bon. Cela lui fut confirmé lors de la lecture.
« Ta mère et moi sommes désolé pour tout. Je ne te l'ais jamais avoué pour ne pas te faire du mal mais je te déteste depuis ta naissance. Je suis au regret de ne te l'apprendre que maintenant.
Tu n'es pas le seul enfant que nous avons eu, tu avais un frère jumeau. Malheureusement il y a eu quelques problèmes lors de l'accouchement et nous avons dû sacrifier l'un de nos deux enfants. Le choix fut difficile et nous ne savions pas ton handicap à l'époque. Ce n'est qu'après la mort de ton frère que nous l'avons appris. Ton frère était en bonne santé.
Je n'ai jamais accepté cela. Toute ma vie j'ai rêvé d'un fils fort, qui serait capable de se défaire de son handicap, de le surmonter. Mais tu n'en fus jamais capable. Et je hais par-dessus tout cette suffisance dont tu fais preuve, cette naïveté et cet égoïsme.
Nous avons décidé de partir, ta mère et moi. La maison sera fermée demain pour ses nouveaux locataires le mois prochain. Cela te laisse le temps de prendre quelques affaires.
Désolé. Papa. »
Pour la première fois de sa vie Martin sécha une larme qui roulait le long de sa joue. Il ne prit pas la peine d'entrer dans la maison, laissant simplement tomber le papier sur le sol et s'enfuyant le plus loin possible d'ici. Il courut des heures sans s'arrêter, ne faisant une pause que lors de la nuit tombée.
Au bord de la route, dans le noir total, Martin sortit son xylophone de son sac et frappa dessus.
Mais à sa grande surprise pas un son ne se produisit, rien.
Il continua tout de même, frappant encore en espérant entendre le doux son de son xylophone mais sans le moindre succès. Il leva les yeux pour voir arriver quelques pokemons qui seraient venus écouter sa mélodie, comme dans le parc cinq ans avant et à d'autres reprises depuis. Mais rien ne se produisit de plus qu'un écho sourd dans le silence de la nuit.
La magie du xylophone semblait soudain s'être évaporée.
Alors il pleura encore, se demandant pourquoi il était subitement si seul.
Tous ses souvenirs remontèrent dans sa mémoire. Il se rappela de cette suffisance dont il était censé faire preuve et dont son père avait parlé, se remémorant au passage qu'il était toujours resté dans sa bulle sans jamais en sortir. Vivant dans le monde des pokemons, n'entendant les sons que par eux ; Martin avait totalement laissé de côté le fait qu'il était avant tout un humain. Il avait pris sa peine au-delà de celle de ses parents et avait oublié qu'il n'était pas seul à franchir des obstacles. Jamais il n'avait parlé du xylophone à quelqu'un.
***
http://www.youtube.com/watch?v=oxZlJGtFGcwDix ans après Martin avait fait le tour de sa région, tentant à chaque ville sur son passage de refaire fonctionner son xylophone, vivant en pèlerin. Il quémandait sa nourriture, dormait à la belle étoile mais n'approchait jamais de trop près un être humain.
Sa peur des gens n'était pas encore franchie. Il ne croyait qu'en l'amour des pokemons que ces derniers ne lui consacraient plus, le laissant jouer dans un silence profond sans danser autour de lui. Martin, sa musique... Tout semblait avoir perdu son innocence au fil du temps.
Pourtant l'homme qu'il était devenu continuait de garder espoir, pensant qu'un jour renaîtrait cette flamme qui l'avait fait vivre durant plus de la moitié de sa vie.
Le long des routes, dans les campagnes, ce dernier jouait et attendait un miracle. Il frappait du peu de force qu'il avait sur les lames de bois de son xylophone durant l'hiver alors que la neige le gelait sur place. Il continuait à l'été et durant les deux autres saisons. Jamais il n'abandonnait l'espoir de revoir un jour son bonheur.
Parfois revenait le souvenir de la lettre qui le blessait au plus profond de lui.
Mais alors il tentait de penser à un souvenir plus heureux comme les concerts privés qu'il donnait dans le temps aux pokemons qui l'entouraient. Il repensait à ces oiseaux qui dansaient autour de lui sur ce petit banc de sa ville natale, à ces rongeurs qui frappaient entre leurs pattes pour donner du rythme... Il voulait oublier qu'il n'entendait même plus le seul son qu'il avait pu un jour percevoir, oublier que ce n'était plus encore le cas.
Et à chaque fois le visage de cette fille remontait dans sa mémoire, cette fille pour laquelle il avait ressenti la foudre et l'angoisse ; peut-être même n''était-ce qu'un même sentiment.
Alors quand il eut traversé toute la région, il revint sur ce petit banc dans lequel il avait donné son tout premier concert, pensant que ce serait ici qu'il pourrait retrouver le son du xylophone et revoir cette fille qui l'enchantait depuis quinze ans.
http://www.youtube.com/watch?v=yUrC5R30OfkUne fois sur ce banc, Martin ressentit de l'émotion gravir les échelons de son cœur. Tout d'abord une impression de bonheur intense puis une peur dévorante. Il sentait que quelque chose allait se produire et avait peur de ce fait.
Lorsqu'il frappa sur l'une des lames de bois de son xylophone, il n'entendit rien comme c'était le cas depuis dix ans maintenant. Mais, comme le soir au bord de la route, il frappa une fois de plus pour en entendre encore le son, espérant que son problème pouvait se résoudre de lui-même.
Et alors même qu'il donnait le centième coup sur les lames de bois, sans succès, Martin n'abandonna rien et poursuivit. Il devait le faire, il devait percevoir ce son qui l'avait rendu tellement heureux durant toute son enfance.
Il voyait dans son esprit le visage de la jeune fille, son sourire, ses lèvres bouger pour lui demander de recommencer. Etait-elle un pokemon pour l'avoir admiré ? Pouvait-elle être humaine ?
Il poursuivit sa quête, pensant que tout était encore possible.
Et alors, lorsqu'un Etourmi vint se poser devant ses pieds, Martin frappa plus fort. Toujours et encore plus fort jusqu'à en voir un second atterrir près de lui. Il devait le faire, il pouvait le faire. Malgré le son encore étouffé de la mélodie du xylophone qui se répercutait dans ses oreilles, l'homme savait qu'il était possible de ranimer cette flamme qui ne faisait que sommeiller en lui.
D'autres pokemons se rapprochèrent et se mirent à danser. Il entendit les sons de son instrument, parvint à adapter de nouveau ses oreilles à la mélodie du xylophone qui l'avait quitté durant dix ans de sa vie.
Le bonheur prit totalement possession de son corps. Et, lorsqu'il releva les yeux vers la troupe de pokemons qui prenait du plaisir face à sa musique, Martin croisa le regard d'une femme à la chevelure rousse dont il se rappelait parfaitement.
Celle-ci n'avait pas changé, toujours aussi belle que dès l'instant où il l'avait vu quinze ans auparavant. Elle le fixait avec les mêmes yeux qui l'avaient émerveillé durant tant d'années dans ses souvenirs, possédait le même regard que le premier qu'elle lui avait accordé.
Il ressentit encore une fois la foudre, tout son corps étant d'un seul coup parcouru d'un grand frisson. Il ne comprenait ce sentiment mais savait qu'il était bon et que jamais il ne pourrait lui faire du mal comme celui qu'il avait ressenti en lisant la lettre.
Alors quand elle s'avança vers lui il n'arrêta pas pour autant de jouer. Il laissa place à son imagination et se laissa emporter par la musique.
Qu'importe qu'elle soit humaine et que jamais un être humain ne l'ait rendu heureux. L'important était qu'il devait lui faire confiance et non pas qu'il fasse comme il avait fait des années auparavant. Il ne rangea pas ses baguettes dans son dos, ne mit pas son xylophone dans son sac... Et ainsi pas un seul pokemon ne s'arrêta de danser et ce même quand la jeune femme s'approchait.
Et à chacun de ses pas, Martin se disait qu'il n'était plus seul dans ce monde. Il la voyait s'avancer et se disait qu'il allait bientôt être libéré de sa solitude, qu'il pourrait connaître la bonté de l'être humain. Il la laissa venir, le sourire aux lèvres tout en jouant et en s'amusant avec les pokemons qui l'entourait.
Lorsqu'elle se retrouva devant lui, la femme se posa à ses côtés sur le banc et frappa dans ses mains comme le faisait les pokemons. Et, ce qui provoqua encore plus de bonheur chez Martin, ce dernier entendit le son du claquement de ses mains.
« C'est merveilleux ce que tu joues, lui lança-t-elle.
- Merci. »
Et il l'entendit, il lui répondit.
Pour la première fois de sa vie l'homme parvenait à utiliser sa voix sans même s'en rendre compte, comme un automatisme.
Lorsqu'il comprit, il lâcha ses baguettes des mains, médusé par ce qu'il venait de faire. Il se tourna vers la femme à ses côtés sans trop comprendre ce qu'il venait de se produire, les pokemons s'enfuyant en entendant la musique s'arrêter.
Elle le regardait de ses beaux yeux verts. Puis, au bout de quelques secondes, elle prit l'une des baguettes de son xylophone et joua une note.
Il l'entendit, fut submergé de bonheur.
Alors que ce sentiment l'envahissait, Martin se tourna vers la femme qui était venu s'asseoir près de lui et qui avait bercé ses souvenirs durant quinze ans. Et il lui posa enfin, sans passer par l'écriture, la question dont-il avait rêvé.
« Es-tu un pokemon ? »
Elle eut un petit rire et lui répondit que non, qu'elle ne voyait pas en quoi elle ressemblait à un pokemon. Puis elle posa une main sur la joue du joueur de xylophone et le remercia de tout cœur pour le bonheur qu'il lui avait donné.
Il la remercia à son tour et lui expliqua les grandes lignes de sa vie pendant qu'elle en faisait de même. Elle aussi avait rêvé de lui pendant longtemps et elle voulait désormais qu'il l'accompagne, qu'il vienne chez elle.
Martin accepta et se leva, laissant son xylophone derrière lui. Il n'en avait plus besoin.
***
Un agent de police retrouva le corps de celui qu'on appelait dans toute la région le joueur de xylophone. Ce dernier était mort de froid plus tôt dans la journée et avait laissé son instrument tomber dans la neige devant l'un des bancs du parc.
Des traces de pattes de pokemons courraient tout autour de ce dernier dans la neige. Toutes appartenaient à des oiseaux ou des rongeurs...
Néanmoins l'agent remarqua deux paires de traces qui se différenciaient des autres. L'une venait vers le banc et deux en repartaient. Pour avoir eu un Ectoplasma dans sa jeunesse, il aurait reconnu ces traces entre mille.