Chapitre 9 : Ma vérité
Personnage narrateur : Ivy
Je suis plus sale que jamais. J'ai rampé dans des canaux d'aération aussi propres qu'un Axoloto à peine sorti de la boue, glissé sur des traces de Grotadmorv –seule comparaison possible, je le crains- et me suis roulé par inadvertance dans une poubelle renversée au sol, mais à présent, j'y suis !
A travers la grille d'aération, j'ai regardé ce fameux Lance menacer mon Estelle avec un couteau. A cette vue, j'ai dû me retenir de lui passer sur le corps –vu ma saleté, il aurait été ravi, ha ha ha ! Humour de Pokémon sauvage-. Heureusement, il ne lui a rien fait de plus. Je devais attendre. Un Commandant, c'est censé être bien trop puissant pour mon niveau de compétences. Alors, quand il est parti, ni une ni deux, j'ai fait sauter la grille. Un petit coup de Griffe bien ajusté et me voilà super Pokémon sauvant sa belle dans toute ma splendeur !... Ou pas.
J'échange un regard avec elle. Comme il est douloureux pour moi de la voir tant souffrir ! Ceux qui ont fait ça vont me le payer cher, très cher !
J'ai fait assez peur aux trois Sbires pour les empêcher d'agir un moment. J'en profite pour faire mon plus beau sourire à Estelle. Je veux qu'elle comprenne que je ne lui en veux pas ! Mais voilà qu'elle pleure. Que de larmes aujourd'hui ! Ses lèvres si douces sont étirées en un fin sourire. Elle n'a pas besoin de parler. Ses yeux à l'éclat qui m'a tant manqué me le disent pour elle : merci.
Trois Pokéballs sont lancées vers moi. D'un mouvement souple enseigné par les Coxy, je les évite. Mais elles ne m'étaient pas destinées. Des Balls surgissent trois Nosférapti agressifs, qui volètent en tous sens. Ils fondent sur moi. J'en évite un, griffe le visage de deuxième... Et pousse un cri lorsque les dents du dernier se plantent dans mon épaule. Je vois Estelle frémir pour moi, et loin de me décourager, cela m'emplit d'adrénaline. Pour toi Estelle !
Je le repousse d'un bon coup de patte et choisis d'utiliser mon attaque Retour sans attendre. Manqué. Ces choses sont trop rapides pour moi ! En plus, elles ont un avantage de taille : elles savent voler. Le plafond est certes bas, mais pour moi, c'est trop. Je suis minuscule, moi ! Je ne peux pas sauter si haut ! Le temps que j'essaie, je suis déjà mordu au poitrail...
Cette saleté s'accroche à ma queue comme je m'accroche à un smoothie aux Noigrumes. Pas question de la prendre pour un self-service ! Je pivote sur moi-même, l'obligeant à se décrocher, mais les autres reviennent à la charge. Je commence à perdre beaucoup de sang. Ces créatures de malheur se régénèrent en le buvant. Je dois en finir vite, mais comment ?!
Je jette un coup d'œil à Estelle. Quelque chose dans son regard laisse éclater une brèche en moi, au plus profond de moi. Une vague de pouvoir né de mon amour pour elle s'empare de mon corps entier et me...
Qu'est-ce que... Que se passe-t-il ? Je suis en train de... Changer ! Oui, je suis en train d'évoluer ! J'aimerais m'arrêter, mais c'est la seule chance de sauver mon Estelle... Je ne peux pas faire autrement.
Je prends de la taille et des muscles, mon pelage s'assombrit à toute vitesse alors que de gracieux cercles jaunes s'épanouissent sur mes membres. Les Nosférapti reculent, ébahis, tout comme leurs dresseurs.
Mon premier cri d'Evoli évolué déchire le silence nouveau.
-Noc-taliiiiiiiiiiiii !! (Pour toi, Estelle !!)
La surprise passée, les trois vampires reviennent me sucer le sang.
Mais cette fois, je suis prêt. Dans mes muscles, je sens un pouvoir nouveau : celui des ténèbres du doute, qui m'ont finalement mené à la vérité. Il ne demande qu'à s'exprimer. Il est temps de leur montrer de quoi un Pokémon élevé et entraîné par Estelle est capable !!
J'évite un adversaire en bondissant, me réceptionne sur un mur vertical et en percute un autre avec une violence inouïe. Les ombres m'entourent, suivent mes pas, frappent. Je deviens courant d'air. Une attaque Feinte se dessine autour de moi. J'évolue avec vitesse et puissance. Ces Nosférapti de malheur ne m'auront pas ! Je disparais dans un grand panache de fumée noire pour réapparaître dans le dos du premier, et me venge en lui mordant cruellement l'aile. Incapable de voler, il s'écrase lamentablement. Le dernier des Nosférapti tente de m'échapper, mais c'est trop tard. Je suis au plafond pour une petite seconde. Le temps nécessaire pour charger mon Retour.
C'est fini. Les trois Sbires se regardent avec une once de peur... Je les défie du regard en silence. Je connais l'éclat des yeux de Noctali. Une fois de plus, il fait ses preuves. Les vaincus s'enfuient le plus vite qu'ils le peuvent.
Tête baissée, je retourne auprès de mon Estelle et pose ma tête désormais bien plus lourde sur ses genoux. Je ne pourrai plus jamais m'y blottir, mais cela n'a plus d'importance. Elle est saine et sauve. Oh, mon Estelle, mon Estelle ! Comment ai-je pu survivre une seconde sans toi ? Tu es la lumière de ma vie ! Oublie cet homme qui t'a tant fait souffrir. Je resterai toujours auprès de toi...
Mon instinct éveille en moi un nouveau pouvoir. La lune n'apparaît pas dans cette petite pièce souterraine, mais je peux toujours utiliser sa puissance de guérison. La passivité de la lune... Ô déesse Lune, guéris mon Estelle. Prête-lui ta force. Et ça fonctionne !... Je vois chacune de ses blessures se résorber, même celle que je lui ai infligée avec mes griffes –comme elles me semblent petites à présent ! Mais le tissu de son uniforme est déchiré et taché de sang. Elle ne pourra plus le porter... Ce n'est pas grave, au moins elle va bien. D'un bond supplémentaire, je passe derrière elle et attaque consciencieusement ses liens à coups de dents. En quelques instants, elle est libre.
Elle se lève timidement. Je lis dans son regard qu'elle n'ose pas croire à sa miraculeuse guérison. D'ordinaire, le Rayon Lune n'est destiné qu'au lanceur, mais j'ai fait une exception. Je ferai toujours des exceptions pour toi, Estelle !
Sa main entre mes oreilles est si douce ! J'avais presque oublié ce contact... Un ronronnement de plaisir monte de ma poitrine. Je suis si heureux d'avoir pu l'aider !
-Noctali... dit-elle doucement. Umbreon. Ivy, puis-je t'appeler Ombréon ?
J'acquiesce en augmentant encore mon ronronnement. Ombréon. Si là est le nom qu'elle souhaite me donner en tant que Noctali, soit ! Je veux bien en changer, et tout ce qu'elle voudra encore. J'oublie que j'étais Ivy. Aujourd'hui, je suis fier de ce que je suis devenu. Un guide dans les ténèbres du doute et de l'incertitude, un pionnier de la vérité. Ombréon.
Estelle me sourit à nouveau et pose un baiser sur mon museau.
-Merci, Ombréon. Merci infiniment.
Oh, Estelle... Mon Estelle. Elle est si belle ! Mon cœur va éclater !!
-Nous devrions nous dépêcher de nous en aller. Suis-moi, Ombréon, je connais la sortie.
Je la suis avec un mélange de joie, de méfiance et de prudence. En effet, elle semble se diriger facilement dans ces couloirs. Je suis désormais assez grand pour courir à ses côtés. Quelle sensation jouissive ! Je pourrais traverser tout le continent si elle courait ainsi avec moi ! Elle ralentit lorsque nous arrivons à une porte gardée par un code. Elle le compose sans aucune hésitation, comme si elle l'utilisait souvent, et entre. Elle me tient gentiment la porte, et je crois me retrouver à cet instant d'hier où elle me conduisait ici même, dans les Souterrains. Comme j'ai changé, physiquement et mentalement, depuis cet instant !
A peine entrons-nous que je reconnais l'endroit. La table en marbre. Le lit, la penderie, les documents en vrac. La chambre de Lance.
Je jette un regard terrifié à Estelle. Je ne comprends pas !! Estelle, s'il te plaît, ne me dis pas que tu vas me refaire ce coup-ci une fois de plus ! Je sonde son visage sans y trouver quoi que ce soit de menaçant, mais cela ne me suffit pas. Je ne suis plus sûr de rien. La peur me guide, au-delà de tout l'amour que j'éprouve pour elle. En deux bonds, je traverse la fenêtre dans un grand fracas de verre brisé et me réceptionne plus parfaitement encore qu'hier sur les pavés. Estelle s'élance à ma suite, passant une jambe après l'autre dans le trou que j'ai laissé. Elle m'appelle par mon nouveau nom. Ombréon. Mais c'est trop tard.
Le vent de la nuit a déjà emporté mon souvenir.
Posté en sentinelle sur un toit, je la regarde hésiter, m'appeler encore une douzaine de fois, puis jurer et courir vers le Centre Pokémon. Son intention n'était certainement pas mauvaise... Une fois de plus, ma peur m'aveugle. Pourquoi ne puis-je pas renoncer au doute ? Peut-être parce que, désormais, il fait partie intégrante de moi. Le guide dans les ténèbres du doute...
Je lève le museau vers la pleine lune, ronde et mystérieuse, qui soigne déjà les égratignures du verre. Je ferme mes yeux rouges. Et je jure de suivre Estelle jusqu'à ce que je découvre enfin la vérité.
Mais d'abord, je dois aller voir Jirachi. Je veux connaître le passé d'Estelle. Cela me libèrera, je l'espère, de ces questions terribles qui m'empêchent d'aller vers elle comme autrefois.
Au-dessus de Doublonville aux couleurs de la Team Rocket, l'astre nocturne semble approuver en silence.