OneShot - Le vent du nord
OS – Le vent du nord
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« Et le matin tu chantais sur les rives de Vaguelone jusqu'à la tombée de la nuit. Tu chantais pendant des heures, berçant l'oreille des touristes venus se délasser sur la plage, écoutant les refrains durant lesquels nous faisions silence pour en saisir le sens profond. »
L'homme avance dans la nuit noire, posant un pied après l'autre sur le sable fin de la plage. Il parlait seul au cœur de cette sombre nuit, déclamant comme d'anciennes prières d'un temps révolus. Dans ses mains se trouvait un peu de ce sable qu'il avait ramassé un peu plus loin sur la plage avant de venir jusqu'ici et qu'il semblait avoir pour but de disséminer dans son sillage au fur et à mesure de ses pas. Et sur son visage, enfin, se lisait comme une expression de tristesse.
« J'ai cherché à savoir ce qu'il s'était passé la nuit où tu es partie sans un mot, durant des heures, sans jamais trouver de réponse. Je sais que, malgré ce que j'ai fait, ta quête restera éternellement la même et que tu n'auras de cesse de courir tant que tu ne trouveras pas la réponse à tes questions. Ce que je te demande, c'est de continuer à chanter. Chante au travers le monde pour que chacun puisse entendre ta voix, que chacun se rappelle d'elle comme celle d'une ancienne déesse ayant quitté ce monde afin de poursuivre des chimères. »
Lentement, il s'est avancé vers la mer.
Il marchait les jambes à demi-noyées dans cette houle tumultueuse, avançant comme si jamais obstacle ne fut sur son chemin. Et, alors que pas à pas il s'enfonçait dans les flots, sa voix résonnait encore dans la baie de Vaguelone.
« Ta voix... Je ne veux que l'entendre à chaque pas que je fais comme un doux carillon ; comme le glas de mon tragique destin qui lentement vient à paraître au sein de ces vagues. Sonne, sonne ce glas funeste. Mais, pour la dernière fois, mes prières au ciel s'élance pour qu'il devienne ta voix. »
Et si quelqu'un de son lit à ce moment précis s'était levé, il aurait vu sur la plage un grand manteau de brume enveloppant les vagues. Mais, ce qu'il aurait surtout remarqué, cela aurait été cette étrange silhouette s'enfonçant dans la mer pas à pas. Il l'aurait vu comme un fantôme ; comme le spectre du Léviator dont parle les légendes, sillonnant les rivages, insaisissable, même pour les yeux.
***
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« Il y avait un garçon... Mais c'était il y a bien longtemps de cela... Je ne pense même pas me souvenir de son nom. »
A des milliers de kilomètres de Vaguelone, une jeune femme se releva tourmentée au plus profond de son sommeil par une crainte sans visage. Son passé revenait lentement par moments, s'emparant d'elle avec force et véhémence sans qu'elle ne puisse lutter. Elle ne voulait plus entendre parler de cette époque mais, visiblement, c'était cette époque qui voulait encore entendre parler d'elle.
Des troubles l'assaillaient de tous les côtés malgré les efforts qu'elle faisait pour essayer de penser à autre chose qu'à tout cela. Elle avait un objectif et ne devait se démarquer de ce dernier que lorsqu'il serait enfin accompli.
« Suicune m'attend quelque part... Je ne dois pas relâcher mon attention maintenant que je suis si près du but. »
Car en effet elle y était. Après des années de courses sans fin elle voyait enfin venir le bout de cette aventure et poindre la vérité. Qu'il serait fier de ce qu'elle était en train d'accomplir si jamais il était avec elle à ce moment-là.
Elle secoua la tête. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer pour qu'elle pense à ce genre de chose ? Et de qui pouvait-elle bien parler en disant qu'il serait fier d'elle ? Elle ne connaissait pas plus de « il » que de « nous » dans ce monde. Il semblait même que son propre « je » avait après tant d'années prit le large aux abords de son esprit pour ne jamais revenir. Ce n'était pas maintenant qu'elle allait donc se soucier de toutes ces questions d'humanité.
« Il est tout près désormais. Juste devant moi, dans cette tour. Je n'ai plus qu'à monter et je verrais enfin devant mes yeux la seule chose qui depuis des années nourrit mes jours et mes nuits, mes rêves les plus doux comme mes plus terribles cauchemars... C'est aujourd'hui que se termine cette grande aventure. Je vais enfin savoir la vérité sur ce monde. »
Si elle avait dormi avant de grimper dans cette tour qui se profilait devant elle à l'horizon, c'était car elle désirait prendre le temps de la nuit pour réfléchir sur sa condition et sur ce qu'elle avait enduré pour en arriver jusque-là.
Cela faisait sans doute au moins dix ans que plus personne n'avait entendu parler d'elle. A vrai dire, elle ne pensait pas que quelqu'un se souvenait même de son existence ou se préoccupait de ce qu'elle était devenue à ce jour. Mais cela importait peu de ce que pensait les autres d'elle du moment qu'elle pouvait enfin rattraper cette image après laquelle elle courait depuis des années.
« Suicune... C'est toi que je cherche depuis tout ce temps... Il faut que tu me parles de tout ce que je suis venue chercher auprès de toi. Cette vieille légende, le monde, ton rôle, notre rôle à tous. Je suis certaine que tu détiens les réponses. »
Il aurait aimé être là lui aussi pour entendre ces réponses car, après tout, c'était sa quête au départ.
Encore une fois, elle chassa cette idée de sa tête, préférant se concentrer sur ce qui l'entourait plutôt que de voir en son esprit se dessiner la forme d'un vieux spectre qu'elle avait pratiquement oublié dès lors.
La vieille, elle avait achevé sa traversé des montagnes arides entamée un an auparavant et qui lui avait coûté bien plus que la pointe de ses chaussures ; son âme. Elle semblait ne plus avoir accès à elle, comme si elle avait du la laisser au sommet d'un pic en guise de tribu pour son passage, comme s'il y avait un prix très lourd à payer afin d'avoir accès à la connaissance. La seule chose qui pouvait encore lui rester après tant d'épreuves, c'était le don de parole.
Longtemps lors de sa course, elle s'était parlée à elle même le soir, les mains tournées vers le feu de camps qu'elle avait allumé pour ne pas mourir de froid quand l'hiver était rude. Et cette habitude avait continué, prenant dans sa vie un sens irremplaçable. Elle se servait de sa propre voix afin de préserver la présence humaine à ses côtés. Même si cela faisait longtemps qu'elle avait quitté toute cette civilisation, il y avait en elle comme une envie de préserver tout cela et de ne pas oublier qu'elle restait humaine.
« J'ai traversé tout ça ? S'exclama-t-elle soudainement en se retournant. »
Car, devant les montagnes arides, une immense plaine s'étendait sans fin à l'horizon ; une plaine qu'elle avait traversé la vieille en une seule journée, tel un fantôme. Elle avait marché sans but, ne pensant à rien. C'était peut-être cela le fait de lentement perdre son âme puis son cœur dans cette quête : ne plus penser, ne plus voir, ne même plus sentir la douleur... Si elle avait traversé toute cette étendue d'herbes hautes et de fleurs, c'était en ne voyant même plus qu'elle poursuivait sa route, comme un robot, un spectre.
Se retournant, elle vit la tour tant espérée s'élever vers le ciel en surplombant l'océan qui s'étendait devant ses yeux. C'était là haut qu'il se cachait. Cette fois-ci, il n'avait plus aucun moyen de fuir où que ce soit ; elle avait gagné.
« C'est maintenant que tout va se jouer. Il suffit que je monte et ce sera bon pour la suite. »
Disant cela, elle poussa la porte et pénétra dans la tour perchée sur un falaise, au devant de la mer. Une crampe soutint son cœur à ce geste, repensant à tout ce qui l'avait mené sur ces falaises devant l'océan, dans cette tour, étape finale de son voyage au travers le monde à la poursuite de Suicune.
Il y avait un homme...
Cette pensée fut chassée de son esprit et elle monta la première marche de l'escalier en colimaçon qui montait jusqu'au sommet de la tour.
Alors qu'elle faisait cela, un rugissement retentit. « Suicune ! »
Elle monta alors les escaliers en furie, courant comme si l'ombre même du diable se profilait dans son dos, une faux tranchante sur l'épaule. C'était là-haut que se tenait la fin d'une dizaine d'année de vie, d'une décennie de recherches insensées. C'était tout près désormais. Elle voyait déjà devant elle l'espoir de voir naître enfin après tout ce temps la vérité qu'elle avait tant cherchée à connaître. Il n'y avait plus que quelques marches à franchir avant de savoir la vérité.
Mais, alors qu'elle arrivait en face du pokémon de légende qu'elle avait poursuivi au travers la terre entière, un voile blanc tomba pendant quelques secondes devant ses yeux et elle vit se succéder les évènements du passé.
***
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« Ils ont quittés cette tour, tous sans exception. Et il s'est arrêté en face de toi... Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Je n'en sais strictement rien. La seule chose que j'ai vu, c'était ses yeux me fixant d'un air étrange. Je crois qu'il attendait quelque chose de ma part, qu'il attend encore quelque chose de ma part ; je n'en sais trop rien.
- Je m'appelle Eusine, je poursuis Suicune depuis des années. Et toi, quel est ton nom ?
- Christy. Enchantée. »
***
« C'était un combat palpitant, Christy. Tu mérites d'avoir été choisie par Suicune. Malheureusement il s'est encore enfui et je ne pense pas que tu pourras le retrouver rapidement. Que dirais-tu de faire le voyage à mes côtés ? »
***
« Tu chantes si bien... »
Ils s'étaient arrêtés à Vaguelone pour une semaine, menés par Suicune jusqu'à une région lointaine et reculée. Après avoir tant courus derrière cette chimère, les deux aventuriers avaient interrompu leur périple pour une courte durée en s'arrêtant dans une petite ville côtière appelée Vaguelone.
« Je prenais des cours, petite. Mais c'était longtemps avant. Je ne pensais pas être capable de chanter de nouveau après tant de temps.
- C'est pourtant une réussite. »
Après un court silence, Eusine ajouta : « Je t'aime... »
Les yeux pétillants et pleins d'étoiles, Christy s'était approchée de ses lèvres et les avait rapidement emprisonné entre les siennes. « Moi de même. »
***
« Nous devons nous séparer.
- Christy... Pourquoi ?
- J'ai l'impression que Suicune fuira éternellement tant que nous resterons deux et qu'il cessera sa course seulement quand nous serons seul. Continuons cette quête, chacun de notre côté.
- Je t'aime... Nous ne pouvons...
- Ce n'est plus question de savoir qui aime qui ou n'aime pas. C'est une question de foi et d'éthéré, une question de but. Suicune s'est arrêté devant moi, il y a trois ans. Il voulait quelque chose de ma part, j'en suis certaine ; je dois lui faire honneur en le rencontrant.
- Mais...
- Il n'y a rien à ajouter, c'est ainsi. Je dois continuer cette quête seule. Nous nous retrouverons sans doute un jour mais pour le moment, c'est à moi de faire mes preuves, c'est mon but. Je sais que dans quelques années, j'aurais disparu de la mémoire des gens. Moi, une dresseuses de renom dont plus jamais personne ne parlera. Mais je dois le retrouver, pour l'honneur.
- Alors prends au moins cela, lui dit Eusine en abandonnant l'espoir de la ramener à la raison et en lui tendant son anneau, en gage de l'amour que j'éprouve à ton égard. »
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« Eusine ! »
Sa voix avait résonné dans le sommet de la tour alors que Suicune se tenait en face d'elle. Le but de sa vie était enfin à sa portée mais l'image d'un beau et fier jeune homme qu'elle avait autrefois aimé revenait soudain en sa mémoire.
« C'était le jeune homme qui t'accompagnait autrefois ? Demanda Suicune en lui faisant pour la toute première fois entendre sa voix. Tu t'es séparée de lui pour moi...
- Oui. »
Le silence retomba durant un court instant sur le sommet de la tour et Suicune fixa Christy dans les yeux comme le jour de leur toute première rencontre au cœur de la Tour Cendrée. Encore une fois, il donna l'impression à cette femme d'avoir quelque chose à lui demander, un service, celui pour lequel elle avait couru durant tant d'années.
« Tu es donc venue, reprit le légendaire. Tu m'as poursuivi au-delà des montagnes arides, jusque dans ce lieu reculé qu'aucun humain n'avait jamais visité avant toi.
- Où sommes-nous ?
- Sur les rives de ce monde, au bout des terres connues des pokémons légendaires. Même nous ne savons pas ce qui s'étend au loin, au-delà de l'extrémité nord du monde.
- Le vent du nord, murmura Christy en faisant la liaison avec la vieille légende parlant de Suicune et qu'elle avait entendue de sa naissance jusqu'à aujourd'hui.
- Tu comprends vite on dirait. En effet, c'est ici que se lève le vent du nord dont je suis l'incarnation même. C'est là que je prends mes sources. Mais c'est aussi ici que je viens me reposer pour mourir quand le temps est venu de le faire.
- Mourir ? »
Christy s'étonna de ces paroles. Aurait-elle fait tout ce chemin et tous ces sacrifices pour voir mourir le pokémon légendaire devant ses yeux ? D'ailleurs, elle ne pensait même pas que Suicune pouvait être mortel avant de le rencontrer pour de bon.
« Comme tout être vivant. Je ne suis pas un dieu contrairement à ce que les gens pensent de moi, seulement une incarnation chimérique d'un simple souffle de vent. Mon but est de sillonner le monde afin d'ensemencer la terre et de purifier les eaux, rien de plus. A part cela, je suis aussi mortel que chacun d'entre vous, humains.
- Mais pourquoi m'avoir mené jusqu'ici ? S'étonna Christy.
- Je ne t'ai pas forcé à venir. C'est toi toute seule qui en a décidée ainsi et ce tout simplement car c'était ton destin depuis que tu es née. Tu devais prendre ma place une fois mort comme moi avant toi. Car le vent du nord est impérissable au-delà de l'enveloppe corporelle dont il use.
- Vous voulez dire que je suis élue pour prendre votre place dans ce corps une fois mort ? Mais c'est totalement insensé...
- Je ne t'oblige à rien. Seulement, tu es prédestinée à cela. La preuve est que tu es née avec des cheveux bleus comme l'océan et qui sait la légende du vent du nord c'est que cette marque désigne ceux qui sont chaque siècle choisis par le ciel pour prendre la place de leur prédécesseur. »
Elle baissa les yeux au ciel, semblant réfléchir un instant à toute la folie de son acte avant de faire un pas en avant et de tendre la main vers le visage de Suicune. « Tu es certaine de ce que tu fais ?
- C'est mon destin, pas vrai ? Et le destin d'un homme ne peu être repoussé par de simples envies ou autres bêtises de ce genre. Cela fait des années que je poursuis sans but la vérité de ce regard lancé au creux de la Tour Cendrée. Maintenant que je sais tout cela, je ne peux me permettre de retourner en arrière. Il faut que je le fasse. Car la seule chose qui permet de faire d'un homme une légende, c'est lorsque ce dernier est capable de croire jusqu'au bout en ses rêves. »
***
Chaque nuit sur la plage de Vaguelone, les habitants pouvaient voir se profiler l'ombre d'un grand chien. Et, au-delà de cette vision, ils entendaient chaque soir chanter une vieille chanson qui leur rappelait celle d'une femme passée en ville des années auparavant.
Et cela dura pendant un siècle.
Un jour, un enfant retrouva sur la plage un vieil anneau d'argent sur lequel le nom d'Eusine était gravé. Depuis ce jour, les chants s'arrêtèrent mais jamais ne faiblit le vent du nord.