Septième Chapitre : La Symphonie Brisée.
Ce n'est pas pour rien qu'on parle de la mélancolie comme le mal du siècle.
A Florincia, la mélancolie représente l'art, et l'art représente la cité. Il ne s'agit alors plus simplement d'un mal, mais plutôt d'une maladie contagieuse qui se propage de poète à écrivain, d'écrivain à peintre, de peintre à musicien, de musicien à sculpteur, et ainsi de suite, dans une boucle qui pourrait s'étendre à travers des générations... ===================
Edward s'approcha du barman, toujours la tête penchée résolument vers le sol, comme s'il avait souhaité se faire aussi petit que possible.
-En fait, j'essayais de me faire discret ce soir, Leo...
L'autre éclata à nouveau de son rire gras, et peu distingué aux yeux de Belinda.
-Oups, on dirait que c'est raté Ed ! Faut dire, les mots s'échappent toujours de ma bouche avant que je ne puisse les rattraper ! ...Alors, qui est cette jolie jeune femme avec toi ?
Malgré le compliment, Belinda ne se sentit pas très flattée. Sans doute parce qu'elle savait qu'elle n'était pas la première cliente à le recevoir.
-J'espère que vous n'aviez pas des plans pour ce soir, chuchota-t-elle à l'avocat. Vous seriez plutôt déçu.
-C'est...C'est un malentendu, Bel...
Il agita la tête à droite à gauche, sans doute à la recherche d'un moyen de détourner la conversation. En vain.
-...Il vaudrait mieux que je fasse les présentations, dit-il en s'écartant du comptoir. Belinda, voici Leonardo.
-Le gérant de cette humble taverne ! s'empressa de rajouter l'autre. Mais tous mes amis m'appellent Leo, je vous prie donc de faire de même.
C'était un homme aux alentours de la quarantaine. Il arborait une barbe drue et un ventre rond, qui correspondait parfaitement au cliché que Belinda se faisait des taverniers. Malgré sa carrure assez impressionnante, il arborait un sourire amical qui paraissait sincère.
-C'est un honneur, Leo.
La comtesse s'inclina légèrement. A côté d'elle, Edward eut l'air de recevoir un coup de poing dans l'estomac.
-Pourquoi n'ai-je pas droit à autant de respect que lui ?! lui chuchota-t-il brusquement.
-Parce que vous êtes fourbe, rusé, et mesquin, alors que votre ami à l'air honnête, amical et sociable. Qui plus est je suis comtesse, je connais encore mes manières envers celui qui me reçoit.
Il grommela en guise de réponse.
-Leo, voici la comtesse Belinda Roseraie...soupira Ed.
Une expression de choc s'afficha sur le visage du barman.
-Co...Comtesse ?!
-Enfin quelqu'un qui me reconnaît à la valeur de mon rang ! s'enthousiasma-t-elle.
Mais les pensées de Leonardo étaient ailleurs.
-Edward, je ne savais pas que tu tapais dans la noblesse maintenant ! Comment est-elle tombée sous ton charme ?!
-C'est une longue histoire...commença l'avocat.
-Pas un mot de plus ! gronda Belinda. Il n'y a strictement rien entre nous !
-Ohohoho, si vous le dites !
L'homme se mit à nettoyer une coupe sans quitter son sourire jovial et rempli de sous-entendus.
-Enfin, je suppose que tu ne me rends pas visite aussi tard pour me parler de la pluie et du beau temps, dit-il à l'adresse d'Edward. Je vois que toi et ton
amie êtes trempés jusqu'au cou. Que vous est-il arrivé ?
-Comme je l'ai dit, c'est une longue histoire et je tiens à me faire discret...
-J'ai compris, on en reparlera autour d'un verre. Qu'est-ce qu'il te faut ?
C'était direct. Belinda soupçonnait que ce n'était pas la première fois qu'Edward venait se faire oublier ici.
-Deux chambres pour passer la nuit.
-Il ne m'en reste qu'une, hélas. Je vous l'offre.
-C'est...sympathique de ta part.
-Aaaah, je sais ! s'esclaffa le barman. Mais en échange, tu devras me promettre de me raconter ce qui t'es arrivé ! Je ne t'ai jamais vu aussi esquinté !
-En temps et en heure, affirma Ed.
Et le marché fut conclu.
La comtesse ne s'était pas attendue à ce que ce soit aussi simple. Elle regardait autour d'elle, peu rassurée, s'attendant à un piège quelque part. Pourtant l'endroit était accueillant, chaleureux. Elle ne se sentait simplement pas dans son milieu, elle qui ne sortait jamais de son manoir la nuit, d'ordinaire.
-Vous n'allez certainement pas aller
dormir maintenant, n'est-ce pas ? suggéra le gérant.
-Il est vrai que je n'ai plus vraiment sommeil, remarqua Edward.
-Et moi donc, ajouta Belinda.
-Vous aviez l'air épuisé tout à l'heure, Bel.
-Je viens de dire que je ne l'étais pas. Ça pose un problème ?
Belinda se sentit un peu honteuse de lui crier dessus alors qu'il s'inquiétait. Elle était
vraiment fatiguée, mais elle espérait également en apprendre un peu plus sur son compagnon ce soir. Elle n'avait pas vraiment de raison de faire ça, et pourtant sa curiosité la poussait à rester éveillée. La comtesse fit donc de son mieux pour garder les deux yeux ouverts.
-Il me faut quelque chose d'assez fort pour oublier cette soirée...dit-elle à l'adresse du barman. Je vais prendre un vin chaud.
-Je crois que c'est ce que je vais faire aussi.
Leonard hocha de la tête, puis claqua des mains. Un Melokrik les rejoignit depuis le fond de la pièce et se chargea de remplir leurs verres. Pendant son service, la musique s'était arrêtée, ce qui fit penser à Belinda que le pokémon était probablement a l'origine des airs de violons.
Elle jeta un regard effrayé à son verre, peu rassurée d'être servie par un insecte géant.
-M...Merci...
-Naturellement, je vous offre la chambre mais je vous demanderai de payer les consommations, s'empressa d'ajouter leur hôte.
-Bien sûr, bien sûr...répondit Edward avec un sourire agacé.
Belinda le vit plonger une main dans les poches de son costume...sans succès. L'avocat fit la grimace.
-Je crois que j'ai tout perdu en tombant dans le fleuve.
-C'est ce qui arrive quand on ne prête pas attention à ses possessions ! répliqua la comtesse.
Le barman leur adressa à tous deux un regard réprobateur.
-Pas d'argent, pas de boisson. Tu as déjà plusieurs dettes envers moi, Edward Cohen.
-Voyons, je suis sûr de t'avoir remboursé lors de mon dernier passage...
-Je n'oublie jamais.
-Tu es sûr ?
-Sûr.
Quelques secondes de silence s'écoulèrent.
-...Mais j'ai soif ! scanda Edward. Ecoutez Bel...Vous ne pouvez pas me dépanner, là ?
-Pardon ? Mais je croyais que vous paierez pour moi, comme le font tous les gentilshommes ! Vous vous doutez bien que je n'ai pas le moindre sou non plus !
-Oh enfin, vous pourriez mettre nos consommations sur le compte des Roseraie et on en parle plus ! dit-il en levant les yeux aux ciels.
-Je refuse d'avoir la moindre dette en ces lieux ! Personne ne doit savoir que je me suis rendue dans ce... type d'établissement en votre présence !
Quand il s'agissait de l'honneur de son nom, Belinda était intraitable. Elle vida son verre sans la moindre gêne, puis se tourna vers Leonardo avec grâce.
-Il doit bien y avoir un moyen de racheter l'erreur de Mr.Cohen ?
Le patron se gratta la barbe en réfléchissant.
-Et bien...Si vous acceptiez de travailler pour moi, peut-être.
-En voilà une bonne idée ! De quoi s'agit-il ?
-Oh, de chorégraphies, des choses réservées aux femmes...Les clients aiment bien avoir quelques animations. Quelques...danses...entre autre, si vous voyez ce que je veux dire...
-Bien sûr, je danse comme toute personne de mon rang. J'ai déjà participé à plusieurs ballets et...
-Belinda, il parle d'un type de chorégraphie plus dénudé, coupa Edward.
Elle sentit soudain son visage tourner au rouge.
-Co...Comment osez-vous demander que je me dévergonde pour des pervers assoiffés ?! s'indigna-t-elle. Je ferais ce que vous m'ordonnerez dans la mesure où cela respecte mon intégrité physique et morale, mais rien de plus !
Et c'est ainsi qu'elle se retrouva à servir les clients pendant qu'Edward était de corvée de nettoyage au comptoir. Inutile de dire que ce dernier avait protesté en disant qu'il « préférait la solution précédente », mais la comtesse s'était montrée plus inflexible que jamais.
Maintenant, elle se demandait si ce qu'elle était en train de faire ne revenait pas un peu au même. Certes elle n'était pas obligée de jouer les strip-teaseuses pour un tas d'ivrognes, mais ça n'empêchait pas ces derniers de siffler à chacun de ses passages et à la vue de sa tenue très légère que lui avait prêtée Leo.
Le barman lui avait refilé une sorte de costume de soubrette, sous prétexte que ses vêtements étaient trempés. Au départ Belinda avait accepté avec joie, avant de voir les habits en question...
Elle passa rapidement entre les tables en ne s'attardant pas plus de quelques secondes entre les clients, puis revint vers le comptoir. La fatigue commençait à se faire sentir de nouveau, et elle se doutait qu'elle ne tiendrait plus bien longtemps.
Cependant, lorsque Belinda se présenta à nouveau au comptoir, Leonard et Edward étaient déjà très occupés, apparemment plongés dans une grande discussion. Elle en déduisit que son travail était fini, vu le peu d'attention qu'ils lui accordèrent. Avec un soupir, elle déposa son plateau et s'approcha pour mieux entendre. Son esprit était encore embrumé par la fatigue et l'alcool, mais elle réussit quand même à suivre.
-...J'avais tout planifié avec Virgil la veille, expliquait Edward à Leonardo. Ça n'avait rien de compliqué. L'affaire aurait dû bien se passer.
Belinda plissa les yeux à l'évocation de Virgil. L'avocat n'avait pas l'air de s'être rendu compte de sa présence. Trop curieuse pour se manifester maintenant, elle tourna le dos aux deux hommes et fit mine de nettoyer un plateau.
-...Mais ça ne s'est pas déroulé comme prévu, n'est-ce pas ? pressa le tavernier.
-Virgil est mort, Leo.
Un silence s'ensuivit. Belinda ne pouvait pas voir la réaction de l'homme à cette nouvelle, mais elle l'imaginait parfaitement sous le choc.
-Pourtant c'était toi qui prenais tous les risques ! Ne me dit pas que Virgil a été démasqué ?!
-Ne dit pas de bêtise ! fit la voix d'Edward. Virgil a toujours été discret. De plus, la comtesse lui faisait entièrement confiance...Je pense même qu'il avait un faible pour elle.
Elle serra le plateau contre elle, le cœur battant. Sérac...elle aurait souhaité passer plus de temps à le connaître. Il avait toujours était de si bon conseil...
La voix de Leonardo coupa ses pensées.
-...Alors comment ? Comment est-il mort ?!
-Au moment du vol, répondit l'autre homme. Tout allait très bien jusqu'à ce qu'il me donne le signal. La conférence avait démarré, j'étais prêt à entrer avec mes pokémon.
Au moment du vol...se répéta Belinda.
Elle savait. Elle savait de quoi Edward allait parler. Depuis le début, elle savait que ses soupçons étaient fondés. Et pourtant, elle avait continué de jouer les idiotes, sans poser de question. Comme si à un moment, son compagnon allait enfin se décider tout mettre au clair.
...S'il lui avait avoué, comment aurait-elle réagit ? L'aurait-elle dénoncé ?
Belinda ne se sentait pas capable de répondre à cette question. Elle était obligée d'écouter la suite.
-Lorsqu'ils ont dévoilé la Déesse Chantante, je suis intervenu, poursuivit Edward. Mon Hypocéan a plongé la pièce dans le noir et je suis descendu m'emparer du tableau. On n'aurait pas pu distinguer un visage dans le brouillard. Evidemment, j'ai réussi à m'enfuir avec le butin...mais c'est pendant ce laps de temps que Virgil est mort.
-Att', Attend là, Ed ! Tu veux dire qu'au moment où il est mort...
-Oui. Personne n'a pu voir le visage du meurtrier.
La voix de l'avocat était ferme.
-Et la Déesse Chantante ? Où est-elle ?
-Je l'ai toujours. Cachée, quelque part non loin du cabinet. Tu te doutes bien que je ne peux pas te dire précisément où.
-Oui, je me doute, dit Leonardo. Mais ça n'explique toujours pas les raisons de ta visite. Pourquoi la comtesse est avec toi ? Et pourquoi dois-tu te cacher ?
-Je vais y venir. Ecoute, la comtesse ne sait pas que c'est moi qui est volé le tableau, alors...
Belinda en avait suffisamment entendu. Maintenant, toutes ses hypothèses étaient fondées. Pourtant, elle sentait toujours un profond sentiment d'insatisfaction, logé au creux de sa poitrine.
Elle posa délibérément le plateau qu'elle nettoyait de manière plus qu'audible sur le comptoir. Cette fois, les deux hommes se retournèrent. Son regard croisa celui d'Edward, et elle lut dans ses yeux une crainte qui n'était pas infondée.
-J'en ai eu assez pour ce soir, dit-elle froidement. Je vais me coucher.
-Belinda, je...
Elle passa devant l'avocat sans lui accorder un regard. Puis une fois arrivée au niveau de l'escalier en bois, elle monta les marches quatre à quatre jusqu'à la chambre qu'on lui avait attribuée.
Une fois à en sécurité à l'intérieur, elle arriverait peut-être à faire la paix avec ses émotions.
Edward fixait l'escalier avec intensité, comme s'il s'attendait à ce que Belinda réapparaisse d'un moment à l'autre. Après quelques secondes de silence, il devint évident qu'elle n'avait manifestement pas l'intention de redescendre.
-Tu crois qu'elle a entendu ? demanda-t-il sans grand espoir à l'autre homme.
-'Semblerait.
Il éclata de rire devant l'air grave de l'avocat.
-Tu t'es mis dans un sacré pétrin, Cohen ! Si j'étais toi j'irais m'expliquer. Il ne faut pas faire attendre les femmes.
-Je ne suis pas sûr qu'elle m'ouvre la porte...
Le tavernier le réconforta à coup de grandes claques dans le dos.
-Haha ! C'est quoi cette attitude défaitiste ?! C'est la première fois que je te vois aussi inquiet au sujet d'une femme !
-Belinda n'est pas vraiment comme les autres femmes...marmonna-t-il.
Son regard se posa à nouveau sur l'escalier d'où elle venait de disparaître. Il se dit qu'il valait mieux y aller maintenant. De toute façon il ne pouvait rien changer à ce qu'elle avait entendu.
Réticent, il monta les marches accompagné du rire moqueur de Leo.
-Allez ! Bonne chance, Ed !
Ce dernier acquiesça. Puis, il s'interrompit au milieu de sa montée.
-...Un instant, Leo.
-Ouais ?
-Plus important que retrouver Belinda...Il y a quelque chose que je voulais te demander.
A cause de sa profession, Leonardo avait été en contact avec beaucoup de monde au cours de sa carrière, et lui seul connaissait les plus sombres secrets de Florincia. Edward avait le sentiment que s'il ne lui demandait pas son avis maintenant, il n'aurait pas d'autre occasion.
-Tu as déjà entendu parler des « Trois Déesses » ?
L'autre homme se gratta la barbe en réfléchissant.
-Pas vraiment...Pourquoi cette question ?
-Ce serait assez long à raconter. Contente-toi de répondre, s'il te plaît.
-Oooh, toi tu me devras encore des explications un de ces soirs ! Enfin, puisque tu le demandes si ardemment...Ça ne me dit pas grand-chose. Je crois que j'ai déjà entendu le nom quelque part. Un conte pour enfant, sûrement. Mais tu sais, ma mémoire me joue parfois des tours.
Edward eut un sourire en coin, malgré cette réponse peu précise.
-Je sais, Leo. Je sais.
Et il lui tourna le dos pour rejoindre Belinda.
Lorsqu'il atteignit le premier étage, Edward entendit un air raisonner dans le couloir. En remontant l'origine du bruit, il s'aperçut que la mélodie venait de sa chambre. L'avocat ouvrit la porte en silence.
http://www.youtube.com/watch?v=GwS-48nIVDc&feature=relmfuLa manière dont il fut accueilli n'était pas vraiment celle à laquelle il s'attendait. Belinda était assise au fond de la pièce, devant une fenêtre entrouverte où la pluie martelait les carreaux. Elle chantait une mélodie dont les paroles étaient englouties par les gouttes.
C'était une chanson douce, qu'elle entonnait à la perfection. L'émotion qu'elle y mettait lui suggérait que ce n'était pas une simple mélodie, mais plutôt un air qu'elle connaissait depuis des années, et qu'elle devait chanter régulièrement.
Avec une voix pareille, Edward s'étonna qu'elle soit comtesse et pas diva. C'était peut-être à cause de son caractère qu'elle s'était engagée sur la voie du commerce à l'instar de l'opéra, se dit-il, car elle avait du talent dans ces deux domaines.
Il ne pouvait se résoudre à l'interrompre. Il avait conscience qu'elle allait s'apercevoir de sa présence, mais il trouvait le moment trop fragile pour être brisé. C'était la dernière chose à laquelle il s'était attendu en entrant dans leur chambre.
Peu enclin à parler, l'avocat s'assit sur le lit. Il pensait qu'en la laissant chanter ainsi, Belinda serait plus apaisée par la suite, mais elle mit d'elle-même un terme à sa mélodie.
La comtesse ne parla pas pour autant. Edward comprit qu'elle attendait sans doute une forme d'explication.
-La chambre...euh...vous plaît ? dit-il d'un ton innocent. Je sais que ce n'est pas très luxueux.
Ses yeux semblaient perdus dans les nuages gris, hauts dans le ciel nocturne. Elle répondit d'une voix calme, après avoir balayé la pièce d'un air épuisé.
-C'est...c'est suffisant, répondit-elle en penchant la tête. Je m'étais attendue à mieux, mais c'est suffisant. Vous savez, Edward...Je crois que je n'avais pas réalisé les privilèges, le confort que j'avais...avant de ne plus pouvoir en bénéficier.
Elle accompagna ses paroles d'un regard vers ses vêtements trempes, entreposés sur une chaise. De son côté, Edward hocha prudemment de la tête. Il s'était préparé à une réponse bien pire.
La Belinda qu'il voyait là était plus fragile que celle qu'il croyait connaître. « Connaître » était sans doute un terme un peu fort pour quelqu'un qu'il fréquentait depuis si peu de temps, cependant il s'était passé tellement de chose qu'il avait l'impression de l'avoir observé pendant une éternité.
Ce soir, elle avait l'air fatiguée et particulièrement abattue.
-Belinda, je voulais vous dire que...
-Je vais jouer franc-jeu, l'interrompit-elle.
L'avocat eut un mouvement de surprise.
-Je...je sais que c'est vous que j'ai vue à la galerie, ce jour-là, avoua-t-elle d'une voix calme. Je sais que c'est vous qui avez volé la Déesse Chantante, et je sais que Janus vous a aidé à le faire. Je sais également que ce n'est pas la première œuvre d'art que vous volez, et que vous m'avez caché toutes ces informations car vous aviez peur que je vous dénonce pour vos actes. Je sais aussi que vous tenez réellement à découvrir pourquoi Janus est mort lors de votre mise en scène. Que vous n'y êtes pour rien si on l'a tué à ce moment-là... Et enfin, que vous m'avez sincèrement proposé votre aide.
Malgré le regard perçant de la comtesse, Edward poussa un soupir de soulagement.
-Alors vous savez déjà presque tout...Quand vous en êtes-vous rendu compte ?
-Ce n'est pas une tout à fait une question de « quand », expliqua Belinda. Un instinct féminin. Et un peu de bon sens. Je suis peut-être moins à l'aise hors de mon manoir que vous ne l'êtes hors de votre cabinet, mais je ne suis pas bête... Qui pourrait ne pas faire le lien entre « le mystérieux contact de Janus » et vous ? Si vous n'étiez pas le contact en question comment pourriez-vous connaître son...soit disant « véritable nom » et ses plans pour dérober la Déesse Chantante ?
L'avocat scruta le rideau de pluie au-dehors pour éviter de croiser son regard.
-J'ai été bête de penser que vous ne saviez pas.
-Effectivement.
-Alors qu'allez-vous faire ? Me dénoncer pour mes crimes ?
-Pardon ? s'étonna Belinda. Bien sûr que non !
-H...Hein ?
Elle se leva de sa chaise.
-Je vous ai dit que je m'en doutais depuis le début. Si j'avais vraiment eu envie de vous faire payer pour le vol de la Déesse Chantante, croyez-vous que je vous aurais laissé sortir de votre cellule ?
-A ce moment-là, vous étiez prête à le faire... lâcha-t-il en espérant que ça ne la fasse pas changer d'avis pour autant.
-Mais j'ai décidé de croire en vous. Et Belinda Roseraie ne revient pas sur ses décisions.
-Alors vous ne croyez pas non plus que je suis celui qui a tué Janus ?
-Non, je ne crois pas que vous soyez un meurtrier.
Il soupira à nouveau de soulagement. Edward savait qu'elle disait la vérité, pourtant il la sentait toujours tendue à propos de quelque chose. Belinda était calme, mais elle restait distante.
-A ce propos, j'ai discuté avec Leo, poursuivit l'avocat. Il m'a dit que les Trois Déesses lui évoquaient un conte pour enfant. Vous avez une idée à ce sujet ?
Elle sembla fouiller dans les recoins de sa mémoire.
-Je...Je ne sais pas. Mais...ça n'a pas d'importance.
-Comment ça ?
Il la vit se raidir.
-Parce que...j'ai pris une décision, dit-elle lentement. Je ne veux plus enquêter sur le meurtre de Janus.
Edward mit quelques secondes à encaisser la nouvelle. Après leur longue discussion, il avait tout espéré sauf ça.
-Enfin...Pourquoi ?
-Parce que je pensais que nous nous faisions confiance ! Je me doutais depuis le début de votre implication dans le vol de la Déesse et le meurtre de Janus...mais j'aurais préféré que ce soit vous qui décidiez de me dire la vérité. Pas que je l'apprenne en surprenant votre conversation avec un tavernier presque mieux informé que moi. Comment voulez-vous que nous découvrions la vérité, si vous ne me racontez pas tout ce que vous savez ? Si vous ne me mettez au courant de rien ?
-Belinda, vous n'allez tout de même pas abandonner pour ça ! protesta-t-il.
-Oh, si vous trouvez la réponse à notre énigme je serais ravie de l'entendre, dit-elle. Mais si vous n'avez rien d'autre à faire qui nécessite ma présence, alors il vaut mieux ne plus jamais nous revoir. Je...je ne suis tout simplement pas faite pour vos méthodes.
Et ses explications lui tombèrent comme un bloc dans l'estomac. Elle avait parlé avec calme, sans aucun ressentiment, pourtant cela lui porta un choc sur le moral. Il avait envie de la contredire, de la convaincre de continuer à collaborer, cependant il ne trouvait aucune raison de la forcer à l'accompagner.
-Et à propos de la police ? demanda l'avocat. Comment comptez-vous leur échapper ?
Elle parut rassembler toutes ses dernières forces pour lâcher sa réponse :
-Ce ne sont plus mes affaires. Je ne vous trahirai pas si c'est ce qui vous inquiète.
Tandis que la comtesse se dirigeait maintenant vers leur lit, Edward était encore en train de réaliser sa décision.
-Eh bien...Belinda...Sachez tout de même que si vous avez besoin d'un avocat, vous pourrez toujours passer me voir.
-J'apprécie, dit-elle. Vous pouvez vous bouger maintenant ?
Il regarda autour de lui.
-Pardon ?
-Bougez du lit ! insista Belinda sur un ton agacé. Ce n'est pas parce qu'il n'y en a qu'un dans cette chambre que ça implique que je vais dormir avec vous !
-Vous plaisantez ? Et où voulez-vous que je dorme ?!
-N'importe où mais pas là. Le jour n'est pas encore venu où je partagerai mon lit avec le premier inconnu !
Et Edward ne sut pas comment, mais elle réussit à faire en sorte qu'il se retrouve à dormir par terre, pendant qu'elle profitait pleinement du lit et des couettes.
La Belinda fragile a laissé place à la Belinda insupportable, maugréa-t-il intérieurement.
Cette dernière se retourna sur son matelas.
-Ce n'est que justice, expliqua-t-elle, je n'ai pas pu fermer l'œil dans la cellule hier soir.
Finalement, ce n'était peut-être pas une mauvaise chose de mettre fin à leur entente.
Fin du Septième Chapitre.