Deuxième Chapitre : Les Deux font la Symphonie.
Les meurtres à Florincia sont des affaires graves. Non seulement pour la peine des proches de la victime, mais aussi pour les enjeux politiques qui peuvent en découler. Et parfois, les deux facteurs s'entremêlent, ce qui rend la mort encore plus insupportable pour les vivants...
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Belinda fixait le corps sans vie, désemparée. Passé le choc de voir le cadavre, la comtesse réalisait à quel point elle se sentait nue, sans le soutien de son unique allié. Lui qui s'était tenu à côté d'elle quelques secondes plus tôt, droit et optimiste...
Elle descendit de l'estrade pour se pencher vers lui. Personne ne l'empêcha de toucher le corps. En dehors des deux membres de la sécurité, tout le monde était trop scandalisé pour oser réagir. Une pensée lui traversa l'esprit, que la foule s'inquiétait peut-être plus pour le tableau volé que pour le cadavre de son ami. Mais désormais, elle se moquait complètement des invités.
-Sérac...murmura-t-elle en serrant son corps.
Soudain, la comtesse se demanda pourquoi il était mort. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il avait perdu la vie lorsque la pièce avait été plongée dans le noir. Ni que son meurtrier était la même personne à avoir volé le tableau.
Un frisson parcourut son échine.
...Et si le meurtrier était encore là ?
-Mlle.Roseraie...lâchez-le s'il vous plaît. Nous avons déjà suffisamment d'ennuis comme ça. La police va arriver d'une minute à l'autre...Ils sauront quoi faire.
Elle releva la tête vers le visage du gouverneur. Il avait l'air tout aussi choqué qu'elle à en juger par ses traits, même s'il avait regagné son calme bien plus vite.
-Tout était noir et...J'ai...J'ai entendu son corps...J'étais à côté de lui quand il est mort...
-Je sais, et votre témoignage sera important, répondit doucement le gouverneur. Mais pour l'instant, il faut que vous rassembliez vos esprits, Mlle.Roseraie. Pensez aux invités, qui sont aussi scandalisé que vous !
Belinda se retint de lui dire ce qu'elle pensait des invités, qui se souciaient probablement peu du sort d'un homme qu'ils ne connaissaient pas.
Non, ils avaient peur, pensa-t-elle. Si les gardes empêchaient quiconque de sortir de la pièce, le calme ne reviendrait que lorsque la police serait sur les lieux.
Soupirant, elle vit Lyrica la rejoindre à grand pas, épouvantée.
-Madame, vous n'avez rien ?!
-Ca ira, Lyrica. Ce n'est pas moi qu'on visait.
-Je peux appeler mon Leveinard si...
-Je vous ai dit que ça allait !
Le ton qu'avait pris la comtesse fit taire toute protestation. Lyrica ne méritait pas qu'on lui crie dessus pour sa prévenance, mais elle parut comprendre le trouble intérieur que vivait sa maîtresse.
Damian les rejoignit peu après, il resta cependant silencieux. Sans doute avait-il vu l'altercation, et ne cherchait pas à se trouver des ennuis alors qu'il venait tout juste d'être engagé par la maison.
Agacée par ses serviteurs collants, Belinda s'écarta d'eux peu à peu, pour leur faire comprendre subtilement qu'elle avait besoin d'être seule.
La police n'arriva qu'une heure après. Derrière ses airs « la cavalerie arrive » et le nombre impressionnant d'hommes qu'elle s'était forcée à déployer, les forces de l'ordre n'avaient manifestement aucun vrai résultat à l'appui.
Mais elle devait savoir, aussi la comtesse se convainc d'aller parler à un des agents. La mode de l'époque voulait qu'ils portent des chapeaux grotesques et des fourreaux pour leur pokéball, ce qui les rendait immanquables lorsqu'ils patrouillent dans les rues.
Belinda trouvait ce choix vestimentaires très discutable, mais elle dut faire abstraction de cette pensée.
-...Excusez-moi ?
L'agent ne prit même pas la peine de se tourner vers elle. Il analysait une sorte de substance collée au sol près du corps, visiblement sans succès.
-Vous êtes un témoin ? Vous aussi vous voulez savoir si vous pouvez partir ?
-Oui et non.
-Comment ça, oui et non ? fit l'agent sur le même ton.
-Et bien « oui », je suis un témoin –d'ailleurs je suis scandalisée qu'on ne m'ait toujours pas interrogée-, et « non », je ne suis pas là pour savoir si je peux partir, répliqua la comtesse avec agacement.
Elle n'était pas tombée sur le plus fin, pensa-t-elle. En tout cas, il semblait trop occupé pour s'offusquer du ton sur lequel on lui parlait.
-Tant mieux. De toute façon, les invités n'ont pas attendu qu'on leur donne l'autorisation pour partir.
-Et c'est censé me rassurer ?
-Bah vous savez, dès le moment où y'en a un qui réussit à partir...
« C'est du sérieux », remarqua-t-elle. Belinda s'apprêtait à poser d'autres questions, lorsqu'un homme –légèrement mieux habillé que les autres-, les interrompit.
-Je peux savoir ce que vous faites ici ? dit-il sur un ton menaçant.
-Je m'appelle Belinda Roseraie, et je suis une amie de la victime.
-Ca me fait une belle jambe. Moi je suis Ricardo, et je suis inspecteur. Alors déguerpissez, on a pas besoin d'avoir d'autres personnes dans les pattes. La police ne vous a pas semblé assez occupée ?
Pas tellement non, se dit-elle. Mais ce Ricardo n'avait pas l'air d'être le genre qui pourrait lui dire quoi que ce soit, ou plutôt qui voudrait. Et pour la peine, Belinda se dit qu'elle se passerait de témoigner. De toute manière, la police n'avait pas l'air bien avancée.
En revanche, elle savait désormais que les subordonnés de l'inspecteur seraient des cibles faciles. Ils n'avaient pas l'air d'être très préoccupés par le secret professionnel, à en juger l'attitude du premier.
Elle s'approcha donc du premier policier à part de son groupe. Il était en train de nettoyer un endroit poussiéreux, avec des ustensiles qui faisaient très scientifiques sans pour autant être efficaces.
Inutile d'y aller par quatre chemins.
-Alors, quels sont les résultats de l'analyse ? demanda-t-elle nonchalamment.
-Il n'y en a pas, nous venons d'arriver.
-Mais vous devez bien avoir une idée du coupable, ou de comment il a fait, non... ?
L'agent continuait à épousseter son coin sans lui prêter attention. Ils les recrutaient tous comme ça ? se demanda Belinda.
-On sait que le coupable est passé par le toit, dit finalement l'homme. D'ailleurs, la corde qu'il a utilisée est faite de toile, et c'est une morsure qui a tué la victime. A mon avis, s'lié.
-Vous voulez dire que c'est un pokémon insecte qui a tué Sérac ?
-Sérac ? ...Hé ! Mais vous êtes pas de la police vous ! Vous êtes un civil ! Qu'est-ce que vous faites, là ?!
La comtesse leva les yeux au ciel, consternée.
Mais ce ne fut que lorsque l'inspecteur Ricardo revint vers elle en grommelant, que Belinda comprit qu'elle n'était plus la bienvenue dans sa galerie.
C'est donc à contrecœur qu'elle sortit des lieux, pour retrouver les rues animées de Florincia. Une fois dehors, elle retrouva ses deux serviteurs et leur ordonna d'appeler un coche. Le plus vite elle serait rentrée chez elle, le mieux elle se sentirait.
Belinda croisa les bras sur tout le chemin du retour, plongée dans ses hypothèses.
A présent, elle n'aurait pas d'autre d'information. Inutile de compter sur les autres policiers pour lui en apprendre plus. Enfin au moins, elle avait un début de piste. Si seulement la police avait retenue les invités ! Ils auraient au moins pu identifier ceux qui portaient un pokémon insecte. Mais comme l'inspecteur ne l'avait pas fait, cette unique piste venait de s'envoler.
Tout à coup, Belinda se demanda si elle ne saurait jamais le fin mot de l'histoire. En comptant sur la police, sûrement pas. Il lui faudrait se fier à elle-même.
Elle n'avait rien d'une enquêtrice hors pair. Et pourtant, son instinct lui disait qu'il fallait qu'elle revienne sur cette histoire. Si tout le monde se préoccupait du tableau, Belinda devait savoir ce qui était arrivé à Sérac.
Pourquoi l'avoir tué lui, et pas les autres ?
Les Escolda avaient-ils une quelconque implication dans cette affaire ?
Et même si la police trouvait finalement quelque chose, Ricardo la laisserait-elle en être informée ?
Il fallait qu'elle trouve toutes ces réponses par elle-même.
-Madame ? fit la voix de Lyrica. Nous sommes presque arrivés, et vous avez l'air...vide. Voulez-vous que je vous prépare quelque chose à notre retour ?
-Non. ...Oh, attendez, se reprit-elle. Je voudrais quelque chose de vivifiant.
-Pardon ? Je m'attendais à ce que vous me demandiez du thé.
Belinda secoua la tête, sans relever les contestations de sa servante. Pour une fois, elle appréciait la proposition de Lyrica.
-Je veux quelque chose de fort.
-Je comprends. Excusez mon indiscrétion, je vous préparerai de quoi vous aider à encaisser le choc...Je suis désolée, Madame.
Elle se rendit compte que cette fois, Lyrica ne lui parlait pas en tant que subordonnée, mais en tant qu'amie. Cette marque d'affection lui fit un peu de bien. Peut-être qu'elle devrait se montrer plus tolérante envers sa servante à l'avenir...
-Ce n'est pas ça, Lyrica. Ce soir, je retourne à la galerie.
L'autre retint difficilement sa surprise.
Ce n'était pas la première fois que Belinda se montrait entêtée.
D'habitude, la comtesse préférait rester dans son manoir, d'où elle faisait les négociations et invitait des artistes. Ca ne lui ressemblait pas de sortir, et surtout pas en pleine nuit, seule, et dans un lieu potentiellement dangereux.
Pourtant, elle était décidée.
Le soir même, Belinda se retrouvait à nouveau devant les portes du bâtiment. Il était très tard, probablement minuit, et seuls quelques ivrognes déambulaient encore dans les rues. Par précaution, elle était venue sans personne d'autre que ses pokémon. La visite de ce soir n'aurait rien d'officielle.
A l'intérieur du hall, il faisait nuit noire. La police avait établie un périmètre autour de la scène de crime, mais il n'y avait personne de garde à cette heure-ci. Ils pensaient peut-être que la scène de crime n'avait plus rien à leur apporter ou que l'affaire était déjà classée. Cette pensée ne fit que renforcer la détermination de la comtesse.
Tout en se frayant un chemin jusqu'à l'estrade, Belinda remarquait avec épouvante à quel point on avait lésiné sur la sécurité. Elle commençait à regretter d'être venue en pleine nuit, alors qu'elle serait une cible facile dans l'obscurité.
Au moment où Belinda se dit qu'elle ne rencontrerait de toute manière personne, elle aperçut une silhouette se mouvoir dans la pénombre. D'instinct, elle plaqua une main contre sa bouche pour s'empêcher de crier.
-P...Personne ne devrait être ici ! C'est encore ma galerie, que je sache ! s'indigna-t-elle.
Elle s'imagina soudain que la silhouette l'avait entendue. La mystérieuse ombre se dirigeait vers le même endroit qu'elle...
-...L'estrade !
Oubliant toute discrétion, Belinda sortit de sa cachette.
-Chacripan ! Donne-lui la chasse ! cria-t-elle.
Cette fois, son cri raisonna dans toute la pièce. La comtesse s'imagina sans peine la panique de l'ombre, qui prit une toute autre direction que celle où il se dirigeait au départ.
-Il s'enfuit vers les antiquités ! Chacripan, avec moi ! Rondoudou, tu prends la direction du hall des sculptures !
D'un geste, elle libéra son second pokémon, puis s'enfonça dans un autre couloir avec le félin nocturne.
Le moindre pas de course lui en coûtait. Belinda n'avait pas pensé qu'elle devrait courir, et sa robe obstruait la plupart de ses mouvements. Heureusement que son Chacripan était là pour la guider, sinon elle aurait déjà laissée la silhouette lui échapper.
Elle vit l'ombre tourner à l'angle du couloir.
-Parfait ! Comme prévu, ce voyou va vers Rondoudou ! Je vais pouvoir lui donner un avant-goût des risques qu'il prend en pénétrant sur MA propriété !
Malgré tout, elle dut poser une main contre le mur pour reprendre son souffle. Son adversaire courrait plus vite qu'elle ne le croyait. Et si elle fonçait droit au danger ?
Belinda secoua la tête pour chasser cette pensée de son esprit. Elle pensait avoir affaire à de la racaille, mais il pouvait également s'agir d'une piste sur le vol du tableau et le meurtre de Sérac.
En considérant qu'elle mettait sa vie en danger pour venger celle d'une autre, la comtesse se sentit plus rassurée. Elle avait beau avoir peur, ce serait pire que d'affronter des regrets si elle abandonnait.
-Il est fait, souffla-t-elle à son Chacripan.
D'une traite, Belinda s'engagea dans le hall des sculptures.
-Arrêtez-vous ! Plus un geste, où mon pokémon attaque ! prévint-elle.
Soudain, elle se rendit compte que la silhouette s'était déjà arrêtée. C'était un homme calme, bien habillé, et debout juste devant son Rondoudou.
-Maintenant, fit Belinda tendue, vous allez répondre à mes questions, ou je lui ordonne de vous endormir. Et croyez moi que le réveil ne sera pas tendre ! Je veux savoir pourquoi...
-C'est inutile, la coupa-t-il.
L'homme se retourna. Belinda se figea d'horreur, en reconnaissant la stature de l'inconnu.
-Vous savez aussi bien que moi qu'une attaque berceuse nous endormirait tout les deux.
-Vous...Vous êtes l'homme qui a tué Sérac ! trembla la comtesse.
-Pardon ? Désolé, je ne connais aucun Sérac, répondit-il confiant.
Elle pouvait jurer que c'était lui, avec ce sourire arrogant et ses airs de confiance absolue. Elle reconnaissait sa silhouette. C'était l'homme qu'elle avait vu dans la pénombre, juste avant que le tableau ne soit volé et que Sérac soit retrouvé mort !
-Chacripan, attaque... !
-Ponchiot, charge !
Un pokémon sortit immédiatement de derrière une statue, pour renverser son Chacripan et le plaquer contre terre. Puis, il le libéra lentement.
-Je ne ferais pas ça si j'étais vous.
Le félin crachait dans son dos.
Belinda réalisa qu'elle avait à faire un quelqu'un de plus expérimenté qu'elle. Mais elle était décidée à ne rien laisser transparaître. Un Ponchiot n'était pas suffisant pour l'effrayer.
L'inconnu l'observait de la tête aux pieds. L'obscurité ne semblait pas lui poser de problème.
-Vous devez être Belinda Roseraie, la comtesse. Un très bon goût pour les robes, mais terriblement désopilant pour tout le reste...
Elle essaya de ne pas relever son ton sarcastique. Inutile d'entrer dans son jeu !
-Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous ici ? Et quel est votre nom ?
-Je refuse de décliner mon identité, dit posément l'homme. Vous avez un badge de police ?
-Je suis comtesse !
-Ce qui est un titre acheté ou hérité de naissance, en aucun cas une preuve de votre habileté à me soutirer des informations. Avoir inauguré cette galerie ne vous donne pas plus le droit qu'à moi d'être ici. Pourquoi les questions n'iraient-elles que dans un seul sens ?
Belinda appuya lentement ses mots pour les imprimer de tout son dédain envers cet homme.
-Parce que vous êtes piégé, cracha-t-elle.
-Oh, voyons ! Si j'avais vraiment voulu m'enfuir, j'aurais commencé par jeter mes pokémon sur vous, pouffa-t-il.
-Vous vous croyez drôle ? Je sais que vous bluffez. Je ne peux pas croire un tueur !
-Par pitié, cessez avec ces fausses accusations...
-Co...Comment pouvez-vous continuer à nier la vérité ?! Vous êtes même revenu ici pour confirmer votre crime !
De son côté, il fit semblant de ne pas l'entendre. Puis, il mit une main dans sa poche, et mima la forme d'un pistolet. Il sortit alors sa main, et la pointa vers la comtesse.
-...Bang !
-A...A quoi vous jouez ? marmonna Belinda, déconcertée.
-Si j'étais un tueur, vous seriez morte, conclut-il logiquement.
-Ce n'était pas un pistolet.
-Ça aurait pu.
L'inconnu se retourna, fit deux pas en arrière, puis fit volte-face à nouveau. Cette fois, il avait l'air intrigué.
-En revanche, vous avez parlé d'un crime ici.
-Vous voulez dire que vous ne l'avez pas commis ?
-Bien sûr que non. Si j'avais tué quelqu'un ici, je ne serais pas assez stupide pour revenir.
Belinda se détendit quelque peu. Même si elle restait méfiante, il lui était impossible de poursuivre cette conversation plus loin en restant braquée contre l'inconnu.
-Sérac était un ami. Je veux savoir pourquoi il est mort.
L'autre plissa les yeux.
-Sérac... ? Vous devez vouloir parler de Virgil.
-Je ne connais aucun Virgil. Vous ne savez même pas qui est mort ici ?
Sa méfiance revint peu à peu. A quoi jouait-il ? Est-ce que quelque chose était en train de lui échapper ? Belinda dut se concentrer pour ne pas montrer son trouble.
-C'est drôle, répondit l'homme. Au début, je croyais que vous seriez peut-être celle à l'avoir tué. Mais on dirait que quelqu'un d'autre est sur l'affaire.
-Moi ?! Comment pourrais-je tuer Sérac ? Pour quelle raison ?!
La comtesse fronça les sourcils.
-Quel était votre relation avec lui ?
-Je refuse de le dire. Vous n'êtes manifestement pas au courant.
Elle s'apprêtait à protester, quand des bruits de pas attirèrent son attention. Y avait-il plus d'un rodeur ici ?
Le cœur battant, elle aurait voulu se cacher, mais elle ne savait toujours pas ce que l'homme en face d'elle était venu faire ici. S'il attendait un complice ? Devait-elle fuir ?
Finalement, Belinda n'eut pas le temps de se poser ces questions.
Elle vit un Arcanin, puis l'inspecteur Ricardo traverser le hall dans leur direction. Au début, elle allait pousser un soupir de soulagement, jusqu'à ce qu'il dise :
-Je suis l'inspecteur Ricardo, de la police de Florincia. Je vous arrête tous les deux pour homicide volontaire.
Fin du Deuxième Chapitre.