Chapitre 3 : Le Maître Pokémon
Chapitre 3 : Le Maître Pokémon
Comme son travail à la pension l'épuisait, le vieux Nann aimait se prendre un peu de temps pour lui, à se prélasser au soleil. D'ordinaire, il avait pour habitude de s'installer dans un confortable fauteuil protégé par l'envergure d'un parasol Héliatronc et de simplement laisser passer les heures, à ne rien faire. Son jardin, en été, était vraiment parfait pour ce genre d'activité. En marge du centre-ville et loin de la pollution sonore de la circulation, il n'y avait de place que pour les gais piaillements des Roucools et le doux souffle de la brise sur les épais feuillages des arbres. En outre, de toute la ville de Jadielle, l'habitation la plus représentative était bien la Pension de Nann. En effet, il y a des années de cela, la ville était connue pour sa végétation luxuriante, pour cet épais feuillage vert qui donnait à toute la ville un éclat de Jade. A présent, l'urbanisation avait pris pas sur le charme bucolique de Jadielle, les routes se faisaient de plus en plus nombreuses et de plus en plus larges, ne laissant de place que pour les voitures et les camions. A présent, on pouvait considérer la Pension au même titre que la Forêt de Jade comme l'antique survivante d'une civilisation vieille de près d'un siècle.
Mais ce jour-ci. Au lieu de contempler le magnifique jardin de sa propriété, au lieu de regarder jouer Arthur avec les Pokémons de la pension et au lieu de passer un après-midi d'été comme les autres, il sirotait un excellent vin de baie fraive vieux de vingt ans qu'il avait débouché pour l'occasion, en compagnie d'un vieil ami qui lui avait fait l'honneur de lui rendre visite. Cela faisait plus de dix ans qu'ils ne s'étaient pas revus, et Nann fut très surpris de le voir frapper à sa porte, lui qui s'était retiré dans une cabane au sommet du mon Sélénite.
A présent, les deux compères étaient confortablement assis l'un en face de l'autre à une table ronde en verre. Tout en buvant à leur santé, ils discutaient de choses et d'autres, de tout et de rien, de l'avenir, du présent, mais surtout du passé.
-Jadielle a bien changée, mais ta Pension est toujours aussi belle qu'avant, je dirais même plus, elle s'embellit avec les années.
-C'est gentil, répondit Nann. Je suis assez d'accord sur le fait que la ville perd peu à peu ce quelque chose qui justifie son nom. Mais je ne pense pas que ma pension soit si belle que ça.
Son ami rit.
-J'essaie toujours de chercher la fausse modestie dans ta voix quand tu dis ça, mais je n'en vois jamais. C'est parce que tu la vois tous les jours et que tu ne la quitte jamais. Si tu ne vois jamais quelque chose de moins beau, comment peux-tu être objectif ? Ta pension est magnifique, d'autant que ce doit être le seul endroit au monde où les Pokémon son traités encore à leur juste valeur. Ils doivent s'amuser comme des petits fous dans ce magnifique jardin.
-C'est vrai, j'essaie de leur offrir ce qu'il y a de mieux. J'imagine qu'ils doivent être heureux ici.
-Je n'en doute pas.
Puis les deux vieillards se laissèrent porter par l'instant, savourant simplement le passage du temps.
-Dis-moi, je suppose que tu n'es pas descendu de ta montagne juste pour venir te voir. Je ne t'imagine pas quitter ta confortable cabane sans une bonne raison.
-Tu as raison, Nann.
Soudain, son visage ridé prit un air de tristesse infinie avant de reprendre la parole
-Il est mourrant…
Nann se sentit alors très mal, rien que cette idée lui fit monter les larmes.
-Je suis venu ici pour l'emmener mourir parmi les siens, à la Forêt de Jade.
-C'était son souhait en effet. Je suis vraiment triste à l'idée de le voir s'en aller pour de bon.
-Tu n'as pas idée…
Nann avait parfaitement idée. Il savait le lien qui unissait les deux êtres. De toute sa vie, jamais il n'avait vu une amitié aussi forte et aussi solide. Son Pikachu avait vécu toute sa vie à ses côtés, depuis son plus jeune âge jusqu'à la fin de ses jours. Leur amitié était si puissante que rien que de les voir se regarder dans les yeux donnait envie de pleurer d'émoi.
Après avoir réprimé ses sanglots en laissant filer une larme le long de sa joue, l'ami de Nann reprit la conversation.
-Sinon, comment va Alexandre ?
-Comme un enfant de son âge, soupira l'intéressé. Disons qu'il s'intègre parfaitement à la vie qu'il mène.
-C'est amusant de voir à quel point tu n'es pas d'accord avec ce que tu dis.
-Tu l'as dis…Moi qui pensais pouvoir lui inculquer mes plus grandes valeurs…J'ai l'impression que plus je m'implique, moins il m'écoute.
-Il n'est qu'un enfant, tu sais ma fille est bien pareille.
-Oui, je le sais. Je me demande d'ailleurs comment tu fais pour supporter de la voir se pavaner à la télévision.
-Je n'ai pas eu le choix. Plus je lui interdisais de devenir Dresseuse de Pokémons, plus son envie s'intensifiait. J'espérais qu'à force de lui montrer que ce n'était pas une vie, elle finirait par l'accepter. Mais que veux-tu faire contre la télé et les médias ? J'ai essayé de lui inculquer l'amour des Pokémons, mais regarde comme ils sont considérés aujourd'hui. Tu dois le savoir bien mieux que moi, vu que tu refuse même de les manger. Ils sont considérés comme des objets.
Nann soupira.
-Je sais…En y réfléchissant, on ne peut faire le poids. De même que plus personne en ce monde à part nous ne voudrait d'un Dresseur de Pokémon d'il y a soixante-dix ans.
-Exactement, tu aurais ma vue ma fille. Elle attendait son dix-huitième anniversaire avec impatience, elle attendait l'âge qui lui permettrait de s'inscrire à l'école des Dresseurs sans mon aval. Et regarde-la.
-Oui, j'ai vu, Répondit Nann. J'ai bien failli me casser une côte tellement j'ai ri lors de son premier match d'arène. Je n'arrive pas à me faire au ridicule qu'est devenu la Ligue Pokémon.
-Je suis entièrement d'accord. D'ailleurs j'imagine ce que doit ressentir ce pauvre Sulfura, en voyant ce que l'on a fait de sa Ligue.
Les deux amis laissèrent à nouveau le silence s'installer, tous deux plongés dans une profonde nostalgie. Et ce jusqu'à ce que l'invité ne plongea son regard dans celui de Nann.
-Tu devrais laisser Alexandre entrer à l'école des Dresseurs s'il le souhaite.
-Pardon ?
-J'ai dis que tu devrais laisser Alex…
-J'ai compris ce que tu as dis, donc tu ne plaisante pas ? Je ne comprends pas.
-Qu'as-tu à y perdre ? Soit le fait que tu l'autorise va rendre la chose bien moins intéressante, soit il va y aller et voir de lui-même ce que l'on cherche à leur expliquer.
Tout en se levant, le vieil homme remit sa casquette sur la tête. On ne voyait plus ce qu'elle représentait et le tissu s'effilochait de partout. Seul une pâle teinte rouge en subsistait.
-J'ai foi en nos enfants et en nos enseignements. Ils sont jeunes, mais je ne pense pas qu'ils soient sourds. J'ai la certitude qu'ils comprendront un jour la teneur de notre message. Laisse ton fils vivre ses propres expériences, ne commets pas mon erreur. Peut-être qu'il ouvrira les yeux assez vite pour éviter d'entrer dans ce tourbillon médiatique qu'est devenu la Ligue Pokémon.
Nann rit en se levant à son tour.
-Qui sait ? Peut -être qu'un jour, l'un d'eux parviendra à faire ce pourquoi nous sommes trop vieux aujourd'hui ?
-Qui sait…C'est amusant de constater qu'un rêve devenu réalité pouvait redevenir un rêve…
-Oui, en tous les cas je garde espoir.
-Tu as bien raison, car c'est tout ce qu'il nous reste. Bon ! Je dois y aller, maintenant.
Tout en parlant, il sortit de sa poche ce que l'on appelle aujourd'hui une balle de transport. Elle était belle et de très vieille facture. Elle portait le même rouge et blanc que les toute première PokéBalls. Mais en plus de cela, on pouvait y voir, juste au dessus du bouton d'ouverture un motif jaune en forme d'éclair. Il pressa dessus une lumière rouge fit apparaître dans les bras de son dresseur une grande boule de poils jaune ternie et broussailleuse. Le Pokémon se blottit contre la poitrine de son ami laissant dépasser sa grande queue en zigzag.
-Allons-y, mon ami.
Nann offrit la main à son invité qu'il serra avec force.
-Merci de m'avoir accueilli. Au revoir.
-Ce fut un vrai plaisir, comme toujours. Au revoir Pikachu, au revoir Sacha.