Chapitre 5 : Un monde d’ombres [½]
Chapitre 5 : Un monde d'ombres [½]
Debout, appuyée contre une sorte de gigantesque arbre noir, apparemment sans vie, la gamine observait le paysage désolé. Ses jambes tremblaient légèrement, la forçant à s'appuyer contre le végétal pour ne pas tomber. Elle ne parvenait pas à se ressaisir, à rassembler ses pensées, à les organiser. Ses paupières demeuraient grandes ouvertes devant la gravité de sa situation. Elle avait compris dès le début qu'elle était condamnée à dépérir ici, sans espoir de retour dans le monde réel. Mais au fond d'elle, elle ne pouvait l'admettre, y croire.
Elle se trouvait sur une légère élévation rocheuse, à mi-chemin entre la colline et la montagne niveau altitude. Tout était sombre, le paysage semblait englouti par les ténèbres. Le ciel, orange et sans nuage, était le seul élément de couleur, un tant soi peu gai, bien que plutôt sinistre quand on l'observait bien. Il n'y avait de soleil, ni de lune. La faible lumière qui éclairait l'endroit semblait sortir de nulle part. Un vent frais et continu caressait ses joues rougies.
Devant elle se dressait une immense forêt noire, vide de tout vie et de chaleur, sinistre et peu accueillante. Au loin, elle pouvait distinguer quelques montagnes, malgré la faible luminosité. Elle se laissa alors glisser lentement contre l'arbre obscur, les yeux mouillés de larmes salées.
Harvey recouvra plus ou moins ses esprits quelques minutes plus tard. Bien qu'il ne pouvait encore ouvrir les yeux, il sentait désormais le vent sur son visage, la dureté du sol. Mais il ne sentait pas la chaleur réconfortante du soleil. Il imagina alors des nuages, un immense amas de nuages qui empêcherait les rayons de passer. Il imagina les montagnes jeunes et les forêts denses et pleines de vie de Kanto. Mais il sentait également autre chose, un poids le plaqua au sol au niveau du bassin. Il sentit une douleur sur la joue gauche. Il crut d'abord à une rafale violente de vent, mais une deuxième douleur le prit, plus vive et douloureuse que la précédente, sur son autre joue. Il tenta alors d'ouvrir les yeux.
La fille, assise sur son bas-ventre le giflait depuis quelques minutes, frappant de plus en plus fort à chaque fois. Ses yeux pleins de larmes était cachés derrière sa tignasse rousse. Elle frappait mécaniquement, sans s'arrêter malgré la fatigue. Le jeune homme ouvrit alors entièrement les yeux, avant de recevoir une ultime gifle. La jeune fille se releva alors et s'éloigna, retournant auprès de son arbre. Elle avait passé ses nerfs sur lui en le giflant. Ayant plus ou moins déchargé toute sa colère, la tristesse l'envahit alors et elle sanglota de nouveau, la tête entre ses maigres jambes repliées.
Le jeune homme profita de cette trêve pour se relever. Un violent vertige le prit, alors qu'il tentait de tenir debout. Par mesure de prudence, il se rassit, les jambes croisées, et contempla le monde de ténèbres qui l'entourait, cherchant minutieusement la moindre parcelle de vie dans le paysage désolé. Il ferma les yeux et s'allongea, tout en massant ses joues, les pinçant même, malgré la douleur forte, afin de s'assurer qu'il ne rêvait pas. Adossée contre son arbre, la gamine pleurait toujours.
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Loin de là, dans le monde ordinaire, le commissaire Valentins se tournait les pouces tout en consultant le dossier, dont les feuilles, certaines regroupées par paquets avec des agrafes, prenaient tout le bureau. L'affaire Harvey Haster traînait. Depuis sa dernière apparition dans le quartier maudit, le voleur n'avait plus donné signe de vie et l'enquête sur les lieux du délit n'avaient rien révélé, sinon l'identité de l'auteur. Son dossier contenait bien seize paquets de feuilles, chacune représentant une affaire différente. En immaginant qu'il ait pu commettre d'autre crimes sans se faire pincer, Valentins avait compris dès le début que cet homme n'était pas à prendre à la légère.
« Voilà trois semaines que l'enquête à été ouverte, et toujours rien, rien ! »
Il cogna sans prévenir de toute ses forces sur le bureau de composite, qui émit un imperceptible craquement. Certaines fiches du dossiers volèrent. Il se leva brusquement et sortit de son bureau. Une secrétaire passa dans le couloir. Il l'interpella d'un geste de la main. Tandis que cette dernière s'approchait, Edward se racla la gorge.
« Mademoiselle, veuillez avoir l'amabilité de convoquer M. Billaud dans mon bureau, maintenant. Merci. » dit-il d'un ton rapide et légèrement agressif.
Il ferma la porte immédiatement, laissa la pauvre femme dans l'incompréhension. La scène avec été si rapide. Elle murmura un « Bien. », qui se perdit dans les sonneries des bureaux proches, et partit chercher M. Billaud.
Monsieur Thomas Billaud était le commissaire en charge de la moitié sud de la ville, l'autre revenant à Valentins. Les deux commissaires se connaissaient bien, et étaient tout les deux sur l'affaire Haster. Bien que relativement petit pour un homme de Kanto, Billaud avait toujours su imposer le respect dans son entourage, sachant user des poings comme il fallait. Les deux commissaires avaient suivi le même parcours dans la police, suivi les même stages d'entraînement. Et en terme de self-défense, Billaud avait tout appris à son jeune collègue, dont le secret de la fameuse « dynamite Kantoise », un coup de poing extrêmement puissant, que Edward utilisait souvent pour se calmer les nerfs. Le commissaire Valentins laissa couler un café serré. Il réfléchissait, les sourcils froncés, à la manière dont il allait lui exposer sa requête, tandis qu'il rangeait le dossier.
Le commissaire Billaud arriva une heure plus tard, avec une agent Jenny, qu'il avait cru bon d'amener pour trancher en cas de désaccord. Edward se leva rapidement, serra vigoureusement la main de son homologue et s'inclina respectueusement devant la jeune dame. Après quoi il retourna à son bureau, indiquant deux chaises à ses invités. Il joignit ses mains sur le bureau et planta son regard déterminé dans les yeux du commissaire Billaud. Ce dernier haussa les épaules d'incompréhension.
« Bien, pourquoi nous avez-vous convoqués ? Je vous signale que j'étais sur une piste importante concernant l'affaire Cétaut… »
Valentins se massa les joues d'un air encore hésitant. Puis, il annonça sèchement :
« Je requiers le soutient de la BP. »
L'autre parut fortement surpris. Il écarquilla les yeux. La femme à coté de lui tenta de rester la plus impassible possible. Se laisser déborder devant ses supérieurs…
« La Brigade Pisteuse ? Pourquoi donc ? Vous savez bien qu'il faut un recours spécial, être mandaté par le Secrétaire Général du Ministère des Affaires Internes, de l'État Major également ! Quand bien même ils accepteraient, la procédure durerait plusieurs semaine ! Mais pourquoi diable voulez-vous utiliser cette brigade spéciale ? »
Le commissaire Valentins baissa les yeux, cherchant à fuir ceux de son collègue. Il savait tout cela. Mais il savait également que Billaud possédait quelques contacts influents, qui pouvaient lui permettre d'obtenir son autorisation. Il releva la tête, évitant soigneusement de ne pas croiser le regard de son ami.
« L'affaire Haster n'avance pas. Je me suis renseigné auprès du Ministère de la défense Territoriale. Ils m'ont dit que si l'affaire n'était pas résolue dans les deux mois, le dossier relèverait de l'ordre de la Sécurité d'État, et que mon poste serait dès lors compromis. Vous comprenez alors mon empressement à boucler cette enquête. La Brigade me permettrait de réaliser cette prouesse et… au passage… » Il parla d'une voix plus basse, de peur d'être entendu par quelque un d'autre. « …de sauvegarder ma place. »
Billaud hocha de la tête, presque par compassion. Il comprenait mieux les raisons de ce choix, ainsi que l'étrange attitude de son ami ces derniers temps. Il ne sortait même plus le midi pour le rejoindre. Il restait cloîtré dans son bureau, à examiner chaque pièce du puzzle. Le commissaire Billaud se releva, l'agent Jenny, muette et droite, fit de même.
« Je ferai… ce qui est en mon pouvoir, mon ami. Je mets également mes hommes à votre entière disposition pour vous aider dans votre tâche. Après tout, j'ai encore une dernière dette envers vous dont je dois m'acquitter. »
Il observa la Jenny d'un coup d'œil discret puis il s'e alla en fermant la porte avec soin. Edward se releva à son tour, prit un long manteau sur le patère mural et sortit. Il devait rendre compte à quelqu'un…
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« Moi, ce que j'en dis, c'est que tout est ta faute ! Mais quel naïf ! Mais quel naïf, par Arceus, tu fais ! »
La gamine fulminait. Elle criait de tout ses poumons sur l'homme en partie responsable de sa présence ici. Ce dernier roula les yeux tout en haussant les épaules.
« Je crois que tu n'étais pas obligée de me suivre, non ? Je te l'ai dit et redit en plus ! Si tu es là, tu ne peux que te le reprocher ! »
« Mais entendez-le parler ! Je te signale que je ne serais pas ici, coincée avec toi, si tu ne m'avais pas volé mes souvenirs ! »
« Mais puisque je te répète que je n'ai rien pris, dans ta saleté de tour poussiéreuse ! »
Harvey et la gamine se montraient les crocs. Ni l'un ni l'autre ne voulait céder, surtout le jeune homme qui était en plutôt mauvaise posture. Son dernier argument exaspéra la petite. C'était ridicule ! Elle s'apprêtait à contre-attaquer lorsque soudain, un bruit extrêmement sourd résonna dans toute la vallée. Ils levèrent instinctivement la tête vers le ciel, croyant à un orage. Cependant, il n'y avait aucun nuage. Harvey plissa les yeux. Il lui semblait avoir vu quelque chose, une imperceptible étincelle bleutée. Le phénomène se reproduisit, trois fois, provoquant de plus gros arcs, et une détonation plus sonore à chaque fois. Les deux compagnons d'infortune se rapprochèrent même, par pur instinct de survie. Il y eu quelques secondes de répit. Quelques secondes sans aucun bruit, rien, le néant.
Harvey se détendit alors. A peine eut-il soufflé de soulagement qu'un son strident envahit ses oreilles. Il se mit à genou et plaqua ses mains de toute ses forces sur ses oreilles. A coté de lui, la petite semblait souffrir autant, sinon plus, du fait de son ouïe plus fine. La torture dura une dizaine de secondes, après quoi, il y eu un nouveau silence. Harvey s'écroula au sol, sonné. Il roula de façon à voir le ciel. Ses pupilles se contractèrent violemment. Au dessus d'eux, un portail se formait. Un trou, de taille moyenne, noir comme la nuit, parsemé d'éclairs bleutés, se formait au dessus de leur tête. Un cri retentit alors. Un cri de pokémon, imposant par le timbre de son rugissement bestial.
« On est mal barrés… » murmura-t-il pour lui-même. A coté de lui, la fille observait le même spectacle, avec horreur.
« Oui, on est mal barrés » répéta-t-il gravement.