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Chimères et patchworks [recueil d'OS] de Srithanio



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Informations

» Auteur : Srithanio - Voir le profil
» Créé le 01/04/2012 à 20:01
» Dernière mise à jour le 01/04/2012 à 20:01

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   One-shot

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Cauchemars et réalités
Avant, il avait peur du noir.

Peur des ombres grises qui se coulaient par sa fenêtre et venaient tambouriner de leurs griffes acérées le plancher.
Peur de ses peluches si mignonnes le jour, ces douces peluches qui se transformaient en immondes épouvantails aux yeux en bouton dès que la lampe s'éteignait.
Peur de la chose tentaculaire et dentue cachée sous son lit, prête à tout moment à lui attraper une cheville et à l'attirer sous le lit, dans l'espace obscur où elle le dévorerait.
Peur du croquemitaine tapi sous son bureau qui rampait dès l'extinction des feux et venait susurrer à son oreille des choses effrayantes.
Peur du maitre de ces monstres, du darkrai qui nichait dans son placard à vêtements.

En somme, comme le disait ses parents, il avait une peur enfantine du noir.

Aussi, dès que l'heure d'éteindre la lumière se profilait, il courait jusqu'à son lit et s'enfouissait dans la couette. Il s'enroulait dedans, rentrait la tête pour que les cheveux n'en dépassent pas, se roulait en boule pour être sûr que le monstre de sous son lit n'ait aucune prise, puis se bordait tant bien que mal afin d'empêcher tout contact avec l'extérieur. Ses parents, blasés, regardaient leur fils se murer dans son cocon, puis éteignaient la lumière avant de retourner tranquillement à leurs occupations d'adulte.

Alors commençaient les heures sombres.

Il se tapissait toujours au fond de sa carapace de coton, sa seule protection contre les créatures qui voulaient le dévorer, et sentait sa chambre douillette devenir le domaine des monstres. Son matelas vibrait lorsque la chose sous son lit risquait un tentacule en dehors, les ombres tambourinaient leur rythme morbide en même temps que leurs griffes se rapprochaient de son lit, son croque mitaine murmurait tout bas des secrets à la fois horribles et séduisants...
En position foetale sous son tissu protecteur, il se bouchait les oreilles et se concentrait sur sa respiration, uniquement sur sa respiration, sur l'air qui rentrait puis ressortait, qui rentrait et gonflait ses poumons et resortait, qui rentrait et gonflait ses poumons et passait dans le sang et sortait, et...
Au bout d'un moment, quand le sommeil était plus fort que sa peur et que ses cauchemars l'attiraient au plus profond de son matelas, il entendait toujours la porte de son placard grincer et les pas légers du darkrai, impatient de savourer les sombres songes qui l'attendaient.
Et il plongeait...

Ce n'est que le lendemain matin, encore sous le coup de sa nuit passée à combattre d'affreux monstres , qu'il osait se risquer hors de son abri. Visiblement, ses visiteurs ne supportaient ni le contact du coton, ni la lumière du soleil. Il pouvait donc profiter de quelques heures d'insouciance avant de revivre son calvaire quotidien.

Mais depuis, il n'avait plus peur du noir.

Il aurait encore pu vivre longtemps avec ses colocataires involontaires, sans cette fête d'anniversaire. Un goûter entre copains, au cours duquel sa mère avait évoqué avec tendresse de sa peur du noir.
Il l'avait détestée pour ça : elle venait de leur livrer sur un plateau d'argent une raison de se moquer de lui.
Et évidemment, les autres n'avaient cessé de le plaisanter là dessus. Un de ses camarades lui avait proposé de lui offrir un spinda en peluche pour le rassurer. Pire encore, son meilleur amis l'avait pris à part pour lui expliquer qu'il n'avait pas à les écouter, que ce n'était pas honteux d'avoir peur du noir, juste un peu... hem.... juste un peu.
Il ne supportait pas que les autres s'en moquent. Comme si les créatures qui le hantaient chaque nuit n'étaient que le fruit de son imagination. Une parcelle de lui-même se posait la même question, ce qui le rendait encore plus enragé.

Alors, le soir-même, il décida d'arrêter d'avoir peur.

Les monstres ? Il étaient réels, bien sûr. Mais il pouvait les enfermer, et ne plus jamais les laisser sortir. Alors il aurait la paix.
Profitant d'une absence de sa mère, il fila dans le placard à linge de la famille et en sortit deux vieilles couettes de coton que sa mère gardait "au cas où". Et armé de ciseaux, il commença son travail de découpe.
Le soir-même, il installa ses morceaux de coton aux dimensions exactement taillées ; il ferma tout l'espace sous son lit de pans de coton, ainsi que l'espace sous son bureau. Il recouvrit ses peluches d'une épaisse couverture de coton, en calfeutra les contours de la porte de l'armoire, puis en doubla ses rideaux de fenêtre.
Ses parents, totalement indifférents, ne firent même pas attention aux nouveaux aménagements de la chambre de leur fils. Ils le regardèrent s'enfouir comme d'ordinaire dans sa couette, puis éteignirent la lumière.

Alors il écouta.
Le claquement sec de la porte qui se refermait.
L'écho des talons de sa mère qui s''éloignait de sa chambre, et celui plus étouffé des chaussures de son père.
Le bruit de leurs discussions d'adulte qui diminuait petit à petit.

Et le silence.
Le vrai silence, sans tapotement, sans grincement, sans sussurement, sans rien. Le silence, le vrai, l'épais, le lourd, comme un édredon de plumes de couaneton.

Alors pour la première fois, il sortit la tête de sa cocon
Et sa chambre était exactement telle qu'elle semblait la journée, juste plus sombre.

Cette nuit là, comme toutes les suivantes, il dormit vautré sur son lit, les jambes et les bras dépassant de sa couette. Les monstres ne se remontrèrent plus, ses cauchemars et ses rêves non plus.

Ses camarades cessèrent de se moquer de lui au bout d'un temps, mais leurs moqueries ne le touchaient plus. Il avait désormais d'autres chaffreux à fouetter.

Maintenant, il n'avait plus peur du noir.
Non, il avait peur de la lumière, de celle qui met en lumière toutes les petites horreurs du quotidien.

Il se rendit compte que plus il tenait à distance ses démons nocturnes, et plus le monde diurne lui semblait horrible. Ses monstres étaient connus et faciles à combattre ; ceux du monde extérieur étaient hideux, diffus, et s'attaquaient sans répit à son entourage.
Sa chambre n'était plus l'endroit qui le terrifiait. Au contraire. C'était devenu le seul îlot de stabilité dans cet océan d'horreur.

Toutes ces heures, dans l'obscurité, à guetter son armoire dans laquelle se tapissait le plus hideux des monstres.
Et toutes ces heures, à ses repas de famille, à observer son oncle qui se levait la nuit pour aller dissimuler ses cadavres de bouteilles d'alcool vidées par sa soif infinie, ou sa grand-mère qui, dans l'indifférence presque générale, s'enfonçait dans les affres de la sénilité.

Toutes ces nuits à attendre que cette poignée tourne, que la porte grince, et que ces yeux bleus surgissent de l'obscurité.
Et toutes ces journées à regarder dans le silence ses parents se lancer des propos aigre-doux sur l'argent qui faisait ou ferait forcément défaut, sur la solitude qu'ils ressentaient derrière la façade de leur couple, sur les oeillades appuyés de son père à la voisine ou le sourire mélancolique de sa mère quand elle parlait du facteur.

Tous ces moments à presque espérer que le darkrai se montre, et qu'il puisse enfin faire quelque chose contre ces cauchemars.
Et tous ces instants, à la fois longs et courts, où il voyait la cruauté et la méchanceté enfantine exercer leur emprise dans l'école et où il devait faire comme si de rien n'était.

Tous ces cauchemars tapis dans les coins de sa chambre et de sa vie !
Comme il regrettait sa vie, quand il n'avait qu'à se préoccuper de ceux de la première catégorie !Quelques instants d'obscurité dans une vie de lumière éclatante, c'était un marché honnête à posteriori.

L'idée finit par lui venir à l'esprit que les monstres du jour étaient arrivés uniquement quand il avait enfermé dans leur prison de coton les monstres de la nuit.
Peut-être qu'en les libérant, tout reviendrait à la normale ?

Alors un soir, après l'extinction des feux, il rejeta la couette, rampa en travers de son lit et le coeur battant, entreprit de relever doucement, très doucement, les rideaux de coton qui enfermaient sa chose. Quand ils furent relevés, il lança pendre son oreiller par dessus le rebord du lit, attendant qu'un tentacule s'en empare et l'entraine sous le lit.

Rien ne vint l'attraper.

Mais... Mais... Ou était la chose ? Pourquoi ne venait-elle pas l'attraper ? A moins que... que...
Il découvrit à ce moment là qu'il y a avait une chose plus effroyable que d'avoir peur du noir : avoir peur que rien ne se tapisse dans le noir. Découvrir que les vrais monstres supportent la lumière.

Sa vue se brouilla sous les larmes refoulées, et son coeur s'emballa : il devait être là ! Il n'avait pas pu disparaitre !
Oubliant toute prudence, il se pencha par dessus le lit et regarda sous le lit. Au lieu de l'immonde chose tentaculaire qui aurait du le saisir et le tirer jusque dans son repaire, il ne découvrit que quelques moutons de poussières et une pantoufle oubliée.

Non !

Il se jeta hors du lit, en proie à la panique. Il jeta à terre d'un geste brusque les couvertures des peluches, sans que celles-ci ne bronchent. Il arracha presque les rideaux et aucune ombre torturée ne vint chercher à l'agripper. Et sous son bureau derrière la protection de coton, rien d'autre que les lattes de plancher !

Sa dernière chance, le placard. Le darkrai devait être là !
Il arracha tout le tissu bordant la porte, attrapa à deux mains la poignée et tira, tira le plus fort possible avant de plonger presque littéralement dans le placard.

Entre deux vestes pendues à des cintres, le darkrai lui rendit son regard. Son visage disparaissait dans l'ombre, mais il distinguait ses deux yeux à facettes, d'un bleu brillant. Du même bleu que ses propres iris.

Le maitre des cauchemars qui terrifiait ses nuits, avant.
Sa dernière chance de revenir à la normale, maintenant.

-Rends moi mes monstres, Darkrai, balbutia t-il d'une voix chargée de peur et d'espoir mêlés. Ramène les. Ceux que que pouvais combattre à coups de couette, ramène les.

Le pokemon se contenta de le regarder.
Derrière lui, il entendit une voix. Ses parents revenaient le voir, ils allaient allumer la lumière et le darkrai disparaitrait pour toujours.

-Ils doivent revenir ! J'ai besoin d'eux ! Avant, quand ils étaient là, il n'y avait pas d'horreurs le jour ! Je veux avoir peur la nuit et vivre le jour, pas l'inverse !

La voix se rapprocha, les orbes lumineux ne bougèrent pas.

-S'il te plait, supplia-t-il, aide moi. S'il te plait...

Lentement, le Darkrai leva une griffe acérée et lui désigna quelque chose dans son dos.
Il se retourna.

Ses peluches lui retournèrent son regard.
Son grand spinda, celui à l'oreille déchirée, avait le même air hagard et douloureux que sa grand-mère quand elle se rendait compte qu'elle ne se souvenait plus de son prénom. Quant à la poupée voisine, elle redressa lourdement sa tête, le dardant de ses petits yeux brouillés mais méchants. Les autres commencèrent à s'agiter, leurs bras et pattes se tendant vers lui.

Il tourna lentement la tête vers la fenêtre et les ombres se déroulèrent dans sa direction. Toujours changeantes et mouvantes, elles dégageaient une impression de faim et d'avidité, celle là même que répandaient les petites brutes de son école. Leurs mains griffues rampèrent jusqu'à ses pieds dangereuses, prêtes à déchirer.

Il esquiva et sauta entre les doigts d'ombre, fuyant vers son lit. Dans son dos, il entendit la porte de l'armoire grincer, puis le clenche se refermer.

Il passa à coté de son bureau. La voix en provenait. Ce n'était pas celle de sa mère, même si elle y ressemblait d'une façon tordue, et il l'entendit lui susurrer quelque chose à propos de regrets et remords, de vieillir et partir. Une chose grisâtre surgit de l'obscurité et tenta de l'attraper, mais il fit un pas de coté pour l'éviter et sauta sur son lit, sauta le plus haut possible pour éviter les tentacules verdâtres qui voulaient lui agripper les chevilles.

Il atterrit en plein sur sa couette et d'un seul geste, se roula dedans. Il n'avait pas le temps de s'emmitoufler, mais laissa son corps retrouver ses réflexes : tête rentrée et genoux levés, orteils recroquevillés, cheveux bien cachés, l'important était d'être bien abrité. Sous sa coquille de coton, il est invulnérable.

Quelque chose palpa sa couette, doucement. Sans doute le croque-mitaine venu lui déverser ses douloureux secrets : il s'enfonça aussitôt les index dans les oreilles.
Essayant de ne pas prêter garde à son matelas tressautant, il se reconcentra sur sa respiration. L'air qui rentre et qui sort, l'air qui rentre et remplit les poumons et qui sort, l'air qui...

Et ce n'est que quand son coeur fut calmé et qu'il se sentit s'enfoncer dans les sables mouvants des cauchemars, quand il entendit la porte de l'armoire grincer et les pas légers du darkrai, seulement à ce moment là qu'il sentit son coeur s'alléger.

Les monstres étaient revenus.
Les bons vieux monstres.
Les monstres qui craignaient le coton et les rayons du soleil.

Il avait de nouveau peur du noir, plus de la lumière.