Chapitre unique
Il était une fois dans un monde lointain un pokemon qui voulait changer le monde par ses mots.
Ce pokemon était un togetic nommé Lesath. En tant que togetic, il était censé apporter le bonheur à son entourage, mais il avait une ambition plus vaste : faire rêver le monde entier avec ses histoires.
Quelques mots suffisent pour transformer un être humain. Transformer la lacheté en courage par un discours émouvant, réconforter par une parole d'empathie, changer une façon de voir le monde par une simple remarque... tout ça, Lesath le savait. Et lui voulait utiliser les mots pour faire s'évader un bref instants ces pauvres humains et pokémons, englués dans la toile d'indifférence et de monotonie de la grise réalité.
Bref, avec quelques mots choisis, un soupçon d'imagination et une lichette d'humour, le porte-bonheur se sentait prêt à bouleverser la face du monde.
Enfin...pas tout de suite. Il lui fallait d'abord affuter son humour jusqu'à ce qu'il soit fin comme la classe d'un tadmorv, s'équiper de quelques tonnes de dictionnaire, s'enrouler dans sa cape d'imagination, bien remplir son sac à rêver et ensuite seulement il irait escalader le mont Réalité. Dans un mois ou cent, il y parviendrait. Aucun doute là dessus.
Alors en attendant d'être totalement paré, il s'employait à utiliser son art de conteur pour égayer les gens qu'il croisait lors de sa vie quotidienne.
Il s'entêtait tout particulièrement à divertir ses camarades de route avec plus ou moins de succès. Tegmine la pikachu, Corléonis le luxray, Altaïr l'absol, ... Tous avaient quelque part au fond d'eux, parfois profondément enfouie, la volonté de l'écouter et de laisser courir leur imagination.
Pour Corléonis, ce n'avait pas été difficile. Cette parcelle de lui qui rêvait d'escalader des montagnes et de découvrir les secrets du monde était visible par tous ; à peine Lesath ouvraitiil la bouche que le pokemon électrique laissait son cerveau partir à la dérive au fil des mots. Tout, des contes de fées jusqu'aux souvenirs de vacances en passant par la notice de montage d'un distributeur de Noigrumes, tout le faisait s'évader.
Tegmine, ça n'avait pas été très compliqué non plus. Sa vie s'organisait autour de la compétition et du combat ; elle s'était montré rétive aux contes de Lesath jusqu'à ce qu'il parle de Joméo et Ruliette, les deux pokemon amants. La notion d'amour, qui lui était inconnue, l'avait subjuguée et elle réclamait chaque jour un autre épisode de "Amour, gloire et s'engueuler" comme elle disait.
Non, le vrai défi avait été Altaïr. Cynique et pessimiste, l'absol refusait catégoriquement de rentrer dans ses "élucubrations et gamineries".
Il avait tenté au début des contes de fées mais le pokemon ténébres refusait la magie qui s'en dégageait. Il lui avait même demandé si l'histoire des trois petits gruikis n'avait pas été sponsorisée par l'entreprise de construction Constorno.
Lesath avait donc pris le contrepied et essayé les histoires d'horreur. Altaïr les écoutait avec attention, lui expliquait à quel point elles étaient ridicule et lui en donnait une version remaniée si horrible que le conteur en avait les oreilles qui claquaient et les dents qui se bouchaient.
Le togetic n'avait pas osé les histoires d'amour, de peur Joméo et Ruliette divorcent et que cela traumatise Tegmine... Mais il avait embrayé sur les récits d'aventure, aussitôt rejetées : "Ca n'arrive jamais des choses comme ça, surtout pas à nous ! C'est trop débile !" d'après Altaïr, qui ne considérait visiblement pas un souris psychopathe, une évasion de ville humaine ou un assaut suicidaire contre une mafia comme des actes extraordinaires.
Pareil pour les ragots du village, "fables de gens qui ont tellement de temps à perdre qu'ils regardent si leurs voisins fouillent dans les poubelles".
Idem pour les récits sur le passé, "racontars de personnes qui s'ennuient tellement qu'elles regardent si leurs ancêtres préféraient mourir à petit feu à cause de la nourriture infecte, ou rapidement lors de guerres à cause de machin qui n'avait pas épousé bidule cents ans avant"
Et on ne parle pas des témoignages, "qui montrent juste que le monde est plus horrible qu'avant mais moins que demain".
Ou même des histoires psychologiques, "ce ne sont que des égocentriques qui ne s'intéressent pas aux autres".
Lassé, Lesath avait décidé de sortir de l'univers quotidien. Il avait inventé un autre monde, mécanisé et aseptisé, d'où les pokemons étaient absents. Un monde gris que seuls les humains hantaient. Un monde totalement différent du leur, mais adapté à la vision du Absol : froid, triste, isolé. Un monde dans lequel les personnages de Lesath s'agitaient afin de ramener un peu de couleur dans ce camaieu froid.
Et Altaïr avait ado... Altaïr n'avait pas détesté. Passée la première réaction de répulsion et moquerie, il s'était assis et avait écouté Lesath lui raconter l'histoire "du meilleur auteur", la petite histoire qui commençait ainsi :
Il était une fois dans un monde lointain une jeune fille qui voulait changer le monde par ses mots...