Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Chimères et patchworks [recueil d'OS] de Srithanio



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Srithanio - Voir le profil
» Créé le 16/10/2011 à 19:33
» Dernière mise à jour le 10/12/2012 à 21:35

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   One-shot

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
L'affaire est dans le sac
Il le distinguait nettement dans son viseur, très occupé à faire sa toilette dans le ruisseau maigrelet. Il venait de s'asperger entièrement ; des gouttes d'eau lui dégoulinaient le long du bec avant de s'abattre dans le mince filet d'eau, étincelantes parcelles de diamant dans la froideur de l'hiver. Le volatile ne se doutait absolument pas de sa présence

Cela faisait plusieurs heures que le braconnier le pistait à travers cette forêt gelée, ce cadoizo, et enfin il l'avait dans sa ligne de mire. Un frisson de plaisir le parcourut à l'idée de contempler ainsi sa cible, tenant sa vie au bout de son canon.

Il lui arrivait parfois de traquer pour le simple plaisir une créature. Passer de longues heures ou journées à suivre à la trace un animal, à chercher ses quelques empreintes de pattes dans les parties molles de la terre, à supposer son itinéraire à partir de maigres fougères foulées au sol, à retrouver ses crottes dissimulées, tout ça pour pouvoir espérer le contempler quelques instants dans le frêle cercle de son viseur. Dans ces moments-là, l'homme sentait l'adrénaline parcourir son corps entier et enflammer ses nerfs, lui donnant l'impression que l'univers entier s'arrêtait et attendait son verdict pour continuer à tourner. Victime ou rescapé, bête insouciante ou cadavre immobile, à lui de décider.

Puis il remballait ses affaires et retournait à la traque suivante, laissant le pokemon vivre sa petite vie inutile. À quoi bon un trophée poussiéreux dans un salon, quand on avait ressenti pendant quelques secondes le bonheur suprême d'être un dieu pouvant disposer d'une vie selon son bon caprice ?

Mais ce ne serait pas le cas aujourd'hui. Il avait une commande, et le travail était le travail.

Son doigt sur la détente se contracta.

La mort n'est pas toujours un phénomène instantané, surtout quand elle est causée par balle. Mais l'homme n'en était pas à sa première traque, et il avait visé le centre nerveux. Le Cadoizo n'eut même pas le temps de sentir la balle pénétrer dans sa chair et déchirer les tissus sur son passage qu'il s'écroula, le bec dans le ruisseau. Quelques bulles, un sursaut de l'aile droite, puis une immobilité totale. Des nuages de sang écarlates se répandirent par à-coups dans le flux du ruisseau.

Il reposa son fusil sur le sol, et s'étira rapidement: il avait passé plusieurs minutes accroupi dans le froid à épier l'animal, et ses articulations se rappelaient à son bon souvenir. Ce n'était cependant pas aussi douloureux que d'ordinaire, l'adrénaline faisant toujours effet. Une fois apte à repartir, il attrapa ses affaires d'un geste et se dirigea rapidement vers le ruisseau, écrasant de ses grosses semelles les quelques buissons qui se tenaient sur son chemin.

Quand il arriva, le cadavre gisait toujours à la même place. L'eau avait la couleur d'un sirop de grenadine léger et redeviendrait bientôt de sa transparence originelle.

Il mit les pieds dans l'onde glaciale en grimaçant, puis entreprit de le tirer au sec. Il avait encore du travail à faire avant de le livrer celui-là, une tâche qu'il détestait mais dont il devait s'acquitter. Cette vulgaire tâche le faisait toujours redescendre de son piédestal de dieu et revenir à sa pitoyable condition d'être humain. Comment rester une divinité quand on a les mains poisseuses de sang ?

De son barda, il sortit une longue corde usée. Il en entoura les pattes arrières du cadoizo, lança l'autre extrémité par dessus une épaisse branche, puis entreprit de la hisser. Quand le corps fut à hauteur d'homme, il attacha d'un solide noeud le filin au tronc, puis dégaina son vieux couteau de chasse.

Après la traque immaculée, il restait à dépecer la bête...

-_-_-_-_-_-_-

L'atmosphère était fétide, lourde de senteurs organiques. Mais au milieu de cet atelier de traitement du cuir, qu'attendre d'autre ? La peau morte sent rarement la rose, à moins qu'elle ne vienne d'un Roselia.

Des bacs de toute forme et toute contenance envahissaient une grande partie de l'espace, le reste étant constitué de rangements, placards et tiroirs. On y trouvait des cuirs à tous les stades du traitement, de l'épiderme écorché fraîchement au cuir tanné prêt à servir en maroquinerie. Certains étaient recouverts des cristaux aux couleurs sales ou flottaient dans des solutions troubles, rappelant vaguement des brouets d'une sorcière trop pressée pour découper proprement ses ingrédients.

Le tanneur était pour l'heure occuper à traiter la queue du cadoizo dans son bac de reverdissage particulier. C'était rare qu'on lui en commande, raison pour laquelle il y prêtait un soin particulier.

Cette peau était fragile... La salage était très délicat, tout comme le désalage : trop de cristaux de sel ou pas assez, et on risquait de la voir se craqueler. Si tel était le cas, il devrait en trouver une de remplacement...

Au delà du délai supplémentaire, c'est le fait de devoir revoir ce méprisable braconnier qui le répugnait. Quelque chose dans ses yeux chafouins lui faisait penser que cet homme en tenait une sacrée couche et que le jour où cette couche craquerait, il vaudrait mieux être très loin de lui.

Raison de plus pour qu'il surveille précautionneusement cette peau.

Il la palpa attentivement sur toute sa surface, cherchant du bout de ses doigts gantés le moindre raidissement ou amollissement suspect.

Tout avait l'air correct. Encore quelques heures dans cette solution, et il pourrait passer au pelanage ; cette peau aurait un bien plus bel aspect quand il aurait retiré ces poils blancs clairsemés.

Mais quand même, il ne comprenait pas. Pourquoi cette peau en particulier?

La majeure partie des peaux de son atelier venait de Tauros ou Ecrémeuh, espèces communes, faciles à élever et fournissant un cuir de très bonne qualité à prix modique. Le reste venait d'animaux un peu plus exotiques : Lainergie pour les partisans de cuir délicat, Drabby ou Drattak pour les férus de dragons aisés, Torterra pour les écolo paradoxaux, ou même Demanta pour les amateurs de plongée.

Mais un cadoizo ? Peau terne, peu épaisse, de mauvaise qualité, délicate à traiter, animal difficile à obtenir car relativement rare : franchement, ce n'était pas rentable.

Il ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi le maroquinier qui lui avait passé commande tenait à avoir cette espèce en particulier.

-_-_-_-_-_-_-_-_-

Peau découpée et assemblée, rivets fixés, ourlets cousus...

Décidément, se dit le maroquinier, ce sac avait fière allure.

La cliente avait même payé une prime pour que le sac soit orné de brodures écarlates et argentés, au dessin très kitsch. Pas sa tasse de thé, mais pour le prix il pouvait bien faire un effort.

Cette lady allait adorer. Elle lui avait déjà pris par le passé une malle contenant de la peau de queue de cadoizo, et elle était revenue lui demander un sac malgré le coût faramineux qu'il en demandait.

C'est qu'il était le seul à savoir comment confectionner ces articles si particuliers. Secret de famille, qui lui venait de son grand-père, qui le tenait lui-même de son aieul.

Et pourtant, c'était si simple. Si les gens savaient se servir ne serait ce qu'un chouia de leur cervelle, ils auraient compris tout seul le secret de la peau de queue de cadoizo. Mais les gens sont stupides, et c'est ce qui lui avait heureusement permis de devenir riche.

Bon... Si l'aspect extérieur du sac était appréciable, ce n'était pas sa principale caractéristique. Il était temps de vérifier si tout marchait convenablement. Pas qu'il ait des doutes, mais au cas où par extrême malchance il y aurait un disfonctionnement, il ne tenait pas à s'en apercevoir devant sa cliente.

Il ouvrit le sac, y jeta un oeil : fond propre et sombre, coutures invisibles, un intérieur de sac propret et classique à première vue.

Il raidit alors son bras, et y engouffra la main. Puis l'avant-bras. Puis le bras entier. Il ne touchait toujours pas le fond.

Très bien.

Il en ressortit son bras, puis attrapa à deux mains le porte manteau réservé aux clients. Un massif ouvrage en fer forgé, plus grand que lui, et d'au moins dix kilos.

Soufflant sous l'effort, il le fit pénétrer tout entier dans le sac avant de le refermer.

Il le regarda sous tous les angles : aucune déformation, pas de tension sur le cuir.

Il le souleva : le sac ne lui semblait pas plus lourd qu'une plume.

Il eut un grand sourire de fierté, et le réouvrit. Il marmonna : "Porte-manteau, viens là viens là...", y enfonça la main et l'attrapa du premier coup.

Etonnant que les dresseurs ne se soient jamais demandé comment ce petit volatile pouvait lancer autant de baies sur ses adversaires. Et aussi comment il pouvait encore bouger avec tout ce poids dissimulé dans sa queue.

Il ressortit le porte-manteau, manquant le laisser tomber quand le poids reprit ses droits.

Voila le secret du sac en peau de cadoizo : une contenance illimitée, et une masse inchangeable.

La crème des sacs.

Aucun doute, Mme Poppins allait être contente de sa commande !