Il suffira d'une étincelle, Et d'un mot d'amour Pour...
Au bout d'un temps qui me parut être une éternité, Tanya s'allongea sur l'herbe ; elle tombait littéralement de sommeil. Je m'allongeai silencieusement à côté d'elle, sachant que j'avais un rôle à jouer sans toutefois savoir lequel. Nous continuâmes de nous abîmer dans le silence, admirant sans nous lasser la voûte céleste au-dessus de nous. Comme elle une éternité auparavant, j'avais une envie irrésistible de m'excuser. Mais je n'y arrivais pas. Peut-être la splendeur que la nature nous réservait m'impressionnait-elle au point de me dissuader de parler. Je trouvai cependant le courage – Arceus sait où – de murmurer :
« Qui es-tu réellement, Tanya ? »
Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que je me rendais compte que ça faisait pas mal de temps qu'on se connaissait, elle et moi, et qu'au bout du compte, je ne savais rien d'elle. Un long silence succéda à ma question dont la durée s'étendit à l'infini. Silence rompu par mon amie, sur un ton sec, voire même glacial :
« Je crois que tu m'as décrite exactement telle que je suis.
– Je t'ai froissée, n'est-ce pas ? »
Nouveau silence. Qui parlait pour Tanya.
« Si tu savais comme je m'en veux de t'avoir décrit comme ça… tu me pardonnes ? » voulus-je dire, au lieu de quoi je chuchotai :
« J'ai oublié pas mal de choses dans le portrait que j'ai dressé de toi ; tu es susceptible, tu ne pardonnes pas facilement, tu aimerais que l'on te pardonne… »
Pourquoi débitais-je ce tas d'inepties ? Tenais-je inconsciemment à provoquer Tanya ou bien… ?
« Tu es animée de regrets terribles lorsque tu fais des bêtises au point de dire "Pardon" toutes les dix secondes… continuai-je à murmurer malgré moi. Comme tu t'en rends sûrement compte, je ne connais quasiment rien de toi, hormis le côté psychologique de ta personne… Et ça ne me suffit pas…
– C'est une déclaration ? » s'enquit Tanya sur un drôle de ton.
Une déclaration ? De… d'amour ? Qu'allait-elle s'imaginer, encore ?
« Tu le prends comme tu veux, je ne trouve pas de mots pour résumer ce que je viens de dire. » soupirai-je d'un ton las.
De nouveau, le silence se fit, tandis qu'une pluie fine et glaciale commençait à tomber. Je sentis Tanya se coller contre moi, en quête d'un peu de chaleur. En rougissant, je passai un bras sous son dos comme pour mieux la serrer contre moi. Je sentis son souffle chaud contre ma nuque. Était-ce moi ou bien soupirait-elle d'aise ?
« Je… je suis vraiment désolé, on n'aurait jamais dû arrêter notre course, je… »
De nouveau, Tanya posa son index contre ma bouche pour m'intimer le silence. Je levai alors ma main vers mon visage et prit sa main dans la mienne. Sa peau était si douce… et si humide, et si froide. Et elle tremblait. Je posai nos mains sur mon cœur, sans y penser, me demandant combien de temps nous allions tenir ainsi. Tanya fit une roulade pour se trouver sur moi. Nos regards se croisèrent pour se toiser avec intensité. De ma main libre, je caressai le visage de la jeune femme puis, de la sienne, elle suivit mes mouvements en la posant sur la mienne. Alors que j'allais repositionner mon bras le long du corps, Tanya prit avec force ma main dans la sienne et la guida vers son corps. Je m'empourprai en sentant la poitrine de mon amie sous ma main.
Et soudain, je réalisai que nos deux cœurs battaient à l'unisson. Et nos deux rythmes cardiaques s'accéléraient en même temps. Elle et moi ne nous étions pas quittés des yeux une seule seconde. Quelque chose me mettait mal à l'aise, dans tout ça, en plus de cette proximité… et de cette intimité si inattendues. Je ne tardai pas à savoir quoi ; Tanya approchait lentement son visage du mien. Je n'avais jamais embrassé de fille. Et je ne pensais pas être encore prêt.
Je ne sus comment Tanya prit conscience du malaise qui était mien, mais au dernier moment, elle dévia de sa trajectoire pour enfouir son visage dans mon épaule. Je l'entendis sangloter doucement ; je m'en voulus terriblement. Je la berçai tendrement, lui fredonnant une berceuse à l'oreille. Tel un enfant fatigué, elle s'endormit dans mes bras ; quant à moi, je ne trouvai pas le sommeil de toute la nuit, chamboulé par tous ces événements récents… et cette prise de conscience tardive à peine croyable. Car oui, je n'arrivais pas à m'y faire. Non. Je ne voulais pas m'y faire, pas y croire, pas accepter la réalité. Alors, pour en avoir le cœur net, pour ne plus jamais en douter, pour arrêter de me voiler la face, je décidai finalement d'allumer mon MP3 et de jouer la première musique qui me tomba sous la main après avoir mis les écouteurs ultra sophistiqués.
Je n'avais pas rêvé le moins du monde.
Je caressai d'un air absent le dos de Tanya, cherchant une explication plausible à l'écoute de ces chansons autre que celle, évidente, à laquelle je refusais cependant de croire – parce que me semblant hautement improbable –, mais surtout en me demandant comment j'avais pu ne pas faire attention à ce que l'on écoutait le soir, ensemble. Je ne bougeai pas lorsque Tanya remua, ni lorsqu'elle leva la tête, resta immobile pendant quelques instants, n'osant sans doute croire à ce que j'écoutais, et enfin posa son front sur le mien afin de planter son regard dans le mien.
« Je… je ne comprends pas… murmurai-je, troublé.
– L'amour n'a jamais été chose facile à comprendre, et ne le sera sans doute jamais… »
Nous nous fixâmes intensément pendant une éternité, attendant que l'autre réagisse. Mais je ne savais pas quoi faire, où aller. La route sur laquelle elle voulait que nous nous engagions ensemble – celle de l'amour – m'était parfaitement inconnue, et l'inconnu ne m'avait jamais beaucoup fasciné. J'avais de plus toujours fait cavalier seul… enfin, jusqu'à son entrée dans ma vie…