Retrouvez les paroles de la chanson ainsi que la mélodie ici.
La principale cause des naufrages était, selon les habitants de Joliberges, les pokémon aquatiques. Du gigantesque octillery à l'impitoyable lamperoie, les histoires mettant en scène des créatures aquatiques causant moult dégâts aux embarcations étaient nombreuses. Celles-ci, anciennes, furent vraisemblablement narrées pour la première fois par des marins disant avoir vu de leurs propres yeux ces pokémon. Les auditeurs, fascinés, partirent les répéter à tout ceux qu'ils croisèrent sur leur chemin. Les plus extraordinaire traversèrent la mer, arrivèrent dans le reste de la région, puis conquirent le reste du monde.
Seulement, à peine étaient-elles parvenues à Charbourg qu'elles ne ressemblaient déjà plus à la version contée par le marin de Joliberges. Aujourd'hui, il est devenu délicat de démêler le vrai du faux. On les renomma légendes.
Il y a quelques années, un homme originaire de Joliberges répondant au nom d'Aodren Fibs avait pris l'initiative de les transcrire dans un recueil. Après maintes réflexions, Fibs fit la sélection des légendes qu'il traiterait dans son livre : elles s'élevaient au nombre de quatorze précisément. Quatorze, alors qu'on en trouvait des centaines.
Pour expliquer son choix de ne présenter que quatorze légendes, Fibs déclara qu'il avait envisager d'écrire pour chacune d'entre elles leurs variantes et une explication détaillée. Un travail à la fois de recherches et d'écriture, qui fut défini comme étant "le pharamineux projet d'Aodren Fibs".
Malheureusement, Fibs n'eut jamais le temps d'achever son ouvrage : en effet, il était déjà dans un âge avancé lorsqu'il entama la deuxième et dernière partie : la mise à l'écrit de longues années de recherche. L'unique ouvrage, inabouti, présentant le début de son travail était consultable à la bibliothèque de Joliberges, sous une version manuscrite.
Lorsqu'il s'agissait de trouver les raisons de la perte d'un navire, les marins n'attendaient pas une minute pour dépoussiérer les vieilles légendes, croupissant au fond des esprits. Il était arriver malheur à un navire ? Alors c'était sûrement la faute à l'un de ces titans présents dans les pages encrées du manuscrit. Si untel avait dit avoir aperçu un telle bête causer tels ravages à tel navire, n'était-il pas évident que ce monstre ait existé ? Pour la plupart des marins, oui. Pour les autres, les enquêteurs notamment, non. Eux n'acceptaient pas qu'on puisse accuser un pokémon tout droit sorti d'un vieux bouquin, sans réelle preuve de son existence. Cette querelle durait depuis plusieurs années déjà, et ne se terminerait pas de sitôt...
Le jour où l'on apprit le naufrage d'un bateau transportant une trentaine de personnes, le débat reprit : certains mettaient directement la faute sur les monstres de légendes, d'autres estimaient plus approprié de se baser sur la science.
Tandis que les détectives se prenaient la tête avec les matelots, des sauveteurs furent envoyés à la recherche d'éventuels survivants, comme à l'ordinaire. On ne retrouvera que deux hommes : l'un mourut d'hypothermie peu de temps après, alors que son compagnon restera en vie. En vie certes, mais, ayant subi un traumatisme crânien, atteint d'une amnésie rétrograde. Au grand dam des enquêteurs qui avaient l'intention de l'interroger. De ce fait, ils auraient pu connaître les causes de l'accident. Et certifier l'erreur commise par les marins en déclarant coupable de simples pokémon.
Seulement ceci n'arriva pas, étant donné l'état du survivant. Le mystère resta entier.
Parmi les disparitions notables de la catastrophe, on retiendra celles du capitaine, Danéric Errol, et de Jill Errol, mousse. Danéric, âgé d'une cinquantaine d'années, était réputé meilleur marin de tout Joliberges. C'était aussi un passionné de légendes et autres histoires invraisemblables. Jill était, du haut de ses dix-neuf ans, d'une part le fils de Danéric, de l'autre un féru de navigation depuis sa tendre enfance. Il était prévu qu'il parte, le jour de sa vingtième année, pour un long voyage autour du monde en solitaire. Encore un rêve que la mer aura brisé.
La perte de ces deux personnes accabla le restant de la famille Errol. Iraïs, la mère de Jill, était désemparée. De son côté, Dan, le second fils, se raccrochait au fait qu'ils n'étaient pas encore décédé. "Porté disparu", ce n'est pas "mort". Chaque soir il priait pour que son père et son frère soient encore en vie, qu'on les retrouve, que toute cette histoire ne soit qu'un mauvais rêve.
Mais quelques mois plus tard, on leur annonça qu'il n'y avait plus beaucoup de chances de les retrouver, à moins qu'un miracle ne pointe le bout de son nez dans cette affaire. C'aurait été trop beau. Iraïs et Dan pleurèrent ensemble et en silence les deux disparus.
Un soir de juin, longeant lentement le port, se trouvait Dan. Un Dan grandi, mûri, différent de celui qu'il était lors de l'accident. Il revenait d'une région éloignée, où il était parti étudié, laissant de côté la marine et tout ce qui s'y rapportait. Iraïs avait choisi de partir dans un endroit où ils n'auraient plus à entendre parler de ce sujet. Dan l'avait suivie. Une nouvelle page se tournait pour eux. Adieu Joliberges, bonjour Arabelle.
Mais voilà. Iraïs, pensant que c'était là la meilleure solution, s'était trompée. Très vite elle trouva la vie à Arabelle fade. Alors, prise de mélancolie, elle décida de rentrer à Joliberges, le temps d'une semaine ou deux, histoire de rendre visite aux vieilles connaissances. Ils étaient de retour.
Dan s'était arrêté un instant, observant les navires amarrés au port. De l'autre côté, des marins, venant d'arriver, s'affairaient à décharger des caisses de marchandises tandis que d'autres proposait leur aide ou discutaient simplement entre eux. C'était le quotidien de ces amoureux de la mer ; Dan se souvenait des jours où lui et Jill allaient prêter main forte à leur père ainsi qu'à d'autres matelots.
Enfin, il arriva tout au bout de la ville. C'était en ce lieu qu'il avait l'habitude de venir contempler la mer. Il s'assit au bord de l'eau. A cette heure-ci, les derniers rayons du soleil se reflétaient dans les vagues, composant une palette de couleur de tons dorés, lesquels s'accordaient avec le ciel orangé. Ce spectacle lui avait manqué. Comme tout ici.
Arabelle, c'était une bien jolie ville. Mais c'était différent. Arabelle et Joliberges, c'était comme le blanc et le noir. La mer et la ville. Deux opposés, avec chacun des avantages et des désavantages.
Dan avait d'or et déjà choisi son monde. A vrai dire, il le savait depuis fort longtemps. S'il s'était écouté au moment du départ à Arabelle, il serait resté. Il aurait eu un bel avenir dans la marine. Il serait devenu capitaine et aurait suivi les traces de son frère. Jill, cet aventurier ! Lui qui désirait tant découvrir le monde ! Il l'aurait fait, lui, ce voyage ! Peut-être aurait-il eu la chance de rencontrer l'octillery géant. Peut-être aurait-il pu prouver à tous que cette bête existait, et ainsi donner raison à tous ces matelots ! Peut-être...
Seulement il n'était pas resté. Il avait écouté sa tête, et non pas son cœur. Désormais, c'était en ville qu'il vivait. Il passait ses journées à entendre des gens lui apprenant des choses sur des sujets qui le l'intéressaient pas, puis il rentrait, mangeait, dormait, et cela recommençait chaque jour. C'était donc ça, la "belle" vie que lui avait promis sa mère en déménageant ?
Le regard de Dan fut attiré par un galet. Plutôt ordinaire en somme. Il le prit dans sa paume. Là, il lui apparut tout petit, abimé, sale. Différent. Il referma ses doigts autour. Sa vie aussi aurait pu être comme ce galet, différente.
Dan savait qu'à Arabelle son destin ne serait pas celui dont il avait toujours rêvé. Monotone. Ennuyeux.
Mais il savait aussi qu'il n'était pas trop tard pour changer d'avis.
Il ne comprendrait que trop bien la réaction d'Iraïs à cette annonce. Elle n'avait plus voulu entendre parler de marine depuis le naufrage. Ce sujet était devenu tabou dans la famille. Et voilà qu'il lui comptait lui annoncer qu'il partait en mer !
Mais malgré ceci, il partirait quoiqu'il arrive sur les traces de Danéric et Jill Errol. Il lèverait le voile sur le mystère du naufrage qui avait engendré la mort d'une partie de sa famille. Puis il reviendrait voir Iraïs, sa mère, à Joliberges. Avant de repartir sur les flots pour un long, un très long voyage autour du monde...
Voilà, c'était décidé. Les tempêtes et les difficultés pourraient venir se mettre en travers de son chemin, il ferait avec. Et puis, au moins il aura quelque chose à raconter à son père et son frère, quand il les rejoindra dans l'au-delà.
Il jette ses galets
A la gueule des noyés
Pour voir la mer pleurer
Pour voir la mer pleurer.