Valentime
Il y a des journées comme ça, où on se demande pourquoi on a seulement mis le bout de la truffe hors de sa tanière.
Depuis qu'il avait ramené Lesath, ce genre de journées étaient bien trop courantes au goût d'Altair. Et aujourd'hui ne dérogeait pas à la règle.
Il avait à peine ouvert l'oeil qu'il l'avait compris.
Et pour cause : le ciel était violet. Le sol était rouge. Le peu de neige qui n'avait pas encore fondu était rose. Et devant lui, en prime, trônait une espéce de grosse guimauve écarlate en forme de coeur. Qui lui avait collé des lunettes roses sur le museau ? Et qui se prenait pour un sculpteur de bonbon ?
Et en prime, il avait un truc accroché au cou qui le gênait. Une espèce de lanière qu'il sentait pendouiller, mais n'arrivait pas à voir. Si quelqu'un avait eu la mauvaise idée de lui mettre une laisse, il ne répondait vraiment plus de ses actes !
Il sortit de son terrier tant bien que mal, manquant de rester englué dans le bonbon pâteux, puis de se prendre tous les arbres. Les lunettes n'étaient pas adaptées à sa vue, et il sentait déjà son estomac se retourner.
Il retrouva son impose-douleur habituel devant un groupe de Roselia, Roserade et autres Rosaépine, en train de se dandiner en choeur.
- Allons, les filles et les garçons, tous en rond ! Faut qu'on soit prêts pour ce soir, à danser la lambadard du fêtard !
- LESATH !
Le Togetic se retourna et se mit à sautiller sur place, nullement impressionné de voir un Absol à lunettes roses lui foncer dessus: "Oh, Altaïr ! T'es réveillé ! Chouette, tu vas pouvoir venir t'exercer avec nous ! Regardez, fillons et garces, on a un nouveau danseur !
Les plantes se mirent à glousser, décontenançant totalement le porte-malheur.
- Pas question que je vienne danser ! Explique-moi juste pourquoi tu m'as collé des lunettes affroses sur le nez !
- C'est un cadeau, et c'est pour voir la vie en rose, quelle question !
- Et le bidule à mon cou, là ?
- La cravate ? Pour que tu sois élégant !
- Et le gros coeur gluant ?
Ce à quoi Lesath répondit tout spontanément : "Mais la Saint Valentime, c'est la fête de ceux qui s'aiment ! Et moi je t'aime Altaïr ! Alors je t'ai offert un coeur !
Choc. Quoi ? Il avait bien compris ? Lesath lui offrait un coeur à la Saint-Valent... Valentime ?
Valentime ?
Altaïr n'était pas un spécialiste des humains, loin de là, mais même lui savait que la Saint-Valentin était un espéce de jour simili-sacré où les humains en couple avaient visiblement pour but de battre le record du monde du baiser en apnée. Une Mélofée du village lui en avait rabattu les oreilles pendant des années, expliquant combien c'était mimi, gnongnon, et doudou. Elle avait arrété quand il avait craqué et lui avait hurlé que c'était surtout complétement concon, sterster et nannan.
C'était ça. Le Togetic avait encore singé les humains de travers.
Enfin, il espérait que c'était ça, parce que l'autre solution le gênait au plus haut point.
- Non, c'est la Saint-Valentin ! s'emporta Altaïr. La fête des amoureux ! Alors va offrir tes cadeaux à une petite Tarsal, à une mignonne Rattata ou même à un Onix psychopathe, je m'en fiche, mais laisse moi tranquille !
Mais loin de se décourager, Lesath répondit gaiement : " Nan ! La Saint-Valentime ! La fête des amis ! Celle où on donne des cadeaux à tous ses amis pour leur montrer qu'on les aime ! Je viens de l'inventer !
- Mais tu ne peux pas faire ça ! Ca... ça n'existe même pas ! Ca n'est pas dans le calendrier !
- Oui, alors je peux la mettre, quand je veux, où je veux, avec qui je veux et comme je veux ! Et j'ai dit aujourd'hui, ici, avec mes amis, et avec pleiiiiiiiin de cadeaux !
- Mais... Mais c'est complétement débile !
- Oh, tu trouves ? demanda Lesath, un peu déçu. Tegmine m'a dit la même chose...
Pour la première fois, Altaïr se surprit à se dire que finalement la pikachoute n'était pas si mal...
- Alors elle a dit qu'elle ne fêterait que la Saint Valentin aujourd'hui. Elle est parti chercher ton cadeau.
... avant de revenir à ses pensées habituelles et de se demander s'il ne pourrait pas lui apprendre de force l'attaque Autodestruction.
Le voyant devenir rose de rage, Lesath tenta un petit "Mais ne t'en fais pas, hein, c'est la seule ! CorCorali et CorLéonis ont dit que leur cadeau, ce serait juste par amitié !
- QUOI ?!
- Bah, j'ai expliqué à tous les autres ce que c'était que la Saint-Valentime, et ils ont tous dit que du coup, ils devaient offrir un cadeau à tous leurs amis et comme tu fais partie de leurs amis, bah ...
- Hors de question !
Rien qu'à l'idée de devoir tous les supporter toute la journée, il en avait mal à la tête, et ce n'était pas qu'à cause de ces affroses lunettes !
- Qu'ils te fassent des cadeaux ? Et tu comptes les en empêcher comment ?, fit remarquer le Togepic.
- Et bien moi, je ne la fais pas, la Saint-Valentime ! Ou la Saint-Valentin ! Ce sont des fêtes stupides !
- Oh, allez, même si tu ne veux pas faire de cadeau, c'est pas grave. L'important, c'est de participer ! Tu vas voir, on va manger, rire, et puis, euh ... Regarde, on va même faire une danse de l'amitié ! Tu veux venir t'entraîner avec nous ?
Mais Altaïr avait fait volte-face, et courait loin de cet espéce de bonheuropathe et de sa horde de danseuses de la tige.
-Et puis en plus y'a un Lovdisc qui va venir pour réciter des poèmes ! Reviens !" entendit-il derrière lui.
Bah voyons. L'idée d'entendre un poisson bloblotant lui réciter que les roses étaient roses, les violettes violettes et les amis trop choupis, ça allait le convaincre de revenir, sûr !
Il courut jusqu'à tomber sur une petite caverne qu'il connaissait. Là, il aurait la paix : il ne l'avait même pas montrée à Lesath. S'il la connaissait, c'était uniquement parce qu'il venait y jouer quand il était petit. Elle était étroite, sombre, pleine de toiles de Mimigal et abritait quelques pokemons bizarres ; le rêve d'un enfant, le cauchemar d'un adulte.
Ah. La Saint-Valentime ? Echanger des cadeaux, montrer son amitié, tout ça ? Tu parles. Uniquement une occasion de s'échanger des machins, de montrer à quel point on ne se connait pas vu que lesdits machins ne plaisent jamais, et d'échanger des sourires hypocrites toute une journée. Il avait d'autres choses à faire que de supporter les boulets qui composaient son entourage, comme enlever ces saletés de lunettes qui avaient l'air vissées à sa truffe ! Lesath avait dû utiliser de la colle, c'était pas possible autrement !
- Je. Hais. Cette. Fête. lâcha-t-il, après avoir enfin réussi à enlever la monture, ainsi que quelques bandes de poils blanc.
Bon, maintenant au tour de la... gravate ? Enfin, du bidule autour de son cou.
Mais celle-ci ne se laissait pas faire. S'il tirait dessus, il s'étranglait. S'il essayait de glisser les pattes entre le tissu et sa peau, il se coinçait le sabot et étouffait. C'était pas une gravate, mais une laisse ! Il se mit à fulminer : " J'en ai marre ! Mais marre ! Je veux qu'on me fiche la paix, comme avant ! Je veux être tout seul, je veux qu'on arrête de me pourrir mes journées, je veux la paix ! "
Quelque chose lui frôla la tête.
- Et toi, dégage le truc zarb... zarbi ?
Un E lui lança un coup d'oeil depuis le plafond et continua de glisser le long de la paroi.
Altaïr, calmé mais mal à l'aise, le regarda disparaître dans un coin obscur.
Ces pokemons-là le dérangeaient. Ils ne chantonnaient jamais comme Lesath, ne piaillaient jamais comme Tegmine, ne divaguaient jamais comme Cor-quelquechose, ne râlaient jamais comme lui. En fait, ils ne disaient jamais rien, et se contentaient de surgir de nulle part, de l'observer puis de repartir. Ca lui rappelait trop ces enfants humains arborant filets à papillon, chapeau de paille et air concentré devant les "exploits" de leurs Blindalys, Armurlys et autres Larv'lisses, à savoir ronfler, pioncer, somnoler, et quand ils s'ennuyaient vraiment trop, lancer une Secrétion visqueuse sur le couvre-chef de leur dresseur.
Non, il n'était un sujet d'observation pour personne, humain ou pokemon. Hors de question qu'il supporte ça.
Mais quand il était petit, c'était autre chose. Il adorait venir ici. Il jouait avec les Zarbi à cache-cache, à "trouve la forme bizarre", à "colle les Zarbi sur la paroi pour dessiner ton papa en train de se curer l'oreille droite avec la patte arrière gauche", et eux... bah, le laissaient jouer avec eux. Qui pouvait dire ce que ressentait un Zarbi ?
Il y eut comme un chuintement derrière lui. Il se retourna d'un bond, manquant se cogner aux parois.
Sur un rocher, cinq Zarbi rampaient doucement. Ils s'immobilisèrent en quelques secondes, le long d'une ligne invisible et... lui lançèrent un clin d'oeil simultané.
Ca c'était bizarre. Et même plus que bizarre. Quand il était petit, les Zarbi ne lui avaient jamais fait signe. A part une fois, peut-être ? lui souffla un vague souvenir embrumé, avant de se faire submerger par d'autres pensées bien plus urgentes.
Est-ce qu'ils voulaient lui dire quelque chose ? Altaïr plissa les yeux, et essaya de se rappeler les leçons que le petit Togetic lui avait enfoncées dans le crâne à coups de larmes et chantage affectif.
- Z... non, dans l'autre sens, c'est le S, non ? ... P ... M ... F - non, trois barres pas deux - c'est un E et .. T ? C'est quoi ce truc ? ZPMET ? Ou SPMET ?
Et d'un coup, les Zarbi n'étaient plus là. Ils ne disparurent pas, ils n'étaient juste pas là.
L'Absol cligna des paupières. Il s'était passé quoi, là ?
Mais il n'eut même pas le temps d'y réfléchir qu'une voix retentit derrière lui : " Altaïr ?"
Je connais cette voix, pensa Altaïr. Enfin, je crois ? Elle ressemble à celle d'Antarès. Cet imbécile a dû me suivre jusqu'ici, ou il s'est rappelé que je venais là quand j'étais petit, et il est venu me chercher pour cette stupide fête. S'il m'a ramené un cadeau d'"ami", ça va chauffer !
Il se retourna donc pour lui dire d'aller se faire exploser chez les Electrodes, ouvrit la bouche et lâcha un : " Papa papa papa papa papaaaaaa ! C'est trop chouette ! " d'une toute petite voix.
Quoi ? Qu'est-ce qu'il venait de dire ?!
Face à lui, Antarès était bien assis, tête penchée sur le coté avec son air habituel "Oh mais qu'il est mignon mon bout d'chou". Mais Altaïr le trouvait différent. Le poil un peu plus brillant, et surtout plus grand !
Il sentit ses pattes s'activer toutes seules et bondir sur le Noctali. Il eut un choc : Antarès était gigantesque ! Au moins deux fois plus grand que lui ! Et lui, il tentait de lui sauter dessus ! Mais il était fou ?!
Mais Antarès recula d'un bond, évitant la charge involontaire d'Altaïr, puis passa sur le coté, se rapprocha de lui et l'immobilisa d'un coup de patte bien placé. L'Absol ne pouvait plus bouger, et son père commença alors à le titiller au niveau des côtes avec sa truffe. Eh, mais ça chatouillait ça ! Et il continuait !
Bientôt, Altaïr se tordait de rire sur le sol. Il ne supportait pas les chatouilles ! Et encore moins venant de son père ! Mais tous les noms d'oiseau qu'il avait essayé de lancer à Antarès n'avaient pas dépassé le seuil de ses lèvres.
Mais qu'est-ce qui se passait, enfin ! demanda la petite part de son cerveau qui n'était pas occupée à se tordre de rire ou à chercher désespérément de l'oxygène. Pourquoi est-ce qu'il ne controlait plus son corps, ses paroles, pourquoi Antarès avait grandi, pourquoi il se permettait de lui faire subir une séance de chatouille comme quand il était petit, pourquoi les Zarb -
Quand il était petit ?!
Oh meeeeerde ! Non, les Zarbi ne l'avaient quand même pas... ?
Pile au moment où il pensa mourir asphyxié, le Noctali arrêta de le torturer à coups de papouilles, et le laissa agoniser en paix. Il regarda le corps d'Altaïr essayer de reprendre son souffle, pendant qu'intérieurement, Altaïr paniquait.
- Je t'aurai Papa, un jour ! Je t'aurai !
J'avais vraiment cette voix-là ? Même celle de Tegmine est plus grave ! Et je parle comme un Malosse qui aurait abusé des baies Kaffe !
- Je n'en doute pas, trésor. Mais tant que tu es petit, je compte bien en profiter !
Et la voix du Noctali était différente de d'habitude, elle aussi. Plus jeune. Plus insouciante. Altaïr n'aurait pas cru ça possible pourtant.
Mais pendant que l'Absol faisait métaphoriquement une crise de spasmophilie, le jeune Altaïr, lui, profitait de la vie. Il s'était relevé et étiré dans des postures ridicules, sous l'oeil attendri de son père. Puis il avait entrrepris de taquiner de la patte une Coxy égarée dans la grotte. Mais l'insecte n'était pas joueur, et finit par faire le mort ; le jeune le laissa alors tranquille, et se dirigea vers le fond de la grotte...
Fond, qu'il n'atteignit pas, puisqu'Antarès reprit la parole :
- Allez, mon grand, il va falloir y aller.
- Déja ? Oh noooooon !
Altaï fit intérieurement la grimace. Il avait fini par se calmer, mais cette manie juvénile qu'il avait de faire duuuuureeeeer leeeees moooots lui portait sur les neeeeerfs.
- Allez mon grand, le soleil va se coucher. Sinon, on arrivera en retard pour le dîner, tu sais ?
Altaïr fut dégouté que son jeune double se dirige aussi vite vers son père. Il n'écoutait donc que son estomac ?! Mais le jeune s'arrêta avant la sortie de la grotte, et geignit :
- Dis Papa, on reviendra ? Dis dis dis diiiiiis ?!
- Hum, on verra. Tu sais, il y a plein de façons plus amusantes de passer le temps que de jouer ici.
Plus amusantes ?
Altaïr adulte ne pouvait être plus d'accord avec Antarès pour une fois : sur sa liste des choses amusantes, "jouer avec les Zarbi" arrivait juste derrière "crâner devant un Lucario comme quoi les pokemon Ténébres sont les plus forts" et "essayer d'expliquer à Corléonis que non, le Père Fouettard n'a pas de cousin éloigné nommé le Père Clochettard".
Mais il se souvenait qu'étant jeune, c'était différent. Un caillou biscornu était un trésor secret, un coin d'ombre une porte possible vers un autre monde. Cette cave devenait au gré de son imagination un temple secret plein de pièges mortels, un bateau en perdition ou un château en ruines hanté par un quelconque fantôme, voire même un château en perdition hanté par des pièges secrets. Et les Zarbi... euh... c'était un peu gênant en fait...
- Mais Papa, ce sont mes amis ! claironna le petit Altaïr.
Arg. Il avait vraiment dit ça ?! Mais quelle andouille ! Si ça avait été n'importe qui d'autre, il aurait été mort de rire ; là, il était surtout mort de honte.
S'ensuivit un moment de silence, que le jeune Absol ne savait pas trop comment interpréter, vu son agitation. Le plus vieux ne le comprenait pas trop non plus, d'ailleurs. Antarès finit par répondre lentement :
- Un ami... Trésor, un ami c'est quoi pour toi?
- Euh... C'est... c'est un ami. Un ami c'est un ami. C'est l'inverse d'un pas-ami.
Logique pour son âge. Complétement crétin pour un adulte.
Le Noctali reprit : "Ecoute, les Zarbi, est-ce qu'ils sont là pour toi quand tu en as besoin ?
- Ouiiiii ! jappa son fils.
Forcément, vu qu'ils ne bougeaient jamais de la caverne.
- Est-ce qu'ils jouent avec toi ?
- Ouiiiii !
En tout cas, ils n'ont jamais refusé. Ni accepté non plus.
- Est-ce qu'ils t'écoutent ?
- Ouiiiii !
Par contre, par sûr qu'ils en aient quelque chose à faire.
Antarès s'arrêta quelques secondes et soupira : "Bon, je m'y prends de la mauvaise façon. Alors mon grand, on va faire autrement... Tes Zarbis, là... Est-ce qu'ils te contredisent quand tu dis une bêtise, te calment quand tu t'énerves, ou te remontent le moral quand tu vas mal ?
Les deux Altair subirent simultanément un choc. C'était vraiment Antarès qui disait ça ? Le Noctali tout fou ?
- Mais ils ne disent jamais rien ! C'est pas juste cette question! répondit l'Absol.
- Réponds à la question, mon grand, fit patiemment son père.
- Bah non !
Antarès reprit : "Est-ce qu'ils viennent te chercher quand eux ont besoin de toi ?
- Mais ils ne sortent jam-
- Réponse ?
- Non !
-Est-ce qu'ils te pourrissent parfois la vie, parce qu'ils ne sont pas d'accord avec toi ? Ou parce que tu ne comprends pas ce qu'ils veulent ? Parce qu'ils ne sont pas comme toi ?
- Non !
- Alors, ce ne sont pas vraiment des amis" conclut le Noctali.
Altaïr-le-jeune fronça les yeux, essayant de comprendre la réponse de son père, pendant que Altaïr-l'adulte se demandait dans quelle dimension il avait atterri.
- Ca a l'air compliqué, les amis, dit finalement le petit Absol.
- Très. Et dur à avoir. Mais quand tu en as, tu ne peux plus t'en passer. Chaque jour, tu as une surprise différente. Bon, dans certains cas la surprise c'est une dispute, mais au moins, on ne s'ennuie pas." Il se tut un instant, laissant le petit Altaïr comprendre l'idée, avant de poursuivre. "Mais tout ça pour te dire que tes Zarbi, là... ce ne sont pas tes amis. Ils te laissent jouer avec eux, mais comme ils laisseraient faire n'importe qui. Ils ne savent pas qui tu es, ou ce que tu veux, ou si tu préféres la Mango ou la Tronci... ils ne savent pas. Ca ne les intéresse pas.
- Mais..., tenta son fils.
- Ce n'est pas leur faute. Les Zarbi sont des pokemon spéciaux, ils ne restent qu'entre eux. Mais toi, tu ne peux pas rester avec eux. Tu dois te faire de vrais amis, et pour ça, il faut arrêter de passer tes journées ici. Il y a tout un monde dehors, tu sais ?
-Je sais. Mais le monde dehors, il ne me plaît pas à moi !
- Qu'il te plaise ou non, tu devras y aller tôt ou tard. Au moins pour manger. A moins que tu aies envie de dévorer un Zarbi pour dîner ?
- Papaaaaaaa ! Geignit le petit.
- Je plaisante, mon petit. Mais tu vas devoir apprendre à y vivre dans ce monde. Tu vas l'explorer, côtoyer des gens, apprendre à les connaître, tu vas découvrir plein de choses !
Toutes ces informations étaient visiblement trop nombreuses pour le petit cerveau de l'Absol, qui essaya de résumer ce qu'il avait compris : "Alors si je sors, j'aurai des amis ? Avec des vraies grosses disputes, et tout ça ?
- Oh, avec ton bon caractère, je doute que les disputes soient si grosses que ça...
- Mais j'en aurai ? insista-t-il.
- Pas là tout de suite, non. Mais un jour, sans doute...
- Et mais en attendant, là, tout de suite, si je sors, j'aurai le droit à une Baie Nanas ?"
Antarès eut un grand sourire : "Tu ne perds pas le Nord, toi !"
- Bah, il faut bien que je m'occupe en attendant des amis... fit semblant de bougonner Altaïr.
Antarès avait l'air de trouver ça très mimi. Son double adulte, lui, se dit qu'il ne se souvenait pas avoir été aussi concon, sterster et nannan un jour.
Le Noctali fit signe à son fils de le suivre et commença à se diriger vers la sortie. Et Altaïr l'adulte commença à paniquer.
Il ne savait pas comment il était arrivé là, prisonnier dans son corps d'enfant, mais il était sûr qu'il y avait un lien avec les Zarbi. Et s'il sortait d'ici et écoutait son père, il ne reviendrait sans doute jamais dans la grotte ! Et donc il resterait coincé là dedans jusqu'à... jusqu'à... quand ? Jusqu'à ce qu'il soit adulte ? Jusqu'à la Saint Valentime de Lesath ? Ou pire, revivrait-il ce retour dans le temps, et cet instant où il se posait cette question, et encore ce retour, et ainsi de suite ad vitam nauseam ?
Remarquez, bien avant d'arriver à cet instant, il serait devenu fou. Il ne pourrait jamais rester sain d'esprit s'il devait être le témoin silencieux de ses rêveries lesathesques puériles, puis de ses désillusions adultes. Rien que d'y penser, il avait envie d'hurler !
Loin de ses préoccupations, le petit Altaïr resta assis, immobile, jusqu'à ce que son père fasse demi-tour et revienne près de lui.
" Papa, commença-t-il, je peux pas partir maintenant... Faut que je leur dise au revoir avant ! Je peux pas partir comme ça !"
Altaïr sentit sa panique diminuer, et sa honte augmenter. Il allait certes revoir les Zarbi et, il l'espérait, retourner en son temps... Mais franchement, qui serait assez bête pour penser que des Zarbi s'inquiètent de lui ? Autant aller s'excuser auprès d'un ananas parce qu'on vient de manger une salade de fruits ! Visiblement, Antarès partageait son avis mais à peine avait-il ouvert la bouche que l'Absol reprenait : "Maman a dit que je devais être poli avec tout le monde ! "
- Oh, si c'est ta mère qui l'a dit, je m'incline... Mais vite alors !
Et il s'assit, laissant ses fils repartir plus profondément dans la grotte, à la recherche des pokemon lettres inquiétants.
Altaïr avança sur quelques mètres, prit deux tournants avant de tomber sur un Zarbi. Un petit, tout rond, avec une petite queue, (un Q, comprit l'adulte) qui trainait là, l'air insouciant du monde en général, de l'Absol en particulier. Altaïr s'assit devant lui.
Que dire à un rêve d'enfance qu'on abandonne ?
Altaïr l'adulte, lui, n'aurait pas hésité. Il aurait pesté contre les Zarbi, vociféré contre son père et ralé contre le monde avec en prime une ou deux malédictions imagées contre sa malchance innée, puis serait parti sans un mot d'adieu.
Mais le jeune Altaïr n'était pas encore l'adulte. Il lui faudrait encore des années de désillusion et confrontation au monde avant de se construire sa carapace de dédain.
Il se racla la gorge, avant de commencer doucement : "Hum... Je ne sais pas si tu m'entends, mon papa dit que non, mais au cas où moi je voulais de le dire, parce qu'on sait jamais, peut-être qu'il se trompe et ... Heu, non, en fait, c'est pas ça que je voulais dire ..."
Le Q décida d'aller faire un petit tour au plafond, puis de faire des demi-tours incessants. Le jeune Absol continua, la tête levée en l'air et les yeux jouant les toupies : "En fait, je voulais juste dire que j'allais partir, parce qu'il faut que je devienne grand et me fasse des amis, et que du coup bah je restais pas ici. Alors, si tu pouvais dire aux autres que je m'en vais ...."
Sans crier gare, le Q fila vers un coin sombre, disparaissant à la vue du pokemon ténébres.
- Altaïr, dépêche toi ! lança son père, loin derrière lui.
Mais Altaïr le jeune se fichait éperdument des appels de son père. Devant ses yeux ébahis, d'autres Zarbis étaient apparus et s'agitaient tous ensemble, dans une espèce de danse effrénée.
C'est ma chance ! se dit Altaïr le vieux.
- Altaïr ?
Un tas de Zarbi aux formes bizarres se mirent en ligne.
Le plus cynique des Altaïr se demanda si c'était si dur que ça que de compter jusqu'à 5, et pourquoi le mot formé n'était pas le même que tout à l'heure. Maintenant, c'était T E M P et S... TEMPS ?
Les Zarbi reclignèrent de l'oeil.
Et ils disparurent.
Ca y est ! se dit Altaïr. J'ai dû revenir à ma place, là où je suis grand, adulte, et réaliste! Et tout seul, sans Zarbi bizarres et sans père lu-
- Altaïr !
C'était la voix d'Antarès. Le cerveau d'Altaïr fit machine arrière toute.
Oh merde. Ca n'a pas marché. Je vais être obligé de rester là, et d'être une andouille à plein temps pendant des années encore. Je vais devoir réapprendre à envoyer balader mon père, à maudire les humains, et en plus revivre le moment hautement gênant où mon père a tenté de m'expliquer que les bébés pokemons ne sortaient pas des marguerites...
Oh merde.
- Altaïr, tes amis te cherchent partout ! Tegmine pense que tu t'es noyé dans la rivière et veut électrocuter tous les Magicarpes qui ne t'ont soi-disant pas sauvé !
De quoi ?
- Allez, mon grand !
C'est le "mon grand" qui le décida à se retourner. Se pourrait-il que... ?
Il vit un Antarès impatient, au poil brillant mais pas trop, et surtout qui n'était pas obligé de baisser la tête pour le regarder. Altaïr n'avait jamais été aussi content de le voir ! Il était sorti de l'Age de l'Andouille et revenu à l'Age du Blasé ! Il avait réussi !
- Ah, tu m'entends enfin ! Il serait temps !
- Euh... oui. Une minute s'il te plait..., l'âcha-t-il.
Altaïr essaya de remettre de l'ordre dans ses pensées. L'instant d'avant, il était petit et bête et son père grand et sage à ses yeux ; l'instant d'après, il était grand et moins bête et son père...
- Tu te souviens ?, dit Antarès, les yeux perdus dans ses souvenirs. Tu venais jouer ici quand tu es petit... Tu étais vraiment trop mignon à cet âge, une petit boule de poile qui...
Non, son père était toujours un crétin. S'il avait eu un peu d'intelligence à l'époque, il avait dû la perdre en vieillissant. Et puis d'ailleurs, tout ce qu'il venait de vivre n'était qu'un rêve, forcément, et il ne voulait même pas y repenser !
- Oui, je m'en souviens comme si c'était il y a cinq minutes. Et je n'étais pas mignon, j'étais idiot. Et je n'ai pas envie d'en parler ou même d'y repenser ! On va juste sortir de là très vite !
Il se pressa vers la sortie, bousculant son père au passage.
Celui-ci l'interpela avant qu'il ne sorte : " Euh, trésor ? Tu as oublié quelque chose, non ?"
L'Absol se retourna, et plissa les yeux jusqu'à apercevoir un bout de tisse dans la pénombre. Il était long, emmêlé, et violet avec des petits Lovdisc roses.
- Ca m'étonnerait que ça..., commença-t-il avant de se rendre compte que plus rien ne le gênait au niveau du cou. Oh. La gravate. Bien sûr, ce goût douteux, c'est de Lesath. Je vais la laisser là, ou il va me forcer à la remettre. Et maintenant, allez, dehors !
Il plissa les yeux en sortant de la grotte. Qu'il était bon d'être au soleil, loin de la prénombre ! Il ne retournerait plus jamais là-dedans, même pour fuir les idées folles de Lesath !
D'ailleurs, où étaient ils tous passés ? Son père avait parlé de la rivière, alors ils feraient mieux d'aller dans cette direction. Il s'engagea à grands pas dans les fourrés, pressé de s'éloigner des Zarbi.
D'ailleurs, puisqu'il y pensait...
- Hum ... Il n'y avait pas un Leviator dans la rivière ?, demanda-t-il à son père qui le suivait de près.
- Si si. Un peu trop colérique à mon goût, mais tant qu'on ne l'embête pas il est sympathique. Pourquoi ?
- Oh, pour rien... pour rien..., répondit évasivement l'Absol.
Il ralentit sensiblement le pas. Après tout, Ca ne pouvait pas faire de mal à Tegmine un petit combat, même contre un ennemi de 15 fois sa taille et 30 fois son poids. Même contre un pokemon qui maîtrisait Hydrocanon, Machouille et Draco-Rage. Ca lui ferait du bien, un peu d'exercice !
Enfin, cette histoire était passée, se dit-il. En comparaison, sa vie actuelle lui semblait bien plus belle.
Il allait rester calme aujourd'hui. Comme un petit remerciement pour le fait qu'on l'ait ramené à son époque. Et puis après tout, il venait de vivre un enfer personnel, alors rien ne pouvait être pire aujourd'hui ! Alors, il serait calme, sûr.
Il tint cette résolution à peu près cinq minutes.
Jusqu'à ce qu'il voie Lesath se trémousser avec une Joliflor sur "Petite Marill, je n'attends que toi..."
Jusqu'à ce qu'il aperçoive Tegmine courir vers lui, trempée mais assez en forme pour hurler son nom, avec deux petites ailes de Papillusion sur le dos et un arc en main.
Jusqu'à ce qu'il distingue les deux Cor' s'approcher de lui, arborant des boucles d'oreilles en papier cadeau et un sourire de Miaouss découvrant un parterre d'Herbe-à-chat.
Jusqu'à ce que son père lui souffle à l'oreille : "Une surprise différente par jour... ou plutôt, une dispute..."
Si le jeune Altaïr pouvait vivre cet instant, il en pleurerait de rire, c'était certain !