Le voyage continue
Le soleil qui tapait sur la vitre sale du wagon aurait pu le réveiller, cependant ce fut le bruit de la foule qui le fit. Thomas ouvrit un œil et regarda sa montre.
-Merde, il est presque midi.
Il se leva de la banquette, grimaçant de dégoût lorsqu'il sentit que son dos nu et transpirant avait plus ou moins collé à celle-ci.
Il remit son T-shirt et sortit du wagon. Le train pour Hirsan était là et il y avait un monde fou sur le quai. Thomas courut vers un guichet et prit un billet. Il tenta tant bien que mal de se glisser dans un des wagons. Celui qu'il choisit était à peine dans un meilleur état que l'espèce de carcasse métallique dans laquelle il avait essayé de dormir la veille. Thomas trouva une place sur la banquette entre une vieille femme très ridée et un jeune garçon au t-shirt déchiré par endroits. Celui-ci cru que Tom ne le regardait pas et approcha une main de sa poche alors qu'il s'asseyait. Le jeune homme attrapa celle-ci en un éclair.
-N'y pense même pas…
-Non ! ! ! Je ne voulais pas ! Je suis désolé !
-Pas autant que moi. D'une j'ai rien sur moi, que des Pokémons qui sortiront de leurs Balls pour t'éclater si t'essaies de me les piquer, de deux, si tu retentes quoi que ce soit, je te tue c'est clair ?
Face à l'expression glacée sur le visage de Thomas, le garçon déglutit difficilement et acquiesça en silence.
Alors que de nouveaux voyageurs arrivaient encore, malgré le nombre déjà très élevé de passagers dans le train, Tom sentit quelque chose lui piquer le genou. Il leva les yeux et vit qu'il s'agissait des cornes d'une chèvre qui était devant lui. Celui-ci la regarda bizarrement puis soupira longuement. Il en profita pour regarder ce wagon surchargé. Les passagers étaient pour la plupart debout et semblaient pauvres. Mais Thomas n'eut pas même un pincement au cœur.
-C'est la première fois que vous prenez ce train ? Demanda l'apprenti voleur.
-Ca te regarde ?
-C'est juste que vous ne vous fondez pas trop dans le décor…
-…
-Les touristes prennent plutôt l'avion.
-Pas de vol jusqu'à Hirsan et puis j'ai plus de fric.
-Ah… Opela ! On démarre !
-Merci, j'avais remarqué.
-Vous êtes pas très joyeux. Pourtant vous avez l'air moins pauvre que la majorité de gens ici.
-Tu me soûles, la ferme.
-Vous savez, beaucoup de gens dans ce wagon n'ont pas de quoi manger chaque jour, et pourtant, regardez, eux sourient.
Tom eut un rictus cruel.
-Tu vois cette chèvre ?
-Oui, mais euh…
-Imagine que c'est ta seule amie. C'est la chose à laquelle tu tiens le plus au monde. Tu n'as ni famille, ni ami. Mais tu as cette chèvre, et tu te confies à elle.
-Euh… oui…
-Et bien je vais la tuer devant tes yeux.
Thomas fit mine d'avancer le bras vers l'animal. Le garçon le stoppa avec une force et une vitesse incroyable, bien plus rapide que lors de sa tentative de vol.
-Tu vois, tu m'aurais volé avec cette volonté, je n'aurais rien pu faire.
Il se défit de la main du garçon.
-T'inquiète, je lui ferai pas de mal.
Il caressa le front de l'animal du bout des doigts.
-Vous avez perdu quelqu'un de cher ?
-C'est tout pour aujourd'hui. Maintenant laisse-moi dormir, je crois que le trajet est plus que long.
-Comme vous voulez.
Tom ferma les yeux et croisa les bras derrière la tête. Il eut un petit sourire triste.
Désolé pour la comparaison Marie…
Il se réveilla bien plus tard. La chaleur avait rendu sa bouche pâteuse et il se rendit compte qu'il n'avait pas d'eau sur lui. Il regarda sa montre, il avait dormi assez longtemps puisque la moitié du trajet était fait. Malgré le nombre important de passagers, un grand silence s'était installé. Il faut dire que la chaleur et la mauvaise odeur de certains animaux ne donnaient pas envie de parler.
Tom ferma les yeux et tenta de ne plus penser à sa soif ni à sa gorge complètement sèche. Il lui suffit de baisser ses paupières, de revoir le visage de Marie allongée dans ce lit d'hôpital pour reprendre courage. Le train n'allait pas très vite et nombreuses étaient les secousses. L'une d'elle fut si forte que Thomas du s'accrocher à une poignée pour ne pas tomber. En se repliant sur lui-même, il se rendit compte à quel point il avait maigri. Il n'avait rien mangé pendant les trois jours où il avait dormis, et plus rien avalé depuis son départ de Monche-Ville. Thomas n'était déjà pas quelqu'un de très costaud, autant dire que quelques kilos en moins lui donnaient un air maladif. Il s'aperçut que la vieille dame à ses côtés avait un miroir qui dépassait de sa poche. Il lui demanda et elle refusa, expliquant que c'était un cadeau de feu son mari. Tom lui demanda alors s'il était juste possible qu'elle tende l'objet pour qu'il puisse au moins se regarder. Elle accepta. Le garçon fut plus ou moins rassuré. Il était moins horrible à regarder que lorsqu'il était sortit de l'hôpital, et n'avait pas de cernes. Seules ses joues étaient creusées. Une légère barbe commençait à poindre sur son visage et ses cheveux, qu'il n'avait pas coupés depuis longtemps, retombaient devant ses yeux, et ne gardaient pas leur côté droit et raide habituel, au contraire, il y avait quelque chose de sec en eux qui donnait cette bizarre impression qu'il s'agissait de paille.
Le trajet parut interminable, mais le train s'arrêta finalement devant la gare d'Hirsan, terminus de ce trajet pénible. Thomas sortit le dernier du wagon, évitant ainsi le tumulte de la foule, trop heureuse de pouvoir sortir de cet enfer. Hirsan était plus un gros village qu'une ville. Les bâtiments, de grosses structures généralement assez basses et de couleur beiges, se fondaient particulièrement bien avec le sol sablonneux sur lequel marchait maintenant le garçon. Tom apprit rapidement qu'il y avait une dizaine de compagnies aériennes pour les trajets en basse altitude. Mais seulement la moitié était encore ouverte, les autres ayant fermé pour cause de sécurité, en raison de la tempête au dessus de l'Himalaya.
Thomas rentra dans différentes agences privées qui voulaient bien faire le voyage, mais les prix étaient exorbitants. Au bout de la cinquième agence, Tom abandonna et s'assit au coin d'une rue.
Merde... comment je vais faire... J'ai fait la moitié du chemin, je peux pas abandonner maintenant. Si ces cons prenaient la carte bleue... Mais bien sur ils veulent du liquide, et je peux pas leur donner le fric que j'ai pas...
Découragé, le garçon laissa tomber sa tête dans ses bras. Il n'entendait plus que le bruit de la foule, des passants, des marchands ainsi que de deux hommes qui se disputaient.
-T'es vraiment un salaud Nirupam !
-Tais-toi Abhra !
-Pourquoi je me tairais ? Tu me dis hier que tu me fileras les pièces et aujourd'hui tu me dis non ?! Comment je dois réagir à ça ?
-Bon sang, t'es vraiment idiot ou tu le fais exprès ? Tu m'avais dit qu'on ferait une petite distance, pas qu'on irait risquer nos vies en montagne !
-Mais t'as aussi bien écouté la météo que moi Niru ! Il y a aucun risque si on reste à basse altitude !
-C'est ça qui me fait peur Abhra, avec tes talents de pilotes, faire du rase-mottes sur les cimes, c'est aussi dangereux que d'aller droit sur la tempête !
-Tu insinuerais que je suis un mauvais pilote ?
-Je n'insinues pas, c'est marqué sur ton front, imbécile. Arrête d'avoir la tête dans les nuages, Abhra *
-Mais je …
-Ce n'est même pas la peine de discuter Abhra, non c'est non. Trouve-toi un autre fournisseur.
Thomas avait ouvert les yeux. Un des types était parti en faisant de grands gestes. L'autre était resté sur place, la tête basse, puis s'était laissé tomber sur les marches de la bâtisse devant laquelle la dispute avait eu lieu. Il fouilla dans une des poches de son jean large et vert et en sortit du tabac et du papier. Il fumait sa cigarette avec un air de dépit assez humoristique. Thomas s'approcha de lui et frappa le sol pour envoyer un nuage de sable sur l'inconnu qui avait baissé la tête.
Celui-ci, sans lever les yeux, dit d'une voix grave et légèrement énervée :
-Tu veux quoi ?
-T'es pilote ?
-Ca te regarde pas. Maintenant laisse-moi.
-Ca se trouve où les pièces dont t'as besoin ?
Le type daigna lever la tête en direction de Thomas.
-Pourquoi cette question ?
-J'ai entendu ta conversation. J'ai besoin d'aide, toi aussi, alors je pensais qu'on pourrait s'aider mutuellement.
-T'as pas la tête d'un mécano, alors pas la peine que je te parle de ce dont j'ai besoin. T'y comprendrais rien.
-Le type avec qui tu parlais, c'était le seul qui pouvait t'avoir ce matos ?
-Non mais c'était le seul à me le faire gratis puisqu'il était anciennement mon copilote.
Tom eut un sourire.
-En gros il te faudrait de l'argent pour pouvoir voler.
-Mwé…
-Si tu me payes un bon repas, que tu me trouves un distributeur de monnaie, je te file l'argent pour ces pièces.
-Je crains que même un énorme repas gastronomique ne vaille le prix des pièces qu'il me faut.
Il prit une dernière bouffée, laissa tomber sa cigarette et l'écrasa du pied sur le sol sableux.
-En fait, le repas n'est pas ma priorité, fit Tom. J'ai besoin d'un pilote.
Les yeux d'Abhra s'éclaircirent, cependant il masqua son enthousiasme et répliqua mollement :
-Pour aller où ?
-Lhassa.
-…
L'indien tenta de se retenir, mais il ne put s'empêcher de pouffer de rire jusqu'à s'esclaffer, la tête en arrière. Il ne put se calmer qu'après de longues minutes.
Thomas, même s'il était énervé, ne dit rien. Il y avait là une grande opportunité à saisir pour lui, et il ne devait pas la rater.
Finalement, Abhra se calma et dit :
-Hirsan – Lhassa n'est pas un trajet qu'on fait avec un petit avion comme le mien !
-Donc j'ai pas besoin de ton aide, fit Tom en serrant les dents.
Il commença à vouloir partir mais le type l'arrêta
-Attends. J'ai dit que c'était pas courant, j'ai pas dit que c'était impossible.
-Hmmm ?
-Ce genre de voyage m'inspire pas mal, ça mettrait mes talents à rude épreuve.
-D'après le type qu'est parti, tes talents seraient...
-C'EST UN IDIOT ! Un idiot qui ne connaît rien dans l'art du pilotage. Bon, alors...
Il se leva et tendit sa main vers Thomas.
-Si tu as réellement l'argent pour m'acheter ses pièces, j'accepte volontiers de t'accompagner à Lhassa. Mais je préfère te prévenir tout de suite, ça risque d'être dangereux comme voyage.
Thomas se retourna et s'approcha d'Abhra. Cependant il ne lui serra pas la main et le pilote du baisser son bras.
-Je n'ai peur de rien, dit le garçon. Allez, file-moi à manger.
Ahbra eut un sourire.
-Suis-moi.
* * *
Ses gros souliers se posèrent sur le sol dans un petit claquement sec. Il marcha doucement vers l'aérodrome privé. Quelques secondes plus tard, il se retrouvait déjà devant l'édifice. Une voiture l'attendait. Un homme à casquette lui ouvrit la porte arrière, il y entra sans un remerciement. La voiture démarra. Le chauffeur était seul devant, mais un autre homme était à côté, sur la banquette arrière. Il regardait par la vitre, observant le paysage. Sans se retourner, il prit la parole.
-Monsieur Birnesh Vashy ne peut pas vous recevoir. Il est trop occupé en ce moment.
-Je m'en fiche, j'ai un but bien précis et je n'ai pas de temps à perdre avec les formalités.
-Je vois.
L'homme se retourna. Une énorme cicatrice parcourait son visage, partant du coin supérieur gauche de son front jusqu'à sa lèvre inférieur. Son œil gauche était remplacé par un morceau de peau plus blanc que le reste de son épiderme.
-Cependant, poursuivit-il, je vous conseille de ne pas irriter l'organisation de notre pays. Nos valeurs sont bien différentes de celles des Rockets Français.
-Je me fou aussi des Rockets Français. Je travaille pour l'argent, et pour le plaisir.
-C'est juste un conseil Monsieur Rain. Un conseil d'ami.
-Vos menaces ne me font pas peur.
-Pardon ?
-Vous n'imaginez pas à qui vous parlez... Si quelqu'un devrait avoir peur, c'est vous.
-Vous plaisantez ?
-Oh que non. N'oubliez pas que vous êtes en voiture avec un tueur en série. Entre le sous-fifre que m'envoie le Caïd Rocket d'un pays miséreux et un psychopathe, il y a un terrible faussé.
L'homme à la cicatrice ne dit rien, puis un sourire glacial apparût sur son visage.
-Tsss. De biens belles paroles, mais moi j'attends des actes. Si les Rockets Français vous ont envoyé ici, c'est qu'ils ont confiance en vous. Alors faites vos preuves.
-Je n'ai pas besoin de faire de preuves.
-Nous verrons de quoi il en retourne.
David Rain se mit à rire, d'abord doucement, puis de plus en plus bruyamment.
-Vous êtes l'homme de main du Caïd ? Demanda le tueur après s'être calmé.
-Je suis un agent.
-Tsss, alors votre Caïd envoie ses petits pions pour me recevoir. La preuve d'irrespect est de votre côté il me semble.
-Tu commences à m'énerver espèce de… URGH.
L'homme à la cicatrice ouvrit de grands yeux. Un filet de bave sortit involontairement de sa bouche, puis se transforma en filet de sang. Le type tremblait et regardait horrifié la main gantée qui venait de le poignarder en plein dans le ventre.
-M…mais p… pourquoi…
David le regarda et se lécha les lèvres à la manière d'un fauve.
-Je te l'ai déjà dit, si quelqu'un devait avoir peur, c'est toi.
-M…mais…
-Tu n'as pas eu assez peur à mon goût. Ton chef m'envoie ta tête pour me recevoir, étant donné que tu es trop bavard, je suppose que le Caïd, qui est bien informé sur mon compte, savait pertinemment que je te truciderai.
-R…Rain…
-Tu es le genre de merde qui meurt sans causer le moindre soucis à quiconque.
-Es..spèce de…
Rain retira le couteau du ventre de sa victime. Il l'essuya avec un petit mouchoir qu'il avait sortit de sa poche puis le remit là où il l'avait prit, derrière sa cuisse. Le Rocket Indien regardait, l'air hagard, le plafond de la voiture. Le chauffeur restait imperturbable. Cependant, lorsqu'il remarqua que David Rain le regardait dans le rétroviseur, un frisson le parcourut.
-J'ai fait attention de ne pas salir votre voiture.
-Je vous remercie…
-Vous voulez bien ouvrir la porte, je crois que ce passager a besoin de prendre l'air.
-Oui monsieur.
Un petit déclic indiqua au tueur que la porte était déverrouillée. Il se pencha sur le corps encore tremblant de sa victime et ouvrit la porte. Puis il dégagea le Rocket d'un coup de pied, celui-ci roula dans les champs et atterrit, sans vie, dans un fossé.
Une goutte de sueur parcourut la tempe du conducteur, mais celui-ci sourit.
-Dans mes instructions, il y avait marqué que ce genre de situation pouvait se produire.
-C'est exact, répondit Rain.
Il se cala contre la porte gauche et allongea ses pieds sur toute la banquette arrière.
*En indien, Abhra veut dire nuage