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Aveuglé de Bibe



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Informations

» Auteur : Bibe - Voir le profil
» Créé le 29/08/2009 à 18:00
» Dernière mise à jour le 03/07/2013 à 17:04

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   One-shot

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Chapitre unique : Je regrette
     J'ai essayé. J'ai essayé, et je n'ai pas réussi. J'en ai peut-être même trop fait. Mon cœur s'emballe un peu plus à chaque mètre que je parcours. Pour être franc, je n'ai plus la moindre volonté de gagner. Alors que l'arrivée, le but, la victoire, m'attendent, les bras ouverts, à seulement quelques mètres. Mais là, je le sens, je suis au bout du rouleau… Mes muscles sont contractés au maximum, mais si je me détends, ne serait-ce qu'un peu, je m'écroule. Un coursier passe à ma gauche, semblant se rire de mon état, qui, comparé au sien, est pitoyable. Je tourne la tête, et regarde par-dessus mon épaule.
   Je ne vois pas ce que j'avais souhaité voir. Au lieu de me faire une idée de ma position par rapport aux concurrents derrière moi, je vois deux yeux noirs comme l'ébène me foudroyer à travers leurs orbites. Sur le coup, je sens un frisson me glacer les veines pendant un court instant. Court, mais terriblement déstabilisant. Malgré tout, je détourne le regard, et me remets à fixer le terrain vaste et qui part en ligne droite s'étendant devant moi. Je plisse légèrement les yeux, sous l'effet de l'effort. Ça y est, j'ai franchi le but. Enfin. Tout de suite, je stoppe progressivement ma marche.

     Néanmoins mon rythme cardiaque demeure instable, même si je me suis arrêté. D'accord, peut-être que j'ai trop forcé sur mes muscles. Mais mon pouls devrait se stabiliser un minimum, maintenant ! Ce qui ne se produit pas, à mon grand regret. C'en est trop. Un filet de bave commence à se déverser de ma bouche, repoussé par mes expirations violentes et irrégulières. Après que mon maître est descendu de mon dos, immédiatement, mes pattes se dérobent sous mon corps, avant qu'un voile noir ne vienne s'abattre impitoyablement sur mes yeux rouges. Le néant me prend sous son aile.

     Je ne me rends compte que plusieurs heures ont défilé que lorsque je me réveille, dans une salle vaste. Devant moi, mon dresseur, les mains dans les poches de sa veste en cuir noir, l'air absolument indifférent. Il m'adresse un regard négligeant, avant de se retourner vers une infirmière… Joëlle, si mes souvenirs sont bons. Celle-ci ne semble pas partager son état d'esprit serein, et son visage a l'air quasiment effrayé. Je ne comprends pas grand-chose, si ce n'est rien, à la conversation qui suit :

     « Monsieur, commence la jeune femme en jetant un énième coup d'œil au calepin qu'elle tient dans sa main gauche, les résultats de nos examens démontrent clairement que votre étalon a, depuis sa naissance, un cœur à ne surtout pas brusquer, et…
— Je suis au courant, la coupe sèchement l'homme de sa voix grave et impassible, cela fait cinq ans qu'il est né et j'ai appris cela depuis longtemps.

La jeune femme écarquille presque les yeux.

— Si vous le saviez… pourquoi lui faire faire des courses ? Il était évident qu'il ne pourrait supporter un tel mode de vie.
— Est-il condamné ? demande-t-il simplement.
— Il doit juste arrêter de participer à des compétitions, il m'a l'air nerveux et me semble avoir besoin de calme.
— Non, finissez-en tout de suite.

Cette fois-ci, à l'entente de cet ordre lâché si posément, l'infirmière a un discret soubresaut et des yeux exorbités.

— Voulez-vous dire que…
— Oui, vous m'avez parfaitement compris. Si cette bestiole n'est même plus capable de me rapporter de l'argent, ou autre chose que des coupes d'argent, je ne vois pas…
— Excusez-moi, l'interrompt-elle à son tour, laissant apparemment place à une certaine indignation, mais je ne peux pas faire ça.
— Oh si vous le pouvez, rétorque l'homme, toujours aussi calme. Allez-y, sinon je pourrais très bien porter plainte en disant que son état était incurable et que vous refusiez d'abréger ses souffrances. »

     Là, elle s'est retenue de lui hurler dessus, c'est certain, ses traits crispés en témoignent. Mon maître permet à un très léger sourire satisfait d'étirer ses lèvres, avant de sortir, sans un mot supplémentaire, ni ne serait-ce regard pour moi. Mais malgré ça, malgré sa froideur naturelle, et sa manie à en demander trop, je me sens attaché à lui, un lien – trop ? – aveugle me lie à cet homme. La jeune femme se dirige vers moi, approche doucement sa tête de mon oreille, et me murmure un mot. Un seul.

     « Désolée. »

     Je n'ai pas compris. Pourquoi est-elle désolée ? Elle ne m'a rien fait de mal. C'est étrange. Je me lève, déjà remis de mon accident, et elle me dit de la suivre tout en caressant délicatement mon museau, ce que je fais, sans vraiment me poser de question. Après avoir traversé plusieurs couloirs complètement déserts, elle ouvre une porte isolée, laissant voir une pièce étroite, dont l'atmosphère angoissante se dégage d'un petit charriot rempli de seringues aux contenus divers. J'entre, essayant au mieux de surmonter la peur qui commençait à prendre peu à peu possession de mon esprit.
   L'infirmière referme la porte derrière moi, faisant grossir l'inquiétude naissante qui réside au plus profond de mon être. Elle enfile des gants, et s'empare de l'une des seringues, avant de la remplir d'un produit étrange. Mais là, malgré l'ignorance, et par je ne sais quel moyen, je comprends enfin. Non, non, je refuse ! Je me cabre violemment, alors que la femme s'approchait de moi, la repoussant directement. Mes sabots frappent l'air, mais sont prêts à fracasser le crâne de quiconque m'approcherait. Cependant elle ne semble pas vouloir abandonner, au contraire même. Après qu'elle m'a contourné, sans que je ne m'en rende compte, sa main libre m'agrippe par le cou, et l'aiguille fatale s'enfonce brutalement dans ma peau, laissant le liquide mortel s'infiltrer dans mes veines.

     Mon rythme cardiaque ralentit progressivement, l'oxygène me manque déjà. Mes muscles se relâchent, laissant mon corps s'effondrer d'un coup, après que j'ai tapé le sol d'un sabot, tentant vainement de me redresser. Mes paupières se referment lourdement, et déjà un nouveau voile noir vient happer mes yeux maintenant dénués de toute étincelle de vie. Ma crinière brille une ultime fois, avant de s'éteindre à jamais. Là, je regrette d'avoir été heureux dans mon box ce matin. Je regrette d'avoir aimé ce que j'appelais mon maître, qui ne faisait qu'exploiter ma rapidité. Et dans une dernière pensée, j'apprends enfin le sens de ce mot que j'avais toujours considéré comme étant absurde.

     Haine.

     Mon esprit quitte cette enveloppe corporelle pour l'éternité, afin d'en trouver une autre, très près d'ici. Très près du lieu de ma mort. Une crinière grise s'embrase, et me voilà condamné à errer en quête d'un dresseur digne de ce nom. Si je ne suis pas un fantôme, du moins…



     On dit que les Galopa chromatiques ne sont que l'âme perdue d'un Cheval Feu ayant pris conscience trop tard de ses aveuglements…