Propagation de la Bleue

Bonjour.

Je m'appelle Aaron.
Oui, comme le champion, je sais.
Sauf que contrairement à lui je ne suis personne.
Enfin... plus maintenant.

Tout a commencé ce fameux jour. Je m'en souviens très bien : il faisait beau, ce qui est rare dans ma ville, Kumi.
Kumi est une "nouvelle" ville, contrairement à Vestigion, Féli-Cité et autres villes anciennes. Il y a pas mal de pollution, et comme on est pas très loin de la mer il y a souvent des nuages qui hantent le ciel.
Mais non, ce jour là il fut beau.
C'était une journée normale : j'avais école. Mais à la fin, tout a dérapé.

Après les cours je me suis fait chopper, chose habituelle, sauf habituellement leur petit numéro consiste juste à coincer quelqu'un pour asseoir leur autorité et leur force.
Ce quelqu'un, malheureusement, ce fut moi. Deux gros bras étaient venus me chercher, ils m'emmenèrent loin de l'agitation perpétuelle de la sortie de seize heure trente.

Je me trouvais donc dans une ruelle peu fréquentée et peu fréquentable, en compagnie de trois, non quatre armoires à glaces et deux malingres aux yeux de fouine, le tout formant une bande hétéroclite aussi sympathique qu'un couteau à cran d'arrêt.

Ils m'ont plaqués contre un mur et m'ont longuement parlés de choses qui ne m'intéressaient pas : leur domination en devenir, leurs projets, leurs espoirs, puis ils me parlèrent de moi, de ma moyenne pas très brillante (ce qui était aussi leur cas par ailleurs), de mon air blasé, de mon regard vague et de mon attitude désinvolte à leur égard.

Je n'en avais que faire.

Par contre, quand ils sortirent leurs pokémon, je me sentais déjà beaucoup plus concerné. Et quand l'un sortit en plus une barre de fer de son sac, j'étais carrément inquiet.

Je dirais même que j'avais une trouille incroyable. J'avais mal au ventre, mes mains tremblaient, j'avais la nausée. Sur le coup j'avais mis ça sur le compte de la terreur.

Et puis "ça" arriva. Alors qu'ils s'approchaient dangereusement de moi, ils prirent soudain un air surpris, limite apeuré, ils se regardèrent entre eux, puis regardèrent dans ma direction.

Surpris, je me demandais ce qu'il se passait.

Ils pensaient quoi, que j'avais disparu ?

Par provocation, je leur fis un magnifique doigt d'honneur. Pas de réaction.

Je passais et repassais devant eux, défiant volontairement leur regard : rien.

Alors, finalement, je partis.

J'étais bel et bien devenu invisible.

Désormais, je contrôle beaucoup mieux ce que j'ai baptisé mon "habilité".

Néanmoins, j'ai quelque fois l'impression qu'on m'observe, et maintenant, quand on sonne chez moi, j'ai l'impression qu'Ils vont venir me chercher.

"Ils". Les Hunters.

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J'ai l'impression d'être un monstre. Vraiment. Oh, je vois déjà ce que certains vont me dire : "Oh bah non, tu sais juste devenir invisible, c'est pas un drame, pense a tout ce que tu peux faire..."

C'est bien ça le problème : j'ai peur de ce que je pourrais faire, je ne veux pas m'en servir, mais depuis quelques temps, c'est comme si... comme si il était une part entière de ma vie, pire une part entière de moi. Je ne peux plus m'en passer, désormais, dés que je peux je disparais.

C'est comme un réflexe, j'ai un problème, je disparais, j'ai envie de calme, je disparais, j'en ai marre des gens, je disparais, j'ai envie de me balader, je disparais...

Effroyable comme en quelques jours je me suis transformé en caméléon. Je n'ai plus envie de grand chose en ce moment, je sais que je dois me reprendre, mais c'est tellement facile de s'oublier... Je ne suis plus qu'une ombre, c'est l'impression que je me donne.

Et, plus je disparais, plus il m'est difficile de revenir à la normale. Après tout c'est tellement facile de partir puis de reprendre sa vie exactement où on l'a laissé.

D'habitude, je suis quelqu'un de calme, de réfléchi, je ne fais rien sans y avoir pensé... Mais là, je suis pris au dépourvu : que faire ? En parler ? A qui ? Je n'ai pas vraiment d'amis... A ma mère ? Elle s'en contrefiche et ne pense qu'à ma sœur, partie depuis quelques semaines. Alala, ma sœur, Jade, tellement bien, tellement sociable, spontanée, chaleureuse, j'en passe et j'en oublie, enfin tout les trucs qui me manquent quoi.

Parfois j'ai l'impression qu'elle la préfère. Enfin, pas "parfois", mais "tout le temps", à vrai dire.
Souvent je l'envie, mais je crois que tout le monde trouverais ça normal d'être jaloux de sa sœur jumelle.

Si je parlais de ma jalousie à mon père, il lèverait les yeux aux ciels, puis dirait bien fort "Ah, l'adolescence, as facile comme période hein ? T'inquiètes pas, ça te passera."

Encore faudrait-il qu'il revienne ou que je reprenne contact. Ceci dit, je ne compte pas le faire : à quoi ça servirait ?

"Salut Papa, écoute je sais bien que ça fait cinq ans que tu t'es cassé à Céladopole mais j'aimerais bien te revoir, te parler de mes problèmes, Jade est une vraie peste et Maman me délaisse. Ah, au fait, je suis un caméléon humain ! Pourrais-tu me donner l'adresse d'un médecin ?"

Pathétique, je me retrouve à rire tout seul dans ma chambre. Je devrais aller voir un psy, même ma mère me le dit.
Selon elle, à mon âge, c'est pas normal "d'être toujours seul, de pas avoir d'ami d'être surdoué".

Parce que je suis surdoué, je l'ai dit non ? Non ? Bon, de toute façon être un surdoué inclus d'être spécial, donc pas normal, alors c'est quoi son problème ? Alala, quitter cette famille, j'en rêve depuis longtemps, mais jamais je ne me suis senti aussi motivé pour le faire. Bah, de toute façon, Jade ça fait maintenant plusieurs semaines qu'elle est partie je sais pas où, pour son voyage initiatique.

Moi ?

Bah. Je suis Aaron, surdoué, et caméléon humain.

Avec ça, je me trouverais forcément un boulot un jour.

Si je ne disparais pas complètement de la circulation d'ici là, évidemment.