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Un long parcours de YumeArashi



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» Auteur : YumeArashi - Voir le profil
» Créé le 20/06/2009 à 12:41
» Dernière mise à jour le 15/08/2009 à 19:47

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Je reviens te chercher
Alors que Lionel se tordait de douleur, le corps secoué par d'incontrôlables spasmes, Okéoké suffoquait quelques mètres plus loin. Aucun d'entre eux ne se demandait comment cette torture complète allait finir, ils n'étaient même plus capables de contrôler leurs esprits, leurs enveloppes charnelles.
Ils finirent par effleurer de la pulpe du doigt cet état terrible que l'on appelle le coma mais un rai de flammes passa à un mètre de Lionel, incendiant une bonne partie de la zone et par la même occasion la Chose étrange qui faisait à présent beaucoup moins la fière. C'était à son tour d'en prendre plein son grade.
Le bloc invisible qui compressait Lionel contre le sol disparu soudainement et le jeune homme eut l'impression de naître à nouveau, de respirer pour la première fois un air mordant et sentit ses poumons se gonfler : sa gorge le brûla, une toux violente et douloureuse secoua frénétiquement son torse mais il était sauvé.

***

[Rapide retour en arrière]

J'étais vêtue d'une chemise en lin proche du corps d'une jolie couleur vert pistache, d'un short serré en coton beige, de ma ceinture de pokéballs et d'une paire de spartiates de gros cuir brun et aux épaisses semelles. Ponyta avait accepté de me suivre, il ne nous restait plus qu'à quitter la maison. Je laissai mes chaps au placards, il était certain qu'elles allaient m'encombrer plus qu'autre chose - tant pis pour mes cuisses, elles devraient être fortes - grimpai sur le dos de mon pokémon et exerçai une pression des mollets, prête à prendre mon envol lorsqu'une main agrippa mon poignet. Ponyta s'immobilisa et tourna la tête. Phil me regardait, droit dans les yeux, une puissante lueur embrasait ses pupilles et mon cœur fit un petit bond. Je n'attendais que son soutien et il venait enfin me l'apporter, du moins je l'espérais.

« Tu es fin prête ? S'enquit-il avec douceur.
- Comme tu le vois... Et maman ? Fis-je en réprimant un tremblement.
- Elle ne s'y attendait pas. Moi, j'étais sûr que ça arriverait un jour mais elle avait fini par se faire à l'idée que toi, tu ne quitterai jamais la Pension. Elle est fière de cette décision, sois en certaine, répondit-il en souriant. Laisse lui du temps. Je t'ai amené deux trois babioles qui pourront t'être utiles. »

Il me tendit une bourse en cuir de taille moyenne qui me sembla bien lourde lorsqu'il l'eût déposé au creux de ma main. Il me fit signe de l'ouvrir, alors qu'il passait nerveusement la main dans ses cheveux ébouriffés et je m'exécutai.

« Je t'ai mis un peu d'argent, expliqua t-il en désignant tour à tour chacun des objets. Il devrait y en avoir assez pour tenir une ou deux semaines, pour en gagner davantage, faudra mettre la main à la patte. C'est aussi ça de partir à l'aventure, la précarité... Imagine tout ce que tu ne verrais pas si tu dormais dans des hôtels de luxe au lieu de t'allonger en pleine forêt, à la belle étoile ou dormir dans un petit gîte, perdu dans les montagnes... Tu t'y feras. - Il gratta à nouveau l'arrière de son crâne et reprit, visiblement heureux de m'offrir son petit bric-à-brac. - Là, ce sont des pokéballs vides, ça te servira. En voici une spéciale pour Ponyta, un vieil ami me l'a offerte il y a longtemps. Un spécialiste des Noigrumes. Elle a la particularité, outre le fait qu'elle soit un peu décorée, de rendre ton pokémon plus confiant, et je pense que ce ne sera pas de trop avec Ponyta. Ensuite... »

Il marqua une pause alors que je tenais au creux de mes paumes, l'objet qui m'avait fascinée lors de cette visite clandestine dans l'atelier poussiéreux. Il était comme neuf, rutilant, le soleil venait de trouver en lui un miroir ; son éclat finit par m'éblouir, je dus clore mes paupières un instant.

« Ha, ça... C'est mon vieux Pokédex. Je te le donne, il te sera sans doute utile, articula t-il, un concert de trémolos refoulés dans la voix.
- Merci papa... »

Au bord des larmes, je me jetai à son cou. L'étreinte paternelle me revigora et je m'en voulus d'avoir pu penser qu'il n'était qu'un père froid et insensible aux décisions de son enfant, le laissant sans scrupules vagabonder au gré de son envie aussi folle soit-elle. Voilà une image qui aurait pu faire la joie des apprentis Doisneau. Phil m'aida à me redresser sur le dos de Ponyta, quant à elle paralysée par ces démonstrations d'amour si intimes auxquelles elle n'était pas accoutumée. Après un dernier signe de la main, la jument reprit ses esprits et fonça ventre à terre sur la grande route sablonneuse qui menait à la forêt de Jade.
Étape numéro un : retrouver Lionel !

***

Lionel hoquetait et moi, j'étais impuissante. Je ne comprenais rien à ce qui venait de se passer. Ponyta avait couché les oreilles sur sa nuque en signe de danger proche et nous nous étions élancées au secours de cette personne qui hurlait à la mort, comme si quelqu'un l'écartelait vive. A mon grand désarroi, les suppliciés n'étaient autres que Lionel et Oké, affalés sur le sol en plein milieu d'une clairière en apparence tranquille, leurs corps en pleine distorsion : le jeune homme se tordait en agrippant sa tête des deux mains. Quant à Oké, il gisait là, inconscient. Ce spectacle me captivait : c'était malsain, c'était effrayant... et devant une telle scène, la paralysie tenta de s'abattre sur moi. Si la panique avait réussi à prendre possession de mon être, l'immobilité n'eut pas le dessus. J'entendis un frêle bruissement provenant de l'un des fourrés le plus proche : aux aguets, je devinai que quelque chose s'y cachait et j'étais bien décidée à découvrir celui qui tirait les ficelles de cet atroce spectacle.

« Ponyta, fais moi voir ce que t'as appris ! Flammèche ! ! »

Absolument pas inquiétée par le fait de déboiser une partie de la Forêt de Jade, le pokémon s'exécuta et s'élança à une vitesse phénoménale vers la cible désignée qu'elle fit disparaître avec une précision redoutable. Les flammes contraignirent l'agresseur à sortir de sa cachette de fortune et ce fut sous mes yeux ébahis que s'envola doucement un... oiseau, un étrange et petit oiseau au bec jaune tranchant, au regard sadique et profondément malveillant aux plumes noires et très certainement lisses, brillantes avant de se voir roussir par l'attaque de Ponyta. Il tourna la tête, qui semblait comme « chapeautée » et fit demi tour dans notre direction, bien décidé à nous prouver combien sa rancœur était grande. Je sortis rapidement mon Pokédex, un peu de pratique ne pouvait pas me faire de mal. Une élégante voix masculine s'éleva lorsque je poussai le bouton d'allumage et après d'inhabituelles circonvolutions de politesse qui me firent écarquiller les yeux, l'index numérique consentit à m'indiquer la nature de ce pokémon : il s'agissait d'un Cornèbre, de type Ténèbres ayant apparemment une...
Je ne pus saisir le mot suivant : quelqu'un me plaqua au sol violemment au moment où un rayon d'ondes mauves passait au dessus de ma tête, ébouriffant mes cheveux, secouant mes bras. Le souffle coupé, je me retrouvai sous un corps quasi agonisant qui n'était autre que celui de Lionel. Je pâlis, partagée entre soulagement pour ma propre vie et inquiet mortel pour la sienne. Exerçant une pression sur son épaule, je parvins à le retourner et le traînai avec difficultés sous l'un des plus grands arbres tandis que Ponyta, aux prises avec le Cornèbre, ralentissait le fauve ovipare, créant un véritable slalom aérien duquel l'adversaire tentait de s'extirper avec fougue. Allonger Lio, et surtout le tenir immobile, ne fut pas une mince affaire tant il se débattait, sans doute à demi conscient, toujours dévoré par les horribles cauchemars auxquels l'oiseau l'avait soumis je ne savais combien de temps avant notre arrivée, qui s'annonçait visiblement tutélaire. Je finis par abandonner toute tentative d'entrave, sa poitrine était bien trop agitée pour lui permettre de s'adosser au tronc et je rejoignis mon pokémon un peu plus loin, au moins aussi déterminée à envoyer cette horreur volante ad patres que la bestiole elle-même envers nous.

Cornèbre piqua vers Ponyta à toute vitesse, se moquant bien, sans doute sous le coup de l'ignorance, de ce que préparait mon pokémon et envoya une nouvelle onde pourpre.

« Écrasement ! »

L'attaque de notre adversaire se brisa faiblement contre le chanfrein du cheval de feu. Pris par la célérité acquise au cours du piqué, Cornèbre se trouva dans l'incapacité de réduire son allure et reçut un furieux coup de sabot, du genre de ceux auquel une frêle boite crânienne d'humain n'aurait pu résister... Je n'aimais pas les oiseaux, ce pokémon non plus : il était évident que quiconque s'attaquait à mes amis s'en prenait également à moi et le regrettait. Ponyta commençait à faiblir et je sentis qu'une aide ne fut pas de trop, aussi j'attrapai la ball de Magicarpe et l'envoyai avec violence en l'air. Il s'échappa de son abri de métal et disparut dans la lumière du soleil. Cornèbre, fort de son acuité visuelle et de sa capacité aberrante à « tout » allait enfin voir qu'il existait bel et bien une faille dans chaque forteresse : ébloui alors qu'il tentait de suivre Magicarpe du regard, il replia une aile devant son visage et ferma les yeux :ce fut là la plus cruelle des erreurs.

« Magicarpe, Ponyta ! CHARGE !!! »

Les deux pokémon, ennemis d'éléments, fondirent d'un même mouvement vers l'oiseau éberlué. Magicarpe assomma son adversaire et Ponyta le compressa contre le gros ventre du poisson sans aucun scrupule. Le choc produisit un fracas épouvantable et durant quelques secondes, je restai immobile. Terrifiée à l'idée de me voir à nouveau obligée d'intervenir, je rappelai vite Magicarpe, au bord de l'agonie étant donné que ses branchies ne lui permettaient pas de se balader à l'air libre impunément et envoyai une ball vide dans la mêlée poussiéreuse. Le nuage se dissipa progressivement. La sphère s'agita frénétiquement à gauche, à droite, puis cessa de se mouvoir.
Ouf... Je la saisis presque avec dégoût et pivotai vers Lionel qui s'était enfin défait de cette terrible torpeur onirique. Malgré la taille de ses pupilles et l'état déplorable de ses vêtements, il respirait normalement, tiré d'affaire. Oké, à l'image de son dresseur, semblait avoir dormi trop longtemps et se traina en titubant vers nous. Ponyta se mit à brouter en attendant un peu de pâte d'amande, symbole désormais d'une récompense quasi céleste tant elle appréciait ça.

« Pu... naise ! Tu te rends compte du coup que tu as réalisé là ? Utiliser le poids d'un Magicarpe c'était de la folie mais c'était aussi astucieux, l'effet sandwich marche trop bien ! Éructa Lionel, galvanisé.
- Minute, calme toi, y a trois secondes tu rampais au sol comme un ver de terre, plus secoué qu'un shaker dans les mains d'un barman ou qu'un agonisant sous le métal d'un défibrillateur, fis-je afin de le calmer. Tu es encore tout faible et tu as plein de choses à me dire. - Je marquai une pause, émue de le revoir avant de poursuivre. - Je suis contente de te...
- Non, mais tu t'rends pas compte ! Reprit-il avec une énergie soudaine. Ça demandait un calcul précis et...
- Lionel, Lionel, Lionel... soupirai-je. Et si je te disais que je ne l'ai pas fait exprès ? Je pensais pas qu'un poisson de cette taille pouvait « voler » aussi haut. Enfin. Bon, raconte moi ce que tu fous encore dans cette forêt alors que t'es parti depuis quatre jours et accessoirement que je n'ai mis qu'une matinée pour te rejoindre ? »

Vexé, Lionel se tut. Il but quelques gorgées d'eau fraîche dans la gourde que je lui tendis et ne se dégagea même pas lorsque, poussée par un élan maternel, j'écartai quelques mèches brunes de son front en sueur : je le trouvai magnifique, là, vulnérable et encore tremblant à la lueur du soleil de midi. Sans se poser de questions, il entreprit de m'expliquer son cheminement. Je me mis à rougir violemment en me rendant compte de mon geste et, afin de chasser une bouffée de chaleur inopportune, je me rabattis sur la carte qu'il me montrait : j'eus tôt fait de la parcourir dans les moindres détails avant de pointer du doigt notre location actuelle. Adeptes des détours, bonjour. On aurait dit qu'il s'était volontairement trompé de chemin lorsqu'il avait cherché à prendre un raccourci et perdu en moins de temps qu'il fallait pour le dire. Ces hommes, toujours pressés...

Ponyta était un peu fatiguée et Oké marchait comme un cavalier qui aurait passé trop de temps en selle, le regard hagard. Je chipai la ball de Tortipouss solidement accrochée à la ceinture de Lionel. La petite tortue poussa un cri aigu et sautilla gaîment autour de son dresseur en se matérialisant dans l'herbe tendre du sol de la forêt. Je comptais fabriquer une sorte de potion en me servant du pouvoir du pokémon plante : ses feuilles aux vertus incontestées utilisaient le phénomène de la photosynthèse et leurs pouvoirs se voyaient décuplés si on les exposait au soleil quelques instants : au moins ça requinquerait les deux pokémon. J'arrachai délicatement un bout de la feuille de Tortipouss qui résista courageusement au petit picotement qu'occasionna cette ablation soudaine mais ne se plaignit plus quand il s'aperçut qu'au bout de la toute petite branche qui se dressait sur sa tête repoussait presque instantanément un bourgeon sur le point d'éclore. Je roulai le fruit de mon larcin en boule et le plaçai sous l'un des rayons de soleil qui dardaient la clairière. Il ne se passa absolument rien... rien de visible en tous cas, mais le remède était prêt. Je partageai la feuille pressée en deux, sans oublier de glisser un bout de pâte d'amande dans le morceau destiné à Ponyta. Presque violemment, j'en fourrai un dans la bouche de Okéoké, qui trop surpris pour recracher avala la mixture naturelle sans se poser de question. Ponyta avala tout rond lorsqu'elle s'aperçut que la potion végétale ne contenait pas que ce qu'elle considérait comme des brins d'herbe insipides. Selon ses « dires », brouter ne servait qu'à « passer le temps » ce que j'aurais pu croire si je ne l'avais pas vue se jeter avidement sur un plant de jeunes pousses dans un coin de la clairière.

Lionel eut droit à une tasse de thé chaud qu'il vida en un temps record avant d'en redemander une. Il m'expliqua que lui et Oké n'avaient pas mangé depuis une ou deux journées et immédiatement j'étalai à leur pieds de quoi remplir leurs estomacs, soucieuse de leur santé plus que de tenir le choc en cas de pénurie alimentaire au cours du périple. Il en profita pour me parler de son malaise, même si les souvenirs restaient confus et je finis par comprendre ce qui me semblait si flou. Apparemment c'était une attaque Ténèbres. Et dire que Lionel n'avait pas ENCORE la moindre idée de l'identité de son agresseur...

Vingt minutes s'écoulèrent au terme desquelles je suggérai, à la piteuse engeance que nous formions, de tenter d'atteindre Argenta avant la tombée de la nuit. Seul Lionel persistait à refuser de bouger.

« Je devrais me reposer encore, Marine, j'ai été attaqué par un truc bizarre et maintenant que vous l'avez fait fuir, j'aimerais profiter d'un après-midi de sommeil.
- Ponyta, Magicarpe et moi l'avons effectivement fait décamper mais c'est que momentané, je pense : il se pourrait bien que la créature revienne, et qui plus est accompagnée d'une bande de copains, répondis-je, essayant de réprimer un sourire moqueur, sachant pertinemment où remuait avec hargne le fauteur de trouble.
- Peut-être... » articula t-il en déglutissant.

Forte de ma supériorité éphémère, je saisis l'objet sphérique et appuyai sur le bouton, libérant ainsi le vilain oiseau.

« Tiens, voilà ton agresseur, Lio. »

Cornèbre étendit nonchalamment ses ailes encore roussies par les flammes de Ponyta dont se dégageait à présent une odeur semblable à celle qui vous attaque les narines quand, vous approchant trop près d'une bougie, vous y laissez un ou deux cheveux, et fixa le sac de Lionel avec une avidité non feinte. Par une série de petits bonds successifs, pas inquiet pour deux sous, le pokémon se rapprocha de la gibecière et entreprit d'y fouiller sans de préoccuper de ce qui l'entourait, culottée la bête. Ses petites griffes acérées se plantèrent dans le tissu et le bec vorace s'engouffra dans le sac.

« Ça va ? Tranquille ? Tu le laisses fouiller ? Puis c'est qui lui ? Demanda Lionel, vexé par cette intrusion osée dans ses affaires.
- A voir la manière dont cet oiseau se comporte, je dirais que c'est plutôt une « elle ». Je te présente Cornèbre, l'adorable pokémon qui t'as assommé tout à l'heure, avec une attaque Ténèbres, récitai-je en m'aidant des données du Pokédex. Qu'est-ce qu'il y a dans ton sac ?
- Bah, des trucs auxquels je tiens et tout ce dont j'aurais besoin pour survivre...
- Si ce à quoi tu tiens égale trucs brillants, je comprends maintenant pourquoi Cornèbre te tournait autour, de vraies pies ces pokémon. - Je marquai une pause, histoire de réfléchir à la formulation des choses. - Tu le veux ?
- Quoi ?
- Voudrais-tu par le plus grand des hasards agrandir ton humble équipe en accueillant à tes frais cet adorable pokémon parmi ceux que tu considères comme tiens ? » Demandai-je, passionnée par le tronc d'un arbre voisin.

Lionel ouvrit les yeux comme s'il découvrait le monde pour la première fois et saisit la ball que je lui tendais, observant alternativement Cornèbre et sa ceinture. Malgré son âge, il avait gardé une grande part d'enfance en lui et cet acte constituait un inestimable cadeau alors qu'à moi, il apparaissait comme une libération quasi providentielle.

« On peut lever le camp maintenant ? Tentai-je, avec douceur.
- Ouais ! »

Ravie et surtout soulagée de ne pas nous éterniser dans ce bois un peu effrayant, je grimpai sur Ponyta qui avait eu le temps de reprendre un peu de poil de la bête et tendis une main ferme à Lionel.

« Grimpe !
- Euh...
- Tu veux faire un sprint derrière Ponyta ? A ton aise, on se retrouve au centre pokémon de la prochaine ville ?
- Ça va, ça va...

Vexé, il rappela Cornèbre, Tortipouss et Oké qui firent tous trois la moue, rangea les pokéballs là où elles se devaient d'être, ferma son sac et l'accrocha à ses épaules puis attrapa mon poignet et se fit hisser en geignant sur le dos du cheval. Se retrouver au dessus du sol, à cette hauteur et qui plus était sur un pokémon, constituait une véritable expérience qu'il n'était pas sûr d'apprécier. Il tâtonna quelques instants et profita pour reprendre le dessus avec une facilité déconcertante.

« Je m'accroche où ? Demanda t-il avec un sourire taquin, comme un jeune Rimbaud.
- A ton avis, répondis-je en rougissant.

Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois et passa sans autre forme de procès ses bras autour de ma taille. « Fière » de lui, je priai Ponyta de faire le plus vite possible afin que cette « torture charnelle » cesse. J'étais très mal à l'aise mais je trouvai bien vite de quoi l'incommoder encore davantage. Une pression des mollets et la jument filait accompagnée des cris de Lio à travers les arbres jusqu'à Argenta.

***

Grâce à son aide précieuse, les premiers signes de vie urbaine ne tardèrent pas à se montrer : notre petite compagnie perchée sur un promontoire de granit s'éblouit devant les grands bâtiments d'Argenta qui se dressaient devant nos yeux, imposants, majestueux, à l'orée de la forêt de Jade. C'était à première vue une ville calme et les rares édifices de roches dures et polies témoignaient de l'affection portée à ce matériau que beaucoup qualifiaient de brut et primaire. Selon Lionel, les environs foisonnaient de pokémon camouflés parmi les falaises, vivant leur vie tranquillement à l'abri de toute perturbation. Ponyta émit un hennissement strident et commença à piaffer : cet endroit ne semblait pas lui plaire du tout et son attitude m'inquiéta.

« Qu'est-ce que tu as ? Nous ne sommes que de passage, calme toi. Fis-je en caressant doucement son encolure nouée. Quelle sera notre étape finale ? M'enquis-je auprès de Lionel.
- Je n'en sais rien. J'ai sans doute des idées d'étapes mais aucun but précis, dit-il, le regard absorbé par les grottes du Nord. J'aimerais aller à Myokara. Ça a du bien changer.
- Où est-ce ?
- A Johto, derrière l'océan. Je sais que c'est assez pittoresque comme endroit, on m'en a parlé en ces termes en tous cas.
- Tu n'y es jamais allé ? »

Un lourd silence s'installa. Les yeux du jeune homme s'embuaient doucement et il cherchait à le cacher mais ses efforts restèrent vains. Une larme roula sur sa joue, immédiatement essuyée d'un revers de manche et par je-ne-sais quel tour de passe-passe, il parvint à ôter toute trace de tristesse de son visage. Je me taisais, toute remarque eut été inutile et peut-être même déplacée.

« Je suis né là-bas, je n'y ai jamais vécu. »

Cette phrase clôtura à mes yeux toute forme de discussion et je demandai à Ponyta de nous descendre vers le centre pokémon. Ses sabots émettaient un cliquetis apaisant en frappant la roche dure, semblable à celui de l'aiguille d'une horloge qui, à défaut de nous emmener vers la vieillesse nous dirigeait vers une étape importante de notre parcours.

L'atmosphère générale d'Argenta contrastait étrangement avec l'impression première que pourrait avoir un voyageur de passage. Les gens semblaient ouverts, et une coquette petite place ronde fourmillait de dresseurs en herbe. Au centre, s'élevait la statue d'un pokémon que je ne connaissais pas : les bras levés, une moue féroce, et ses tout petits yeux, quasiment inexistants, lançaient des éclairs, sa posture témoignait d'une noblesse et d'un respect certains, attirant le regard de par ce gigantisme. Je voulus m'arrêter pour lire les inscriptions sous le bloc de granit mais un vieil homme, adossé à un lampadaire me jeta un regard en coin, un de ces regards malveillants qui vous glacent le sang, et qui, en moins d'une seconde, vous mettent dans une position d'insécurité troublante : je m'abstins à regrets. Ponyta accéléra afin d'en finir au plus vite et je l'en remerciai : j'avais horreur de me sentir observée, c'était bien la veine des nouveaux arrivants dans une ville, toujours objets de multiples œillades plus ou moins discrètes lancées à la volée. De l'autre côté, un marchand de fruits repeignait la pancarte de son échoppe usée par le temps et une vieille femme se chamaillait avec sa grosse voisine qui mettait un point d'honneur à crier plus fort qu'elle : ces scènes triviales me rassurèrent.
Le ciel se couvrit peu à peu, engloutissant les derniers rayons de soleil, plongeant la ville dans l'obscurité : nous avions bien fait de plier bagage quand je l'avais suggéré, la nuit arrivait déjà. Quant à Lionel, il semblait ailleurs, ne répondait pas aux nombreuses remarques que je faisais, regardait alentour avec une lassitude effrayante, extirpée de cette palette d'émotions que jamais je n'aurais cru pouvoir lui appartenir mais qui pourtant était et m'en fis voir de toutes les couleurs en l'espace d'une demie heure.
Le Centre Pokémon était complet : il faut dire que l'été battait son plein et que rares étaient les institutions épargnées par la masse de touristes venus faire un peu de spéléologie ou visiter le fameux musée. L'infirmière nous expliqua la situation avec douceur et une gêne difficilement contenue. Arès dix minutes de circonvolutions de politesse à n'en plus finir, je rejoignis Ponyta et Lionel, dépitée, les bras ballants.

« Qu'à cela ne tienne, on a qu'à chercher une auberge repris-je en remontant mes manches.
- C'est une bonne idée, j'aimerais bien me reposer une nuit, répondit Lio en baillant.

La vérité était que je me faisais un sang d'encre pour mon ami. Je mis ce changement d'humeur soudain sur le dos d'une vieille prise de conscience, d'une modification brutale de l'environnement. Ça pouvait jouer et dans ce cas, ils s'acclimaterait bien vite à ce type de vie. Le calme de la Pension en comparaison avec l'agitation du monde autour... Je ne comprenais pas la raison de ces larmes mais après tout, une fatalité creuse et pleine à la fois s'abattit sur mes épaules : je savais si peu de choses sur son compte, ses origines, sa vie « anté-Pensionnaire ».

« Oh, ça a l'air sympa ici. Je vais me renseigner, tu m'attends la ? M'écriai-je en avisant une sorte de gîte, prémuni contre la vague touristique.
- Oui, oui.
- Ça ira ? Insistai-je, avec douceur.
- Oui, oui.
- Ça te dit un grand bol de foin pour le dessert ?
- Oui oui... »

Interloquée qu'il n'ait même pas assimilé le sens de mes paroles, j'affichai une moue perturbée et pénétrai quand même dans l'établissement. J'avançai dans le hall jusqu'au comptoir où je fus accueillie par une femme d'une quarantaine d'années, aimable et souriante : je discutais des modalités d'hébergement, expliquant que je me trouvais en situation précaire, avec mon hypothétique hôtesse quand son mari la rejoignit.

« Cyrielle ! S'écria t-il, les bras ballants.
- Hum, non, je m'appelle Marine, répondis-je avec surprise et courtoisie. - L'homme sembla déçu et se massa les tempes, comme s'il avait été victime d'une hallucination. - Ma mère s'appelle Cyrielle, ajoutai-je, les oreilles aux aguets.
- Je savais bien que je connaissais ce visage ! Éructa l'homme en se tenant la panse. On nous avait... Argh !
- Olivier calme toi, s'il te plaît, lui intima sa femme en lui donnant un coup de coude dans le lard. Il doit confondre, j'ai bien une chambre de libre, mais elle est trop petite pour deux personnes, néanmoins, c'est la moins couteuse et si vous ne restez qu'une nuit et que vous ne comptez pas consommer une nuit de noces comme vous pouvez le faire dans les palaces de la côte, dit-elle en avisant Lionel, vous saurez certainement vous en accommoder. - Mes oreilles rougirent, j'avais chaud.
- J'accepte, » fis-je en jetant de brefs coups d'œil à cet Olivier et déstabilisée par la simple évocation de... Arf.

Je réglai mon dû et appelai Lionel. Le couple de gérants nous conduisit jusqu'à une chambre étroite tandis que Ponyta se contentait d'un joli petit enclos adjacent à la maison. Les poutres massives qui soutenaient le plafond bas étaient rongées par une multitude d'insectes xylophages, occasionnant des trous dans la charpente et pourtant, la mansarde n'était pas dépourvue de charme, un charme rustique et typique des chalets montagnards, dont la décoration se trouvait être aussi variée que les herbes d'un pot pourri. Aux murs pendaient des breloques perlées, et de drôles de peintures, qu'ont eût pu qualifier de rupestres si les bords collés des supports ne se détachaient pas des parois, ornaient les moindres recoins de la pièce : le tout, tout droit sorti d'un monde ancien où d'étranges silhouettes dansent frénétiquement autour d'un feu vorace et s'évanouissent avec l'ombre nocturne. Coincés entre une bibliothèque taillée à même le bois et une tablette en chêne, deux lits simples, serrés l'un contre l'autre se battaient en duel, comprimés sous d'épais plaids de laine dont les larges mailles colorées en rouge carmin, vert émeraude et blanc cassé zigzaguaient confusément de la tête au pied de la couche. Il ne manquait plus qu'une cheminée et quelques flocons au dehors, l'on se serait cru en plein hiver. D'un autre côté, l'âtre n'était pas bien nécessaire, l'été s'était marié avec Dame Chaleur durant le printemps et c'était lui qui revenait de sa lune de miel. Nous n'aurions pas froid cette nuit.
Lionel me rejoignit, guidé par Olivier qui resta interdit un instant, comme s'il attendait quelque chose et finit par nous laisser seuls.

« Tu devrais te coucher tout de suite, commençai-je en déposant mon sac au pied de l'un des lits. Tu étais fatigué...
- Oui, je vais... me coucher. »

Il sourit faiblement et s'allongea sur les draps. Je ne sus rien de ce qui lui arriva ensuite car je décidai de sortir afin d'aérer mon esprit et de profiter du coucher du soleil sur les montagnes. Le monde m'apparaissait différemment. Ce n'était qu'un bête et infime échantillon de ce qu'il restait à découvrir, or je sentais déjà un poids trop lourd pour moi peser sur mes épaules. Chassant d'un clignement de paupières ces pensées qui obstruaient mon cerveau, je me dirigeai vers le Point d'accueil de la ville qui faisait aussi office de bar, espérant en apprendre davantage sur cette ancienne cité minière, me cultiver un minimum et emmagasiner des informations qui s'avérerait forcément importantes un jour ou l'autre.
Perdu sous une montagne de papiers volants, le réceptionniste-barman mit un temps avant de s'apercevoir que j'étais postée derrière le zinc brillant, assise sur l'un des tabourets rouges, hauts et moelleux d'où la totalité de la salle pouvait être observée aisément. La décoration était si fade que je ne trouvai rien de notable à commenter, aucun endroit où accrocher mon regard.
Plutôt petit, costaud et l'air revêche, le barman saisit le crayon, jusqu'alors bien en place derrière son oreille droite, d'un geste qui se voulait décontracté lorsque je toussai doucement et prit ma commande. J'optai pour une tasse de thé glacé et tricotai des doigts en attendant la boisson jusqu'au moment où j'avisai un vieux journal qui traînait là, esseulé, dont une bonne partie des pages avait disparu : j'étais curieuse de voir à quoi ressemblaient les anciens périodiques pokémon. Je ne pus m'empêcher de le saisir et le feuilletai avec précautions.

« Il est bien vieux c'journal, onze ans j'crois bien, si vous cherchez de l'actualité fraîche, c'est pas la d'dans qu'vous allez l'trouver, lança la voix rêche du barman depuis la cuisine.
- Je ne cherche pas d'infos récentes, lui rétorquai-je alors qu'il revenait avec ma commande. Je cherche à satisfaire mon appétit culturel.
- Ah ça, c'est bien rare.
- Pourquoi le gardez vous s'il est si vieux ?
- Lubie de la patronne... » Répondit-il en un soupir de désolation.

« Si j'avais été un homme, il m'aurait sans doute adressé la parole autrement » pensai-je. Il tourna le dos pour astiquer la machine à café avant de replonger le nez dans sa paperasse, je supposai qu'il s'agissait d'une partie des comptes de l'établissement, en dodelinant de la tête comme les figurines de pokémon chiens que l'on pouvait voir à l'arrière de certaines charrettes dans la campagne. Une page à moitié déchirée annonçait fièrement « Réouverture prochaine du CRCP : après cinq ans de réfection totale, l'aventure reprend de plus belle comme vous ne l'avez jamais vue ! »

« Qu'est-ce que c'est le... CRCP ? Questionnai-je sans détacher mon regard du papier jauni.
- Oh, ça ? Hum... - L'homme frotta sa barbe fraîchement rasée et fit un effort afin de rassembler ses souvenirs. Ah oui, Championnat Régional de Course Pokémon. L'un des pôles de la Triade Compétitive. Pas le plus connu ça, c'est sûr, ricana t-il.
- La Tri...
- Coordination, Combats, Course, m'interrompit-il, désireux d'en finir au plus vite avec ces explications qui ne servaient plus selon lui à rien aujourd'hui.
- Vous en savez des choses, fis-je en traînant sur les mots et m'affalant un peu plus sur le comptoir, usant discrètement de mes charmes de façon à ce qu'il poursuive. - La manœuvre ne loupa pas et j'en fus fière car apprendre qu'il n'existait pas que les combats et la coordination était une révélation pour moi, même mes parents ne parlaient jamais de ce sujet, n'avaient même pas évoqué une fois l'existence de cette Triade que j'avais toujours cru n'être qu'un Duo ou un Duel de catégories rivales, dominée par l'art des Combats : l'homme se concentra davantage, se pencha en avant et continua son discours.
- J'crois bien qu'la course a connu son heure de gloire avant. Y a seize ans, toutes leurs trucs de Course ont fermé, plus d'engouement des gens, juste deux trois abrutis fidèles, des spectateurs... Ils se sont donné cinq ans pour revoir les concepts et reconstruire des arènes plus impressionnantes, histoire de dépasser la ligue et d'rameuter du monde, bah voyons. Pendant c'temps, les autres catégories ont pris d'l'ampleur et pouf ! Fini la Course : ils ont rouvert et seule une poignée de gens encore plus mince que celle qu'ils étaient parvenus à garder jusqu'alors est arrivée. De nos jours, presque plus personne à part une importante population de minettes ridicules n'ayant aucun talent pour le dressage ou l'approche des combats ou trop peu sensibles à l'art de la Coordination, choisissent cette voie, bah mon vieux ça leur réussit pas.
- Pourtant il doit falloir un sacré niveau d'écoute et de « dressage » pour qu'un pokémon vous porte sur son dos, accepte de devenir « sauvage » tout en étant sous le joug de quelqu'un et obéisse à des ordres auxquels il n'est pas habitué. »

Un peu désemparé par cette remarque, qui s'avérait en réalité être la preuve même que la Course était peut-être bien l'une des plus difficiles disciplines de sa... Triade car elle regroupait toutes les qualités requises séparément pour la Coordination et les combats, le barman se tut, ne sachant plus quoi raconter, tant il était fermement ancré dans sa façon étroite de penser.

« Euh, reprit-il...
- Le CRCP c'est une course préparatoire », expliqua une vieille femme qui laissait traîner ses oreilles là et s'immisça tout naturellement dans la conversation en ramenant son tabouret près du mien.

Le barman se redressa de toute sa hauteur et afficha un air aimable, s'évinçant galamment devant celle que je supposai être la patronne. Pas bien grande non plus, la toute petite bonne femme se hissa à la force des bras sur le haut tabouret en Skaï et me sourit franchement. Son visage rayonnait de sagesse, son teint était relevé par la couleur mauve du simple kimono dont elle était vêtue et ses cheveux grisonnants, noués en un énorme chignon serré, semblaient être extrêmement longs et épais. Elle avala cul sec le contenu d'un petit verre à vodka posé sur le zinc avec vélocité par le barman et s'essuya la bouche d'un revers de manche avant de poursuivre.

« Pendant trois semaines, des concurrents éventuels s'inscrivent à un stage de formation qui les invite à participer à cette fameuse course, la plus facile du cursus. Ensuite, les coureurs classés sur le podium et les quatrièmes et cinquièmes arrivés des CRCP, trois ou quatre par région me semble t-il, qui se déroulent dans le monde entier malgré la relative méconnaissance de la discipline, se voient admis s'il réussissent, au terme d'un test de connaissances Pokémon, au PRC, le Pokémon Rider's Center. Là commence un entraînement très éprouvant et parmi les plus durs qui soient. Quatre branches de cette même institution se sont créées au fil du temps pour attiser l'esprit de compétition entre les Riders : les Snow Riders qui ont élu domicile dans les pic enneigés de Frimapic sur Sinnoh, les Fire Riders s'exerçant au coeur du volcan de Vermilava, les Stone Riders, leur terrain de jeu à eux, c'est le Mont Sélénite et enfin les Dragon Riders, à Ebenelle. Des tournois sont organisés pour former les jeunes recrues et les rendre solides comme du roc et ils se déroulent entre deux temps ; un combat pokémon simple et LA course d'endurance et vitesse dont la durée varie entre une et quatre heures. Cela peut-être aérien, terrestre ou maritime. Il ne suffit pas de la gagner, il faut aussi que votre pokémon soit en bonne santé à l'arrivée et ça, ce sont les jurés qui en décident, sinon vous êtes fortement pénalisé. Ceux qui parviennent au terme de l'entraînement qui s'étale sur plusieurs années sont assurés de se faire une place au soleil mais ils ne sont pas nombreux... S'ils n'ont pas autant de succès, c'est que les bienfaits et les apprentissages qu'on tire de la Course sont méconnus. Les Riders ne sont pas ces personnes infatuées et imbues d'elles même qu'on trouve partout, ce n'est pas pour cela que la compétition n'était pas très rude avant, mais ils sont respectueux et savant ce que veut dire souffrir pour gagner. On ne peut pas en dire autant des Coordinateurs vous pensez bien ou même de certains dresseurs. Les organisateurs ne sont pas des gens avides de gain ou de pouvoir, ils se font tout simplement engloutir par le business des autres membres de la Triade. Ne vous méprenez pas mon enfant, je ne suis pas une vieille bique aigrie, je respecte les autres disciplines comme les autres disciplines devraient respecter la notre...
- Vous semblez en connaître un rayon sur ce sujet, murmurai-je épatée par tant de concision et de clarté.
- Augustine, se présenta t-elle en me serrant la main. Quand j'étais plus jeune, et croyez moi je suis bien vieille, j'assistais avec plaisir à ces manifestations déjà en déclin, rendez vous compte, et j'ai même étudié son mode de fonctionnement : le directeur du prochain CRCP est un bon ami à moi, il se demande d'ailleurs s'il vont tenir... mais à présent, la Ligue a pris le dessus et la Course s'est éteinte. Il ne reste presque plus personne qui veuille raviver les braises tiédies et ceux qui se lancent là dedans sont hués et humiliés par des gens qui n'ont rien, qui ne savent pas à quel point c'était dur de parvenir à dresser leurs pokémon comme il se doit. Le mieux pour leur répondre, c'est de les provoquer. »

Cette vieille femme avait du mordant et de la force de caractère. Cela m'impressionna. Je discutai longuement avec elle, oubliant mon verre de thé qui commençait à se réchauffer et apprit beaucoup de choses que j'aurais plaisir à raconter à Lionel sur la ville et les alentours, jusqu'à ce que le bar fermât. Augustine me confia une carte où était inscrite son adresse et un numéro où je pouvais la joindre : avant de fermer son rideau de fer, elle me murmura :

« Il y a une annexe quasi neuve des prochains CRCP qui commencent dans un mois à Safrania. Si vous alliez y faire un tour, hein ? ».

Et le rideau se referma sur moi...

***

Je marchai en direction du gîte d'un pas rapide afin de rejoindre Lionel au plus vite et de prendre de ses nouvelles, les rues dans la nuit, où que je fusse, m'effrayaient moins que la faune qui pouvait y régner lorsque les lumières laissent place à l'obscurité. Forte de cette intéressante découverte, la tête emplie de questions nébuleuses et les yeux de paillettes, je grimpai l'escalier puis poussai la porte grinçante de la salle de bain commune en face de notre chambre, après m'être assurée qu'elle était bien vide. J'ôtai mes vêtements, dénouai mon bandeau et ébouriffai mes cheveux jusqu'alors reliés en queue de cheval : ils me faisaient mal. Je fixai mon reflet dans le miroir, m'appliquant à chercher les moindres imperfections de mon visage tout en réfléchissant à cette étrange éventualité qui entrait avec perte et fracas dans la liste des perspectives d'avenir potentielles. Ce qui m'attirait se scindait en deux parties : l'envie de réussir dans une discipline que les autres ne comprenaient pas et les paroles d'Augustine m'avaient ouvert les yeux sur une sorte de compromis entre deux avenirs obligatoires. Au lieu de me cantonner aux combats que je considérais comme inutiles si leur seul but était de grimper dans l'estime des gens en ne se battant même pas soi-même, ou à la Coordination dont la douce apparence et la recherche de la beauté ne m'apparaissaient que comme trop fade et insipide car en total désaccord avec ma personnalité, je pouvais allier loisir et plaisir... Au moment où l'eau coula sur mon visage, ma décision était prise. Lionel avait ses activités, ses ambitions, j'aurais les miennes. Je ne savais pas à quoi je m'engageais à l'instant où les projets se fixèrent dans ma tête...

Un brin de toilette et un large T-shirt enfilé plus tard, j'entrai dans la pièce plongée dans la pénombre où Lionel dormait, étalé de tout son long sur la largeur des deux lits, encore tout habillé et Oké blotti au creux de son flanc. J'allumai la petite lampe au fond de la chambre et jetai un coup d'œil par la fenêtre : Ponyta elle aussi s'était assoupie. Je savais pertinemment qu'elle avait conscience de tout, j'en eus la preuve lorsque l'une de ses oreilles remua avant de s'orienter discrètement vers la fenêtre derrière laquelle je me tenais. Au moins, je ne risquai pas de la perdre.
Le sommeil commença à s'emparer de moi. N'ayant plus de place sur le lit et considérant que Lionel avait bien plus besoin que moi de dormir à poings fermés sur un bon matelas, je pris place dans un gros fauteuil recouvert de mohair encore un peu odorant et penchai la tête, prête à m'abandonner aux mains de Morphée. Avant de sombrer, je parvis à déchiffrer les titres des ouvrages alignés sur les étagères de la bibliothèque : « Comment devenir Master en 10 leçons ? », « S'occuper d'un bébé Pokémon », « La loi de la Jungle, expliquée par le Professeur Seko », « Le Kamasu... » (Diantre !), « Concocter soi-même des éléments nutritifs »... Parmi ces livres poussiéreux, ce fut le plus gros qui attira mon attention. L'épais volume, conservé dans un écrin serti de décorations argentées s'intitulait « La Course et Moi : deux Incompris. » Je le saisis et le posai sur mes genoux avant de souffler discrètement dessus. Le nuage de poussière qui s'éleva était presque pire que tous ceux dans lesquels je m'étais faite piégée auparavant, il me fit éternuer et depuis mon siège, je me mis en quête d'un mouchoir, tâtonnant doucement afin d'atteindre mon sac, un mètre plus loin. J'en trouvai un rapidement dans la poche avant et croisant les jambes, j'entrepris de lire quelques passages. Assez récent, le récit avait été rédigé quelques années auparavant lors du brusque déclin de la popularité de la Course Pokémon par un ancien Rider de la division Fire : chaque page comprenait une photo ou quelques croquis ainsi qu'un historique de la discipline que je jugeai complet, précis, clair et passionnant. Lorsque déchiffrer fut trop difficile pour mes yeux fatigués, je refermai le livre : une chiquenaude sur l'interrupteur et je m'endormis.

***

J'ouvris péniblement les yeux. Dans la chambre régnait une chaleur à boire un lac et la lumière était presque aveuglante. Je consultai la pendule murale et mettant la main devant mon visage, éblouie : il était six heures du matin. Lionel, adossé au mur et parfaitement éveillé, jouait avec bonheur à un jeu de mémoire avec Oké, glissé dans une manche de chemise, lové contre son dresseur, qui ne se lassait pas de tricher grâce à ses pouvoirs psychiques. Tous deux souriaient.

« Bien dormi ? Demanda Lionel en relevant la tête.
- Tu m'as entendue rentrer ? Oui, j'ai bien dormi.
- Rentrer non, ronfler oui ! Répondit-il du tac au tac, en riant.
- Ronfler ?! »

Je me sentis gênée... très gênée. Il m'arrivait, c'était vrai, de respirer « un peu » fort la nuit... mais jamais je ne ronflais comme pouvait le faire mon père par exemple. Je rougis et me tus.

« Qu'est-ce que c'est ? S'enquit le jeune homme en désignant le livre du menton, changeant habilement de sujet.
- Mon avenir, m'exclamai-je, contente de passer à autre chose.

J'expliquai ma rencontre d'hier avec Augustine et ma découverte de la Triade Compétitive. Soigneusement, je retranscris tout ce que m'avait dit la patronne du bar, dans l'ordre et au vu de la surprise qui élut domicile sur le visage de Lionel, je me rassurai en pensant que lui non plus ne savait rien de l'existence de cette discipline déchue.

« Tu vas t'inscrire ?
- Je pense bien. Ça me tente, tu n'imagines pas à quel point, répliqua-je en étendant mes bras en l'air. Tu crois qu'on peut quitter Argenta aujourd'hui ? Ou tu es encore trop fatigué ?
- Je me sens en pleine forme, rétorqua Lionel en se levant du lit, laissant Oké emberlificoté dans sa manche. Cap sur Safrania parce qu'il ne nous reste qu'une semaine avant les inscriptions, c'est ça, si j'ai bien compris ? Il paraît que la championne est adorable, murmura t-il d'un air avide.
- Oh, ça j'en sais rien, tu jugeras par toi même quand nous y serons. »

Lionel mit un bon quart d'heure avant de discipliner chacune de ses longues boucles brunes que formaient rageusement ses cheveux, pestant contre la raideur enviable des miens, ce à quoi je répondis que j'avais des ciseaux dans mon sac. Il se tut à son tour et j'en profitai pour m'habiller en grignotant un peu du gâteau coincé au fond de mon sac que j'avais pris soin d'emmener avant mon départ. J'en tendis un bout à Lio que la nourriture adoucit et après une dernière vérification de nos effets personnels, la chambre fut désertée.

Ponyta eut le droit à un bout de pâte d'amande et accepta de nous porter jusqu'à la ville suivante. Dans mon sac, le jeune homme sentit quelque chose de large et dur alors que nous chevauchions rapidement sur la route en piteux état de l'est d'Argenta.

« Mariiiine, commença t-il sur le ton du reproche. Tu as embarqué le bouquin, mais c'est du vol !
- Emprunté serait le mot juste, répliquai-je en rougissant. Quand je serai célèbre, ils en auront des tonnes de bouqiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiins ! »