Bonjour tristesse...
Lorsque je m'éveillai, le soleil, lui, était déjà haut dans le ciel et je n'avais pas envie de faire le moindre effort pour me lever. Les parents rentrés, plus d'emploi du temps surchargé, plus d'inquiétudes inutiles. Je roulai sur le dos puis tentai de bouger mes doigts de pied. Ce geste en apparence ridicule me rassura au plus haut point lorsque je vis les draps remuer et je me pris à soupirer. Parfois il arrive que l'on veuille que le temps s'arrête, juste parce que l'on se sent bien et qu'on aimerait que le moment présent se poursuive, indéfiniment. Je clignai les paupières. Décidément, je vouais un culte à mon plafond.
« Mon attitude d'hier était nulle. J'ai été froide avec Lionel... LIONEL ! »
Les yeux ronds comme des billes, je me levai brutalement. Lionel quittait la Pension aujourd'hui... et je ne lui avais pas dit au revoir.
« Mais où est-ce qu'elle est celle la ? »
Apparemment on déplorait une disparition, une ennuyeuse disparition pour le coup. Ma béquille s'était volatilisée. Qu'à cela ne tienne : je crapahutai dans les escaliers m'accrochant fermement à la rambarde, les jambes arquées et avançai en boitillant jusqu'à la cuisine.
« Oh Marine, tu es réveillée, commença ma mère. J'ai fait du...
- Où est Lionel ?! Hurlai-je à moitié.
- Enfin calme toi, chérie ! Mange d'abord un... tenta mon père.
- Rhaaaa ! »
Je fuis la pièce, certaine de perdre de précieuses secondes. Dehors, des traces de pas étaient imprimées dans le sable de l'allée : quelqu'un avait foulé le sol peu de temps auparavant. Mes pieds étaient désormais sales et je tenais à peine debout.
« LIONEL !! Appelai-je au bord des larmes. - J'attendis un instant. Mon cri résonna et me revint en écho comme dans une salle vide. - LIONEEEEEEEEEEEL ! Lionel... »
J'étais seule. Mon unique ami s'en était allé conquérir les terres inconnues et battre d'autres dresseurs pour s'améliorer, avec ses pokémon... mais sans moi. Et Dieu seul savait quand je pourrais le revoir. Résolument je lui en voulais. C'était bien une attitude de comédien sournois et égoïste ça, déguerpir sans prévenir personne, sans se soucier un tant soit peu des autres. Faux-cul, l'altruisme n'était pas son fort et la leçon du nez brisé devait être une méthode trop douce. La prochaine fois, je viserais ailleurs et de manière à ce qu'il s'en souvienne longtemps. J'essuyai mes joues et fis volte face, déçue, un sentiment de trahison s'associa progressivement au garçon.
Tout en me traînant misérablement jusqu'à la maison, l'objet de ma haine se transféra vers une personne différente qui n'était autre que moi. Comment je pouvais proférer de telles horreurs ? Horreurs qui n'étaient d'ailleurs que pur tissu d'inepties. Il avait été présent à chaque étape, la pour m'aider, prévenant avec les pensionnaires, s'était démené pour seconder efficacement mes parents. Lionel était en quelques sorte un catalyseur. Mon bras serait encore en piteux état s'il n'avait pas eu l'idée de l'enduire d'onguent végétal, mes jambes n'auraient pas guéri aussi vite sans ses soins, je n'aurais jamais tenu seule face à la destruction de la nurserie ou de nombreux décès seraient survenus parmi les nouveaux-nés.
J'avais besoin d'un truc fort pour me remettre les idées en place, d'un café serré, ou pourquoi pas même d'un verre de cette bouteille de rhum que mon père descendait une fois par mois : tant que ça me secouait un peu. Après tout la vie continuait !
« C'est vraiment pas une tenue sortir ça. Heureusement que tonton Lio n'est pas parti. Les jeunes de nos jours. Le mot autonomie ne leur dit plus rien. »
Un cran de tension se relâcha émettant un cliquetis dans je-ne-sais-quelle partie de mon corps. Cette voix, elle me faisait l'effet, drôle de comparaison certes, d'une séance d'acupuncture. Lionel était sobrement vêtu. Une chemise bleue, carrelée, légèrement ouverte, aux manches relevées, et un pantalon de toile beige surmontaient une paire de sandales de cuir. Le seul élément qui prouvait l'imminence de son départ était ce gros sac de voyage qu'il portait sur le dos.
« T'es vraiment...
- Tu te doutes bien que je ne serais pas parti sans te dire au revoir. Cela me semblait impossible après de ton côté j'en sais rien, souffla t-il en passant un bras autour de mes épaules avant de saisir l'une de mes mains. Je rougis.
- Si je suis la en pyjama, hurlant à moitié c'est que... Pff, qu'est-ce que je suis bête... J'ai honte !
- A moitié ? Je ne suis pas de ton avis. Toujours est-il que je suis content que tu aies réagi comme ça. C'est révélateur de... plein de choses en fait ! Fit-il en secouant ses boucles brunes.
- Oui, m'enfin peut-être pas de celles auxquelles tu penses hein, répliquai-je, en me détachant de lui, gênée. - Je fis une pause. - C'est de ça que tu voulais me parler hier ? De ton départ ?
- Hum... Ouais, je savais bien que tu aurais moins de mal à l'accepter si je te le disais avant, on aurait pu en discuter cette nuit par exemple. J'aurais pu t'expliquer.
- Sans doute mais j'ai compris, rassure toi, répondis-je afin d'abréger ce que je qualifiai intérieurement d'embarrassantes paroles. C'est le moment de se dire au revoir alors.
- Ouais.
- Tu... m'enverras du courrier quand même ?
- C'est à dire que j'avais pensé...
- Quoi ? Un Roucool de temps en temps, ça ne te prendra pas autant de temps que de parcourir le monde ! Un bout de papier, une mine et hop. Ce n'est pas la lune que je te demande.
- Et pourtant tu le pourrais, j'irai bien la décrocher pour toi... murmura t-il pour lui-même.
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Rien, reprit-il en souriant. En fait, j'avais pensé que tu pourrais... venir avec moi ?
- Lionel... Murmurai-je en blêmissant.
- T'as l'âge maintenant, t'as un pokémon voire même deux, tu ne seras pas seule, je peux t'attendre encore un peu, le temps que tu fasses ton sac et on partirait ensemble. Y a plein de choses à voir à l'extérieur. J'en ai parlé à tes parents, ils sont loin d'être contre même si ça les effraie un peu que tu quittes le nid, surtout ta mère, mais c'est une étape, un cap à passer, et je suis sur que...
- Oh oh oh ! Stop ! Le coupai-je, partagée entre joie et agacement. Ce serait chouette mais, je ne peux pas m'en aller. Vous décidez pour moi maintenant ?
- Marine, on a rien décidé ! On te laisse le choix.
- Et grand bien vous en fasse. Même si c'est tentant, je ne peux que refuser. Je ne veux pas quitter le « nid » parce que j'aime être la. Jadielle est une ville pittoresque, la Pension est agréable à vivre et je n'ai besoin de rien d'autre. Je suis désolée. »
Lionel baissa le menton. A première vue, c'était une nouvelle qu'il pouvait difficilement encaisser. Et moi. Cruelle ? Juste ? Effrayée peut-être. J'avais une grande confiance en lui et ce n'était pas le fait de voyager à ses côtés qui me faisait hésiter. J'étais lucide, je voyais bien ce qui se passait entre nous et pour cela, je me devais de mettre des distances entre lui et moi. Les prémisses d'un amour auquel je ne me sentais pas capable de répondre prenaient de plus en plus d'ampleur dans son cœur. En m'éloignant, peut-être que ce sentiment n'aurait plus lieu d'être, que Lionel oublierait. Je culpabilisais mais que faire d'autre ?
« Au revoir, Marine.
- Au revoir, Lionel. »
Il se mit en marche au prix d'un « effort démesuré ». Je pouvais l'affirmer rien qu'en regardant son visage, ses traits affaissés témoignaient d'un chagrin particulier. Je le suivis des yeux, jusqu'à ce qu'il s'enfonce dans le bois puis il disparut de mon champ de vision. Quant à moi, j'étais complètement perdue. La seule solution qui s'offrait à moi était quand même d'ingurgiter ce fameux « remontant » et plus tard d'avoir une petite discussion avec mes parents.
« Bon courage Lio. » Marmonnai-je.
***
Lionel cheminait depuis quatre jours, seul ou presque, Okéoké, hors de sa ball, ne quittant jamais son dresseur d'une semelle. Le but du jeune homme était tout sauf clair, il n'avait aucune idée de l'endroit où il voulait aller. C'était bien beau de voyager au jour le jour mais si aucun plan de route n'était élaboré, la chose s'avérait bien plus complexe et peut-être même moins drôle. En tous cas, c'était la vision que Lionel avait de sa fraîche aventure. Il traversait toujours la forêt de Jade, célèbre pour ses grands conifères, qui séparait Jadielle et Argenta dans l'espoir d'en voir le bout sous peu. Le point positif était sans doute le paysage. C'était vert, certes, mais quelles odeurs... de fortes effluves boisées, mélange de sève et d'écorce chatouillaient les narines de Lionel. Tout d'abord, il avait été pris d'une sorte de crise d'éternuements mais il s'y était habitué et trouvait cela de plus en plus plaisant. Or, son stock de provisions s'amenuisait, et il n'avait encore rencontré ni les gîtes recensés sur sa carte, ni les fameuses balises forestières dont on paraît les arbres en bordure des chemins. Il tournait en rond, c'était la seule explication plausible, la carte était récente. Il était perdu.
Cela le mettait en rogne et, aigri, il ignorait avec brio les tentatives de réconfort de Okéoké, jusqu'au moment ou ce dernier refusa d'avancer.
« Qu'est-ce qu'il y a ENCORE ? Tu fais la tête ?
- Okéééééééé ! Répondit agressivement le petit pokémon bleu.
- Hum... je sais que je suis pas agréable. On va arriver à trouver un chemin et tout ira mieux. Je promets d'être plus doux. Tu viens ? » Reprit Lionel en tendant le bras à son ami.
Oké considéra la chose un instant et finit par acquiescer. Les deux compagnons se remirent en route lentement, mais sûrement. Okéoké trônait sagement sur l'épaule droite de son dresseur. Dans ces bois grouillaient bon nombre de bestioles en tous genres, rapides comme l'éclair, qui se faufilaient avec aisance parmi les fourrés touffus. Lionel promenait calmement son regard sur les environs, aux aguets, cherchant activement un adversaire contre qui se défouler. Il manquait quelque chose... toujours. Il ne se sentait pas en sécurité, il avait l'impression que la forêt se repliait sur lui, jusqu'à le dévorer ou tout du moins le garder prisonnier à jamais. De plus, au vu de ses déambulations qui commençaient d'ailleurs à s'éterniser, il devenait évident que Lionel avait du mal à s'orienter. Ses pokémon, pas vraiment plus à l'aise que lui, avaient le mérite de le réconforter pour un temps... avant que sa mauvaise humeur lassante avale totalement l'allégresse si durement « acquise ». Plus il avançait, plus la lumière se faisait rare. La forêt de pins nappait le ciel, cachant même le soleil, jusqu'à absorber égoïstement le moindre rai espiègle qui tentait de s'infiltrer parmi les aiguilles vert émeraude. Le vent, lui, se moquait bien des arbres et passait à travers ce dôme végétal murmurant des choses incompréhensibles qui ne rassuraient absolument pas le voyageur égaré. Les branches craquaient sous les caresses des courants d'air froids, ces plaintes confinaient petit à petit Lionel dans un mode différent... effrayant.
Malgré cela il n'avait pas peur.
Des formes incertaines se découpaient dans l'ombre. La terre tournait, la vue de Lionel se brouillait. Puis l'une de ces formes prit un aspect plus matériel, elle cessa de se mouvoir et fixa le jeune homme avec insistance. Okéoké sauta à terre et se posta agressivement devant son dresseur : une protection inutile... les ténèbres environnants ne pouvaient être défaits par un simple pokémon psy. Son petit corps fut bientôt pris de spasmes incontrôlables. Le spectacle était absolument terrifiant. Lionel ne pouvait bouger, ni aller au secours de son partenaire ; Okéoké fut éjecté une dizaine de mètres plus loin et après une dernière convulsion, devint inerte. La panique s'empara du garçon, il était persuadé que les bois ne vivaient pas, et donc que quelqu'un s'amusait avec lui.
« Que voulez vous ? Qui êtes vous ?
Deux yeux phosphorescents apparurent, puis une bouche moqueuse. La « Chose » sourit, un horrible rictus s'étala sur ses lèvres inconsistantes. Lionel avait mal. Très mal. Sa boîte crânienne allait exploser d'une minute à l'autre si l'emprise maléfique exercée sur lui ne faiblissait pas. Il se sentait tiraillé, dans son esprit défilèrent une myriade d'images toutes plus étranges et terrifiantes les unes que les autres, des villes, des bungalows, une plage, des visages déformés, un homme, une femme, un enfant qui lui ressemblait et loin devant, l'océan. Tandis qu'il subissait cette torture mentale, son corps se contractait. Il n'entendit même pas le hurlement salvateur qui retentit derrière lui.
***
[Flash back : Marine]
Je soufflai... Je n'en pouvais plus. L'encolure luisante de Ponyta était trempée de sueur, mon front aussi et mes vêtements ne connaissaient plus la définition du mot « sec » tant ils en étaient imbibés. Ponyta renacla et gratta le sol de son sabot. Elle se maudit d'être de type feu : un bon bain dans le lac lui aurait fait le plus grand bien. Nous nous étions toutes deux soumises à un entraînement drastique ces trois derniers jours, afin d'améliorer notre endurance au cas où nous serions obligée de quitter la Pension. Lionel s'en était allé et avait emporté toute source de joie avec lui. Voleur... Je maugréai et passai une main dans ma longue tignasse capillaire rousse et humide, m'étirai un bon coup avant de retourner à mes pompes. Quant à Ponyta, la cible métallique en face d'elle ne payait plus de mine, tant ses attaques devenaient précises sans toutefois se départir d'une certaine puissance. Elle m'impressionnait : son attitude acharnée et la détermination qui brûlait dans ses yeux témoignaient d'une fidélité à toute épreuve, qui n'était pas donnée à n'importe qui et dans le fond, plusieurs éléments de ressemblance avec le caractère borné de mon père s'imposèrent à mon esprit, tant et si bien que je crus le voir, là, démolissant les ramifications de cette pauvre cible innocente avec une ardeur démesurée. Je tentai de faire de même.
Le premier jour, nous avions choisi de galoper le plus loin possible, Ponyta et moi, afin d'éprouver nos capacités initiales, brutes. Afin de ne pas commettre les mêmes erreurs que lors du premier rodéo, j'avais découpé à l'aide d'un Insécateur de larges bandes de cuir qu'un Mr. Mime m'avait ensuite aidé à coudre. Le vêtement se présentait comme un grand « pantalon de cow-boy ouvert » renforcé au niveau des mollets et de l'intérieur des cuisses, on appelait également cela « chaps ». Mes guibolles parées, la chevauchée pouvait commencer. Il s'avéra que le pokémon m'était nettement supérieur en terme d'endurance et au bout d'une heure, mes membres ne tenaient plus tandis que Ponyta fonçait toujours à travers les plaines. Il n'était pas aisé de suivre chacun de ses mouvements : le puissant corps de la jument ondulait sous le mien, les muscles bandés par l'effort et il était impératif que mes mollets enserrent ses flancs... dans le cas contraire, je chutais d'une véritable locomotive lancée à une vitesse moyenne de 100km/h, embarqué dans un train infernal. La plus grande récompense de ce jour maudit avaient été les retrouvailles bénies avec mon lit. Le pantalon de cuir avait rempli son rôle à merveille : les douleurs n'étaient plus externes mais internes cette fois ci en la personne de ces choses vicieuses et lancinantes qu'on appelle « crampes ».
Je me forçai à poursuivre cet entraînement, d'autant plus qu'il était de très courte durée, et musclai tour à tour mes bras, mon dos, mes jambes et mon ventre. Je m'étais promis de m'exercer chaque jour afin de ne pas perdre ce que j'avais si durement acquis.
A l'aube du troisième jour, j'avais pris une importante décision. Lorsque je descendis dans la cuisine, je ne fus pas surprise de trouver comme à l'accoutumée mon père, lisant l'un des vieux périodique pokémon auquel il avait abonné la Pension et semblant y trouver un plaisir particulier comme le démontraient ces sourires ponctuels. Cyrielle déposa une carafe d'eau sur la table, essuya une goutte mutine qui s'en était échappé avec une éponge toute neuve et passa une main sur l'épaule de son mari ; elle la pressa doucement, l'air inquiet, comme si elle savait déjà ce dont j'allais lui parler. Phil répondit en effleurant les doigts de sa femme des siens, délicatement et sourit en la regardant s'asseoir. Il m'aperçut et m'invita à me joindre à eux.
« Tu vas partir, c'est ça ? Demanda mon père sans quitter le journal des yeux.
- Hum... commençai-je. Oui, je voudrais rejoindre Lionel.
- C'est une bonne chose, j'en suis content, répondit Phil qui demeurait impassible malgré la teneur plutôt positive de ses propos.
- Je suppose que ça devait arriver, renchérit Cyrielle. Ça m'effraie, Marine, mais je l'ai fait, moi aussi, et j'étais bien plus jeune que toi, aussi je ne devrais pas m'en faire, hein ? »
J'étais abasourdie. Je ne comprenais plus rien. Ma mère semblait véritablement ébranlée et les épanchements larmoyants n'avaient jamais compté parmi mes scènes favorites, j'imaginais un peu plus d'enthousiasme : je leur annonçais ni plus ni moins que je suivais la même route qu'eux et je me heurtai à deux murs, l'impact était aussi douloureux des deux côtés. Lionel mentait, il ne leur en avait pas parlé. De toutes façons, à quoi m'attendais-je ? J'aurais été affreusement mal à l'aise si Cyrielle et Phil s'étaient levés, le sourire aux lèvres et m'avaient enlacé en me poussant à quitter mon nid. Les effusions de gentillesse m'agaçaient aussi. Peut-être était-ce mieux comme ça... ou peut-être pas. Je n'avais qu'une envie, sentir un peu de fierté dans leurs yeux. Rien d'excessif, une sorte de juste milieu, un soutien quelconque mais un soutien quand même.
Je me levai, remerciai chacun d'eux de m'avoir donné ce que j'interprétai comme étant leur accord et quittai vite la pièce où régnait à présent un malaise flagrant, on y étouffait. Quitter la Pension allait être l'une des choses les plus difficile à soutenir de ma courte vie mais il était impératif que j' parvienne, ou jamais je ne saurais ce que le monde extérieur contenait. Avec Ponyta et Magicarpe, nous allions parcourir les routes du continent et y user le fond de nos chaussures, sabots et nageoires jusqu'à tout connaître... l'équipe aux « semelles de vent »... J'imaginais déjà de grandes plaines, de hautes montagnes qu'il allait falloir escalader, le goût du risque, la découverte du danger. Une bouleversement total. L'enfermement réduit un homme, moi, je voulais vivre libre.
J'attrapai mon sac, celui qui avait failli brûler vif quelques semaines auparavant, y fourrai tout un tas de choses. J'avais l'impression de revivre ce moment où tout s'était déclenché, cette drôle de nuit où Ponyta et moi avions fait connaissance d'une étrange et, il fallait bien le reconnaître, brutale façon.
« Nourriture, c'est bon. Vêtements de rechange, ok. Bouquin de survie, emballé. Duvet, roulé... »
Je poursuivis ma check-list jusqu'à ce que le sac ne puisse plus rien contenir. Je laissai mon baluchon sur le lit et parcourus une dernière fois cette pièce qu'était ma chambre...
J'effleure lentement le bois du mur, je connais chacune de ses aspérités, je sais où sont les échardes qui ont tant de fois tenté de s'implanter dans la pulpe de mes doigts et quand et comment cette meurtrissure là - et celle ci - été creusée... J'ouvre la baie vitrée lorsqu'une vilaine bourrasque ébouriffe mes cheveux, j'ai presque oublié à quel point le panorama est joli vu d'ici. Les champs, les enclos, les montagnes, le lac... J'arrose une dernière fois mes plantes... Comme tout ça va me manquer... Les livres sagement rangés par ordre alphabétique me font les yeux doux. Leurs pages m'ont vue si souvent les observer, je ne peux même pas tous les emporter. C'est triste.
Il manque une chose, juste une. Je soulève le matelas, y glisse mon bras et sens quelque chose de froid sous mes doigts. Je l'attrape et le serre du bout des ongles, extirpe l'objet, la photo : le cliché aux teintes grises représentant ce fameux immense oiseau imaginaire qui est venu ponctuellement embellir mes rêves. Je l'insère dans une poche interne de mon jean et met le sec sur mon dos. J'avance sur le pas de la porte, je jette un dernière d'œil à la latte. Elle semble enfin faire corps avec le plancher. Je souris mais toute joie m'a déserté. Ce sourire, c'est celui d'un enfant qui est devenu adulte trop vite... Je ferme la porte, tourne la clé dans la serrure et après un dernier soupir, descends l'escalier sans me retourner.