Nouvel An
Douze janvier 1999. Petits et grands, dans leurs bottes fourrées (avec leurs motifs Morpheo de toutes les saisons collés dans le cuir), garnissaient la neige de traces de pas, anges, papiers de caramel et gants perdus. Chaque porte avait son bonhomme de neige, toujours décoré de la même façon - boutons en réglisse, nez en carotte, bras en bouts de branches - et sa couronne de feuilles de saule. Le soir, les bambins rechignaient à rentrer dans leurs maisons et à laisser là luges et frisbees.
Magirêve regardait avec un peu de nostalgie les dernières lumières qui s'éteignaient dans les petits bungalows de la station. Sa robe trainait dans l'épaisse couche « d'eau d'hiver », gelée. Le bon vent persistait à vouloir lui ôter son chapeau, qui battait contre sa figure charbonneuse. Fini le voyage ! Sa petite cigarette, un souvenir de son dernier hébergement, commençait à lui brûler sur la joue. Elle ne tarda pas à s'écraser dans la neige. De toute façon, avec le froid qu'il faisait, elle ne se serait pas ranimée.
Magirêve regardait aussi tous ses enfants, emportés dans le ciel par les nuées de Baudrive. Deux aux pieds, deux aux mains, parfois un petit dernier qui tirait sur leurs cheveux ; quelques - uns ne portaient rien, quelques autres se tenaient entre eux en une jolie petite file. Et les gamins riaient, leurs mimines rougies par le froid fermement accrochés aux fils de ces ballons rafistolés. Il ne manquerait plus qu'il y en ait un qui claque. Avec toute la poudre qu'il y a dans ces bêtes - là, ça ferait un beau feu d'artifice.
Le brave fantôme voyageur, lassé de ses fantaisies du nouvel an « et plus si affinités », remit une dernière fois son chapeau bien droit, débarrassa sa robe de son givre pailleté, et recommença son bonhomme de chemin.
L'an prochain, il passera l'hiver auprès du feu des usines à charbon. Si le vent voulait bien accélérer un peu sa marche, si sa cousine ne venait pas l'embêter - du haut de sa demeure des morts, un petit confort - avec ses histoires de famille.
Et puis, Magirêve s'arrêta. Il avait vu ce grand arbre aux branches couvertes de miel givré, dont les cadeaux fleuris tombaient un par un dans une jolie danse. Par terre s'étalaient les boules à neige, les vitraux cassés, les sucettes en chocolat noir ou en chocolat blanc, les gants perdus revenus, les paquets encore tout emballés.
Drôle d'arbre à cadeaux. « Attrape - moi, attrape - moi ! » disait l'arbre.
Naïvement, Magirêve s'approcha pour attraper le drôle d'arbre. Bien sûr, il n'eut aucun mal à frotter son grand chapeau de voyageur contre l'écorce rugueuse, et encore mieux, rien ne se passa. Une petite peluche d'ours vert (avec son costume de militaire, la marque « Ours en peluche du Monde » cousu sous sa patte) lui retomba juste sur la tête.
Peut - être que c'était une de ces bizarreries de l'autre bout du monde, un gadget « Made In Taïwan ».
Magirêve, du coin de sa robe, attrapa une poupée. C'était le genre poupée causante, avec son costume de cowboy, et son cordon dans le dos qu'il fallait tirer pour la faire parler de thé et de petits gâteaux. La petite peluche avait l'air salement amochée par le temps, et quelques gesticulations suffirent à séparer tête et corps dans un éparpillement de coton.
« Woody, t'es le plus fort ! »
Le voyageur souleva son chapeau. Il était rempli de sa recette de l'hiver ; des relents de cake et de yaourts au miel, une roue de train miniature, une fourchette en plastique « Restaurant Chinois », des boutons d'anorak. Il y rangea la petite poupée décapitée et orna de nouveau sa tête noire de son accessoire.
L'arbre à bidules se remit à chanter.
« Petit Papa Noël ~ »
Une petite gamine s'accrocha à sa robe. Elle était pas très grande, en fait, et le grand artifice de Magirêve la recouvrait parfaitement. A son bras - ou sa patte, l'espèce de « truc » à trois doigts qui dépassaient de son costume rayé - se débattait un ballon à bouille de chat.
« Bonjour, monsieur. Votre cigarette est éteinte. »
Elle se plia à une révérence polie, serrant les coins de sa petite robe blanche. Comme pour approuver toute seule ce qu'elle disait - monsieur, votre cigarette est éteinte -, elle hocha la tête avec vigueur, secouant sa frange trop bien soignée.
« Bonjour » répondit le Magirêve. « Vous avez de bien jolis gants. »
La petite cacha ses doigts rayés dans son dos, avec un petit sourire gêné.
« Vous avez des cadeaux pour moi, dis ? »
Le voyageur regardait tout autour de lui. Tous ces jouets éparpillés, les « Mr Irvie » plantés d'aiguilles, les doudous recousus, les voitures sans télécommande et les télécommandes sans voiture.
« Prends ce que tu veux. Ce n'est pas à moi. »
La petite frappa dans ses mains joyeusement et courut dans la neige, parmi les cadeaux ouverts, les cadeaux fermés, les cadeaux refaits, les cadeaux invendus. Elle avait l'air contente. Elle ramassait des jouets, les jetait, en reprenait d'autres. Et elle tendit finalement une petite peluche de lapin à cravate.
« Je peux prendre celui - là ? »
Magirêve leva la tête. Le petit matou d'hélium s'envolait dans les airs, dansait avec les Baudrive, tandis que les enfants essayaient de l'attraper. Avec leurs gros doigts, la ficelle leur échappait.
« Il va loin, mon ballon. Vous pouvez le rattraper ? »
« Ton ballon va s'arrêter, comme tous les ballons égarés. »
La petite imaginait déjà un plafond suspendu dans le ciel, avec des millions, des milliards de ballons colorés et décolorés, ronds ou avec des formes d'animaux, arrêtés dans leur libre montée.
« Vous pourriez me ramener chez moi ? S'il - vous - plait ? »
Le Magirêve occidental lui sourit gentiment, de sa bouche édentée.
Personne n'était à la maison pour s'occuper de la petite. Tous les enfants étaient partis parce que les ballons mauves leur avaient promis de beaux cadeaux. Et la petite Tarsal avait été oubliée, comme tous les autres enfants de son âge. Elle s'endormit dans les bras du Magirêve, ses mimines collées à son nouveau jouet qui sentait le miel et la cannelle.