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Un long parcours de YumeArashi



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» Auteur : YumeArashi - Voir le profil
» Créé le 01/12/2008 à 20:50
» Dernière mise à jour le 28/02/2010 à 23:41

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Les vertes lectures
« Quitte à explorer, autant le faire en profondeur et méthodiquement. »

Voici pourquoi les trois heures suivantes furent consacrées à l'inspection de la grande rivière principale et de ses embouchures. Flâner le long du cours d'eau, pieds nus, observant les pokémon carpe faire des allers-retours et d'étranges homards claquer des pinces fut l'activité la plus apaisante qu'il m'eut été donnée de réaliser depuis bien longtemps. Cette journée sortait décidément de l'ordinaire.

***

Depuis maintenant une dizaine d'années, je partageais mon temps entre le dessin et mes lectures. Je ne me rendais à l'extérieur que pour étudier à la Bibliothèque de Jadielle. L'établissement était absolument immense : on y trouvait de tout. Lorsque des scientifiques étaient de passage à la Pension, la visite du lieu était une étape qui s'imposait presque naturellement. Leur principal intérêt était la foultitude de documents historiques regroupés dans l'Enfer de la bibliothèque. Elle regorgeait de merveilles en tous genres qui séduisaient non pas seulement les professionnels mais aussi les débutants, les jeunes, les plus âgés, les femmes, les hommes, les étrangers et même certains pokémon en phase d'apprentissage du langage humain – bien qu'ils fussent extrêmement rares...
Ma section de prédilection, poétiquement appelée « Arts et envies d'ailleurs » et désertée par les adhérents – sans doute parce qu'elle était perdue au milieu de l'immense section « Pokémon » qui happait tous les lecteurs avidement - était devenue ma seconde maison. Je connaissais par cœur chaque étalage et je pouvais me vanter d'avoir déjà lu les trois quarts des livres présents dans les rayonnages. Bien qu'heureuse de me nourrir de ces savoirs, et vivant dans une famille aimante, je n'avais jamais eu d'amis véritables exceptés les personnages des romans que je dévorais... A l'école du village, je jouais à reproduire les scènes des livres que ma mère me lisait le soir. Les autres enfants me prenaient pour une fille bizarre et ne se joignaient jamais à moi, préférant mimer des combats pokémon ou jouer avec ces bêtes lorsqu'ils en avaient déjà une. Aujourd'hui encore, il m'arrivait de croiser des jeunes de Jadielle lors de mes pérégrinations littéraires. Je m'étais aventurée à les saluer plusieurs années auparavant, mais je m'étais inexorablement heurtée à un mur d'indifférence en béton armé... Aussi, je me renfermais davantage associant relations sociales à une sorte de douleur. Et je dus me rendre à l'évidence : j'étais effectivement seule. Très seule.

***

Lorsque que mes extrémités pédestres se mirent à gonfler, je pris quelques instants pour souffler. A vouloir faire trop et trop vite, on se fatigue... Torterra me portait gracieusement sur son dos et moi, je me mis à lui parler. Allongée sur le ventre, la tête dans les mains, j'observais le paysage en soliloquant plus ou moins.

« Tu seras mon psy attitré ! Oh, ne te réjouis pas trop vite, ce poste n'est pas de tout repos, crois moi ! Mais au moins tu ne parles pas, je ne sais même pas si tu peux me comprendre, ou déchiffrer ce que je raconte. Ça me permettra de déblatérer toutes mes bêtises. Quoique si ça t'ennuies tu peux toujours me jeter à terre. Si tu comptes le faire par contre, essaie juste de ne pas être trop violent, ce serait adorable de ta part. Enfin, mine de rien, je suis contente d'être là avec toi. Je ne sais pas si c'est moi ou si je vois réellement les choses différemment, mais c'est drôle. Tu vois tout comme ça toi ? Est-ce que tu vois les même couleurs ? Les mêmes choses que moi ? Que nous... C'est stupide tout ça, et...
- Torrrrr... Terraaa... »

C'était un long son rauque qu'émit le pokémon. Fut-il possible qu'il m'ait répondu ? Surprise, je décidai de ne plus parler du tout jusqu'à ce que nous rentrions : il n'était pas exclus qu'il aille tout raconter à mes parents, le traître ! Le jour déclinait, et je sentais Torterra fatigué. Lorsqu'il me déposa devant la maison, je ne pus m'empêcher de sourire.

« Merci pour cette journée. Pour un premier rendez-vous c'était plutôt pas mal. » Plaisantai-je.

Le pokémon pencha la tête en signe d'approbation et entra dans la Ball. Je la fis tourner dans ma main, en mordant la lèvre jusqu'à ce que je réalise que j'avais un peu froid. Décidément, ma vie prenait un tournant un peu plus intéressant.

***

Je m'éveillais avec un mal de tête épouvantable. Ne sachant pas comment le faire trépasser moi-même, j'en parlai à mes parents... La sentence fut affreuse, horrible, monstrueuse, immonde... Interdiction de me lever...
« Reste alitée aujourd'hui, bois ces infusions et demain tu seras sur pieds ! » avait dit ma mère sans se départir de sa joie naturelle. Et moi qui avais prévu d'aller à la Bibliothèque. Nous étions Jeudi, le deuxième jour de la semaine le plus important pour moi.

BAM BAM BAM...

« Tu peux rentrer papa, soupirai-je.
- Excuse moi, j'ai l'habitude d'être un peu... disons énergique, murmura t-il en passant la tête par la porte. Mon directeur est un peu dur de la feuille. Hum... Ça va ?
- Ouais, tout va bien, j'ai la tête dans un étau mais je survis !
- Je pourrais faire quelque chose pour t'être agréable, chérie ?
- Oh ! Papounet ! M'écriai-je en me levant brusquement. Tu serais trop gentil si tu allais à la Bibliothèque pour me ramener quelques bouquins !
- La Bibliothèque ? Et comment saurais-je lesquels tu as déjà lus ?
- La gérante me connaît bien ! Elle te renseignera !
- Bien... J'y vais de ce pas alors. Repose-toi en attendant. Je t'aime Marine.
- Moi aussi, papa ! Merci. » Fis-je en souriant.

Il quitta la pièce et je me recouchai lourdement dans les draps. La chambre était agencée de telle manière que la fenêtre se trouvait à ma droite. Située au troisième étage, c'était un ancien grenier que j'avais réaménagé seule. Le plafond était incliné et on voyait encore les poutres et la charpente du bâtiment. Il y avait deux ouvertures, deux portes – la seconde s'ouvrait sur une échelle permettant l'accès au toit - et même un petit balcon demi circulaire en bois lui aussi. De part et d'autres s'épanouissaient des plantes, des fleurs et même des herbes médicinales dans une petite serre. J'aimais la lumière et cette pièce était on ne peut plus claire ! C'était un lieu dans lequel je me sentais bien.
Je fermai les yeux.

***

Philippe attrapa ses clefs, embrassa tendrement sa femme et quitta la maison. Une fois sur le seuil, il se concentra quelques instants. Il finit par tripoter nerveusement son chapeau et extirpa une ball de sa poche. Il la lança. Un gros dragon orangé à l'air bon enfant se posa doucement aux côtés de son dresseur. Celui ci grimpa sur le dos du pokémon et tous deux se mirent en route vers la Bibliothèque. Phil n'aimait pas voler : il avait le mal de l'air. Il ne se sentait à l'aise que sur le sol. En apesanteur, il perdait ses repères, et cela lui déplaisait un peu. Il fit signe au dragon d'accélérer. A peine quelques minutes plus tard, ils atterrirent devant l'édifice gigantesque.

« Merci Dracolosse, dit-il en souriant. Reviens ! »

Il pénétra dans la Bibliothèque. Un sentiment de quiétude l'envahit. Un Ptiravi vint l'accueillir joyeusement, proposant de prendre sa veste. Phil déclina aimablement mais tendit au bébé l'un des Poffins sucrés préparés par sa femme le matin même. Ravi, Ptiravi invita l'homme à la suivre. Il le mena jusqu'au comptoir principal et lui fit signe de patienter quelques instants. La bibliothécaire - Sophie - s'époumonait, réprimandant un groupe d'enfants qui chahutaient dans le rayon « Vie des Pokémon », trop excités par le livre sur la reproduction qu'il venaient de découvrir. Lorsqu'elle vit Phil, elle se détendit, dispersa les enfants et le rejoignit en soupirant. Elle était à peine plus âgée que lui, arborait de fines lunettes ciselées et sentait bon la vanille.

« Ah ces jeunes... C'est un plaisir de vous recevoir ici « M. Flaver », dit-elle avec une pointe d'humour.
- Je suis moi aussi heureux d'être la, Sophie... C'est si vieux... cela fait remonter quelques souvenirs.
- Je ne compte plus le temps depuis lequel on ne t'a pas vu écumer les rayonnages autrement que pour guider tes invités de marque. Ça m'a un peu manqué. Mais ne t'en fais pas, je sais que vous avez fort à faire toi et ton équipe, on ne parle que de vous au Mont Sélénite. J'admire ta dévotion. - Consciente de d'avoir mis son vieil ami dans l'embarras, Phil étant extrêmement modeste, elle changea de sujet. - Puis-je t'aider ? Questionna t-elle aimablement.
- Je viens de la part de Marine, elle est souffrante et m'a demandé de lui ramener quelques livres.
- Marine ! Une jeune fille très intéressante, je commence à bien la connaître. Permets-moi de te dire qu'elle s'est admirablement « substituée » à toi. Suis-moi, je pense savoir ce qui lui fera plaisir. » Dit-elle malicieusement.

Il s'exécuta. Elle le promena parmi les étalages qui s'étiraient vers le fond de l'établissement comme de longs rubans infinis puis ils arrivèrent dans la section « Arts et envies d'ailleurs ». Sophie ouvrit un petit compartiment à l'aide d'une clé ronde et se mit à parler dans sa barbe, cherchant avec frénésie l'objet précis de sa convoitise.

« Celui là, elle l'a lu, celui là aussi... ceux-là... Boarf ! Une demie-dizaine de fois... Mais où est-il ? Non, ce n'est pas ça, non plus... Un navet celui là, je ne sais pas pourquoi je le garde dans ma Bibliothèque... Ah ! Le voilà ! »

Elle tendit à Phil un livre poussiéreux très épais et visiblement bien usé par les générations de lecteurs précédentes. Sa fille lisait-elle réellement ce genre de choses ?

« Ne te fie pas à sa tête, il est passionnant et tu me croiras ou pas, nous venons de le recevoir... Arrivé par Roucarnage spécial ce matin... Elle va l'adorer ! Tu peux me faire confiance. Il faudra que je pense à le ranger au bon endroit la prochaine fois. »

Le père regarda alentour, désignant du menton deux étagères de manuels qui – selon lui - semblaient plus adaptés.

« Ceux-là ? Fit Sophie, qui avait remarqué non pas sans amusement le regard dubitatif de l'homme. Pff ! Tu penses. Elle les as déjà lus une tonne de fois. Donne lui celui ci et tu ne la verras plus sortir jusqu'à ce qu'elle l'ait fini.
- De quoi parle t-il ?
- D'un vieux mythe, celui de Lugia. Le pokémon légendaire qui a su remettre de l'ordre parmi les oiseaux légendaires lorsqu'ils se sont entre tués. Mais je ne t'apprends rien. Elle m'en a parlé la semaine dernière. Je l'ai gardé pour elle dès que je l'ai eu en mains.
- Lugia ? S'étrangla Phil, sans retenir sa voix.
- C'est ce que je viens de te dire, oui. Un problème ? - Phil se ressaisit prestement et secoua la tête. Devant ce retour de calme, Sophie n'insista pas et reprit son inspection. - Tiens, prends-lui aussi ça. »

La bibliothécaire le regarda malicieusement puis déposa une pile de six ouvrages supplémentaires dans ses bras. Elle le reconduisit à l'entrée et enregistra rapidement les livres, donna un reçu à Phil puis soudainement, cessa de bavarder net. Elle pivota vers l'homme à la veste élimée.

« Je sais que je ne devrais pas dire ça, Phil. Mais je ne peux m'empêcher de dire que je tiens énormément à toi, et... prends soin de ta fille. Elle est la fleur de ta chair et celle de... de Cyrielle. Elle ne peut PAS être un simple être humain qui mènera une vie normale. Je sens en elle beaucoup de choses, des choses terrifiantes, et aussi un grand pouvoir, je ne saurais te dire quoi. Quand cela arrivera, tu devras être prêt car ça risque d'être terrible... Tu sais que... - elle marqua une pause - je t'ai toujours aimé. J'aime ta fille aussi et je l'aiderai si elle en a besoin.
- Sophie, je... »

La jeune femme s'avança vers le visage de Phil et lentement, délicatement, déposa un baiser léger de la pulpe des lèvres au bord de celles de l'homme. Phil ne bougea pas, il se contenta de fermer les paupières et d'attendre. Lorsqu'elle recula, Sophie plongea un instant son regard dans celui de son interlocuteur puis tourna les talons avec une vivacité déconcertante, rejoignant l'Enfer de sa bibliothèque où elle disparut.
Perdu, Phil resta un instant interdit puis sortit lentement du bâtiment, partagé entre deux sentiments aussi durs les uns que les autres : la peur et la culpabilité.

***

Je ne parvenais pas à m'endormir. Énormément de choses trottaient dans ma tête : je pensais à Ponyta principalement. Une ombre fugace m'indiqua que mon père venait d'atterrir. Quelques instants plus tard, il était assis à mes côtés.

« J'ai tes livres ! Fit-il en me tendant la pile.
- Ah ! Tu es le meilleur ! »

J'ouvris chacun d'eux avec précautions, me demandant lequel d'entre eux allait être ma première lecture. Le seul qui m'attira fut le plus gros des ouvrages. Phil m'observait sans rien dire, les yeux dans le vague, les mains tremblantes. Je passais mes doigts sur la couverture de vieux cuir, m'attardant sur les incrustations argentées et la reliure granuleuse. C'était presque un examen chirurgical auquel je procédais. Je poussais un petit cri de surprise lorsque je lus en lettres antiques le nom de ce que je croyais jusqu'alors n'être qu'un gros oiseau tout ce qu'il y avait de plus ordinaire...

« Tu... Tu t'intéresses à ce pokémon ? Demanda Phil en marchant sur des œufs.
- Plus ou moins... Je tente de me cultiver.
- Et... tu n'aurais rien à me dire ?
- Non, pourquoi ? Fis-je en levant la tête.
- Pour rien, je te laisse tranquille. Tu descendras manger ?
- Je n'ai pas faim, je te remercie, articulai-je, déjà plongé dans la lecture du gros volume. Merci p'pa ! »

J'attendis qu'il soit parti pour passer la main sous le matelas. J'en extirpai la fameuse photo et la comparai avec l'illustration de la première de couverture. La position des ailes était la même, la taille du cou, la forme de pattes... Seules les épines ne correspondaient pas tout à fait. Or, pas de doute, c'était bien le même animal. Je me mis à lire... et dès lors, m'enfermai dans une bulle d'où personne ne put me déloger deux jours durant.

***

Cyrielle lança un regard interrogateur à Phil, un regard qui en disait long sur tout ce qu'elle soupçonnait.

« Tu es retourné la voir...
- Sissi... Je n'aime pas ce ton. Oui, évidemment puisque je suis allé à la bibliothèque, répondit Phil avec une lassitude effrayante. Tu la connais, tu me connais.
- Je t'aime. Je te crois, je t'ai toujours fait confiance. Ça ne changera pas, mon amour. » Murmura Cyrielle, une larme au coin de l'œil.

Secoué par les paroles craintives de cette femme à qui son cœur était éternellement lié, l'homme se leva du siège dans lequel il s'affalait depuis son retour, mû par une force irréelle, saisit fermement sa femme par la taille, avec ce mélange de force et de douceur que Cyrielle avait toujours apprécié chez lui et souffla délicatement sur son cou brûlant, ivre du parfum délicat des longs cheveux châtains parmi lesquels ses doigts se perdirent... La jeune femme, qu'un frisson délicieux parcourut lentement, repoussa tendrement l'étreinte ardente et se tourna vers son ami, son mari, son amant de toujours. Phil l'embrassa avec une fougue qui galvanisa les deux êtres, et les fit redoubler d'ardeur... Ce soir là, Cyrielle eut la preuve de la fidélité éternelle de celui qu'elle avait toujours désiré et sut qu'il serait sien pour le reste de sa vie.

***

Quelques jours plus tard, alors que la lectrice folle n'était toujours pas descendue manger, Cyrille se permit de regarder furtivement au travers de la serrure : sa fille s'était finalement endormie. Elle entra doucement, prenant soin d'éviter la fameuse latte et remit la couverture sur le dos de Marine qui délaissait ses plateaux repas. Sur la table de chevet, s'empilaient les assiettes du petit déjeuner, du déjeuner et même du dîner, une vrai capharnaüm. La jeune femme passe une main sur le front de l'adolescente : elle était guérie. Soulagée, Cyrielle prit le livre qui était posé sur le lit et le rangea dans l'étagère. Un dernier regard vers la prunelle de ses yeux et elle retourna dormir. Il aurait suffit qu'elle l'ouvre à la première page pour trouver la photo et ainsi éveiller des drôles de soupçons, or il n'en fut rien.